Mort en stock

 

Discours prononcé le 3 mai 1980 par Claude Ropartz,

président de l'Association pour le Développement de la Transfusion Sanguine (ADTS),

directeur du Centre Régional de Transfusion Sanguine de Rouen Boisguillaume,

devant les donneurs de sang réunis à Lisieux pour le

XXIIème CONGRES DE LA

FEDERATION FRANCAISE DES DONNEURS DE SANG BENEVOLES

en présence de Jacques Barrot, alors Ministre de la Santé

Prononcé par un homme du sérail, visionnaire ou de simple bon sens, ce discours est resté dans bien des mémoires. Pourtant, 5 ans avant le discours d'Edmond Hervé sur le même sujet (1), il faisait le point sur une situation qui peut expliquer les causes structurelles du drame des contaminations. C'est seulement plus de 10 ans après qu'un autre ministre de la santé, Bernard Kouchner, pourra enfin lancer une réforme de la transfusion.

Voici des extraits de ce discours prononcé il y a déjà plus de 20 ans à Lisieux :

 

" Une Transfusion Sanguine féodale avec ses zones de chasse, ses guerres de frontières qui, la plupart du temps ne s'éteignent que par un arrêté préfectoral.

Une structure où chaque responsable de Transfusion est heureux d'être devenu un notable. [...] C'est surtout une structure transfusionnelle et non un système. Il n'existe pas de système transfusionnel français, car l'on note une absence totale de politique générale, c'est-à-dire d'une direction, et une absence réelle de systèmes de régulation. L'on cherche en vain, depuis des années, un organisme capable de savoir ce qui a été produit, ce qui a été consommé, ce qui devra être récolté et être fabriqué ; un organisme pouvant faire des prévisions. C'est une structure figée dans sa conception, ne pouvant plus et ne désirant pas évoluer. Lorsque l'on cherche la cause de ce refus, on trouve toujours la peur de chacun de nos responsables, de chacun de ces notables, de voir disparaître les privilèges peut-être difficilement acquis ".

" C'est une structure obéissant à une logique vieille de 20 ou 30 ans où, responsables et Tutelle, abrités par différents monopoles, continuent à embellir une construction adaptée aux années 1960 ".

" Il y a quelques minutes, j'ai entendu, tout comme vous, le Président de l'Association française des hémophiles, réclamer une rénovation du réseau transfusionnel, espérer une couverture totale des besoins car, le malade, ce troisième homme, lui aussi, n'a pas désiré rester seul isolé ".

" En revanche, je constate, malgré de très nombreux efforts, nous, responsables de la Transfusion Sanguine, n'avons jamais réussi à avoir une politique commune, des objectifs admis par tous. Je constate que, malgré de nombreuses tentatives, aucune de nos associations ou de nos fédérations n'existe en réalité. Les quelques groupements qui ont pu voir le jour ne sont que des sigles de papier, mais les petits et grands seigneurs, les ducs, les comtes et le Prince de Paris régissent toujours notre vie quotidienne : leur vérité doit être notre vérité ".

" Je constate que nous, responsables de la Transfusion Sanguine, n'acceptons que très difficilement d'écouter le malade, de comprendre ses désirs profonds, que jusqu'alors, nous ne l'avons considéré que comme un objet qu'il fallait guérir, qu'il fallait transfuser en toute sécurité, mais que ses plaintes humaines ou son inconfort de vivant ne nous intéressaient point et, même peut-être, nous importunaient ".

" Vos services, Monsieur le Ministre, nous apprennent qu'en 1978 ont été prélevées 4.200.000 unités de sang, mais s'étonnent de ne pas retrouver la trace de 1.200.000 unités qui, jamais, n'ont été transfusées ".

" Et, durant ce temps, d'une façon licite ou illicite, sont consommés des produits étrangers : ce ne sont pas uniquement les dérivés pour les Hémophiles, mais c'est de l'albumine humaine, ce sont des immunoglobulines, ce sont des réactifs, tous provenant des sociétés commerciales qui, pour une qualité au moins égale, proposent des prix très nettement inférieurs ".

 

Jacques Barrot allait, quelques mois plus tard, passer la main à un autre ministre de la santé. Dans le même temps, le SIDA commençait à se propager. Les Etats-Unis et, plus près de nous l'Allemagne, commençaient à le décrire (1981).

De changements de gouvernement en changements de ministre de la santé, l'organisation transfusionnelle française décrite par un de ses patrons était encore la même quand la décision de laisser de la mort en stock fut prise le 29 mai 1985 (2).

Sommaire

 

 Vos réactions