Le Nocher

 
 
 

 
Tu trouveras ici,
Toute la vérité...
 Même si elle te déplaît!



 
 

 Tu voudrais savoir, par exemple, qui je suis,
ce que je fais dans la vie, où j'habite, quel est mon âge, mon sexe,
bref ce n'est pas la curiosité qui te fait défaut.
Je me trompe? Non, je sais!
Ça et d'autres choses encore. Non, laisse tomber...
Inutile de tenter de détourner la conversation....
Tu te demandes comment tu as pu te retrouver ici...
Tu as la mémoire courte,
je te l'ai dit; tu ne voulais pas venir à moi...
je suis venu à ta rencontre!


    Commençons donc par satisfaire ta curiosité. Tu te demandes quelle peut bien être mon allure.  Je suis assez fidèle à l'idée que tu te fais de moi, comme tu peux le constater. Oh, je vois: tu me trouves laid, maigre à faire peur...  La belle affaire! Mais qu'est-elle, la beauté, sinon une valeur toute relative? Vous-autres, mortels, ne dites-vous pas que «tous les goûts sont dans la nature»? D'ailleurs, puisque désormais tu prendras ma succession, tu verras bientôt, très bientôt que, avec les ans, ce que tu appelles pour l'heure ta beauté se flétrira à son tour. Quant à mon poids, comme  tu seras dorénavant sevré des plaisirs de la table, on en reparlera dans quatre ou cinq cents ans... Oui, je sais, ça te paraît long. Quand tu auras attendu aussi longtemps que moi ton successeur, ce que tu trouves aujourd'hui long te paraîtra une poussière dans l'infinité universelle.

    Enfin... Tu voudrais savoir ce que je fais. N'essaie pas de nier, je peux lire en ton âme plus facilement que tu peux  me voir. Au fait, es-tu  assuré que tes yeux ne te trompent pas?  De toute façon, pour répondre à cette question qui te brûle les lèvres, puisque je suis le Passeur d'âmes, je prends ce qui reste de vie en tout individu et l'emmène aux Enfers, en lui faisant traverser le Fleuve de l'Oubli. C'est d'ailleurs pour cette raison que mon royaume est sur une île, laquelle fait partie d'un archipel.

     Bon, ça y est, je constate que tu ne me crois pas. As-tu seulement une raison, une bonne, de douter? Ai-je l'air de badiner avec les choses de la vie et de la mort? N'ai-je pas une tête à avoir un chien? N'ai-je pas l'allure d'un insulaire? Celle d'un Passeur d'âmes? T'ai-je jamais menti?

    Qu'est-ce qui te permet de défier ma parole? Le Passeur d'âmes n'existe pas selon toi? Es-tu forcé de ne croire que ce que tes yeux te montrent? Tu crois en l'atome que tes yeux ne peuvent voir; tu crois au microbe, aux parfums délétères que dégagent les fleurs et pourtant si tu vois la fleur, tu n'en verras jamais le parfum; même chose pour la chair putride...  Tu acceptes l'existence d'un être suprême auquel vous autres humains donnez quantité de noms: Yahvé, Jéhovah, Dieu, Krishna, Ganesha, Déesse Mère, Grand Manitou, Allah, mais tu ne l'as jamais vu. Puisque tu crois aux puissances supérieures, pourquoi refuser d'autres puissances? Sincèrement, ta mauvaise foi me désespère.



 
    J'ai la charge de faire passer tes semblables, pour utiliser l'une de vos expressions, de vie à trépas. C'est pour ça qu'on m'appelle le Passeur d'âmes.  J'ai bien dit « tes semblables» parce que ce n'est pas ce que je te réserve. Ce serait même une forme d'immortalité...  jusqu'à ce que, à ton tour, tu en aies assez et, après avoir passé par millions les âmes, tu décides de passer ...le flambeau à un autre.

    Ne perds pas ton temps à essayer de t'en tirer autrement, mes prédécesseurs et moi avons tout essayé pour rompre notre contrat. Il n'y a qu'une façon, passer le flambeau. Bientôt, très bientôt, tu comprendras ce qui se cache derrière la devise du Passeur d'âmes.