Chronique 1

 

C’était en réfléchissant sur le rôle du shinaï dans l’histoire du sabre que nous avons développé la réflexion sur la méthode du Karaté. Rappelons que Yagyû Munenori et Miyamoto Musashi ont tous deux pratiqué le zen, qui a imprégné leur art du sabre. Est-ce que le zen est un passage obligatoire pour atteindre au sommet de l’art du sabre ? Hirayama Gyôzô (1759-1828) est un maître de sabre qui a atteint le plus haut sommet du sabre sans avoir recours au zen. Cependant, selon Ômori Sôgen (maître de zen et de sabre), le sabre de Hirayama Gyôzô concorde parfaitement avec la recherche du zen.

Un jour, un de ses amis lui rendit visite et lui dit:  " Pour défendre mon honneur, je dois me battre maintenant contre quatre guerriers. J’ai confiance dans mon sabre, mais contre quatre ennemis, je ne suis pas sûr de remporter la victoire. En tout cas, même si je gagne, je ne pense pas survivre en tuant quatre hommes. Ainsi je vais quitter cette vie dans peu de temps, je suis venu te dire adieu ". C’était aussi une manière indirecte de demander une aide pour son combat, ce que compris le jeune Hirayama Gyôzô. Il répondit "  J'aimerai combattre pour toi. Mais je ne peux pas en décider seul puisque je suis le seul garçon de la famille. "

Après le départ de son ami, lorsque sa mère rentra, Gyôzô lui raconta ce qui s’était passé. Sa mère dit: " N’as-tu pas honte ? Ton ami se bat pour son honneur de samouraï. Si tu le laisses se battre seul, comment peux-tu conserver ta dignité de samouraï ? Tu n’as pas besoin de te préoccuper de la continuité de la famille. Va rejoindre ton ami tout de suite et bats-toi à fond pour établir ton honneur. " Gyôzô partit immédiatement, mais lorsqu’il arriva sur le lieu du duel son ami avait déjà tué ses quatre adversaires et était lui-même gravement blessé. Il s’apprêtait à se donner le mort par seppuku. Il dit, en apercevant Gyôzô: "  Merci d’être venu. Je serais heureux d’accomplir ma mort avec ton aide. " Lorsque son ami affectua le seppuku, Gyôzô l’aida à mourir en lui tranchant la tête. Comme le laisse penser cette anecdote, Hirayama Gyôzô reçut dès son enfance une éducation sévère de guerrier, tant morale que martiale. Il naquit dans une famille de clan Igamono, originaire d’Iga et situé au bas de la hiérarchie des guerriers du Shôgun. Malgré son rang, ce clan bénéficiait d’une considération particulière depuis la fondation du Shôgunat de Tokugawa, ceci depuis 1583 où, au cours d’une attaque ennemie, un groupe de guerriers originaires de la région de Iga avait sauvé et escorté avec efficacité Tokugawa Ieyasu, le premier Shôgun d’Edo. Les guerriers de ce clan pratiquaient des techniques traditionnelles particulières et formaient un des deux groupes de ninja, experts en Ninjutsu, dont les activités clandestines ont eu un rôle stratégique durant la longue période de guerres féodales au Japon. C’est pourquoi, lorsqu’on parle d’Igamono, on l’associe spontanément au ninja. Toutefois, la réalité historique du Ninjutsu ne correspond pas tout à fait à son image actuelle.

Le ninja était un spécialiste du shinobi, acte de se dissimuler, qui constituait une des 18 disciplines des guerriers japonais. La technique de dissimulation est basée sur une rupture dans l’expression du Ki. En effet, le ki d’une personne transparaît dans ses mouvements habituels. En combat de sabre, un guerrier cherche à accabler son adversaire par son ki offensif, il s’agit alors d’une expression expansive et agressive du ki (Kizemé). Mais lorsqu’il attaque, il doit dissimuler le démarrage du mouvement, ce qui implique un effacement du mouvement du ki (Kehaï) au moment du jaillissement du geste technique. Par la pratique des arts martiaux, un guerrier s’exerçait à ces deux formes de maîtrise du ki. Socialement, il devait apprendre à être discret, à effacer son existence; il devait apprendre à être absent même s’il était physiquement présent; il s’agissait alors d’effacer son ki. Il ne devait déranger son Seigneur ni par sa présence, ni par ses actes, ceci d’autant que dans les maisons japonaises, les cloisons sont en papier et bois léger, laissant passer les sons. Le service du seigneur et la cohabitation avec d’autres guerriers aux fonctions et aux positions hiérarchiques différenciées nécessitaient un mode particulier de discrétion. Marcher sans faire de bruit, être présent comme une pierre sans faire ressentir votre présence, entendre des choses sans être aperçu... Les ninjas étaient ceux qui avaient spécialement approfondi la technique d’effacement du ki dans leurs actes et, par là, développé une habileté exceptionnelle pour l’espionnage. Mais il faut comprendre que l’effacement du ki faisait partie de l’éducation des guerriers en général. L’austérité de l’art de Hirayama Gyôzô doit être mise en relation avec l’éducation donnée dans le clan Igamono. Hirayama Gyôzô a toujours vécu conformément à son éducation ascétique de guerrier. Ainsi, hiver comme été, il dormait directement sur le parquet. En hiver, il se couvrait uniquement d’une mince couverture de coton. Ses repas étaient frugaux: du riz complet avec de la pâte de soja et de la salade; il ne prenait ni thé ni soupe durant le repas, il buvait seulement de l’eau après le repas. Il se levait tous les jours à 4 heures du matin, se lavait à l’eau froide pour se purifier afin de saluer les âmes de ses ancêtres, puis il s’exerçait 400 fois à la frappe dans le vide (suburi) avec une énorme massue de 2,25 mètres, 300 fois au laï, au tir à l’arc, au fusil, à la lance, enfin à l’équitation. Ses exercices matinaux étaient tellement ponctuels que ses voisins le surnommaient " l’horloge Hirayama de 4 heures "; à partir de 4 heures du matin, le temps consacré à chacune des disciplines rythmait avec exactitude la mâtiné. Après ses exercices matinaux, il se consacrait à la lecture dans divers domaines, avec une préférence pour les ouvrages sur les arts martiaux et la stratégie. Sa façon de lire était particulière: face à une table basse où il posait ses livres, il s’asseyait directement sur les talons, sur une épaisse planche de chêne carrée (60x60 cm). Durant le temps de ses lectures, il donnait des coups de poing de chaque main sur cette planche. Ses poings étaient couverts de cals, il disait qu’il était capable de briser la poitrine de l’adversaire quand il devait se battre au corps à corps. Il était capable d’écraser une châtaigne dans sa gangue hérissée. Citons quelques anecdotes qui nous donnent l’idée de l’esprit avec lequel ce guerrier suivait sa voie ...