Sixième journée - II, 12-13

T1 positif :

Par une nouvelle rupture avec le ton et le lieu de la veille, sont annoncées les festivités du campement Masaï où se rend Bullit par "obligation de politesse" ; "son visage avait une expression enfantine de joie et de mystère" qui accentue l’identité avec sa fille qu’il emmène, ainsi que sa femme qui confie : "Je reprends goût à la couleur locale". Peu après, "Patricia embrassa sa mère avec élan" ; dans cette famille ressoudée, l’isotopie /harmonie/ domine. Liée à /duratif/ et /cognition/, elle indexe aussi un autre calcul de la jeune fille : "C’est pour faire une surprise aux Masaï que je veux attendre. Ils ont trop envie de me voir, […] ils vont croire que je ne viens pas."

T2 négatif :

Or la surprise est pour Patricia et JE, qui, dans ce laps de temps et à l’écart, découvrent le vieux chef Masaï Ol’Kalou, agonisant et délaissé par les siens, tout gangrené, dont le statisme macabre contraste avec le gai dynamisme de la "frénésie" tribale. La paire évaluative /dysphorie/ + /péjoratif/ modalise aussi déjà les sentiments de Patricia, "sans pitié ni crainte" devant le moribond ; son inhumanité contraste avec sa douceur débordante de T1.

Défaut en partie excusé

Elle commet une autre confusion axiologique : pour elle, la plaie humaine du Masaï n’est pas plus grave que les plaies bénignes infligées à leurs vaches; de même elle distingue mal entre la puanteur de sa "putrescence" et celle des bouses servant à leurs habitations (cf. II, 5).

T3 ambigu :

La conjonction avec leur fête ne rétablit pas uniment le sème /euphorie/, car au-delà de l’honneur de l’accueil dispensé à la Fille au Lion, de la beauté, de la plénitude ambiantes, la "ronde" rituelle Masaï mimant la chasse au lion est empreinte d’un "caractère de furie, de possession", mixte d’euphorie et de dysphorie que recouvre le sème /fascination/ dominant dans le spectacle. Cette dualité évaluative est inscrite dans les mouvements mêmes :

‘ondulations’ de la ronde (/continu/, /souple/, /mélioratif/)
‘désarticulée’, ‘disloquée’ (/discontinu/, /raide/, /péjoratif/).

Il n’est pas anodin de constater que "les convulsions des épaules et des ventres" et "les cous ressemblant à de noires couleuvres saisies de spasmes furieux" (II, 13) est un syntagme paraphrasant, à une assez longue distance textuelle, les éléphants caractérisés deux jours plus tôt par "leurs trompes convulsées comme des serpents furieux" (II, 8). Cela manifeste

Le comparant ophidien est ainsi suffisamment récurrent pour être significatif : par un processus de sélection sémique, il partage sa dualité, à base de régulières sinuosités et de détentes vives, avec les félidés, au premier rang desquels le lion, bien entendu, motivé par sa relation de causalité avec les guerriers Masaï.

Dans ces gesticulations collectives, /harmonie/ et /fascination/ se lisent sur /itératif/ et /duratif/ :

"la petite fille ne faisait aucune attention à nous. Elle appartenait complètement à ce qui l’entourait […]. Même sur nous agissait la frénésie Masaï. […] Seule Sybil échappait à la dure magie de cette fureur."

Elle cède alors à son hystérie devant l’envoûtement et obtient de son mari qu’elle puisse quitter ce lieu avec sa fille ("Allons-nous-en. Je vais être malade."), ce qui réitère la paire /cessatif/ + /dysphorie/.

Quant à la réponse faussement protectrice que fait Bullit à la demande en mariage par le guerrier Oriounga, "il n’est pas encore un homme", elle n’est qu’une incitation à ce qu’il le devienne en allant braver King, ce qui indexe le père à l’isotopie /inconscience/, après la fille. En effet, on pourra lire : "Oriounga le morane venait pour l’épreuve – qui d’un Masaï faisait un homme et pour gagner par elle Patricia." (II, 14)

Au contraire, la prise de distance de Sybil par rapport à la sacralité de la scène traduit de la lucidité et une tentative de vraie protection. Mais inversement, elle entraîne une perte de savoir que ne rétablit pas sa fille, à douceur féline, qui cache une intention lourde de conséquences :

"- Qu’est-ce qu’il a crié, le morane, pour finir ?
- Je n’ai pas compris, et cela n’a sûrement aucune importance, Maman chérie, dit Patricia avec gentillesse. Elle mentait, j’en étais certain et je croyais savoir pourquoi. […] Quelle était la vision qui, derrière les paupières baissées, faisait d’un visage d’enfant un masque de passion et de mystère ? Je croyais le savoir. J’en étais sûr."