(Publié au printemps 1994, c'est l'histoire d'un vieillard, le petit-fils de Tison-Ardent qui, confiné au foyer pour personnes âgées, attend des visiteurs qui ne viennent pas.)




Tison-Ardent est originellement paru aux
Éditions HUMANITAS à Montréal Québec (Canada).
Illustration de couverture: © Donald Leblanc
ISBN: 2-89396-094-4
Dépôt légal - 2e trimestre 1994
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
© Humanitas et Gervais Pomerleau




L'Essence d'un Peuple
* *
Pour Ginette,
mon complément direct,
ma première lectrice,
la plus impitoyable,
celle qui supporte
mes frustrations d'écrivailleur
en mal d'accouchement littéraire...

G. P.

"...Comme si, condamnée à ne rien chérir,
La vieillesse devait ne songer qu'à mourir."
-Molière
(L'École des Maris)



PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE - I -

    ...Vingt-deux novembre dix-neuf cent soixante-quinze, y est huit heures. Les jeunes sont pas venus. Pas donné le moindre signe de vie non plus; pas de téléphone, pas de visite... même affaire qu'à tous les jours. Même affaire qu'un chien qui attend que la fourrière vienne le ramasser; moi c'est le croque-mort que j'attends.
     De même, mes enfants pourront venir brailler sur ma tombe durant deux ou trois ans, deux fois par année. Au printemps pour réparer les dégâts du gel pis du dégel, pis à l'automne pour faucher le foin sus ma tête. Après ça, y m'oublieront comme y font depus qu'y m'ont envoyé icitte, v'là treize ans.
    Si y en aurait un, qui viendrait faire un tour de temps en temps, jaser, montrer qu'y se rappelle de son vieux père, qu'y se rappelle qu'y en a encore un, un père...
    C'est ma fête. Quatre-vingt-huit ans. Y a pas de danger que je reçoive une carte. "Le bonhomme sait pas lire, y a pas besoin de ça." C'est vrai que je sais pas lire, en seulement je sais quand même de quoi ç'a l'air, une carte de fête. Ça ferait ben manque plaisir. Mais ça coûte trop cher pour qu'y se collectent à leur dix-huit pour en acheter une. Ça reviendrait à proche trois cennes chaque, ça coûte quarante cennes. Ben que trop cher! Pas de danger non plus qu'y téléphonent; y restent tout' en dedans de cinq milles, mais c'est trop loin.
    Eux-autres, y s'ont rapprochés pour mieux me voir crever. Des vrais carcajous! Si j'aurais de l'argent, je dirais qu'y tiennent plus à l'héritage qu'au bonhomme. Même pas! J'ai pus une saprée cenne à moi, j'ai passé mon avoir pour les faire instruire. Y en a pas un qui a en bas d'une douzième année. Dans le temps, c'était pas les gouvernements qui payaient pis on avait pas l'instruction pour des prières. On avait pas d'instruction, nous-autres, c'est vrai, mais on avait de l'éducation.
    Si y sauraient c'est quoi d'être vieux pis de vivre tout seul comme un chien perdu, peut-être qu'y trouveraient ça moins drôle. Y seraient moins fantasses. C'est pas qu'y sont mauvais. Mais y savent pas de quoi qui retourne quand t'as poigné l'âge d'or; l'âge de la mort qu'y devraient dire, rapport que c'est l'âge où que tu te meurs d'ennui.
    Rien qu'une petite visite de temps en temps, pour prendre un thé avec un ou deux biscuits, dire c'est qui retourne dans leur vie, pas entendre c'est que je fais pour tuer le temps. Mais ça s'attrape la vieillesse, pis en plus, c'est mortel.
    Des fois je me dis "y vont venir, quelqu'un; sûr que Gilles passera pas la journée sans venir jouer sa partie de dames". Je reste sus ma faim. Personne. Même pour gagner en trichant.
    Je le sais qu'y aiment pas ça, icitte. Moi non plus, j'aime pas ça des grands murs blancs à regarder à coeur de jour, comme quand je restais dans la salle paroissiale quand la vue était finie. En seulement y a pas eu de vues. Y en a jamais. Aujourd'hui y mouille, par-dessus le marché. Y mouille comme vache-qui-pisse depuis trois jours. Avec mes rhumatisses, ben...
    Encore hier, la garde-malade est venue en m'entendant crier, elle pensait que j'étais mal-pris. "Certain que chus mal-pris, que j'y ai dit, avec ces rhumatisses-là". Elle s'est contentée de rire avec ses grands yeux de poisson en disant que c'était l'âge de ça. Si on en aurait un peu durant le reste de la vie, on souffrirait pas tant en vieillissant. T'as les cheveux blancs, c'est l'âge; ta vue baisse, t'as l'oreille dure, tes mains tremblent, t'as le dos rond, t'as une canne rapport que t'en a pas assez de tes deux jambes, t'as les rhumatisses, c'est l'âge. T'es un petit brin feluette, c'est encore l'âge. C'est toujours l'âge!
    À entendre les jeunes, c'est beau des cheveux blancs, mais si y sauraient de quoi c'est fait, y verraient que c'est dur à porter. Y pensent que c'est facile de rien faire quand t'as trimé dur toute ta vie, sans jamais attendre de repos.
    Quand ça veut se faire conter des histoires, ça dit "on va aller voir le vieux, y va nous conter ça, lui". Si y veulent des bas de laine, "on va demander ça à la vieille, y en a pas une pour tricoter comme elle dans tout le canton". Moi, j'en ai pus de vieille. J'en ai porté deusses en terre pis là, chus trop vieux, trop chiâleux pour m'accorder une autre fois.
    Des fois ça me tenterait, même si ça serait juste pour l'écouter mâcher son silence ou regarder passer le temps sus le jardin pis les fleurs. Parler avec elle, la faire rire, la voir pleurer sa jeunesse. Je le sais que chus pas le seul à m'ennuyer de même. On est onze qui sont fin seuls dans c'te prison-là. Les onze disent la même affaire. Si je serais aussi jeune que Philippe Néron, moi itou je jardinerais pis j'irais à la pêche, à la chasse. J'irais moi-même chercher mon tabac en feuille au village. En seulement lui, y a soixante-six ans.
    Aller chercher mon tabac au village? Chus même pus capable de le hacher. Pourtant, dans le temps, je passais pour un gars qui avait pas peur de l'ouvrage, qui abattait de la bonne besogne dans une journée d'homme.
    Encore chanceux qu'y a la cuisine commune, je crois que je serais pus capable de faire ma mangeaille. D'un autre bord, j'en aurais fini plus vite avec tous ces jonglages pis ces souleurs qui me chicotent. Dire que quand j'étais jeune, j'avais peur de mourir.
    Des fois je me demande si chus pas perdu sus une île déserte, au bout du monde. Jouer à la patience, c'est pas long que t'apprends à tricher. Tu t'écoeures à jouer trois-quatre heures par jour; ça vient que la patience tue pus le temps.
    Si les jeunes se regarderaient agir, y s'apercevraient qu'on a de quoi être radoteux, comme y disent. Si y penseraient au temps qu'on leur a donné sans compter, y seraient peut-être moins égoïstes du leur. Chus sûr qu'y a des fois qu'y se demandent quoi faire pour passer un dimanche après-midi.
    Si au moins y penseraient qu'y ont de quoi rendre un vieux heureux; tout ce que ça leur coûte, c'est le gaz à mettre dans le char. Si y viendraient rien que trois fois par année, ça leur ferait faire un petit tour de machine. Avec mes dix-huit enfants, ça me ferait quelqu'un à qui parler tous les dimanches après-midi. Ça serait déjà beau, un jour de moins à crever d'ennui. Y m'en resterait pus rien que six.
    J'en prendrais un à me préparer, pis un autre à remâcher ce qu'y m'ont dit quand y sont venus. De même, y m'en resterait rien que quatre à tuer. Quand je pense aux heures qu'on passait dans le temps à s'occuper de nos vieux parents. Dire qu'y avait pas une journée sans avoir de visite. Pis on les enfermait pas dans des cages en ciment en attendant qu'y crèvent.
    Dans le temps, y avait pas de maisons de vieux. On les gardait chez-nous. Y aidaient à faire la besogne. De même, y se sentaient pas de trop. Y avaient pas de quoi se ronger les sangs à cœur de jour à se rappeler leur jeunesse. Jamais on aurait eu la polissonnerie de les traiter de radoteux, ni de le penser. On se sauvait pas quand c'était le temps de s'en occuper. On les respectait, nous-autres, les commandements de Dieu.
    Les jeunes savent même pus c'est que ça veut dire honorer son père pis sa mère. Ça vaut la peine d'être instruits. C'est vrai qu'y savent pus c'est qui le bon Dieu. À pas aller à la messe, y savent pus c'est quoi Noël. Pour eux-autres, c'est la fête des cadeaux. Nous-autres, on savait que c'était la fête de l'amour.
    Y savent pus c'est quoi aimer son père pis sa mère. Manquablement, y les aiment, en autant qu'y les voient le moins souvent possible, pis qu'y en entendent pas trop parler.
    Pour que nos parents soient heureux, on aurait donné notre vie, nous-autres; on aurait décroché la lune pour nos vieux. Je dis pas ça parce que je voudrais qu'un de mes enfants meure pour me faire vivre, jamais de la vie. Mais j'aimerais ça en entendre parler de temps en temps, le temps de se voir, prendre un thé. Même pas parler, même pas faire un signe, savoir que pour une couple d'heures y a quelqu'un qui s'est rappelé qu'y avait un vieux père.
    Y s'arrangent pour te virer le fer dans la plaie. Quand y bâtissent une maison de vieux, y a pas de danger qu'y fassent ça sur le bord du bois, manière de bungalow. Non, y t'installent en plein mitan de la place, une bâtisse de dix étages. Quand tu mets le nez dans la vitre, tu les vois. Y ont l'air d'un chien qui court après sa queue. Tout le temps à la course.
    Ça leur fait une défaite pour pas venir. Y se demandent comment on faisait pour avoir le temps. C'est pas malaisé, on le prenait. Manquablement, quand fallait aller voir nos vieux pour leur dire qu'on les aimait, si on avait pas le temps, on le trouvait. Pis tout le monde arrivait au Jour de l'An en même temps. Ceux-là qui étaient allés voir leurs parents à tous les jours étaient pas plus pauvres que ceux-là qui y étaient allés rien que deux fois par semaine.
    Si les jeunes nous regarderaient vivre rien qu'une journée par semaine, y verraient que c'est l'enfer qu'on vit. Y se badigeonnent la conscience en disant qu'on est pas si pire qu'on dit. Si y faudrait qu'on dise toute c'est qui nous passe par la tête, y diraient "le vieux y radote mais faut y donner ça, y a le tour de se faire prendre en pitié".
    Y disent qu'y ont pas besoin de se bâdrer de nous-autres, on a des gardes-malade pour nous soigner. Correct, mais y sont pas là pour nous désennuyer pis nous faire oublier qu'on a des fils ingrats qui viennent jamais voir leurs vieux parents.
    Si y sauraient de quoi c'est fait une journée de vieux, c'est qu'y fait pour tuer le temps, regarder les aiguilles qui se décident pas à avancer sus l'horloge. À les entendre, on a rien qu'à se lever plus tard. Quand t'as passé ta vie à te lever à quatre heures et demie, c'est pas facile d'attendre à neuf heures du matin.
    Y savent pas ce que c'est que de faire les cent pas comme un vieux chien au bout de sa chaîne, qui s'impatiente au bout de sa vie trop longue, sans personne pour achever ses souffrances, y permettre d'en finir avec c'te vie-là.
    Si y s'arrêteraient pour faire un examen de conscience, y se trouveraient pas si fins que ça. Y auraient des remords si y ont du cœur. Des fois je me demande si y en ont un. Pas de téléphone, jamais. Ça prend trop de temps, jaser avec un vieux.
    C'est vrai que quand y en a un qui téléphone, j'essaye de le retenir plus longtemps au bout du fil, mais c'est rapport que je m'ennuie au foyer. Y pensent que t'as rien qu'à aller voir un autre vieux, jaser avec lui de la pluie pis du beau temps. En seulement, les vieux savent tous quel temps y va faire demain. Quand y en arrive un nouveau, on se dépêche d'y faire raconter sa vie. Quand ça fait deux-trois fois qu'y la raconte, tu finis par la savoir autant que lui. Au commencement, y ont de la visite à plein. Manquablement, y disent tout' la même affaire: "nous-autres on s'ennuiera pas, nos jeunes viennent assez souvent qu'on est pas près de s'ennuyer".
    Au commencement, y viennent voir comment t'es installé, mais dès que t'es ben campé, y t'oublient. Y a le défunt Noré, l'année passée, tout d'un coup sa famille s'est rappelé qu'y avait une fête. Y se sont rappelés qu'y avait cent ans. Ça faisait au bas mot six ans qu'y avait pas eu d'autre visite que le vicaire, le docteur de temps en temps, la garde-malade, pis nous-autres.
    Ceux-là qui continuent après un bout de temps à avoir de la visite sont les exceptions. Moi, Émile est venu y a sept mois, deux semaines et trois jours. Avant, ça a été moins long. Y en a eu trois qui sont venus au Jour de l'An. Y a Gertrude qui est arrivée à dix heures le matin, elle a passé la journée avec moi. Elle est ben avenante, Gertrude. C'est ma plus vieille. À onze heures et demie, Conrad est arrivé, à midi moins quart, y était déjà reparti. À une heure et demie, Jeanne est venue, pis elle a resté souper. Si y sauraient le bien que ça m'a fait...
    Y disent que chus chiâleux. Mais y arrêtent pas de chiâler rapport que ça coûte trop cher. Si y sauraient c'était quoi d'avoir soin d'une famille dans le temps de la guerre... Ça coûtait cher pis de l'argent, personne en avait. Astheure, les jeunes ont tout ce qui leur faut pour passer le temps. Y ont la t.v., le radio, le théâtre. Y peuvent sortir presquement un mois de temps à tous les soirs sans faire deux fois la même affaire.
    Quand Eugène vivait, y venait faire son tour presquement toutes les deux semaines. Y m'a gâté, mon Eugène. C'est ben manque pour ça que j'ai eu tant de peine quand y est mort. Je le sais que c'est égoïste mais c'est plus fort que moi. Je l'aimais un peu plus que les autres rapport qu'y venait souvent. Le bon Dieu m'a puni en me l'ôtant.
    Peut-être que si y serait venu moins souvent, ça m'aurait moins fait mal. Peut-être pas non plus. Si y en a un qui mourrait, même dans ceux-là qui viennent jamais, ça me ferait aussi mal que quand Eugène est parti.
     C'est qui est dur quand quelqu'un meurt, c'est de savoir que tu le reverras jamais. Des fois, tu te demandes comment ça se fait que c'est pas toi que le bon Dieu vient chercher. Surtout quand t'as doutance que ça ferait souffrir personne.
    D'autres fois tu te dis qu'y auraient un petit brin de peine, qu'y se diraient que t'es mort d'ennui. Tu passes tes journées à te mourir d'ennui, pis personne vient pareil. Y se demandent comment être moins embarrassants sans savoir que tu voudrais qu'y le soient plus. En arrivant, les premiers mots qu'y ont en bouche, c'est "je vous dérange-tu?", pis après, "on restera pas longtemps". Toujours la même rengaine. Après ça, y disent que t'es radoteux. Y ont toujours des phrases toutes faites d'avance.
    T'es pas obligé d'avoir de l'instruction comme Noël pour faire des phrases à mesure, des phrases neuves. Encore, Noël, c'est lui qui est le pire. "Salut popa, comment ça va? Je vous dérange pas? Je resterai pas longtemps. Y fait-tu beau à votre goût à matin? Je sais pas si on va avoir gros de neige". Des phrases de même, y en a des tonnes, Noël, pis toutes les fois qu'y vient, même si c'est pas souvent, y les enfile comme un chapelet. Au bout d'une demi-heure, y sort sa dernière: "Ouais c'est ben beau tout ça, mais j'ai encore pas mal d'ouvrage, ça fait que je vas y aller".
Toujours les mêmes raisons pour venir, les mêmes défaites pour repartir, mais ces excuses-là sont rares, rapport que Noël vient pas plus qu'à tous les deux ans. Y est rendu à proche cinquante ans pis y a le génie où que les poules ont l'oeuf. Y a besoin d'un autre pour y dire quoi faire. On dirait presquement un enfant. La dernière fois qu'y est venu, c'est Gertrude qui y avait fait penser qu'y avait un vieux père, pis que ça y ferait peut-être plaisir de voir que son fils vit encore.
    C'est vrai que je veux pas avoir doutance de me faire faire la charité. Faut y donner ça, Noël, c'est pas le gars à prendre personne en pitié. Y sait même pas c'est quoi la pitié. Y a des fois qu'on aimerait ça avoir un petit brin de visite, mais quand y disent qu'on leur faisait pitié, on aurait envie de les sortir à coups de pied au cul. Nous-autres itou, on a notre fierté.
    C'est vrai qu'on oublie, en seulement si les jeunes y pensaient, y s'apercevraient que ce que t'oublies, c'est rapport que tu veux pas t'en rappeler. Manquablement t'as pas besoin d'être vieux pour les oublier. On continue en vieillissant.
    T'as beau te creuser la caboche à essayer de leur faire comprendre, y sont bouchés. À les entendre, on dirait qu'y sont les seuls à avoir une tête pis pouvoir s'en servir. On dirait qu'à la place de perdre les cheveux en vieillissant, c'est la tête que tu perds. De temps en temps, ça ferait mon affaire de l'avoir perdue...
    Des fois je voudrais tout oublier, me laisser bercer par une vieille air jouée au piano à rouleaux ou écouter un concert au radio comme dans le temps de la guerre. Quand je pense à la musique qu'on avait dans le temps! Nous-autres, on avait la fanfare de la garde paroissiale pis on était heureux; on en demandait pas plus. Eux-autres, y en ont jamais assez.


(...)

La suite est dans le volume; veuillez vous adresser à mon éditeur ou chez moi
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