Justement, celui-ci se trouve en Afrique, berceau de l'humanité, et aurait vécu autour de huit millions d'années… Toumaï (qui signifie «espoir de vie» en dialecte tchadien) pourrait-il alors être cet ancêtre commun? Dans son étude, Michel Brunet parle plutôt de proximité, mais assure qu'il ne ressemble à rien de connu: «Ni à un chimpanzé, ni à un gorille, ni à aucun des hominidés fossiles plus récents décrits à ce jour.» De quoi en faire «un nouveau genre et une nouvelle espèce».
Toumaï était sans doute petit (un peu plus de 1 mètre), avec une faible capacité cérébrale, mais de nombreux caractères propres (crâne, dents, émail) indiquent «sans ambiguïté, son appartenance au rameau humain». Etait-il bipède? Les chercheurs le laissent entendre sans être affirmatifs en l'absence d'autres fragments osseux.
Avec cette découverte, Michel Brunet remporte une victoire plus personnelle: les paléontologues, sans doute après le phénomène Lucy, ont longtemps privilégié l'est du continent africain (la région du Grand Rift). Lui, depuis deux décennies, s'échine à fouiller l'Afrique centrale. Après Abel, sa première grande exhumation en 1995 (un australopithèque de trois à quatre millions d'années), ce nouveau succès confirme le caractère panafricain du scénario des origines. Toumaï, lui, à défaut de s'imposer comme «l'ancêtre commun» tant recherché, apparaît temporairement comme «l'ancêtre de l'humanité». Une bien fragile célébrité pour un si long silence.
A tout seigneur, tout honneur. C'est en présence du président tchadien Idriss Déby, et devant l'ensemble des corps constitués du pays, que le plus ancien hominidé connu - six à sept millions d'années, deux fois plus vieux que la célèbre Lucy - a fait sa première apparition publique, mercredi 10 juillet à N'Djamena (Tchad). Une bien grande foule pour un petit crâne bosselé, modeste puzzle tenu en place par sa gangue de grès. Le fossile fait déjà la fierté d'un pays qui a longtemps défrayé la chronique, plus pour les conflits dont il était le théâtre que pour ses trésors paléontologiques.
"Le Tchad, berceau de l'humanité ?", s'interrogent des affiches placardées çà et là dans la capitale. La question risque de tarauder bon nombre de paléontologues qui, il y a quelques années encore, n'auraient pas parié une mandibule sur les chances de retrouver dans cette zone d'Afrique un fossile présentant le moindre intérêt pour l'histoire de l'humanité. Michel Brunet (université de Poitiers-CNRS), directeur de la mission paléoanthropologique franco-tchadienne, qui réunit des chercheurs des universités de Poitiers et de N'Djamena et du Centre national d'appui à la recherche (CNAR) tchadien, n'est pas mécontent de les détromper.
Sahelanthropus tchadensis, découvert le 19 juillet 2001 dans le désert du Djourab, une étendue brûlante érodée par le vent, à trois jours de piste au nord de N'Djamena, dont il publie avec ses collègues la première description dans la revue Nature, est bien une découverte de première grandeur. "Elle fera l'effet d'une bombe nucléaire dans le milieu de la paléoanthropologie", assure Dan Lieberman (Harvard University). Bernard Wood (Washington University) n'hésite pas à la placer au même niveau que celle du crâne de Taung, en 1924, en Afrique du Sud, lorsque Raymond Dart apporta une pièce décisive à l'appui de la thèse de l'origine africaine de l'humanité.
Michel Brunet mesure pleinement la portée de cette trouvaille. Mais, avant d'entrer dans ses détails et ses implications, il aime narrer, sur le ton du conteur, le long cheminement qui l'a conduit au Tchad, alors que la "fièvre de l'os" menait la plupart de ses confrères plus de 2.500 km plus à l'est, en Ethiopie, au Kenya et dans toute l'Afrique orientale, terre riche en fossiles. "Le point de départ, c'est l'Asie, en 1976, avec le ramapithèque, considéré à l'époque comme notre ancêtre", se souvient-il.
Las, après plusieurs saisons en Afghanistan puis au Pakistan, il faut se rendre à l'évidence : le ramapithèque n'est qu'un vulgaire pré-orang-outan. "Avec mon ami David Pilbeam, notre mot d'ordre a alors été : Go west." Mais où ? L'invasion de l'Afghanistan prouvait d'expérience qu'il fallait trouver un environnement géologiquement, mais aussi politiquement favorable. Le Tchad répondait à la première condition : Yves Coppens y avait déterré dans les années 1960 un crâne érodé prometteur, finalement plus jeune qu'espéré. Mais pas à la seconde, le conflit avec les forces libyennes au nord du 16e parallèle barrant l'accès aux zones les plus anciennes.
Ce fut donc le Cameroun. "Mais nous n'avons pas trouvé ce que nous cherchions, c'est-à-dire des singes." Cet échec se doublera d'un drame, avec la mort, au cours d'une mission, de son ami Abel Brillanceau en 1989. La "traversée du désert", comme il le dit lui-même, ne s'achèvera qu'en 1993, avec l'obtention d'un permis de fouille au Tchad, au nord du 16e parallèle. La première mission a lieu en 1994, et en 1995, son équipe décrit, déjà dans Nature, Australopithecus bahrelghazali, surnommé Abel. Vieux de 3 à 3,5 millions d'années, Abel fait aussitôt l'effet d'une bombe : personne ne s'attendait à ce qu'un australopithèque aussi ancien ait pu se trouver aussi loin à l'ouest.