Construction thématique textuelle
Le motif du Cygne au miroir
dans la poésie versifiée du XIXe s.


"Quiconque a entendu le fameux chant du cygne avouera que c'est le cri le plus désagréable qu'il ait jamais ouï. Le chant du cygne est une locution * qu'il faut accepter à cause de sa poésie, et non à cause de sa vérité ; ce qui a maintenu le cygne dans sa position de virtuose, c'est l'admirable rôle qu'il joue dans tout le Lohengrin ; mais au point de vue de la cuisine, tout cela n'aurait pas pu lui constituer une position". 
A. Dumas (Grand Dictionnaire de Cuisine)

* Dont la célébrité fait qu'elle prête, même aujourd'hui, à jeu de mots ; ainsi une revue de sémiotique toulousaine adopte pour titre la graphie Champs du signe ; il est bien évident qu'en dépit de l'allusion et du logo aux douces courbes de l'oiseau, les sèmes /cessatif/ et /dysphorie/ de la locution autrement orthographiée sont neutralisés par l'idée des productions innovantes des auteurs !


L'allusion au chant, associée à la chute culinaire matérialiste, renvoie cet exergue à l'une des Fables de La Fontaine, Le Cygne et le Cuisinier. Or deux poèmes plus spiritualistes doivent leur célébrité à leur mise à l'honneur de ce Cygne si spectaculaire :

Sully Prudhomme (1869) :

Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
A des neiges d'avril qui croulent au soleil ;
Mais, ferme et d'un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
Sa grande aile l'entraîne ainsi qu'un blanc navire.
Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,
Le plonge, le promène allongé sur les eaux,
Le courbe gracieux comme un profil d'acanthe,
Et cache son bec noir dans sa gorge éclatante.
Tantôt le long des pins, séjour d'ombre et de paix,
Il serpente, et, laissant les herbages épais
Traîner derrière lui comme une chevelure,
Il va d'une tardive et languissante allure.
La grotte où le poète écoute ce qu'il sent,
Et la source qui pleure un éternel absent,
Lui plaisent ; il y rôde ; une feuille de saule
En silence tombée effleure son épaule.
Tantôt il pousse au large, et, loin du bois obscur,
Superbe, gouvernant du côté de l'azur,
Il choisit, pour fêter sa blancheur qu'il admire,
La place éblouissante où le soleil se mire.
Puis, quand les bords de l'eau ne se distinguent plus,
A l'heure où toute forme est un spectre confus,
Où l'horizon brunit rayé d'un long trait rouge,
Alors que pas un jonc, pas un glaïeul ne bouge,
Que les rainettes font dans l'air serein leur bruit,
Et que la luciole au clair de lune luit,
L'oiseau, dans le lac sombre où sous lui se reflète
La splendeur d'une nuit lactée et violette, 
Comme un vase d'argent parmi des diamants,
Dort, la tête sous l'aile, entre deux firmaments.

image référentielle telle qu'elle se dégage du poème de Sully Prudhomme

Mallarmé (1885) :

Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui!

Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.

Tout son col secouera cette blanche agonie
Par l'espace infligée à l'oiseau qui le nie,
Mais non l'horreur du sol où le plumage est pris.

Fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne,
Il s'immobilise au songe froid de mépris
Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne.

Avant de se lancer dans la recherche intertextuelle, sur laquelle repose la définition du motif, on proposera une "explication de texte" de ce sonnet difficile. Guidé par le souci d'une efficacité pratique, l'exercice traditionnel tire profit avant tout de la composante sémantique :

"Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui…"
(1) Construction par assimilation
(2) Construction par dissimilation
(3) Excursus