La Ducasse de Mons, le dimanche de la Trinité.

Introduction

A l'origine, il s'agissait d'un jeu processionnel exécuté par la Confrérie de Dieu et de Monseigneur Saint Georges lors de la procession. Cette confrérie, fondée au XIVème siècle (en 1380), était composée de personnes issues de la noblesse et de la bourgeoisie, et était mixte. Ses membres, par leurs statuts, devaient organiser certaines activités en l'honneur de leur saint patron afin de maintenir son culte. Ainsi, ils devaient fêter saint Georges le vingt-trois avril en organisant un banquet réservé au seuls membres de la confrérie. Ils devaient aussi assister à la procession de la Trinité où ils accompagnaient la "fierte" Saint-Georges. La première mention du jeu processionnel apparaît dans les comptes de la confrérie mais le plus ancien de ces comptes date de 1502. Ce combat s'inspire des mystères médiévaux qui avaient pour fonction de représenter la vie et les actions d'un saint et dont des représentations furent données par la confrérie en l'honneur de son saint patron.

En 1723, un changement s'opère dans le jeu processionnel. En effet, ce n'est plus saint Georges qui combat le dragon mais bien le chevalier Gilles de Chin. D'après la légende, ce chevalier aurait terrassé un dragon qui avait son repaire dans les marais de Wasmes, non loin de Mons. Selon Paul Heupgen, l'apparition de Gilles de Chin dans le combat du lumeçon serait l'œuvre d'un érudit du XVIIIème siècle, Gilles-Joseph de Boussu. En effet, en 1724, cet historien a reçu un subside de la ville de Mons pour avoir écrit un ouvrage sur l'histoire de la ville. Il s'agit de l'ouvrage intitulé Histoire de la ville de Mons, Ancienne et Nouvelle.
A cette époque, la direction de la confrérie Saint-Georges (et donc l'organisation du jeu processionnel) est aux mains d'un Magistrat depuis un peu plus d'un siècle. Il est donc possible que la substitution de saint Georges par Gilles de Chin soit issu de la volonté d'un " érudit " à déplacer les valeurs chevaleresques et religieuses véhiculées par saint Georges vers des valeurs civiles qui seraient alors défendues par Gilles de Chin. Il faut cependant préciser qu'aujourd'hui, c'est saint Georges qui détient cette fonction de héros civilisateur et non plus Gilles de Chin. Cependant, le remplacement de saint Georges par Gilles de Chin peut également être dû à l'influence de la tradition populaire. En effet, nous savons que la légende existait déjà au XVIème siècle et qu'elle est probablement antécédente à cette date. En deux siècles, elle avait eu tout le temps d'être véhiculée au sein de la population montoise. Celle-ci peut dès lors s'être sentie plus proche d'un héros issu de la région que d'un saint et avoir ainsi favorisé la substitution.

A deux reprises le combat du lumeçon fut interdit: d'abord en 1786 par l'empereur Joseph II qui avait établi un édit visant à restreindre les fêtes traditionnelles, ensuite en 1789 par l'administration républicaine qui s'était mise en place suite à la Révolution française. En 1786, seul le combat avait été interdit mais rien ne permet d'affirmer que cette interdiction fût respectée. Le combat réapparaît en 1787 ainsi qu'en 1793 et en 1794, mais on ne parle pas de la procession. Après cela, il n'aurait pas eu lieu avant 1803, année de la reprise de la procession et donc certainement du combat rituel qui en faisait partie. C'est dans le texte de 1786 interdisant le combat qu'apparaît pour la première fois le terme lumeçon pour désigner le combat opposant le dragon et, à l'époque, Gilles de Chin.

En 1819, le jeu est déplacé de la procession à la Grand-place où il se déroule encore aujourd'hui. Cette séparation dû se faire sous la pression du clergé qui n'acceptait plus la présence d'un jeu mettant en scène des personnages issu des traditions populaires dans une procession religieuse.

Jusqu'à la première guerre mondiale, le rituel est méprisé par les intellectuels et par la bourgeoisie montoise qui n'y voient que du "folklore". Pourtant, si ce sont les Montois appartenant aux couches sociales moins favorisées qui sont les acteurs du combat, les notables faisaient partie des spectateurs. Le public avait cependant un comportement beaucoup plus passif que celui qu'on peut observer aujourd'hui.

Dès la fin de la première guerre, c'est toute la population qui participe au combat. Les Montois ne se cantonnent alors plus à un rôle de spectateur et deviennent d'une certaine façon eux aussi des acteurs. Ce revirement de la part de la bourgeoisie et cette nouvelle participation pourraient être dus à l'état d'esprit qui devait régner juste après la guerre. Effectivement, après les épreuves et les privations encourues par la population durant les quatre années de guerre, il est probable que cette même population ait ressenti le besoin d'affirmer son unité en se réunissant autour d'un élément qui pouvait marquer l'identité locale. Le combat entre saint Georges (ou Gilles de Chin) et le dragon représentant justement la victoire du Bien sur le Mal, de la ville contre ses ennemis, il n'est pas impossible qu'il ait été "récupéré" par la population montoise pour affirmer sa liberté retrouvée et qu'ainsi les habitants aient tous voulu participer au combat de manière plus active et généralisée. Cette hypothèse pourrait constituer le cadre d'une enquête auprès des personnes âgées de la ville afin de vérifier si elle est justifiée ou non.

Dans l'entre-deux-guerres, le déroulement du combat est plus régularisé, suite aux codifications effectuées en 1914 par le secrétaire communal de la ville, G. Talaupe, qui donne ainsi au jeu rituel une certaine stabilité qu'il avait quelque peu perdue au cour du XIXème siècle. Cependant, l'interaction entre les acteurs et le public devient de plus en plus physique et violente. Après la deuxième guerre mondiale, les différents rôles sont tenus par des représentants du quart-monde qui voient dans le jeu la possibilité de s'exprimer et de se défouler... Le scénario n'est plus respecté, certains acteurs arrivent dans l'arène complètement ivres et ne portant pas la tenue appropriée. L'interaction avec la foule se trouvant à la corde atteint un haut degré de violence. De plus, des spectateurs qui ne sont pas montois et de nouveaux résidents ne connaissent pas les règles du jeu et amplifient cette violence, aidés en cela par des spectateurs de nature plus "bagarreuse". L'arène est régulièrement envahie par le public avant la fin du combat rituel et la queue du dragon est brisée plus d'une fois.

Dans les années septante, à l'instigation de G. Raepers, avocat à Mons, de nouvelles règles sont instaurées d'une part pour codifier les actions des acteurs et d'autre part, pour régulariser le comportement des spectateurs se trouvant à la corde. Ces règles sont toujours respectées de nos jours et, si la violence est toujours très présente dans le rituel, que ce soit entre acteurs (puisqu'il s'agit de la représentation d'un combat) ou dans l'interaction avec le public, il s'agit d'un élément qui a été intégré au jeu. Le public doit donc respecter cette nouvelle codification s'il veut que le combat puisse encore avoir lieu. Ceci rejoint ce qu'écrivait Johan Huizinga dans son essai sur le jeu :
" Tout jeu a ses règles. Elles déterminent ce qui aura force de loi dans le cadre du monde temporaire tracé par le jeu.(...) Aussitôt que les règles sont violées, l'univers du jeu s'écroule. Il n'y a plus de jeu.".
(Avec l'aimable autorisation de l'auteur : Christine Eloy 1996)

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