Elanore resta un instant silencieuse avant de reprendre la parole. "Au début, je n'ai pas compris ce que voulait dire Celeborn quand il a fait ses adieux au Roi. Mais je crois que je comprends maintenant. Il savait que Dame Arwen resterait, mais que Galadriel le quitterait(5). Je pense que c'était très triste pour lui. Et pour toi, cher papa-Sam." Sa main tâtonna à la recherche de la patte brune de Sam, qui serra ses doigts fins. "Car ton trésor est parti lui aussi. Je suis heureuse que Frodon de l'Anneau m'ait vue, mais j'aimerais pouvoir me rappeler l'avoir vu.
- C'était triste, Elanorellë, dit Sam, embrassant ses cheveux. Ca l'était, mais ce ne l'est plus désormais. Pourquoi ? Et bien, d'une part, M. Frodon est parti là où la lumière elfique ne faiblit pas; et il a mérité sa récompense. Mais j'ai eu la mienne également. J'ai reçu de grands trésors. Je suis un hobbit très riche. Et il y a une autre raison que je te chuchoterai, un secret que je n'ai jamais dit à quiconque auparavant, ni encore inscrit dans le Livre. Avant de partir, M. Frodon a dit que mon heure pourrait venir. Je peux attendre. Je crois que, peut-être, nous ne nous sommes pas dit adieu pour de bon. Mais je peux attendre. J'ai au moins appris ça des Elfes, en tout cas. Le temps, ça ne les tracasse pas. Ainsi, je pense que Celebom est toujours heureux parmi ses arbres, d'une façon elfique. Son heure n'est pas venue, et il n'est pas encore fatigué de son pays. Quand il le sera, il pourra s'en aller.
- Et quand tu seras fatigué, tu partiras, papa-Sam. Tu partiras aux Havres avec les Elfes. Alors, je partirai avec toi. Je ne me séparerai pas de toi, comme Arwen a quitté Elrond.
- Peut-être, peut-être, dit Sam en l'embrassant doucement. Et peut-être pas. Le choix de Lúthien et d'Arwen, ou quelque chose d'approchant, se présente à beaucoup; et il n'est pas sage de prendre sa décision avant l'heure.
"Et maintenant, ma petite chérie, je pense qu'il est temps de se mettre au lit, même pour une demoiselle de quinze printemps. Et j'ai quelque chose à dire à Maman Rose."
Elanore se leva et passa légèrement la main dans la chevelure brune et frisée de Sam, déjà mouchetée de gris. "Bonne nuit, papa-Sam. Mais...
- Je ne veux pas de bonne nuit, mais, dit Sam.
- Mais ne veux-tu pas me la montrer d'abord ? C'est ce que j'allais dire.
- Te montrer quoi, chérie ?
- La lettre du Roi, bien sûr. Tu l'as reçue il y a plus d'une semaine, à présent."
Sam s'assit. "Bonté divine ! dit-il. Comme les histoires se répètent ! On vous rend la monnaie de votre pièce, et tout ça. Comme nous avons espionné le pauvre M. Frodon ! Et maintenant, les nôtres nous espionnent, sans intentions plus mauvaises que celles que nous avions, j'espère. Mais comment es-tu au courant ?
- Il n'y avait pas besoin d'espionner, dit Elanore. Si tu voulais la garder secrète, tu n'as pas été assez prudent. Elle est arrivée par le courrier du Quartier du Sud, tôt mercredi de la semaine dernière. Je t'ai vu la rapporter. Toute enveloppée de soie blanche et scellée par de grands cachets noirs : il suffisait d'avoir entendu le Livre pour deviner immédiatement qu'elle venait du Roi. Est-ce de bonnes nouvelles ? Ne veux-tu pas me la montrer, papa-Sam ?
- Eh bien, puisque tu en sais tant, il vaut mieux que tu apprennes le reste, dit Sam. Mais pas de conspiration, désormais. Si je te la montre, tu passes du côté des adultes et tu dois jouer le jeu. Je le dirai aux autres en temps utile. Le Roi arrive.
- Il vient ici ? s'écria Elanore. A Cul-de-Sac ?
- Non, chérie, dit Sam. Mais il revient dans le nord, ce qu'il n'a pas fait depuis que tu étais petiote. Mais maintenant sa maison est prête. Il n'ira pas dans la Comté, parce qu'il a ordonné que le pays soit fermé aux Grandes Gens, et qu'aucun d'entre eux n'y pénètre après ces Bandits(6); et il ne dérogera pas à sa propre règle. Mais il chevauchera jusqu'au Pont. Et il a envoyé une invitation très spéciale pour chacun de nous, à chacun par son nom."
Sam alla à un tiroir, le déverrouilla, en tira un rouleau dont il fit glisser l'étui. Le parchemin était écrit sur deux colonnes avec de belles lettres argentées sur fond noir. Il le déroula et posa une bougie à côté sur le bureau, afin qu'Elanore puisse le voir.
"Comme c'est beau ! s'écria-t-elle. Je peux lire le Langage Ordinaire, mais que dit l'autre côté ? Je crois que c'est de l'Elfique, mais tu m'en as encore appris si peu de mots.
- Oui, c'est écrit dans un genre d'Elfique qu'utilisent les grandes gens de Gondor, confirma Sam. Je l'ai déchiffré, assez au moins pour être sûr qu'il dit en gros la même chose, sauf qu'il traduit tous nos noms en Elfique. Le tien est le même des deux côtés, Elanore, parce que ton nom est elfique. Mais Frodon devient Iorhael, et Rose devient Meril, et Merry devient Gelir, et Pippin devient Cordof et Tête d'Or devient Glorfinniel, et Hamfast devient Baravorn, et Daisy devient Eirien. Et maintenant, tu sais. |