Une secte s'affiche à La Scala, les élus parisiens entrent en scène

Le rachat de l'ex-cinéma porno mobilise socialistes et RPR.

 

Par DANIEL LICHT

Le lundi 21 février 2000

Dans un an, il y a les municipales, il faut que les habitants de l'arrondissement se sentent protégés."Tony Dreyfus, maire PS du Xème à Paris.

Samedi à 11 heures, les giboulées glacées avaient laissé une embellie à un demi-millier de personnes manifestant à l'appel du maire de l'arrondissement devant l'ex-cinéma porno La Scala, 10, boulevard de Strasbourg dans le Xèmecontre l'installation de la secte Eglise universelle du royaume de Dieu. Une manifestation qui fleurait la récupération préélectorale, puisque, de Bertrand Delanoë à Tony Dreyfus, le PS était massivement présent. Le RPR aussi, avec les envoyés de Jean Tiberi qui distribuaient des tracts assurant que l'Hôtel de Ville allait prendre une décision dès aujourd'hui pour interrompre le projet d'installation. "En vain", selon Maurice Tinchant, producteur de cinéma qui avait prévenu la mairie dès octobre 1999. "Avec les 60 millions de francs de l'opération Grands Boulevards, la ville aurait pu racheter. Maintenant, c'est un peu tard, puisque la secte est propriétaire des murs et a ses bureaux dans l'immeuble." Renvoyant dos à dos tous les élus à cause de leur inefficacité, il annonce prochainement une manifestation du même type avec les professionnels du cinéma.

Titre et dîme. Fondée en 1977 par un ancien employé de la loterie brésilienne, Edir Macedo - qui s'affuble aujourd'hui du titre d'évêque -, la secte surfe sur la vague pentecôtiste, promettant à tous ses adeptes "la guérison divine, vérifiée dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau Testament". Le tout s'accompagne de l'exigence d'une dîme. Lucrative. Accusé de charlatanisme au Brésil, Edir Macado vit aux Etats-Unis où il fait fructifier les quelque 5 milliards de francs que rapportent les 800 000 exemplaires d'un hebdomadaire, une chaîne de télévision et plusieurs stations de radio. En France, quelques milliers d'adeptes fréquentent son siège actuel, boulevard Saint-Martin.

La secte s'est implantée dans le Xème dans la plus grande discrétion en 1993. Aujourd'hui, Tony Dreyfus a décidé d'en faire un enjeu de politique d'arrondissement. "Dans un an, il y a les municipales, il faut que les habitants de l'arrondissement sachent qu'ils sont protégés. Cette secte abuse des plus faibles, c'est donc un danger. Il n'y a pas à discuter, nous avons un sujet porteur, nous n'allons pas le lâcher... Les sectes, tout le monde est contre car aucune famille n'est à l'abri", constate le député-maire de l'arrondissement.

Aux alentours de La Scala, la nouvelle du rachat du prestigieux music-hall de la Belle Epoque et des années folles n'apparaît pas comme une urgence chez les commerçants, pas plus que la manifestation. Seule la pharmacie avait affiché l'appel à manifester et encore, la propriétaire précisait que le sujet ne l'intéressait "pas spécialement".

Cotisation. Le cafetier voisin, portugais d'origine, a bel et bien participé à des réunions de commerçants pour débattre de la question. A la veille de la manifestation, il expliquait à la cantonade que, chez lui au Portugal, "les habitants de Porto ont cotisé pour racheter à la secte un théâtre qu'elle avait acquis. Cela n'a rien d'une Eglise. Tout ce qu'ils veulent, c'est ramasser le pognon des gens". Il ferait bien sûr partie de la centaine de manifestants sur lesquels tablait Tony Dreyfus, fort du soutien de la Confédération des anciens combattants du quartier, ainsi que des Amis du passage du Prado et de la porte Saint-Denis. Interrogée par Libération, la secte a refusé de répondre.

Pour l'heure, les travaux ont été interrompus sur ordre de l'Hôtel de Ville, faute des autorisations nécessaires. Tony Dreyfus compte maintenant sur cette manifestation pour convaincre Jean Tiberi d'envisager le rachat pour un "projet culturel". Dans un récent communiqué, Jean Tiberi a annoncé la création d'une cellule de veille et d'information sur les sectes.