Liberté - Responsabilité - Civisme 

 Contribution : Jacques Rougeot (Président de l'UNI)

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SERVICE PUBLIC OU SERVICE DU PUBLIC ?

 

Si l'on veut que le "débat démocratique", invoqué à tout propos, soit autre chose qu'une formule creuse, ou plus simplement si l'on veut que les Français puissent Abattons les monopoles publicss'entendre, se comprendre et s'accorder, il faudrait commencer par employer les mots et expressions de notre langue dans leur véritable sens. On est assez loin du compte, surtout dans le domaine politique, où les mots sont le plus souvent employés non pas en fonction de leur sens, mais en fonction de l'effet qu'ils peuvent avoir, et plus particulièrement de l'impression qu'ils peuvent produire sur la sensibilité et sur l'inconscient.

Les exemples sont nombreux. Considérons aujourd'hui le cas du "service public", qui tient souvent la vedette dans les commentaires sur l'actualité. L'expression est fort bien choisie. Peu de gens seraient capables de la définir, mais l'impression générale est franchement favorable. Les "services publics" sont perçus comme devant fournir aux populations les choses les plus nécessaires à la vie. Les deux mots évoquent une idée de dévouement, de consécration à une cause supérieure et ils s'opposent aux "intérêts privés", toujours égoïstes et souvent même louches. Depuis quelque temps, le modèle du "service public" a même été affiné sous la forme du "service public à la française". L'expression peut être considérée comme un salut discret adressé au retour en faveur de l'idée nationale, mais elle exprime sans doute, plus prosaïquement, une revendication du droit imprescriptible de dormir tranquille : que des étrangers un peu frustes croient encore aux valeurs du travail, de l'organisation et de la concurrence, grand bien leur fasse, mais qu'ils ne viennent pas polluer notre "culture" (autre choc chic), qui repose sur le maintien pour l'éternité des sacro-saints "droits acquis", que seules les mauvaises langues appellent des privilèges et que les "travailleurs" qui en bénéficient défendent au prix de luttes quasi héroïques.

Telle est la vérité officielle - enluminure pieuse et langue de bois - qui nous est présentée par les médias. La vérité toute nue est quelque peu différente. D'abord, le contenu même de l'expression est bien difficile à préciser. Si les services publics ont pour fonction de pourvoir aux besoins essentiels de la population, il faut y inclure au plus vite tout le secteur de l'alimentation - agriculture, industrie, commerce - depuis les exploitations agricoles jusqu'aux boucheries et aux boulangeries, en passant par les usines de conserves et de surgelés. A l'inverse, pourquoi les transports par le rail relèveraient-ils plus du service public que les transports routiers ? Il est même des cas où l'usage de l'expression relève de la pure et simple imposture linguistique : en quoi les stations de France 2, France 3 ou France-Inter, présentées comme relevant du "service public" répondent-elles à des besoins plus essentiels que TF1 ou RTL ? Il est clair qu'il n'est licite de parler ici que de secteur public. Mais, bien entendu, l'impropriété est volontaire et le choix des mots n'a rien d'innocent.

Ainsi, de glissements en confusions, le terme de service public s'applique en fait à des activités étatisées, de préférence en situation de monopole et qui touchent une grande partie de la population. Il peut dès lors se prêter à toutes sortes de déviations. En inscrivant à leur programme de 1981 la volonté de créer "un grand service public, unifié et laïc" de l'éducation, les socialistes jouaient sur l'ambiguïté. Que l'éducation soit, au sens large, un service public, c'est-à-dire un service que la nation doit assurer à tous ses enfants, c'est ce qui paraît naturel à beaucoup. Que ce service, pour être vraiment public, doive être entièrement étatisé, c'est la conclusion à laquelle les socialistes voulaient amener une majorité de Français. Mais le morceau était trop gros, le sujet trop sensible et la manoeuvre a échoué.

Nous sommes sans doute arrivés aujourd'hui au terme du processus de déformation. En effet, la défense du service public est devenue, au-dessus de toutes autres considérations, une mission sacro-sainte qui justifie toutes les actions faites en son nom (grèves, occupations, blocages, prises d'otages) et qui réduit au silence tous ceux qui seraient tentés de présenter des objections. Les usagers, en particulier, qui croiraient naïvement que les services publics sont au service du public, sont sévèrement renvoyés à leur devoir de réserve et sont priés de ne pas essayer de faire prévaloir leurs petits intérêts particuliers et égoïstes sur la défense d'un principe essentiel et transcendant. Ils sont même sommés de se déclarer solidaires de ceux qui, par pur dévouement à une cause supérieure, font tout ce qu'ils peuvent pour leur rendre la vie aussi pénible que possible. Ce qui permet de porter le système à sa perfection, c'est que les fidèles serviteurs du service public, qui disposent de la stabilité de l'emploi, peuvent exercer à répétition et en toute sécurité leur droit de grève et de blocage. Ainsi peut-on définir le service public comme le secteur d'activité qui se retourne le plus facilement contre ceux au bénéfice duquel il a été en principe conçu.

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