Cinquième journée - II, 10

T1 négatif :

Lors de la nouvelle conjonction de JE avec le singe et la gazelle, la continuité thématique avec ce qui précède est certes assurée par le sème /harmonie/, mais la paire /inchoatif/ + /itératif/ justifiée par "Tout était comme à mon premier réveil" est liée de façon surprenante à /dysphorie/: "je trouvai toutes choses semblables à la première fois. Mais à présent, elles étaient sans pouvoir sur moi. Nicolas et Cymbeline avaient perdu leur mystère de poésie. […] mes sentiments n’étaient qu’un assez pauvre décalque de l’émerveillement que j’avais connu." Il commet là une erreur aussitôt démentie.

T2 positif :

En effet, conformément à la tradition poétique, triomphe /euphorie/ lorsque "l’aurore surgit d’un seul coup, prompte et glorieuse". Ici le retour de la sacralité conjoint sans contradiction /itératif/ à /unicité/ : "La nature avait beau répéter ses miracles […], elle ne perdait rien de sa splendeur et de son intégrité." De même que se répète l’interdiction d’avancer proférée par Patricia, mais cette fois avec son rire malicieux qui empêche le désenchantement initial. Si JE "rêve que tout allait recommencer" comme au premier jour, par une étrange "sorcellerie" qui l’effraie, c’est parce que la jeune fille avoue avoir anticipé ses réactions, et qu’elle le connaît, neutralisant ainsi le sème /magie/ qui la caractérisait : "Je pensais bien que vous ne devineriez pas, dit-elle."

Que ce soit dans T1 ou T2, on constate une fois encore la primauté de la modalité épistémique, qui articule la relation unissant les deux acteurs humains. Cette isotopie /cognition/ sert ensuite à opposer chez JE d’une part ses connaissances – qu’il transmet par son métier de reporter indexé au sème /médiation/ : "j’écris… Ce que j’ai vu en voyage… Pour les gens qui ne peuvent pas voyager" – d’autre part son ignorance réelle, car il lui manque toujours ce savoir sur les bêtes qu’il pourrait acquérir en étant conjoint aux aspects /itératif/ + /duratif/ : "Il faudra, dit-elle, revenir chez nous souvent, longtemps… Alors, peut-être…"

L’inversion dialectique de T1 négatif à T2 positif modalise aussi l’apparition furtive réitérée d’Oriounga armé, que Patricia interprète paradoxalement comme un signal de communication : "il voulait savoir si je suis la fille du grand lion ou bien une sorcière, dit Patricia qui riait de nouveau."

T3 négatif :

Or en ajoutant "Il m’a demandée en mariage. […] Je lui ai conseillé d’en parler à King", ce qui se réalise par une confrontation pacifique des deux ennemis séculaires manifestant une haine réciproque, elle se livre à une folle provocation (En termes narratologiques, à la fonction Demande irénique du guerrier noir répond Défi polémique de la jeune fille blanche qui conduira plus tard à Attaque, Contre-attaque et Sanction, clôturant le récit – noms de fonctions repris à Rastier (1989: 75).

Mais de façon ludique, car "l’ingénuité parfaitement jouée" activent le sème /ruse/ dans son ton naturel. Il contraste avec le ton grave sinon alarmé de JE, qui, par les topoï sous forme de mythes qu’il a donnés sur les guerriers noirs, incite le lecteur à adopter son point de vue et à activer le sème /inconscience/ dans le jeu de Patricia : elle ne se serait ainsi pas rendu compte que la sacralité du rituel Masaï qu’elle commence à instaurer avec le face-à-face morane\lion pourra lui faire perdre son fauve sacré. Il y a renversement dialectique en /disharmonie/ car le jeune guerrier ici désarmé prévient qu’il reviendra avec sa lance; JE lui-même sous-entend que ce face-à-face rituel excèdera l’omnipotence de la jeune fille, ne pouvant plus maîtriser les conséquences de son infraction :

"Après ce que j’avais vu du pouvoir de Patricia, j’avais le sentiment que, dans le domaine des bêtes sauvages, tout lui était possible et permis. Mais les bêtes ne suffisaient plus à son jeu, je le voyais bien. La petite fille éprouvait le besoin d’y mêler les hommes afin d’étendre sa puissance dans le même instant sur deux règnes interdits l’un à l’autre."

Si ce chap. 10 est le seul à chevaucher deux journées, c’est

On ne revient pas sur l’après-midi du même jour (II, 11), où Sybil est revalorisée (cf. supra) ; ni sur la soirée, où Patricia ne comprend pas les peurs respectives de sa mère et de JE.