LIBERATION jeudi 11 juillet 2002
Editorial
Un arbre florissant


Par Antoine de GAUDEMAR

Depuis vingt ans, on vivait sur une version des événements relativement simple : l'homme était né il y a quelques millions d'années quelque part à l'est de la vallée du Rift, grande barrière naturelle séparant l'Afrique orientale du reste du continent. Là, l'ancien primate s'était peu à peu redressé dans la savane jusqu'à se transformer en hominidé, tandis que ses cousins les plus proches, dans les forêts de l'autre côté du Rift, devenaient chimpanzés et bonobos. Cette théorie d'un tronc commun partagé en deux branches, formalisée par le paléontologue français Yves Coppens après sa découverte des restes de Lucy, prend avec la découverte de Toumaï un sacré coup de vieux : d'abord, parce que l'homme du Tchad serait au moins deux fois plus vieux que Lucy, ensuite parce que la découverte de Michel Brunet semble prouver la présence d'hominidés à l'ouest du Rift. Voilà qui promet de belles confrontations entre paléontologues. Voilà surtout qui relance le débat sur les origines de l'homme. Car plus on les cherche et plus elles s'avèrent complexes. Les découvertes amènent autant de nouvelles questions que de certitudes. Les chercheurs ont désormais face à eux une collection de crânes, représentant des dizaines de branches d'hominidés, alors que le profane ne connaît souvent que les deux plus récentes et les plus célèbres, Cro-Magnon et Neandertal. De quelle branche descendons-nous ? Est-ce que Toumaï est notre plus lointain ancêtre, qui deviendrait alors le premier homme ? N'est-il qu'un arrière-grand-oncle sans descendance ? L'extraordinaire découverte tchadienne confirme en tout cas le caractère florissant de notre arbre généalogique et remet en cause la théorie d'une évolution linéaire de l'espèce humaine. Elle va aussi sans nul doute provoquer chez les savants une floraison fiévreuse de nouvelles hypothèses. Plus indirectement, elle ne contraste que davantage avec notre inquiétant statut actuel : alors que la planète parvient à conserver une étonnante biodiversité, la famille humaine s'avère en fin de compte réduite aujourd'hui à une seule espèce. Une seule, et donc, comme le veut l'implacable loi de l'évolution, en voie de disparition...