De l’entrée lexicale à l’analyse thématique : recherche, classement et étude contextuelle des cooccurrents NUIT et MOI
Pour une interrogation pédagogique de bases de données littéraires


Le texte qui suit est la version augmentée de l'article publié dans la revue Jonctions de l'IUFM d'Aquitaine (2001)

Problématique
1) Le surnaturel
2) L'intrigue amoureuse
3) L'intrigue religieuse
4) La maladie
5) Risques militaires
6) Aventures
7) Analyse psychologique et paysage
8) Voyage exotique
9) Odes à l'univers
10) Théâtre
Epilogue

Problématique

Enseignant le français dans le Secondaire, ma préoccupation a été de savoir comment utiliser de vastes corpus littéraires numérisés dans une application qui soit concrètement exécutable auprès d'une population de lycéens, et de préférence compatible avec le programme de français du BAC. Car si la place du texte numérisé va croissant avec les nécessités et le développement du WEB, il semble toutefois qu’elle soit encore marginale par rapport à l’enseignement du français. Or l’interrogation en ligne de bibliothèques existantes (on pense par ex. aux 110 classiques rendus disponibles sur le site Bibliopolis) n’est pas une opération fréquente durant les heures de cours, en salle informatique et par groupes ou en demi-classe, pour autant que j’aie pu en juger auprès de maints collègues - pourtant favorables à l’essor des nouvelles technologies. C’est plutôt lors de moments personnels de documentation et assez isolément que l’élève a l’occasion d’interroger des banques textuelles. Voilà pourquoi, guidé par un souci essentiellement pratique et opératoire, j’ai tenté avec une classe de 1°S peu chargée (18 élèves, à raison, idéale, d’un PC pour chacun) d’utiliser le potentiel informatique du lycée où je me trouvais. L’article suivant retrace ainsi une expérimentation ayant eu lieu courant 2000 à Pau.

La méthode d’interrogation et de récolte collectives a été régie par deux critères :

- Sémantique/qualitatif : il fallait décider quels seraient les mots-clés permettant d’entrer dans les corpus d’auteurs, tels que les contient la base ABU (Association des Bibliophiles Universels) accessible en ligne. C’est la fréquence de la conjonction romanesque entre le moi du personnage - coïncidant ou non avec le narrateur - et l’univers nocturne (plus d’un s’est dit que cette rencontre était potentiellement très riche par rapport aux réponses que pouvait apporter la littérature) qui a incité à retenir ces deux cooccurrents dans des textes relevant de genres divers et variés.

- Formel/quantitatif : en optant pour deux entrées lexicales simultanément présentes, tels qu’a permis de les isoler le moteur de recherche de la base ABU (l'extraction des textes étant facilitée par rapport à la base BIBLIOPOLIS), l’effet positif et pratique a été de restreindre la liste des contextes obtenus, sur lesquels porte ensuite l’étude des variations thématiques des deux mots vedettes. Quand on sait le bruit qu’entraîne l’excès d’informations, l’opération de restriction est loin d’être négligeable quand on interroge une riche base de données.

De par ces deux étapes, il apparaît alors que le sémantique se situe en amont (choix a priori de mots clés, vus du point de vue de leur contenu, permettant de sélectionner des contextes les incluant) et en aval (analyses des segments textuels). L’outil informatique apparaît bien comme un intermédiaire facilitant les requêtes. Sa mémoire et sa rapidité de recherche, qui permettent des prouesses impossibles au lecteur ordinaire, ont été autant de performances ayant entretenu une motivation sinon un intérêt supplémentaire chez les élèves - chose non négligeable pour le pédagogue.

Ajoutons que les requêtes en question n’ont aucun caractère d’exhaustivité puisque notre relevé n’a retenu que quelques contextes significatifs, choisis selon le seul goût des élèves. L’élimination n’avait d’autre critère, si ce n’est la variété d’illustration qui conduisit à ne pas crouler sous la surabondance des extraits (contenant nos entrées lexicales) de tel ou tel auteur.

Cette étude consacrée à deux lexèmes co-occurrents en contexte procède du même principe que celle de la joie balzacienne (cf. ma publication "Pour un accès sémantique et pédagogique aux banques textuelles - L’exemple de Balzac", Champs du Signe, 10, U. Toulouse-le-Mirail, 2000) ou, de façon plus intertextuelle, puisque l'on ne se restreint plus à un seul roman, en l'occurrence Le Lys dans la Vallée, que celle de la triade cœur/yeux/âme dans la base ABU (exposée au colloque Numérisation et Didactique de Jussieu en Octobre 2000, et reprise aux "Journées de l'Innovation" de Foix de l'IUFM Midi-Pyrénées en janvier 2001). Ces deux études étant désormais en ligne au site de l'équipe Sémantique des textes, section des Inédits, lien vers les pratiques pédagogiques de l'auteur.

Premier temps de la méthode : la chasse aux intrus

Avant de commencer, il a fallu éliminer le bruit dû aux expressions suivantes (qui ne localisent pas forcément dans l’espace et la durée nocturnes) : outre le verbe nuire que l’on relève par exemple dans le corpus biblique des Proverbes : " Mais celui qui pèche contre MOI NUIT à son âme ; Tous ceux qui me haïssent aiment la mort ", l’absence de relation locative (le moi dans la nuit) entre les deux cooccurrents, par exemple

- dans Germinie Lacerteux : " Tenez ! je n'ai pas la tête à MOI aujourd'hui... Mettez les quittances et le restant de l'argent sur ma table de NUIT... Nous compterons un autre jour. "
- ou dans Le neveu de Rameau : " Oui, oui, je suis médiocre et fâché. Je n'ai jamais entendu jouer l'ouverture des Indes galantes ; jamais entendu chanter, Profonds Abîmes du Ténare, NUIT, éternelle NUIT, sans me dire avec douleur ; voilà ce que tu ne feras jamais. J'étais donc jaloux de mon oncle, et s'il y avait eu à sa mort, quelques belles pièces de clavecin, dans son portefeuille, je n'aurais pas balancé à rester MOI, et à être lui. "
Soit ici la hiérarchie dans le domaine //musique// : médiocrité assumée de ‘moi’ - alias le neveu locuteur - vs ‘nuit’ géniale de la production de l’oncle. Il s’agit là d’un sens construit en contexte (selon les principes de la sémantique interprétative énoncés par F. Rastier), mais non de modifications d’acceptions, comme pour la polysémie de ‘nuit’ : on ne cherche pas en effet à faire œuvre lexicographique, telle que la pratiquait Littré en multipliant les citations pour différencier les significations.

Deuxième temps : la mise en ordre générique

Face à la masse hétérogène de documents et d’informations fournis par le résultat de la requête, le classement générique s’impose - d’autant que les Instructions Officielles pour l’enseignement secondaire confirment son bien-fondé en privilégiant l’étude des genres. Du fait qu’un genre littéraire codifie certains secteurs thématiques (selon Rastier, c’est un " programme de prescriptions qui règlent la production et l'interprétation d'un texte. Tout texte relève d'un genre et tout genre, d'un discours. " donc in fine d’un domaine sémantique puisque le discours est indissociable de la " pratique sociale " ; par ex. le discours naturaliste privilégiant le domaine //science expérimentale// se développera aussi bien dans le roman et sa préface, chez les Goncourt, que dans l’exposé théorique de Cl. Bernard qui influença Zola), il est logique que les segments textuels soient organisés selon ce critère, au détriment du chronologique.
On a ainsi obtenu dix sections, qu’il convient maintenant de passer en revue. Il s'agit d'un corpus intertextuel classé, dont les segments textuels font l'objet d'un commentaire émanant indistinctement de la classe et du professeur.

I. LE SURNATUREL

Relativement au programme de la classe de seconde, c’est le registre fantastique qui nous a guidés. En se plongeant dans le corpus Nodier de l’A.B.U., Smarra, il est apparu que les deux mots ayant les plus fortes fréquences absolues (parmi les lexèmes et non les grammèmes ni les noms propres, à fréquences supérieures) sont NUIT et MOI, respectivement crédités de 33 et 30 occurrences (d'autres corrélats apparaîtront en majuscules). Voilà donc explicitée l’origine lexicométrique de notre étude.

"À peine mes yeux sont fermés, à peine cesse la mélodie qui ravissait mes esprits, si le créateur des prestiges de la NUIT creuse devant MOI quelque abîme profond, gouffre inconnu où expirent toutes les formes, tous les sons et toutes les lumières de la terre; s'il se jette sur un torrent bouillonnant et avide de morts quelque pont rapide, étroit, glissant, qui ne promet pas d'issue ;

Le soleil ne cesse de gonfler de nouveaux raisins, et de verser des rayons de son immortelle splendeur dans la grappe éclatante qui se balance aux riches festons de nos vignes, à travers les feuilles rembrunies du pampre arrondi en guirlandes qui court parmi les mûriers de Tempé. Encore cette libation pour chasser les démons de la NUIT! Quant à MOI, je ne vois plus ici que les esprits joyeux de l'ivresse qui s'échappent en pétillant de la mousse frémissante, se poursuivent dans l'air comme des moucherons de feu, ou viennent éblouir de leurs ailes radieuses mes paupières échauffées; semblables à ces insectes agiles que la nature a ornés de feux innocents, et que souvent, dans la silencieuse fraîcheur d'une courte NUIT d'été,"

Thème commun : le rite d’exorcisme (morts, démons & sorcières relevant du domaine //superstition//), de la part de moi qui se trouve en position défensive devant la mort nocturne : il aspire
- Soit au soleil de l’euphorie, matérialisé par la plénitude du temps des vendanges ;
- Soit à un " pont " permettant de franchir le " gouffre " dysphorique, " où expirent toutes les formes " :
Mais, comme en témoigne la généralisation appuyée par l’usage du présent de vérité, ici et dans le segment suivant, l'empire du mal nocturne est trop fort :

"Depuis cette NUIT funeste, ô Lucius, il n'est plus de NUITS paisibles pour MOI. La couche parfumée des jeunes filles qui n'est ouverte qu'aux songes voluptueux; la tente infidèle du voyageur qui se déploie tous les soirs sous de nouveaux ombrages; le sanctuaire même des temples est un asile impuissant contre les démons de la NUIT."

et seul le réveil de ce mauvais cauchemar apparaît comme libératoire :

"Les liens qui me retenaient avaient enfin cédé ; et je tombais debout, éveillé au pied du LIT de Polémon, tandis que loin de MOI fuyaient tous les démons, et toutes les sorcières, et toutes les illusions de la NUIT. Mon palais même, et les jeunes esclaves qui en faisaient l'ornement, fortune passagère des songes, avaient fait place à la tente d'un guerrier blessé sous les murailles de Corinthe, et au cortège lugubre des officiers de la mort."

De ‘funeste’, ‘sanctuaire’, ‘asile’, ‘temple’ à ‘palais’, ‘esclave’, ‘guerrier’, ‘murailles’, l’élève a été sensible à la tonalité archaïsante qui se dégage des domaines //religieux// et //militaire//, qui, comme la géographie de " l’abîme " supra, servent à rendre hyperbolique la puissance de l’adversaire (= le mal nocturne). Si bien que ‘moi’ passe du rôle de poltron à celui de héros mythique.

Remarque théorique : nos deux corrélats sont susceptibles, comme le montrent les contextes de Smarra,, d’être indexés soit au récit soit au discours (mot pris au sens de Benveniste : " énoncé articulé sur une situation d’énonciation singulière ", et non de Rastier, pourtant plus intéressant de par son couplage avec le thématique : " ensemble d’usages linguistiques codifiés attachés à un type de pratique sociale ", tel le discours amoureux fragmenté par Barthes - où le domaine thématique codifié est //amour//). Dichotomie qui ne nous est donc pas apparue valable pour fonder un classement typologique.

" La couche parfumée des jeunes filles qui n'est ouverte qu'aux songes voluptueux " est une thématique qui fait transition avec La Morte amoureuse de Gautier :

"Un seul regard trop plein de complaisance jeté sur une femme pensa causer la perte de mon AME ; mais enfin, avec l'aide de Dieu et de mon saint patron, je suis parvenu à chasser l'esprit malin qui s'était emparé de MOI. Mon existence s'était compliquée d'une existence nocturne entièrement différente. Le jour, j'étais un prêtre du Seigneur, chaste, occupé de la prière et des choses saintes ; la NUIT, dès que j'avais fermé les yeux, je devenais un jeune seigneur, fin connaisseur en femmes, en chiens et en chevaux, jouant aux dés, buvant et blasphémant ; et lorsqu'au lever de l'aube je me réveillais, il me semblait au contraire que je m'endormais et que je rêvais que j'étais prêtre.

J'avais oublié tout en ce moment-là, et je ne me souvenais pas plus d'avoir été prêtre que de ce que j'avais fait dans le sein de ma mère, tant était grande la fascination que l'esprit malin exerçait sur MOI. A dater de cette NUIT, ma nature s'est en quelque sorte dédoublée, et il y eut en MOI deux hommes dont l'un ne connaissait pas l'autre. Tantôt je me croyais un prêtre qui rêvait chaque soir qu'il était gentilhomme, tantôt un gentilhomme qui rêvait qu'il était prêtre."

Prise de conscience par l’élève que le monde nocturne incarne le second versant (libertin, rimant avec " l’esprit malin ", par opposition au prêtre diurne) qui scinde la personnalité de moi - lequel est analysé préférentiellement à l’imparfait duratif. Une dualité qui se poursuit à travers les antonymes (réveillais/endormais, oubli/souvenance, etc.) et notamment la paire visuelle : ‘lumière’ /attractive/ vs ‘nuit’ opaque /répulsive/ (aussi des " coursiers funèbres " ci-dessous) qui affecte ‘moi’ :

"je couvais de l'œil le palais qu'elle habitait, et qu'un jeu dérisoire de lumière semblait rapprocher de MOI, comme pour m'inviter à y entrer en maître ? Sans doute, elle le savait, car son AME était trop sympathiquement liée à la mienne pour n'en point ressentir les moindres ébranlements, et c'était ce sentiment qui l'avait poussée, encore enveloppée de ses voiles de NUIT, à monter sur le haut de la terrasse, dans la glaciale rosée du matin.

Et d'ailleurs je ne pouvais descendre que de NUIT ; et comment me serais-je conduit dans l'inextricable dédale des rues ? Toutes ces difficultés, qui n'eussent rien été pour d'autres, étaient immenses pour MOI, pauvre séminariste, amoureux d'hier, sans expérience, sans argent et sans habits.

Je répondis que j'étais prêt à le suivre ; je pris avec MOI ce qu'il fallait pour l'extrême-onction et je descendis en toute hâte. A la porte piaffaient d'impatience deux chevaux noirs comme la NUIT, et soufflant sur leur poitrail deux longs flots de fumée."

Néanmoins il n’a pas échappé à certains que Gautier multiplie les hypothèses, interrogations et modalisations d’incertitude (‘il me semblait’) pour montrer la conscience du ‘moi’ en action : la tentation féminine (qui porte un prénom, donné ci-dessous) liée au rêve, au désir nocturne, neutralise le sème négatif /répulsive/, car la femme séductrice est associée à la lumière (‘lampe’, ‘lueur’), de même que sa ‘blancheur’ fait contraste avec la noirceur :

"mais une NUIT je fis un rêve. J'avais à peine bu les premières gorgées du sommeil, que j'entendis ouvrir les rideaux de mon LIT et glisser les anneaux sur les tringles avec un bruit éclatant ; je me soulevai brusquement sur le coude, et je vis une ombre de femme qui se tenait debout devant MOI. Je reconnus sur-le-champ Clarimonde. Elle portait à la main une petite lampe de la forme de celles qu'on met dans les tombeaux, dont la lueur donnait à ses doigts effilés une transparence rose qui se prolongeait par une dégradation insensible jusque dans la blancheur opaque et laiteuse de son bras nu."

Après ‘tombeaux’, le champ lexical de la mort se développe ; corrélativement, le rose précédent subit cette influence et tourne à la rougeur (en harmonie avec la brillance de l’or), à mi-chemin entre l’amour et la mort :

"La pierre céda, et il se mit à l'ouvrage avec la pioche. MOI, je le regardais faire, plus noir et plus silencieux que la NUIT elle-même ; quant à lui, courbé sur son œuvre funèbre, il ruisselait de sueur, il haletait, et son souffle pressé avait l'air d'un râle d'agonisant. C'était un spectacle étrange, et qui nous eût vus du dehors nous eût plutôt pris pour des profanateurs et des voleurs de linceuls, que pour des prêtres de Dieu.

Clarimonde entra en robe de NUIT, et, s'étant débarrassée de ses voiles, s'allongea dans le LIT auprès de MOI. Quand elle se fut bien assurée que je dormais, elle découvrit mon bras et tira une épingle d'or de sa tête ; puis elle se mit à murmurer à voix basse : " Une goutte, rien qu'une petite goutte rouge, un rubis au bout de mon aiguille !... Puisque tu m'aimes encore, il ne faut pas que je meure... Ah! pauvre amour ! Ton beau sang d'une couleur pourpre si éclatante, je vais le boire. ""

On retrouve cette initiative de la tentatrice dans l’unique occ. extraite du Diable amoureux. A la différence des extraits précédents, c’est son ‘moi’ qui veut le contact physique et moral avec celui du JE masculin narratorial ; mais comme précédemment il s’agit d’une douce torture qu’il a à endurer, ce qu’il accepte de faire, tombant ainsi dans le piège. Or rien si ce n’est le titre n’indique qu’il s’agit d’une diablesse :

" Vos cérémonies sont des précautions prises contre la mauvaise foi, et je n'en fais point de cas. Le reste n'a pas dépendu de MOI. D'ailleurs, si vous ne voulez pas partager le LIT que l'on nous abandonne, vous me donnerez la mortification de vous voir passer la NUIT mal à votre aise. J'ai besoin de repos : je suis plus que fatiguée, je suis excédée de toutes les manières " ; en prononçant ces paroles du ton le plus animé, elle s'étend dessus le LIT le nez tourné vers la muraille. " Eh quoi ! m'écriai-je, Biondetta, je vous ai déplu, vous êtes sérieusement fâchée ! comment puis-je expier ma faute ? "

La similitude entre segments se poursuit avec ici celui de Cyrano, fût-il a priori fort éloigné des préoccupations de Cazotte : dans Voyage dans la Lune & Histoire comique des états et empires du Soleil, les êtres surnaturels négatifs des démons & sorcières s’augmentent du spectre, lequel intervient réellement, d’après l’opposition : songe nocturne en T1 vs réveil en T2 :

"je me souvins que c'était justement le lieu que j'avais vu en songe la NUIT passée. Cette rencontre bizarre eût occupé mon attention plus de temps qu'il ne l'occupa, sans une étrange apparition par qui j'en fus réveillé. Un spectre (au moins je le pris pour tel), se présentant à MOI au milieu du chemin, saisit mon cheval par la bride. La taille de ce FANTOME était énorme, et par le peu qui paraissait de ses yeux, il avait le regard triste et rude."

Mais il est un " esprit joyeux " (Smarra), la naïade bienveillante de Gaspard de la nuit ; en la comparant avec Clarimonde et Biondetta, l’élève constate qu’elle n’est plus une de ces ‘ombres de femme’ mais qu’elle s’harmonise avec le doux éclat lumineux (illuminée, rayons, moire, étoilée, lac, fenêtre) de la nuit où elle se manifeste ; toutefois l’habitude du conte de fées lui fait interpréter ces propos comme une trompeuse apparence :

Chap. 9 : " Écoute! Écoute! C'est MOI, c'est Ondine qui frôle de ces gouttes d'eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune; et voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle NUIT étoilée et le beau lac endormi. "

En revanche le champ lexical //religieux// fait du ‘bisaïeul’ identifié à un prêtre une sorte de squelette vivant qui n’est plus identifié à ‘moi’ (comme dans La Morte amoureuse) mais le terrifie. L’élève constate en outre que le ‘lit’ est un mot fréquemment associé à l’apparition fantastique, sans pour autant faire intervenir le thème érotique de la tentatrice :

Chap. 8 : "Il marmotta des oraisons tant que dura la NUIT, sans décroiser un moment ses bras de son camail de soie violette, sans obliquer un regard vers MOI, sa postérité, qui étais couché dans son LIT, son poudreux LIT à baldaquin! Et je remarquai avec effroi que ses yeux étaient vides, bien qu'il parût lire, que ses lèvres étaient immobiles, bien que je l'entendisse prier, que ses doigts étaient décharnés, bien qu'il scintillassent de pierreries!"

Un cas particulier et atypique retient l'attention : Maupassant, auteur classique parmi les classiques, qui incite au comparatisme des genres, au sein même de sa propre production, en passant des nuits de peur (registre fantastique) aux nuits de plaisir (registre réaliste). Car les segments font l’objet d’un rapprochement " manuel " en fonction des indices génériques qu’ils comportent. Commençons par Le Horla (1887) :

"25 mai. Aucun changement ! Mon état, vraiment, est bizarre. A mesure qu'approche le soir, une inquiétude incompréhensible m'envahit, comme si la NUIT cachait pour MOI une menace terrible. Je dîne vite, puis j'essaie de lire ; mais je ne comprends pas les mots ; je distingue à peine les lettres. Je marche alors dans mon salon de long en large, sous l'oppression d'une crainte confuse et irrésistible, la crainte du sommeil et la crainte du LIT.

4 juillet. Décidément, je suis repris. Mes cauchemars anciens reviennent. Cette NUIT, j'ai senti quelqu'un accroupi sur MOI, et qui, sa bouche sur la mienne, buvait ma vie entre mes lèvres. Oui, il la puisait dans ma gorge, comme aurait fait une sangsue. Puis il s'est levé, repu, et MOI je me suis réveillé, tellement meurtri, brisé, anéanti, que je ne pouvais plus remuer. Si cela continue encore quelques jours, je repartirai certainement.

17 août. […] D'un bond furieux, d'un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'étreindre, pour le tuer !... Mais mon siège, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant MOI... ma table oscilla, ma lampe tomba et s'éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la NUIT, en prenant à pleines mains les battants. Donc, il s'était sauvé ; il avait eu peur, peur de MOI, lui !"

Dans ces 3 extraits du journal fictif harmonisés autour du quotidien nocturne menaçant pour ‘moi’, l’élève constate que le récit classique au passé simple du 3° alterne avec un récit plus ancré dans la situation d’énonciation dans le 1° au présent d’habitude et le 2° à l’imparfait mêlé de passé composé et de présent d’actualité. Variété narrative qui s’accompagne d’une originalité de type " réaliste " : s’il y a ‘cauchemars’ de ‘sangsue’ géante et de ‘bête’ fugitive, l’élève observe que les mots irréalistes ne démon ou autre créature maléfique ne sont pas prononcés.
Avec l’aveu ‘je ne comprends pas’ repris par ‘incompréhensible’, et les répétition de ‘crainte’, on a l’indice que la phobie de JE viendrait de son seul esprit. Cette incertitude du narrateur (due aux modalisations rappelant Gautier: ‘comme aurait fait’, ‘comme si on eût fui’) contraste avec le récit plus classique à l’IPS (= imparfait \ passé simple) de l’un des contes, La Peur, 1883, où, à l’incipit, le doute n’envahit pas JE, pour qui l’inquiétude de ce monde nocturne n’est qu’une ‘rumeur’ a priori sans importance :

"Les ténèbres étaient profondes. Je ne voyais rien devant MOI, ni autour de MOI, et toute la branchure des arbres entrechoqués emplissait la NUIT d'une rumeur incessante. Enfin, j'aperçus une lumière, et bientôt mon compagnon heurtait une porte. Des cris aigus de femmes nous répondirent. Puis, une voix d'homme, une voix étranglée, demanda : "Qui va là ?" Mon guide se nomma. Nous entrâmes. Ce fut un inoubliable tableau. "

N. B.: Par le mot " ténèbres ", l’on a pu sélectionner l’un des 4 contextes bibliques suivants, où ce mot fait contraste avec l’expression du sentiment d’espérance : "Au moins les TENEBRES me couvriront, La NUIT devient lumière autour de MOI ; Même les TENEBRES ne sont pas obscures pour toi, La NUIT brille comme le jour." (Psaumes) A rapprocher de l’euphorie de la foi proclamée : "Mon AME te désire pendant la NUIT, Et mon esprit te cherche au dedans de MOI; Car, lorsque tes jugements s'exercent sur la terre, Les habitants du monde apprennent la justice." (Esaïe) Ou de la procréation affirmée : "Le soir, comme Jacob revenait des champs, Léa sortit à sa rencontre, et dit: "C'est vers MOI que tu viendras, car je t'ai acheté pour les mandragores de mon fils." Et il coucha avec elle cette NUIT. Dieu exauça Léa, qui devint enceinte, et enfanta un cinquième fils à Jacob." (Genèse) En revanche, on obtient aussi l’expression de la désespérance : "Mon cœur est troublé, La terreur s'empare de MOI ; La NUIT de mes plaisirs devient une NUIT d'épouvante." (Esaïe)

Revenons à Maupassant, mais hors du registre fantastique - lequel, on le voit, s’exprime aussi bien dans le genre du journal que de la nouvelle. Dans un autre conte, le monde nocturne est alors celui du désir masculin brutal, rendu injuste par la disproportion avec la faible ‘fillette’ séquestrée :

"Or, une NUIT, comme j'étais resté fort tard auprès du malade, je croisai, en regagnant ma chambre, la fillette qui rentrait dans la sienne. C'était juste en face de ma porte ouverte ; alors brusquement, sans réfléchir à ce que je faisais, plutôt par plaisanterie qu'autrement, je la saisis à pleine taille, et, avant qu'elle fût revenue de sa stupeur, je l'avais jetée et enfermée chez MOI. Elle me regardait, effarée, affolée, épouvantée, n'osant pas crier de peur d'un scandale, d'être chassée sans doute par ses maîtres d'abord, et peut-être par son père ensuite."

Alors que dans Une Vie (1883) l’injustice est ressentie par l’épouse humiliée dans son désir de maternité, ce qui gâche son plaisir contrairement aux étreintes calculées du mari. Le ‘moi’ n’est plus ici celui du bourreau mais de la victime délaissée :

"Elle s'étonna, observa, et s'aperçut bientôt que toutes ses étreintes s'arrêtaient avant qu'elle pût être fécondée. Alors une NUIT, la bouche sur la bouche, elle murmura : " Pourquoi ne te donnes-tu plus à MOI tout entier comme autrefois ? " Il se mit à ricaner : " Parbleu, pour ne pas t'engrosser. " Elle tressaillit : " Pourquoi donc ne veux-tu plus d'enfants ? " Il demeura perclus de surprise : " Hein ? tu dis ? mais tu es folle ? Un autre enfant ? Ah ! mais non, par exemple ! C'est déjà trop d'un pour piailler, occuper tout le monde et coûter de l'argent. ""

L’extrait de Bel Ami (1885), enfin, évacue tout rapport de force au profit de la seule quête nocturne de ‘moi’, masculin, qui donne libre cours à ses pensées à partir de la question au discours indirect libre suivie d’hypothèses au conditionnel (on montre ainsi à l’élève que l’originalité d’un segment provient tout autant de sa dialogique que de sa thématique) :

"MOI, quand je veux flâner, le soir, je ne sais jamais où aller. Un tour au Bois n'est amusant qu'avec une femme, et on n'en a pas toujours une sous la main ; les cafés-concerts peuvent distraire mon pharmacien et son épouse, mais pas MOI. Alors, quoi faire ? Rien. Il devrait y avoir ici un jardin d'été, comme le parc Monceau, ouvert la NUIT, où on entendrait de la très bonne musique en buvant des choses fraîches sous les arbres. Ce ne serait pas un lieu de plaisir, mais un lieu de flâne ; et on paierait cher pour entrer, afin d'attirer les jolies dames. On pourrait marcher dans des allées bien sablées, éclairées à la lumière électrique."

Relativement au genre du Horla, l’élève constate que le Journal de Léon Bloy lui aussi permet de se pencher sur le phénomène paranormal, que ce soit le contact mystique ou la vision de revenants, sans qu’on sache quelle est la part du rêve :

"Cette NUIT, étant profondément endormi, je suis jeté soudain hors de mon LIT par un vacarme à notre porte, comme si quelqu'un de très pressé demandait qu'on lui ouvrît. Un moment fort indécis et même anxieux, j'écoute battre mon cœur. Mais, remarquant que le sommeil de personne, excepté le mien, n'a été troublé, je comprends que ce bruit a été "pour MOI seul" et que les AMEs souffrantes m'appellent.

Réveil suave, cette NUIT. Dans mon sommeil paisible, j'ai cru voir, j'ai vu certainement des yeux de l'AME, un FANTOME qui me rappelait une malheureuse fille aimée autrefois et dont la mort fut terrible. Elle était penchée vers MOI et je m'efforçais en vain de la saisir."

On attire l’attention, moins sur la thématique oscillant de l’introspection présente au souvenir nostalgique, que sur l’originalité du présent narratif du 1° extrait, qui diffère du présent d’actualité de Maupassant diariste (cf. supra la journée du 4 juillet).

Cette fois en quittant le domaine du surnaturel, profitons de l’appartenance au même genre pour passer du diariste à l’épistolier, en l’occurrence Laclos, sans pour autant poser la question aporétique du degré de fictionnalité de ces écrits autobiographiques, censé pouvoir les distinguer les uns des autres. Plus d’un élève a senti la soupçon qui pèse sur la sincérité, la véracité du dire affirmée par tous ces scripteurs qui disent JE et s’adressent à un TU en prétendant rapporter une expérience vécue…

II. L’INTRIGUE AMOUREUSE

Du diariste à l’épistolier, passons aux Liaisons dangereuses, où les scripteurs alternent ; on attend d’ailleurs des élèves qu’en interrogeant le logiciel, ils parviennent à resituer les fragments épistolaires dans leur logique narrative, de façon à faire ressortir les relations entre protagonistes, à identifier comme émetteurs, destinataires ou objets de discours (= situation d'énonciation).
A eux seuls, les 7 extraits suivants permettent de saisir l’enjeu de l’intrigue (preuve que 'nuit' + 'moi' se situent à des moments cruciaux, soit une paire narrativement et thématiquement riche) ; ils sont représentatifs du roman dans sa globalité.

(a) Un seul segment est du à la manipulatrice suprême, Merteuil, s’adressant à Valmont. Constat que son discours est tout entier tourné vers le futur ; son ‘moi’ laisse cours à son imaginaire pour évoquer, avec menace, la ‘nuit’ typique où tous les coups sont permis :

"C'est de vos soins que va dépendre le dénouement de cette intrigue. Jugez du moment où il faudra réunir les Acteurs. La Campagne offre mille moyens ; et Danceny à coup sûr, sera prêt à s'y rendre à votre premier signal. Une NUIT, un déguisement, une fenêtre que sais-je, MOI ? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu'elle y aura été, je m'en prendrai à vous."

(b) Cinq segments en revanche sont dus à Valmont, le fier séducteur, prédateur et calculateur, qui lui répond, concernant ses ‘nuits’ qui cette fois sont rétrospectives. Les deux cooccurrents, enchaînés dans la même lettre, inaugurent l’isotopie /érotisme/, inséparable de /tromperie/ (ici l’adultère) :

"Ce jour-là même, c'est-à-dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le Vicomte, chassait avec lui, malgré son peu de goût pour la chasse, et comptait bien se consoler la NUIT, entre les bras de la femme, de l'ennui que le mari lui causait tout le jour : mais MOI, je jugeai qu'il aurait besoin de repos, et je m'occupai des moyens de décider sa Maîtresse à lui laisser le temps d'en prendre. […] Tout s'exécuta comme nous en étions convenus ; et elle arriva chez MOI vers une heure du matin… dans le simple appareil D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil. Comme je n'ai point de vanité, je ne m'arrête pas aux détails de la NUIT : mais vous me connaissez, et j'ai été content de MOI."

L’élève prend ensuite conscience que le récit classique à l’IPS alterne avec l’I. \ passé composé qui donne un tour plus naturel au récit. Importance des paraphrases pour assurer la cohésion sémantique d’une lettre à l’autre : ici ‘votre pupille’(avec le sous-entendu érotique) renvoie à ‘la petite fille’ (Cécile Volanges), et ‘le jeune homme’ à ‘Danceny’, amoureux platonique d’elle, la perversion consistant à souiller cette relation pure. L’obéissance de Valmont à Merteuil se traduit par la reprise de l’isotopie /théâtre/ (donc duplicité) : ‘changé de rôle’ prolonge ainsi ‘Acteurs’ et ‘déguisement’ (supra).

"J'étais bien aise, je l'avoue, d'avoir ainsi changé de rôle, et que le jeune homme fît pour MOI ce qu'il comptait que je ferais pour lui. Cette idée doublait, à mes yeux, le prix de l'aventure : aussi dès que j'ai eu la précieuse clef, me suis-je hâté d'en faire usage, c'était la NUIT dernière. Après m'être assuré que tout était tranquille dans le Château ; armé de ma lanterne sourde, et dans la toilette que comportait l'heure et qu'exigeait la circonstance, j'ai rendu ma première visite à votre pupille."

Un élève a relevé l’importance de l’isotopie /information/ concernant le ‘moi’ par rapport à sa ‘nuit’, avec plus haut ‘je ne m'arrête pas aux détails’ et ici ‘informer’, ‘vous devinez’, ‘je ne vous écrirais pas’, ‘l'effet de cette nouvelle’ : ressort puissant du roman épistolaire, elle sert à entretenir la curiosité du correspondant, mais aussi du lecteur :

"Que ce soit MOI actuellement qui reçoive les excuses et les réparations dues à ma candeur soupçonnée ; je ne vous en dirai mot : et sans l'événement imprévu de la NUIT dernière, je ne vous écrirais pas du tout. Mais comme celui-là regarde votre Pupille, et que vraisemblablement elle ne sera pas dans le cas de vous en informer elle-même, au moins de quelque temps, je me charge de ce soin.

MOI, dès que j'avais été décidé à rester chez Emilie, j'avais renvoyé ma voiture, sans autre ordre au Cocher que de venir me reprendre ce matin ; et comme en arrivant chez MOI, il y trouva l'amoureux Messager, il crut tout simple de lui dire que je ne rentrerais pas de la NUIT. Vous devinez bien l'effet de cette nouvelle, et qu'à mon retour j'ai trouvé mon congé signifié avec toute la dignité que comportait la circonstance."

(c) Dernier extrait, celui d’une lettre émise par la jeune pupille, encore fragile, et dont l’ingénuité contraste avec la ‘nuit’ du ‘moi’ pervers des complices Merteuil et Valmont :

"Aussitôt que je revins à MOI, ma mère, qui avait appelé ma Femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emporté toutes les Lettres de Danceny. Je frémis toutes les fois que je songe qu'il me faudra reparaître devant elle. Je n'ai fait que pleurer toute la NUIT."

Beaucoup plus sentimental est le roman Manon Lescaut où le vocabulaire de la droiture religieuse - connu de " l’abbé " Prévost - alterne avec celui de la tromperie amoureuse et de l’agitation romanesque (cf. ‘pistolet’), dans une série de " scènes " :

"Mon frère entreprit de me consoler, en m'assurant que je n'avais rien à redouter de la sévérité de mon père, pourvu que je fusse disposé à rentrer doucement dans le devoir, et à mériter l'affection qu'il avait pour MOI. Il me fit passer la NUIT à Saint-Denis, avec la précaution de faire coucher les trois laquais dans ma chambre.

Écoutez, Manon, lui répondis-je en l'embrassant, je ne puis vous cacher que j'ai le cœur mortellement affligé. Je ne parle point à présent des alarmes où votre fuite imprévue m'a jeté, ni de la cruauté que vous avez eue de m'abandonner sans un mot de consolation, après avoir passé la NUIT dans un autre LIT que MOI. Le charme de votre présence m'en ferait bien oublier davantage.

Comme je n'avais pas de temps à perdre, je repris la parole pour lui dire que j'étais fort touché de toutes ses bontés, mais que, la liberté étant le plus cher de tous les biens, surtout pour MOI à qui on la ravissait injustement, j'étais résolu de me la procurer cette NUIT même, à quelque prix que ce fût ; et de peur qu'il ne lui prît envie d'élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête raison de silence, que je tenais sous mon juste-au-corps. Un pistolet !

Cette résolution m'ayant rendu plus tranquille, je payai libéralement la jeune fille, qui était encore avec MOI, et pour lui ôter l'envie de retourner chez ceux qui me l'avaient envoyée, je pris son adresse, en lui faisant espérer que j'irais passer la NUIT avec elle. Je montai dans mon fiacre

Apprendrai-je de vous ce qu'il faut que je devienne aujourd'hui, et si c'est sans retour que vous allez signer ma mort, en passant la NUIT avec mon rival ? Elle fut quelque temps à méditer sa réponse : Mon Chevalier, me dit-elle, en reprenant un air tranquille, si vous vous étiez d'abord expliqué si nettement, vous vous seriez épargné bien du trouble et à MOI une scène bien affligeante.

J'écoutai ce discours avec beaucoup de patience. J'y trouvais assurément quantité de traits cruels et mortifiants pour MOI, car le dessein de son infidélité était si clair qu'elle n'avait pas même eu le soin de me le déguiser. Elle ne pouvait espérer que G... M... la laissât, toute la NUIT, comme une vestale. C'était donc avec lui qu'elle comptait de la passer. Quel aveu pour un amant!"

Le sentimentalisme se poursuit dans le roman écrit en période romantique. Mais dans Armance les corrélats ne permettent que de sélectionner le doute de l’amoureux, sans atteindre le thème sulfureux de l’impuissance masculine, ni celui de l’Amour Impossible, car la ‘nuit’ antérieure accrédite la possibilité de ce sentiment partagé :

[…] "le matin, dans le jardin, il était troublé par la nécessité d'agir. C'est donc là, se disait-il, l'impression que fait la vue d'une femme qu'on aime. Mais il est possible qu'Armance n'ait pour MOI que de l'amitié. Cette NUIT, c'était encore un mouvement de présomption qui me faisait penser le contraire."

En revanche dans Adolphe, si le chevalier servant éponyme échoue dans sa relation affective envers sa " morte amoureuse ", et met au premier plan l’état d’âme pathétique, ce n’est pas faute d’avoir multiplié les initiatives :

"Le jour parut ; je courus chez Ellénore. Elle était couchée, ayant passé la NUIT à pleurer ; ses yeux étaient encore humides, et ses cheveux étaient épars ; elle me vit entrer avec surprise. "Viens, lui dis-je, partons." Elle voulut répondre. "Partons, repris-je. As-tu sur la terre un autre protecteur, un autre ami que MOI ? Mes bras ne sont-ils pas ton unique asile ?" Elle résistait. "J'ai des raisons importantes, ajoutai-je, et qui me sont personnelles. Au nom du ciel, suis-MOI." Je l'entraînai. Pendant la route, je l'accablais de caresses, je la pressais sur mon cœur, je ne répondais à ses questions que par mes embrassements.

L'idée de la mort à toujours eu sur MOI beaucoup d'empire. Dans mes affections les plus vives ; elle a toujours suffi pour me calmer aussitôt ; elle produisit sur mon AME son effet accoutumé ; ma disposition pour Ellénore devint moins amère. Toute mon irritation disparut ; il ne me restait de l'impression de cette NUIT de délire qu'un sentiment doux et presque tranquille : peut-être la lassitude physique que j'éprouvais contribuait-elle à cette tranquillité.

Vous êtes bon ; vos actions sont nobles et dévouées : mais quelles actions effaceraient vos paroles ? Ces paroles acérées retentissent autour de MOI : je les entends la NUIT ; elles me suivent, elle me dévorent, elles flétrissent tout ce que vous faites. Faut-il donc que je meure, Adolphe ? Eh bien, vous serez content ; elle mourra, cette pauvre créature que vous avez protégée, mais que vous frappez à coups redoublés."

Cet idéalisme contraste avec la crudité du désir physique dans La fille aux yeux d'or ; néanmoins il s’agit encore, de la part de la locutrice, du sacrifice de la personne par idéalisme et nécessité du secret (en termes narratif il s’agit du motif de la demande d’aide avec promesse de contrepartie) ; à la différence des nuits précédente, celle-ci revêt un caractère d’urgence que confère le démonstratif d’imminence ‘cette’ :

" Mon ami, dit-elle, emmène-MOI, cette NUIT même ! Jette-MOI quelque part où l'on ne puisse pas dire en me voyant : Voici Paquita ; où personne ne réponde : Il y a ici une fille au regard doré, qui a de longs cheveux. Là je te donnerai des plaisirs tant que tu voudras en recevoir de MOI. Puis, quand tu ne m'aimeras plus, tu me laisseras, je ne me plaindrai pas, je ne dirai rien ; "

Dans les extraits suivants du Diable au corps, centrés sur la relation charnelle, du mariage à la paternité, l’élève constate le distinguo entre la " nuit blanche " (ou encore nuit festive de St-Jean avec une suédoise), valorisée par ‘moi’ quand il en est l’acteur unique, et la simple nuit concrète dépréciée (où l’on se cogne aux meubles, où l’on est soudain plongé par un court-circuit, ce qui engendre une noirceur sentimentale : cf. ‘soupçonner de trahison’ après ‘affolement’), par contraste avec la lumière méliorative :

"" Bah ! Jacques s'habituera bien à cette chambre ", avait dit Marthe. En me couchant, je me répétai que, si elle songeait à son mariage avant de dormir, elle devait, ce soir, l'envisager de tout autre sorte qu'elle ne l'avait fait les jours précédents. Pour MOI, quelle que fût l'issue de cette idylle, j'étais, d'avance, bien vengé de son Jacques : je pensais à la NUIT de noces dans cette chambre austère, dans " ma " chambre ! Ce feu me ravit, et aussi de voir que Marthe attendait comme MOI de se sentir brûlante d'un côté, pour se retourner de l'autre. Son visage calme et sérieux ne m'avait jamais paru plus beau que dans cette lumière sauvage. A ne pas se répandre dans la pièce, cette lumière gardait toute sa force. Dès qu'on s'en éloignait, il faisait NUIT, et on se cognait aux meubles.

Les coqs, plus nombreux, chantaient. Ils avaient chanté toute la NUIT. Je m'aperçus de ce mensonge poétique : les coqs chantent au lever du soleil. Ce n'était pas extraordinaire. Mon âge ignorait l'insomnie. Mais Marthe le remarqua aussi, avec tant de surprise, que ce ne pouvait être que la première fois. Elle ne put comprendre la force avec laquelle je la serrai contre MOI, car sa surprise me donnait la preuve qu'elle n'avait pas encore passé une NUIT blanche avec Jacques.

Enfin, je travaillais si bien qu'elle consentit à passer la NUIT avec MOI. A condition que ce ne fût pas chez elle. Elle ne voulait pour rien au monde que ses propriétaires pussent dire le lendemain au messager de mes parents qu'elle était là.

Elle me parlait de coutumes suédoises que je feignais de connaître : NUIT de la Saint-Jean, confitures de myrtilles. Ensuite, elle tira de son sac une photographie de sa sœur jumelle, envoyée de Suède la veille ; à cheval, toute nue, avec sur la tête un chapeau haut de forme de leur grand-père. Je devins écarlate. Sa sœur lui ressemblait tellement que je la soupçonnais de rire de MOI, et de montrer sa propre image.

L'affolement que dans un lieu public produit un court-circuit, j'en fus le théâtre. Tout à coup, il faisait noir en MOI. Dans cette NUIT, mes sentiments se bousculaient ; je me cherchais, je cherchais à tâtons des dates, des précisions. Je comptais sur mes doigts comme je l'avais vu faire quelquefois à Marthe, sans alors la soupçonner de trahison. Cet exercice ne servait d'ailleurs à rien. Je ne savais plus compter. Qu'était-ce que cet enfant que nous attendions pour mars, et qui naissait en janvier ?"

III. L’INTRIGUE RELIGIEUSE

L’élève constate que, comme précédemment, L'Abbesse de Castro (des Chroniques italiennes) entremêle vocabulaire religieux et amour romanesque (goût du secret, du sacrifice, de l’héroïsme impliquant une ‘nuit’ dysphorique en guise d’épreuve : cf. ‘abreuvée de ton sang’, ‘parole de mépris’, ‘visages méchants’, ‘pour me venger’) :

"Au reste, j'ai à vous révéler un secret terrible; je n'aurais assurément aucune peine à le dire à toute autre femme ; mais je ne sais pourquoi je frémis en pensant à vous l'apprendre. Il peut détruire, en un instant, l'amour que vous avez pour MOI ; aucune protestation ne me satisferait de votre part. Je veux lire dans vos yeux l'effet que produira cet aveu. Un de ces jours, à la tombée de la NUIT, je vous verrai dans le jardin situé derrière le palais.

Rappelle-toi la NUIT de la Saint-Pierre. Comme l'aube paraissait déjà derrière le Monte Cavi, tu te jetas à mes genoux; je voulus bien t'accorder grâce; tu étais à MOI, si je l'eusse voulu; tu ne pouvais résister à l'amour qu'alors tu avais pour MOI.

Ensuite il me vint une pensée de vanité. J'avais fait construire de grands bâtiments dans le couvent, afin de pouvoir prendre pour chambre la loge de la tourière, où tu te réfugias la NUIT du combat. Un jour, je regardais cette terre que jadis, pour MOI, tu avais abreuvée de ton sang; j'entendis une parole de mépris, je levai la tête, je vis des visages méchants; pour me venger, je voulus être abbesse. Ma mère, qui savait bien que tu étais vivant, fit des choses héroïques pour obtenir cette nomination extravagante. Cette place ne fut, pour MOI, qu'une source d'ennuis;"

A la différence de ceux de Stendhal, les segments suivants de Huysmans et Bloy cherchent une vérité générale (de là l’emploi du présent, voire du futur de prédiction) concernant les qualités humaines liées au ‘christianisme’, en dehors de toute trame amoureuse. La ‘nuit’ est pour ‘moi’ d’une noirceur désespérante - sauf dans l’expression ‘office de nuit’ enthousiasmant l’adepte de ‘la vie monastique’ - et contraste avec la clarté divine.

À Rebours : "comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent jusqu'au ciel et elles vont engloutir le refuge dont j'ouvre, malgré MOI, les digues. Ah! le courage me fait défaut et le cœur me lève! - Seigneur, prenez pitié du chrétien qui doute, de l'incrédule qui voudrait croire, du forçat de la vie qui s'embarque seul, dans la NUIT, sous un firmament que n'éclairent plus les consolants fanaux du vieil espoir!"

La spectaculaire isotopie /navigation dangereuse/ qui provoque la réécriture de ‘nuit’ en " espace liquide dysphorique " permet ensuite à celle-ci d’orienter vers la désespérance ; ‘nuit’ est donc, comme l’absence de clarté, mais aussi le " cœur levé " (/mental/ : manque de courage ou /physique/ : mal de mer) un élément médiateur entre /extériorité/ + /action/ et /intériorité/ + /état/.
L’élève voit ici que le décadentisme n’est pas incompatible avec un certain raffinement métaphorique.

Le Désespéré : "mais on ne la connaît pas dans sa fleur de mystère quand on n'a pas vu l'office de NUIT. Là est le vrai parfum qui transfigure cette rigoureuse retraite, d'un si morne séjour pour les cabotins du sentiment religieux. Je ne crains pas d'abréger mon sommeil. Un tel spectacle est pour MOI le plus rafraîchissant de tous les repos. Quand on a vu cela, on se dit qu'on ne savait rien de la vie monastique. On s'étonne même d'avoir si peu connu le christianisme, pour ne l'avoir aperçu, jusqu'à cette heure, qu'à travers les exfoliations littéraires de l'arbre de la science d'orgueil.

Ma Croix méprisée éclatera de splendeur, comme un incendie dans la NUIT noire, et une terreur inconnue recrutera, dans cette clarté, la multitude tremblante des mauvais troupeaux et des mauvais pasteurs. Ah ! vous m'avez dit d'en descendre et que vous croiriez en MOI. Vous m'avez crié de me sauver MOI-même, puisque je sauvais les autres. Eh bien ! je vais combler tous vos vœux. Je vais descendre effectivement de ma Croix lorsque cette épouse d'ignominie sera tout en feu - à cause de l'arrivée d'Elie - et qu'il ne sera plus possible d'ignorer ce qu'était, sous son apparence d'abjection et de cruauté, cet instrument d'un supplice de tant de siècles !..."

On fait rétablir à l’élève le 4° terme de la proportion : la croix (A) est à la clarté d’incendie (A’) ce que " l’impiété " (B : terme manquant) est à la nuit (B’), selon une double régularité : (A) et (A’) en relation d’antonymie vis-à-vis de (B) et (B’) ; (A) et (B) se lisant sur /religion/, par rapport à (A’) et (B’) sur /nature/.

IV. LA MALADIE

Plus d’un élève a été touché par le sacrifice de la servante Germinie Lacerteux qui en oublie jusqu’à sa santé, ce qui contraint autrui à s’en préoccuper à sa place ; ‘cette nuit’ pouvant être orientée l’imminence d’urgence, ou rétrospectivement (passé composé) :

" Mon enfant, dit l'élève à Germinie, vous allez demander tout de suite votre permis. Il faut vous en aller. Vous vous mettrez bien chaudement. Vous vous garnirez bien... Aussitôt que vous serez chez vous couchée, vous prendrez quelque chose de bouillant, de la tisane, du tilleul... Vous tâcherez de suer... Comme ça, vous n'aurez pas de mal... Mais allez-vous-en... Ici, cette NUIT, fit-elle en promenant son regard sur les LITs, il ne ferait pas bon pour vous... Ne dites pas que c'est MOI qui vous fais partir : vous me feriez mettre à la porte... "

" La Marie s'est relevée cette NUIT pour me donner à boire... et lui, quand il reste du dessert, c'est toujours pour MOI... Oh ! il est très gentil pour MOI... ça n'amuse même pas trop la Marie, qu'il s'occupe comme ça de MOI... Dame ! vous comprenez, mademoiselle... - Allons, tiens ! va te coucher avec toutes tes bêtises, lui disait brusquement sa maîtresse, tristement impatientée de voir chez une personne si malade une occupation si ardente de l'amour des autres. "

V. RISQUES MILITAIRES

Le colonel Chabert fait la transition avec l’état de la servante précédente du fait que le domaine //pathologie// auquel il est lui aussi indexé relève de la dégradation générale consécutive à l’invasion et la défaite :

"Pour MOI c'était douleur sur douleur. En voyant les Russes en France, je ne pensais plus que je n'avais ni souliers aux pieds ni argent dans ma poche. Oui, monsieur, mes vêtements étaient en lambeaux. La veille de mon arrivée je fus forcé de bivouaquer dans les bois de Claye. La fraîcheur de la NUIT me causa sans doute un accès de je ne sais quelle maladie, qui me prit quand je traversai le faubourg Saint-Martin. Je tombai presque évanoui à la porte d'un marchand de fer."

Quant aux deux premiers extraits suivants de l’Histoire d'un conscrit de 1813, les reprises lexicales et leur atmosphère durative pourraient appartenir au registre fantastique (les soupirs et cris plaintifs pouvant être rapportés à ceux de créatures surnaturelles ; il n’en va pas différemment de l’apparition du colporteur comparé au ‘loup’ mythique). Il faut attendre la lexicalisation de ‘bivouaquer’, ‘bataille’ ou ‘commandements’ pour que le ‘rêve’ nocturne par temps d’orage soit ancré dans la réalité effrayante de la guerre franco-allemande. Le témoignage de ce JE dans un monde nocturne où il est dépassé par les événements, rapportés à des phénomènes naturels contre lesquels il serait vain d’apporter une résistance, s’effectue de façon classique à l’IPS :

"Cela dura jusqu'à quatre heures du soir. Alors la NUIT commençait à venir, l'ombre entrait par les petites fenêtres, et, songeant qu'il faudrait bientôt nous quitter, nous nous assîmes tristement près de l'âtre où dansait la flamme rouge. Catherine me serrait la main ; MOI, le front penché, j'aurais donné ma vie pour rester.

comme je me levai sur mon bras pour crier : "Au secours !" Il faisait encore NUIT, et pourtant un peu de jour pâlissait déjà le ciel ; tout au loin, à travers la pluie qui rayait l'air, une lumière marchait au milieu des champs, elle allait au hasard, s'arrêtant ici... là... et je voyais alors des formes noires se pencher autour ; ce n'étaient que des ombres confuses, mais d'autres que MOI voyaient aussi cette lumière, car de tous côtés des soupirs s'élevaient dans la NUIT... des cris plaintifs, des voix si faibles, qu'on aurait dit des petits enfants qui appellent leur mère !

Alors je regardai dans la NUIT grisâtre, et je vis, à cinquante pas devant MOI, le colporteur Pinacle, avec sa grande hotte, son bonnet de loutre, ses gants de laine et son bâton à pointe de fer. La lanterne pendue à la bretelle de la hotte éclairait sa figure avinée, son menton hérissé de poils jaunes, et son gros nez en forme d'éteignoir ; il écarquillait ses petits yeux comme un loup, en répétant : "Qui vive !"

Après avoir fumé deux ou trois pipes ensemble, en causant de notre gloire, Zébédé, Klipfel et MOI, nous allâmes nous coucher dans la boutique d'un menuisier, sur un tas de copeaux, et nous restâmes là jusqu'à miNUIT, moment où l'on battit le rappel. Il fallut bien alors se lever. Le menuisier nous donna de l'eau-de-vie, et nous sortîmes. Il tombait de l'eau en masse. Cette NUIT même le bataillon alla bivouaquer devant le village de Clépen, à deux heures de Weissenfels. Nous n'étions pas trop contents à cause de la pluie.

C'est tout ce que je me rappelle, car, aussitôt après, je perdis tout sentiment. Il me semble bien avoir entendu depuis comme un roulement d'orage, des cris, des commandements, et même avoir vu défiler dans le ciel la cime de grands sapins au milieu de la NUIT ; mais tout cela pour MOI n'est qu'un rêve. Ce qu'il y a de sûr, c'est que derrière Salmunster, dans les bois de Hanau, fut livrée ce jour-là une grande bataille contre les Bavarois, et qu'on leur passa sur le ventre."

VI. AVENTURES

1) Le picaresque Gil Blas de Santillane est sur-représenté du point de vue de nos mots-clés, si bien que l’on a volontairement limité le relevé des fragments innombrables. Conformément à la définition du picaro (à laquelle on renvoie l’élève : " jeune homme de basse condition, intelligent et opportuniste, qui s’élève dans l’échelle sociale au cours d’une vie mouvementée et pleine de rebondissements "), les domaines développés sont ceux du risque, jeu et actions en marge de la légalité (cf. ‘cachot’, ‘prison’, ‘tour de Ségovie’), joviales ou violentes, des bonnes et mauvaises rencontres, voire de l’accueil religieux (cf. ‘ermitage’, ‘anachorète’, ‘mon père’), et ce par un usage dominant du passé simple qui accélère le rythme et laisse moins de place à la résonance intérieure que dans l’autre roman autobiographique précédent d’Erckmann-Chatrian (l’onomastique germanique le cédant à l’hispanique) :

"Je fus assez surpris de ne pas voir paraître mon valet, après l'ordre qu'il avait reçu de MOI. Ambroise, dis-je en MOI-même, mon fidèle Ambroise est à l'église, ou bien il est aujourd'hui fort paresseux. Mais je perdis bientôt cette opinion de lui pour en prendre une plus mauvaise ; car m'étant levé, et ne voyant plus ma valise, je le soupçonnai de l'avoir volée pendant la NUIT.

Pour MOI, moins affligé d'avoir manqué les plus précieuses faveurs de l'amour, que bien aise d'être hors de péril, je retournai chez mon maître, où je passai le reste de la NUIT à faire des réflexions sur mon aventure. Je doutai quelque temps si j'irais au rendez-vous la NUIT suivante. Je n'avais pas meilleure opinion de cette seconde équipée que de l'autre ; mais le diable, qui nous obsède toujours, ou plutôt nous possède dans de pareilles conjonctures, me représenta que je serais un grand sot d'en demeurer en si beau chemin.

C'est assez, répondit le jeune seigneur ; puisque c'est vous qui le produisez auprès de MOI, je le reçois aveuglément à mon service. Je le fais mon valet de chambre. C'est une affaire finie. Rodriguez, ajouta-t-il, parlons d'autres choses. Vous arrivez à propos. J'allais vous envoyer chercher. J'ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre, mon cher Rodriguez. J'ai joué de malheur cette NUIT. Avec cent pistoles que j'avais, j'en ai encore perdu deux cents sur ma parole.

Et MOI, messieurs, dit don Alexo Segiar, j'ai soupé chez une comédienne, chez Arsénie. Nous étions six à table : Arsénie, Florimonde avec une coquette de ses amies, le marquis de Zenete, don Juan de Moncade et votre serviteur. Nous avons passé la NUIT à boire et à dire des gueulées.

Le seigneur de Nisana venait souper chez MOI tous les soirs avec quelques-uns de ses amis. De mon côté, j'avais soin d'assembler les plus amusantes de nos comédiennes, et nous passions une bonne partie de la NUIT à rire et à boire. Je m'accommodais fort d'une vie si agréable ; mais elle ne dura que six mois.

Nous nous séparâmes à miNUIT, mes confrères et MOI, parce que je ne les pressai pas de boire davantage. Ils s'en allèrent chez leur veuve, et je me retirai à mon superbe appartement, que j'enrageais pour lors d'avoir loué et que je me promettais bien de quitter à la fin du mois. J'eus beau me coucher dans un bon LIT, mon inquiétude en écarta le sommeil. Je passai le reste de la NUIT à rêver aux moyens de ne pas travailler pour le roi généreusement.

comblé d'applaudissements, je fus de retour chez MOI, j'y trouvai un billet par lequel on me mandait qu'une dame, dont la conquête devait plus me flatter que tout l'honneur que je m'étais acquis ce jour-là, souhaitait de m'entretenir, et que je n'avais, à l'entrée de la NUIT, qu'à me rendre à certain lieu qu'on me marquait.

La colère et la jalousie lui troublèrent l'esprit et, ne consultant que sa fureur, il résolut de se venger de MOI d'une manière infâme, Une NUIT que j'étais chez Hortense, il vint m'attendre à la petite porte du jardin, avec tous ses valets armés de bâtons. Dès que je sortis, il me fit saisir par ces misérables, et leur ordonna de m'assommer.

Cependant le tonnerre cessa. Nous nous levâmes ; mais, comme la pluie continuait, et que la NUIT n'était pas fort éloignée, le vieillard nous dit : Mes enfants, je ne vous conseille pas de vous remettre en chemin par ce temps-là, à moins que vous n'ayez des affaires bien pressantes. Nous répondîmes, le jeune homme et MOI, que nous n'en avions point qui nous défendît de nous arrêter, et que, si nous n'appréhendions pas de l'incommoder, nous le prierions de nous laisser passer la NUIT dans son ermitage. Vous ne m'incommoderez point, répliqua l'ermite. C'est vous seuls qu'il faut plaindre.

Serait-il bien possible que vous fussiez cet enfant malheureux qui était encore dans les flancs de sa mère, quand je la sacrifiai à ma fureur ? Oui, mon père, lui dis-je, c'est MOI que la vertueuse Estéphanie a mis au monde trois mois après la NUIT funeste où vous la laissâtes noyée dans son sang.

La NUIT vint pendant te temps-là, et bientôt un grand bruit de clefs attira mon attention. La porte de mon cachot s'ouvrit, et, un moment après, il entra un homme qui portait une bougie. Il s'approcha de MOI, et me dit : Seigneur Gil Blas, vous voyez un de vos anciens amis.

Je me levai légèrement, et, voyant que personne ne prenait garde à MOI, j'enfilai cet escalier qui me conduisit dans la salle dont je gagnai la porte, en criant : Place; place, je vais changer d'habit. Chacun se rangea pour me laisser passer ; de sorte qu'en moins de deux minutes je sortis impunément du palais à la faveur de la NUIT, et me rendis à la maison du vaillant, mon ami.

Bien loin d'avoir quelques reproches à lui faire sur la conduite qu'il a tenue avec MOI, je dois plutôt avouer que je lui ai de grandes obligations. La NUIT qu'on m'enleva pour me conduire à la tour de Ségovie, il sauva du pillage et mit en sûreté une partie de mes effets, qu'il pouvait impunément s'approprier ; il ne se contenta pas même de songer à conserver mon bien ; il vint par pure amitié s'enfermer avec MOI dans ma prison, préférant aux charmes de la liberté le triste plaisir de partager mes peines."

2) Aventures, à portée philosophique et moralisatrice cette fois. Cependant cette portée ne saurait transparaître de trop brefs fragments, pas plus que leur valeur parodique, notamment du récit picaresque dont Gil Blas est le parangon. La compréhension réclame le replacement de l’extrait dans le vaste contexte du chapitre et le but poursuivi par l’auteur dans son conte. Ainsi dans l'extrat de Candide ci-dessous, il n’est pas indifférent de savoir que le premier segment se situe à la fin du récit par Cunégonde (chap. 8) concernant la façon dont elle a été courtisée à la fois par un Juif et par un Grand Inquisiteur :

"Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et MOI leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l'inquisiteur aurait les autres jours de la semaine. Il y a six mois que cette convention subsiste. Ce n'a pas été sans querelles ; car souvent il a été indécis si la NUIT du samedi au dimanche appartenait à l'ancienne loi ou à la nouvelle. Pour MOI, j'ai résisté jusqu'à présent à toutes les deux, et je crois que c'est pour cette raison que j'ai toujours été aimée."

Soit une caricature implicite des conventions religieuses, en l’occurrence de l’ambiguïté du laps de temps nocturne, résolue par la proclamation de la liberté du sentiment du ‘moi’ face aux dogmes.

Passons au souper de Venise (chap. 26) : "Cacambo, qui versait à boire à l'un de ces six étrangers, s'approcha de l'oreille de son maître, sur la fin du repas, et lui dit : " Sire, Votre Majesté partira quand elle voudra, le vaisseau est prêt. " Ayant dit ces mots, il sortit. Les convives, étonnés, se regardaient sans proférer une seule parole, lorsqu'un autre domestique, s'approchant de son maître, lui dit : " Sire, la chaise de Votre Majesté est à Padoue, et la barque est prête. " Le maître fit un signe, et le domestique partit. Tous les convives se regardèrent encore, et la surprise commune redoubla. Un troisième valet, s'approchant aussi d'un troisième étranger, lui dit : " Sire, croyez-MOI, Votre Majesté ne doit pas rester ici plus longtemps : je vais tout préparer " ; et aussitôt il disparut. Candide et Martin ne doutèrent pas alors que ce ne fût une mascarade du carnaval. Un quatrième domestique dit au quatrième maître : " Votre Majesté partira quand elle voudra ", et sortit comme les autres. Le cinquième valet en dit autant au cinquième maître. Mais le sixième valet parla différemment au sixième étranger, qui était auprès de Candide ; il lui dit : " Ma foi, Sire, on ne veut plus faire crédit à Votre Majesté, ni à MOI non plus ; et nous pourrions bien être coffrés cette NUIT, vous et MOI : je vais pourvoir à mes affaires ; adieu. ""

Par ce refrain des six altesses (détrônées ; domaine //politique// ici), la répétition mécanique à effet parodique systématise l’inconsistance de leur pouvoir et de leur crédit à l’étranger. La chute sur le sixième suggère l’imposture, selon l’emblématique carnaval (les titres devenant alors des masques). L’imminence de la fuite transparaît de nouveau dans "cette nuit" ; quant à "vous et moi", les deux pronoms associés révèlent la complicité dans un statut incertain qui rattache le roi au brigand - selon le thème picaresque du renversement de valeurs, le valet devenant providentiel.

De même, dans Le neveu de Rameau, le récit du renégat d’Avignon, narré par le cynique et " vicieux " LUI, approuvant la traîtrise de son protagoniste car celui-ci atteint " le sublime de la méchanceté " en faisant de son ami israélite une victime crématoire de l’inquisition ; " l’atrocité de l’action " le place, selon LUI (qui au demeurant dit ‘moi’), " au-delà du mépris " :

"Pendant la NUIT, le renégat se lève, dépouille le Juif de son portefeuille, de sa bourse et de ses bijoux ; se rend à bord, et le voilà parti. Et vous croyez que c'est là tout ? Bon, vous n'y êtes pas. Lorsqu'on me raconta cette histoire ; MOI, je devinai ce que je vous ai tu, pour essayer votre sagacité. Vous avez bien fait d'être un honnête homme ; vous n'auriez été qu'un friponneau."

Ici encore ‘la nuit’ est le moment crucial, coïncidant avec le délit de vol, en revanche le ‘moi’ de l’énonciation qui devine anticipe la délation auprès de l’inquisition, par similarité de comportement avec le renégat, ce qui les indexe à l’isotopie dominante /immoralité/ (moins grave que /crime/).
Diderot est moins philosophe que préoccupé d’esthétique romanesque dans l’extrait suivant de Jacques le fataliste :

"L'hôtesse : Et MOI, je vous souhaite une bonne NUIT. Il est tard, et il faut que je sois la dernière couchée et la première levée. Quel maudit métier! Bonsoir, messieurs, bonsoir. Je vous avais promis, je ne sais plus à propos de quoi, l'histoire d'un mariage saugrenu: et je crois vous avoir tenu parole."

En effet, quand il indexe ici le ‘moi’ de la narratrice (contant les amours du marquis des Arcis et de Mme de la Pommeraye) à l’isotopie /frustration/, dans la mesure où, en prétextant l’interruption de la ‘nuit’, elle coupe court au plaisir que prenait son auditoire (composé de Jacques et son maître) à l’écoute de sa narration, c’est l’attente plus globale du lecteur, toujours en attente d’une suite cohérente des aventures des protagonistes, qui se trouve déçue. Cela est donc à rapporter à la parodie du genre romanesque à laquelle se livrait Voltaire, d’une autre façon.

3) Genre aventures, mais dominé cette fois par les habitudes et impressions du passé (cf. l’imparfait à aspect /duratif-itératif/ confirmé par ‘quelquefois’, etc.), dans Dominique :

"Ce fut là que je revins à MOI, une ou deux heures après, tout à fait à la NUIT, avec le souvenir incohérent d'une scène affreuse. On sonnait le dîner ; il me fallut descendre. J'agissais, j'avais les jambes libres, il me semblait avoir reçu un choc violent sur la tête. Grâce à cette paralysie très réelle, j'éprouvais une sensation générale de grande souffrance, mais je ne pensais pas. La première glace où je m'aperçus me montra la figure étrangement bouleversée d'un FANTOME.

Dans cette course lamentable qui me ramenait au gîte comme un animal blessé qui perd du sang et ne veut pas défaillir en route, le lendemain soir, à la NUIT tombée, j'arrivais en vue de Villeneuve. Je mis pied à terre aux abords du village ; la voiture continua de suivre la route pendant que je prenais un chemin de traverse qui me conduisait chez MOI par le marais.

Il était impossible de se soustraire à ce bruit, qui nous réveillait la NUIT, en plein sommeil, non plus qu'à la mesure battue bruyamment par le balancier, et quelquefois nous nous surprenions, Dominique et MOI, écoutant sans mot dire ce murmure sévère qui, de seconde en seconde, nous entraînait d'un jour dans un autre. Nous assistions au coucher des enfants, dont la toilette de NUIT se faisait, par indulgence, au salon, et que leur mère emportait tout enveloppés de blanc, les bras morts de sommeil et les yeux clos. Vers dix heures, on se séparait.

" Ma vie ne servait à personne, on me l'a trop répété, et ne pouvait plus qu'humilier tous ceux qui m'aiment. Il était temps de l'achever MOI-même. Cette idée, qui ne date pas d'hier, m'est revenue l'autre soir en te quittant. Je l'ai mûrie pendant la route. Je l'ai trouvée raisonnable, sans aucun inconvénient pour personne, et mon entrée chez MOI, la NUIT dans un pays que tu connais, n'était pas une distraction de nature à me faire changer d'avis. J'ai manqué d'adresse, et n'ai réussi qu'à me défigurer. N'importe, j'ai tué Olivier. "

Au moment où j'ouvrais ma fenêtre pour entendre plus distinctement la rumeur inconnue qui grondait au-dessus de cette ville si vivante en bas, et déjà par ses sommets tout entière plongée dans la NUIT, je vis passer au-dessous de MOI, dans la rue étroite, une double file de cavaliers portant des torches, et escortant une suite de voitures aux lanternes flamboyantes, […] Je m'enfermais chez MOI, j'ouvrais d'autres livres et je veillais. J'entendis ainsi passer sous mes fenêtres toutes les fêtes nocturnes du carnaval. Quelquefois, en pleine NUIT, Olivier frappait à ma porte. Je reconnaissais le son bref du pommeau d'or de sa canne. Il me trouvait à ma table, me serrait la main et gagnait sa chambre en fredonnant un air d'opéra."

Si les deux premiers segments peuvent, hors contexte, référer au registre fantastique (cf. ‘fantôme’, blessure, ‘sensation de souffrance’, ‘souvenir incohérent’, traversée d’un ‘marais’), en revanche cette impression est dissipée dès le troisième, car les syntagmes ‘tout enveloppés de blanc’, ‘les bras morts’ trouvent un cadre tout à fait naturel dans la paisible scène familiale du ‘coucher des enfants’.
Les trois derniers, qu’ils soient de type discursif ou narratif, contrastent de par la violence passionnelle ou le contraste du feu festif dans la nuit calme qu’ils contiennent.

VII. ANALYSE PSYCHOLOGIQUE ET PAYSAGE

On sera surpris, si l’on attendait Rousseau en précurseur de l’usage de l’imparfait en relation avec la vie sentimentale, car dans cet extrait des Rêveries du promeneur solitaire (2° Promenade) indexés au taxème //accident de circulation// le passé simple alterne avec le présent narratif pour signifier l’aspect contraire /ponctuel-singulatif/ :

"Je ne sentis ni le coup ni la chute, ni rien de ce qui s'ensuivit jusqu'au moment où je revins à MOI. Il était presque NUIT quand je repris connaissance. Je me trouvai entre les bras de trois ou quatre jeunes gens qui me racontèrent ce qui venait de m'arriver. Le chien danois n'ayant pu retenir son élan s'était précipité sur mes deux jambes et, me choquant de sa masse et de sa vitesse, m'avait fait tomber la tête en avant […] J'arrive, j'ouvre le secret qu'on a fait mettre à la porte de la rue, je monte l'escalier dans l'obscurité et j'entre enfin chez MOI sans autre accident que ma chute et ses suites, dont je ne m'apercevais pas même encore alors. Les cris de ma femme en me voyant me firent comprendre que j'étais plus maltraité que je ne pensais. Je passai la NUIT sans connaître encore et sentir mon mal. Voici ce que je sentis et trouvai le lendemain."

L’isotopie /inconscience/ de ‘moi’, très lexicalisée (‘qui me racontèrent ce qui venait de m'arriver’, ‘dont je ne m'apercevais pas même encore’, ‘sans connaître encore et sentir’, ‘plus maltraité que je ne pensais’), est à cheval sur ces deux nuits consécutives. Elle s’oppose, dans un second temps, à /prise de conscience/, due aussi bien aux cris de la femme qui, en quelque sorte, réveillent, qu’au savoir rétrospectif apporté par les informateurs-témoins. La polysémie contextuelle du ‘secret’ percé, car ‘ouvert’, n’est pas étrangère à /prise de conscience/, si on accepte cette réécriture qui n’est pas la première à tomber sous le sens dans le contexte de l’habitation, même si les problèmes physiques entraînés par l’accident font place au problème psychologique du ‘moi’ narrateur.

Il convient en effet de renvoyer l’élève au Littré pour éclairer le sens de l’expression a priori confuse : " j'ouvre le secret qu'on a fait mettre à la porte " (2° sens du mot " secret " : Il se dit des parties d'une habitation qui est fermée au public, qui n'est pas connue de lui. Escalier secret, escalier dérobé par lequel on peut monter dans les appartements d'une grande maison, au lieu de monter par le grand escalier. Porte dérobée : " Ma galère est au port toute prête à partir ; Le palais y répond par la porte secrète ", Corneille, Nicomède, V, 5).

En revanche l’imparfait duratif-itératif attendu est illustré dans les Premières Méditations poétiques. Son lyrisme romantique emprisonnant et incommunicable (‘composais pour moi’ vs regret de ne pas pouvoir ‘chanter aux autres’) se traduit par ce " chant intérieur " du moi nocturne qui, dans ses " poèmes pathétiques ", personnifie la nature à leur image (identification) ; on attire ainsi l’attention de l’élève sur le filage de la métaphore selon laquelle le végétal à " tête " et en forme de " glaive " (cf. les glaïeuls) " coupe " le vent marin qui en " gémit, sanglote, crie " :

"je composais pour MOI seul, sans les écrire, des poèmes aussi vastes que la nature, aussi resplendissants que le ciel, aussi pathétiques que les gémissements de brises de mer dans les têtes des pins lièges et dans les feuilles des lentisques, qui coupent le vent comme autant de petits glaives, pour le faire pleurer et sangloter dans des millions de petites voix. La NUIT me surprenait souvent ainsi, sans pouvoir m'arracher au charme des fictions dont mon imagination s'enchantait elle-même. Oh! quels poèmes, si j'avais pu et si j'avais su les chanter aux autres alors comme je me les chantais intérieurement!"

Le fait que cette poésie personnelle et intérieure (‘moi’ enchaîne ici avec ‘l’impression’, ‘le cœur’, la sensibilité) soit chantée annexe dans le segment suivant l’isotopie comparante //musique//, très lexicalisée (et substituée dans une habile variation thématique au pathétique et à la nature du segment précédent) :

"Je rentrai à la NUIT tombante, mes vers dans la mémoire, et me les redisant à MOI-même avec une douce prédilection. J'étais comme le musicien qui a trouvé un motif, et qui se le chante tout bas avant de le confier à l'instrument. L'instrument pour MOI, c'était l'impression. Je brûlais d'essayer l'effet du timbre de ces vers sur le cœur de quelques hommes sensibles."

Comme Rousseau, Lamartine évoque le taxème //accident de circulation//, ici maritime, narré de façon romanesque au passé simple dans une nature non plus pathétique mais dramatique. En outre, le ‘moi’ n’est plus l’unique protagoniste, et la ‘nuit’ n’est plus comme précédemment le moment résultatif de la reprise de connaissance, mais bien celui du naufrage duratif (le résultat de l’échouage et de la découverte de l’île n’a lieu qu’u petit matin, bref le jour). On attire l’attention de l’élève sur ces subtiles modifications, une autre étant celle du traitement du même lac célèbre, au sein même de la production larmartinienne.

"Mes deux amis, MM. de Virieu, de Vignet, et MOI, nous nous embarquâmes, un soir d'orage, dans un petit bateau de pêcheurs sur le lac du Bourget. La tempête nous prit et nous chassa au hasard des vagues à trois ou quatre lieues du point où nous nous étions embarqués. Après avoir été ballottés toute la NUIT, les flots nous jetèrent entre les rochers d'une petite île à l'extrémité du lac."

VIII. VOYAGE EXOTIQUE

Si dès Smarra l’exotisme était perceptible avec le " gouffre inconnu " creusé par la nuit, on le retrouve dans l’onomastique d'Aziyadé. D’ailleurs le premier segment est très proche du registre fantastique par son introspection pessimiste devant le monde nocturne effrayant :

"je sens que l'heure présente n'est qu'un répit de ma destinée, que quelque chose de funèbre plane toujours sur l'avenir, que le bonheur d'aujourd'hui amènera fatalement un terrible lendemain. Ici même, et quand elle est près de MOI, j'ai de ces instants de navrante tristesse, comparables à ces angoisses inexpliquées qui souvent, dans mon enfance, s'emparaient de MOI à l'approche de la NUIT."

Mais sur cette même tonalité dysphorique les actions des voyageurs en terre étrangère, typiques du roman d’aventures, dissipent cette ambiance de surnaturel : il ne s’agit plus de craintes mais de la description d’un décor concret où se manifeste la curiosité de ‘moi’ (de le goût du narrateur pour le mot rare, tel le turc "caïque" : " embarcation légère, étroite et pointue, en usage sur la mer Egée et le Bosphore ", qui, comme l’onomastique des lieux et personnages, se veut une preuve de véracité quant aux propos tenus sur le pays visité ; l’exergue est révélatrice du journal pris sur le vif : " Extrait des notes et lettres d'un lieutenant de la marine anglaise ") :

"C'était une froide NUIT de janvier ; une brume glaciale embrouillait les grandes ombres de Stamboul, et tombait en pluie fine sur nos têtes. Nous ramions, Achmet et MOI, à tour de rôle, dans le caïque qui nous menait à Eyoub. À l'échelle du Phanar, nous abordâmes avec précaution dans la NUIT noire, au milieu de pieux, d'épaves et de milliers de caïques échoués sur la vase.

Là, leurs pas s'arrêtèrent. Aziyadé s'était affaissée sur les marches pour fondre en larmes, et le bruit de ses sanglots arrivait jusqu'à MOI dans le silence de cette NUIT."

La paire imparfait\passé simple (IPS) le cède à présent\passé composé, la prise de conscience de l’identité/altérité justifiant ce passage du récit au discours du narrateur revenant au moment de la rédaction de son récit (cf. ‘mon papier’). Clair de lune et exotisme (du voyage et de l’onomastique : ‘loin de ses semblables à Eyoub’) confèrent à cette nuit devenue euphorique un doux climat romantique :

"Il est miNUIT, la lune promène sur mon papier sa lumière bleue, et les coqs ont commencé leur chanson nocturne. On est bien loin de ses semblables à Eyoub, bien isolé la NUIT, mais aussi bien paisible. J'ai peine à croire, souvent, que Arif-Effendi, c'est MOI ; mais je suis si las de MOI-même, depuis vingt-sept ans que je me connais, que j'aime assez pouvoir me prendre un peu pour un autre.

Une NUIT tiède de juin, étendus tous deux à terre dans la campagne, nous attendions deux heures du matin. Je me souviens de cette belle NUIT étoilée, où l'on n'entendait que le faible bruit de la mer calme. […] Mais Samuel paraissait subir cette corvée nocturne avec une détestable humeur, et ne me répondait même plus. Alors je lui pris la main pour la première fois, en signe d'amitié, et lui fis en espagnol à peu près ce discours : " Mon bon Samuel, vous dormez chaque NUIT sur la terre dure ou sur des planches ; l'herbe qui est ici est meilleure et sent bon comme le serpolet. Dormez, et vous serez de plus belle humeur après. N'êtes-vous pas content de MOI ? et qu'ai-je pu vous faire ? ""

IX. ODES A L’UNIVERS

(a) Il revient en priorité à Hugo d'exprimer, au présent de vérité générale et au futur prophétique, la dualité du ‘moi’ ténébreux illuminé par les petits-enfants, dans L'art d'être grand-père. Cela ne contredit pas le fait que la ‘nuit’, " porte " qui " tâche d’étouffer le germe de vie " par son " envie " ne se referme pas sur elle et reste ouverte au futur ‘jour\amour’, à leur ‘tendre lueur\rêveur’ ; elle a une valeur médiatrice qui demeure optimiste (et non pas un effet de " la démence qui emporte l’homme ") :

"J'en ai deux; George et Jeanne; et je prends l'un pour guide
Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix,
Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois.
Leurs essais d'exister sont divinement gauches;
On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit;
Et MOI qui suis le soir, et MOI qui suis la NUIT,
MOI dont le destin pâle et froid se décolore,
J'ai l'attendrissement de dire: Ils sont l'aurore.
Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons;
Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons.
Jugez comme cela disperse mes pensées.
En MOI, désirs, projets, les choses insensées,
Les choses sages, tout, à leur tendre lueur,
Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur.
La NUIT pâle, immense FANTOME
Dans l'espace insondable épars,
Du haut du redoutable dôme,
Se penchera de toutes parts;
Je la verrai lugubre et vaine,
Telle que la vit Antisthène
Qui demandait aux vents : Pourquoi ?
Telle que la vit Épicure,
Avec des plis de robe obscure
Flottant dans l'ombre autour de MOI
- Homme ! la démence t'emporte,
Dira le nuage irrité.
Prends-tu la NUIT pour une porte ?
Murmurera l'obscurité.
Car il faut qu'enfin on rencontre
L'indestructible vérité,
Et qu'un front de splendeur se montre
Sous ces masques d'obscurité;
La NUIT tâche, en sa noire envie,
D'étouffer le germe de vie,
De toute-puissance et de jour,
Mais MOI, le croyant de l'aurore,
Je forcerai bien Dieu d'éclore
À force de joie et d'amour!"

Les couplages à la rime sont toujours intéressants : ainsi " reste de ciel qui se dissipe et fuit " est d’autant plus indissociable de ‘nuit’ que cette noirceur équivaut au ‘bleu’ /cessatif/ ; il n’y a pas antithèse comme aux vers suivants entre leur ‘aurore’ de jeunesse vs mon ‘décolore’ de vieillesse ; d’ailleurs à la fin ‘aurore’ change de camp et passe du côté du moi espérant, ‘croyant’ que Dieu va ‘éclore’ : /vie/ neutralise /mort/ précédent de la vieillesse décolorée (les valeurs des petits-enfants, apparemment fragiles, sont alors triomphatrices). Bref, le comparant céleste structuré selon le dualisme ombre\lumière de type religieux n’est pas si schématique qu’on pourrait croire. Ou plutôt il s’agit d’une conciliation des contraires.

Le climat fantastique est lui aussi légitimé par la rime : ainsi le ‘dôme’ de la voûte céleste obscurcie devient indissociable de ‘fantôme’ ‘lugubre’.
En revanche, ‘moi’ rime avec le ‘Pourquoi ?’ métaphysique. Le ‘moi’ reste ainsi dans l’obscurité mentale (pas de réponse à son interrogation étiologique angoissée)

Remarque statistique. C'est en consultant le CD-Rom de L'Encyclopédie de la littérature française (Bibliopolis) que l'on constate l'écrasante dominance des deux corrélats dans le corpus hugolien : sur 461 occurrence(s) dans 104 ouvrage(s) des 2 cooccurrents 'nuit' + 'moi' mutuellement situés à 20 mots d'intervalle, Hugo arrive en tête avec 90 occ., suivi de Chateaubriand pourvu seulement de 29 occ.

(b) Les scientifiques ne sont pas insensibles au doux envoûtement nocturne, et l’anthologie imaginaire Poésie & Univers recense, entre Hugo et Cyrano, l’Essai sur l'Astronomie (1789) de Louis de Fontanes, intégrant le lyrisme à son traité sérieux à visée didactique et informative, notamment dans ce quatrain qui féminise et divinise :

"O NUIT ! que ton langage est sublime pour MOI,
Lorsque, seul et pensif, aussi calme que toi,
Contemplant les soleils dont ta robe est parée,
J'erre et médite en paix sous ton ombre sacrée !"
(c) A cette clarté poétique s’oppose l’hermétisme de Mallarmé, qui a été vécu par l’élève comme un défi à une lecture cohérente. Les meilleures volontés y vont de leur interprétation. Avant de s'y livrer, elles observent que la dislocation de la syntaxe ne va pas de pair avec la régularité de la versification (genre du sonnet, alexandrins, rimes).
Par ex., dans le poème suivant Le pitre châtié, comment surmonter cette oxymore ‘rance nuit de la peau’ vs ‘le soleil frappe la nudité’, soit /noirceur/ + /dysphorie/ vs /dorure/ + /euphorie/ (‘hilare or’), si ce n’est en insérant un distinguo de point de vue : séduction impure de la nudité s’exerçant sur le poète dans un premier temps (‘sur moi vous passiez’) qui s’aperçoit de son erreur a posteriori (‘ne sachant pas’), concernant la réalité ‘pure’ et ‘vierge’ des ‘glaciers’ (cf. le Cygne vivace) ou de la ‘fraîcheur de nacre’ rimant avec ‘sacre’. Une erreur qui entraîne un châtiment pour un ‘moi’ qui se juge a posteriori ‘pitre’ ou ‘histrion’. La nuit comme le soleil et autres éléments naturels sont donc métaphoriques pour les sentiments du ‘moi’ vis-à-vis du corps humain :
"Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître
Autre que l'histrion qui du geste évoquais
Comme plume la suie ignoble des quinquets,
J'ai troué dans le mur de toile une fenêtre.

De ma jambe et des bras limpide nageur traître,
À bonds multipliés, reniant le mauvais
Hamlet ! c'est comme si dans l'onde j'innovais
Mille sépulcres pour y vierge disparaître.

Hilare or de cymbale à des poings irrité,
Tout à coup le soleil frappe la nudité
Qui pure s'exhala dans ma fraîcheur de nacre,

Rance NUIT de la peau quand sur MOI vous passiez,
Ne sachant pas, ingrat ! que c'était tout mon sacre,
Ce fard noyé dans l'eau perfide des glaciers."
X. THEATRE

Deux extraits différents par la situation mais aussi le registre : récit au passé composé auquel appartient une nuit de confrontation ; discours au présent (d’actualité) où la nuit s’ouvre sur un lendemain qui chante.

- ‘moi’ de L'illusion comique : expression du courage d’Isabelle, la locutrice :
"Mais il m'a reconnue, et m'est venu parler.
MOI qui, seule et de NUIT, craignais son insolence,
Et beaucoup plus encor de troubler le silence,
J'ai cru, pour m'en défaire et m'ôter de souci,
Que le meilleur était de l'amener ici.
Vois, quand j'ai ton secours, que je me tiens vaillante,
Puisque j'ose affronter cette humeur violente."
- ‘moi’ de L'Aiglon : expression d’un autre mélange de sentiments, du soulagement à l’enthousiasme devant la certitude de la promotion :
"LE DUC, frissonne, et après un silence.
Empereur ?... MOI ?... Demain ?... Je te pardonne, traître !
J'ai vingt ans et je vais régner !
Ah ! mon Dieu ! que c'est beau d'avoir vingt ans et d'être
Fils de Napoléon premier !
Ce n'est pas vrai que je suis faible et que je tousse !
Je suis jeune, je n'ai plus peur !
Empereur ?... MOI ?... Demain ?... - Comme la NUIT est douce!..."

Epilogue : regard rétrospectif

Notre expérience tend à combattre l’idée parfois reçue que l’utilisation de l’ordinateur en classe rimerait avec la mode du " tout informatique ", flattant le seul instinct ludique des élèves. Vouloir opposer en réaction le " sérieux des Lettres " à l’emprise de la machine ne ferait en outre que réactiver un vieux clivage idéologique, là où il n’est besoin que d’" alliance " et de " fusionnement " au lieu des " dualismes " et " dichotomies ", selon les termes de J.-M. Fick ; nous préférons croire en effet avec lui que les " fruits que peuvent porter la rencontre des deux cultures littéraire et technologique " se récoltent notamment dans " l’exploitation informatique du patrimoine littéraire grâce à la numérisation des textes " ("Les TIC : un avenir pour les littéraires", Communication et Langages, 124, juin 2000, pp. 85, 88).

De quoi se priverait-on concrètement, dans l’analyse littéraire, par un tel rejet ? Passant de cooccurrence (‘nuit’ + ‘moi’) en cooccurrence, et rompant avec la lecture linéaire traditionnelle, cette nouvelle lecture intersegmentale et comparative est plus intrigante pour l'élève qui doit être capable (a) de lui conférer une cohésion interne ; (b) de resituer globalement l’extrait (par rapport au genre, au thème et à la trame narrative, descriptive ou argumentative) ; (c) de faire des rapprochements (similitudes et différences) intersegmentaux.

En d'autres termes, l’élève comprend que le contenu des signes sélectionnés par la machine doit être replacé dans chacun de ses contextes où les signifiants contractent de nouveaux cooccurrents qui font varier leur sens, dans un passage du quantitatif au qualitatif. Ce choix méthodologique s’inscrit dans le cadre de recherches personnelles, quant au passage du signifiant au signifié contextuel, selon l’objectif d'une Analyse Thématique Assistée par Ordinateur (cf. le recueil collectif dirigé par Rastier et paru en 1995 chez Didier, L'analyse thématique des données textuelles qui propose des méthodologies).

Au fil de ces extraits, deux autres objectifs pédagogiques ont été poursuivis, outre celui de l’ouverture à de nouvelles pratiques de lecture, acceptant temporairement les limites d’une portion textuelle :

- Attiser la curiosité et le goût du comparatisme en faisant relever le retour de mots qui semblent s’attirer dans des contextes similaires. Ainsi " peur ", " terrible ", " ténèbres ", " ombre ", mais aussi " lumière " ou " songe ", par dérivation métonymique depuis la localisation du moi dans la nuit
- Passer en revue nombre d’extraits de Classiques, en notant les variations sémantiques des mots-vedettes en fonction de données culturelles (doxa, critères esthétiques) ; et comprendre comment celles-ci influent précisément sur le sens des segments étudiés, afin de ne pas se limiter à une agréable promenade littéraire.
Par exemple, une nuit amoureuse différera selon qu’elle se trouve relatée dans une conversation épistolaire, ou dans un roman cultivant le goût du frisson.

Face à la gageure qui consistait à répondre à la question : que faire devant la quantité de segments textuels hétérogènes fournis par la machine ? l’étude collective qui a été menée a au moins eu le bienfait de chasser l’idée reçue de la facilité, certains élèves croyant que l’assistance par ordinateur fournirait de façon nécessaire & suffisante une information pertinente et définitive…

Si les programmes de l'enseignement secondaire font de plus en plus appel aux interrogations de bases de données dans l'optique de l’autonomie, c’est-à-dire d’apprendre par soi-même à trouver l'information, encore faut-il insister sur le fait que celle-ci demande à être interprétée lorsqu'elle est extraite de textes - d’autant plus que ceux-ci sont appréhendés de façon fragmentaire. N’est-ce pas là une des tâches qui mériterait d’être dévolue à des séquences horaires structurées, plutôt qu’à quelques heures sporadiques de français ?