Friedrich Hölderlin
 
                     VOIX DU PEUPLE
                            (seconde version)
 

Tu es la voix du peuple, ainsi l’ai-je cru jadis
   Dans la jeunesse sacrée ; oui, et je le dis encore !
      À notre sagesse indifférents
         Rugissent pourtant aussi les fleuves, et néanmoins,

Qui ne les aime ? et toujours m’émeuvent-ils
   Le cœur, je les entends au loin, qui décroissant,
      Qui pleins de pressentiments, non par mon chemin
         Mais plus sûrement vers la mer se hâter.

Car s’oubliant lui-même, par trop disposé à combler
   Le souhait des Dieux, prend-il trop volontiers,
      Ce qui est mortel, quand les yeux grand ouverts
         Il suit une fois sa propre voie,

Pour revenir dans le Tout le plus court chemin ; ainsi se précipite
   Le fleuve vers le bas, il cherche le repos, l’emporte,
      L’attire contre sa volonté, de
         Rocher en rocher, ce désemparé,

La merveilleuse nostalgie pour l’abîme ;
   Le débridé excite, et des peuples aussi
      Épris de la volupté de la mort, et de fières
         Cités, après avoir recherché le meilleur,

D’année en année poursuivant l’œuvre, ont
   Trouvé une fin sacrée ; la terre verdoie
      Et calmement gît face aux étoiles,
           Tel qu’en prière, jeté dans le sable,

Volontairement abandonné, l’art dès longtemps
   Face à ces inimitables-là ; lui-même,
      L’homme, de sa propre main brise, pour
         Honorer les Très-Hauts, son œuvre, l’artiste.

Pourtant, ceux-là n’accordant pas moins leurs faveurs aux hommes,
   Ils aiment en retour comme ils sont ainsi aimés,
      Et souvent ralentissent, afin que longtemps dans
         La lumière il s’éjouisse, le chemin des hommes.

Et, non seulement les jeunes aigles, les jette
   Hors du nid le père, de peur qu’ils ne
      Demeurent trop longtemps près de lui, nous chasse aussi avec
         Le juste aiguillon en avant le Seigneur.
 
 

Heureux sont-ils, ceux qui sont allés au repos
   Et tombés avant le temps, eux aussi, eux aussi
      Sacrifiés, tels que prémices
         À la moisson, ils ont trouvé leur part.

Sur le Xanthe s’étendait, au temps des Grecs, la cité,
   Mais à présent, telle que les plus grandes, qui là-bas se reposent,
      Est-elle, par un destin, de la lumière
         Sacrée du jour, retirée.

Ils périrent, non dans la mêlée ouverte,
   Mais de leurs propres mains. Terrifiante, de
      Ce qui advint là-bas, la merveilleuse
         Légende depuis l’Orient nous est parvenue.

Les excita la bonté de Brutus. Car,
   Comme s’éteignait l’incendie, s’offrit-il
      De les aider, bien qu’il sembla comme général
         Tenir le siège devant les portes.

Pourtant des remparts jetèrent-ils les messagers
   Qu’il envoyait. Plus vivace devint alors
      L’incendie, et ils se réjouirent, et leur
         Tendait la main Brutus

Et tous étaient hors d’eux. Une clameur
   S’éleva et un cri de joie. Alors dans la flamme se jettent
      Maris et femmes ; et des garçons se précipitent aussi
         Qui dans la mêlée, qui sur le glaive du père.

Il n’est pas conseillé de défier les héros. Dès longtemps
   Etait-ce pourtant préparé. Les pères aussi,
      Comme ils furent surpris, une fois, et
         Violemment par l’ennemi perse harcelés,

Embrasèrent, se saisissant des roseaux du fleuve
   Par lequel ils trouvèrent la liberté, la cité. Et maisons
      Et temples les prenait, vers l’Azur sacré
         S’envolant, et les hommes, la flamme.

Ainsi l’avaient entendu les enfants, et certes
   Sont bonnes les légendes, car une mémoire sont-
      Elles du Très-Haut, pourtant est-il aussi besoin
         De quelqu’un pour interpréter les sacrées.