(Publié à l'été 2006, c'est l'histoire d'un scandale qu'on a caché aux contribuables canadiens, les conséquences du naufrage d'une barge propriété de la Irving Oil company. Refilant la facture au contribuable, le gouvernement a renfloué -- après 26 ans -- la barge et le mazout qui ne s'était pas écoulé malgré le laxisme de la pétrolière Irving et du gouvernement. Preuve que l'insolence et le mépris paient: non seulement la Irving Oil n'a jamais payé pour les dégâts, ses petits amis du gouvernement lui ont rendu, après la récupération, la barge, en laissant au fond du golfe une quantité assez importante de BPC (biphényles polichlorés).)




IRVING WHALE -- la Conspiration du silence    est originellement paru aux
Éditions HUMANITAS à Montréal Québec (Canada).
ISBN: 2-89396-278-5
Dépôt légal: 2e trimestre 2006
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Couverture: " LES SEIGNEURS DE LA MER " © Raynald Verdier
© Humanitas et Gervais Pomerleau






Pour Jean Trépanier
qui m'a donné la confiance
nécessaire à me tenir debout,
peu importe d'où vient le vent;
pour Laurette Leclerc
qui l'aura épaulé sans réserve
dans cette tâche,
avec toute ma gratitude

G. P.




Remerciements


Je tiens à exprimer mes plus sincères remerciements à nombre de personnes qui m'auront été, tout au fil de mon implication dans le dossier de la barge Irving Whale, d'un secours et ou d'une aide précieuse.
D'abord le vétérinaire Pierre Olivier sans qui je n'aurais jamais été mis au fait de l'existence de cette barge et, par voie de conséquence, de son danger pour l'environnement du Golfe.
Roger Simon, directeur régional de Pêches et Océans Canada aux Iles-de-la-Madeleine, dont l'amitié sans faille tout au cours de mon passage de vingt ans aux Iles-de-la-Madeleine m'aura été secourable pour m'ouvrir nombre de portes scellées par la mauvaise volonté des occupants.
A Christian Roy du Centre de données hydrographiques de Pêches et Océans Canada qui n'aura pas ménagé ses efforts non plus que sa générosité pour m'aider, tant dans le dossier du Irving Whale que dans d'autres.
A monsieur Frédéric Back pour son appui indéfectible tout au fil du temps où je me serai intéressé à cette ténébreuse affaire; merci pour sa générosité et ses lumières, pour l'exemple qu'il donne, un phare pour les environnementalistes.
A Sébastien Cyr, membre du Regroupement pour la Protection du Golfe, membre du Comité de vigilance pour le renflouage de la barge maudite, lequel m'aura fourni nombre de données et articles ou découpures de presse sur cette ténébreuse affaire.
A Barbara MacAndrew, journaliste de l'Ile du Prince-Edouard qui m'a gracieusement ouvert ses archives, tant au sujet de l'environnementalisme de la famille Irving en général que du Irving Whale en particulier, m'autorisant à m'y servir comme dans un plat de bonbons...
A ma compagne Ginette qui m'aura été d'un immense secours tant pour la compilation que pour la correction de ce document.

G. P.



« Le Canada a une bonne réputation dans le domaine de la gestion de l'environnement; pourtant, lorsque vient le temps de faire respecter plusieurs de ses règlements sur la pollution maritime, il devient plus avare de mesures concrètes que de belles paroles... »
Rapport Brander-Smith, p. 37
On se tait et l'on veut que tout se taise. Défense de parler[...] tel est l'expédient. Six ou sept grandes puissances conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration? La plus lâche de toutes. La conspiration du silence.
Victor Hugo



En guise de préambule




A l'échelle internationale, le Gouvernement du Canada se targue d'être près des valeurs intrinsèques qu'impliquent les grands espaces de son territoire. A l'époque où elle était titulaire du ministère de l'Environnement du Canada, madame Sheila Copps affirmait, dans le cadre du traité d'échange commercial tripartite entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique, que «ceux qui veulent joindre l'Alena devront joindre les normes canadiennes environnementales; si un pays ne respecte pas les règles environnementales qui sont chères aux canadiens, ce pays sera rayé des accords commerciaux.»
A la lueur des pages qui suivront, la communauté internationale serait en droit de s'attendre à ce que le Gouvernement du Canada s'expulse lui-même de ce traité d'échange nord-américain. Mais il y tout lieu de conclure que les propos de l'ancienne ministre de l'Environnement devenue vice-premier ministre de son pays ne sont que des vœux pieux. Devenue finalement ministre du Patrimoine, madame Copps allait nous donner à croire que le patrimoine de son pays et, à une plus grande échelle, de l'ensemble de la planète n'a que peu ou prou de valeur dans son esprit. Elle n'est plus en politique et dénonce aujourd'hui ceux qui agissent exactement comme elle le faisait elle-même, brillant par une politique à courte vue, résonnant plutôt que de raisonner.
Son collègue d'alors, ministre des Pêches et Océans Brian Tobin devenu premier ministre de la province de Terre-Neuve que l'ensemble de l'Europe connaît bien parce qu'elle est ceinturée par les Grands bancs auxquels elle a donné son nom se montrait fort empressé pour orchestrer un spectacle médiatique à New-York. Il tentait, alors, d'assurer la communauté internationale qu'il était, tout comme le gouvernement qu'il représentait, préoccupé par le renouvellement de la ressource. Il était beau de le voir alors, Don Quichotte, exhiber un chalut coupé à même un chalutier espagnol à l'extérieur de la zone des 200 milles de son pays.
Il est cependant pour le moins curieux de voir combien la zone extérieure aux deux cents milles marins apparaît importante, alors. Surtout si on établit un parallèle entre ce qui se passait à l'intérieur des eaux territoriales, et ce qui s'y passe toujours au moment d'écrire ces lignes.
Comment percevoir un gouvernement qui, à l'échelle internationale, se montre si près des préoccupations collectives alors que, à l'intérieur de son territoire, il est si peu respectueux des valeurs chères à l'ensemble de la planète? «Vierge offensée» à la face de la communauté internationale, «prostituée» dans sa cour, en somme.
Plus de vingt-cinq ans auront été nécessaires pour mettre un terme à un dossier épineux croupissant sur les tablettes du gouvernement fédéral ...sans pour autant le régler, gardons-le à l'esprit. La préoccupation de ce gouvernement en matière patrimoniale, en matière environnementale, est si ignoble dans les faits qu'elle frôle l'incurie.

L'auteur

Jeux de mains
jeux de vilain....

Un cas d'espèce?


Que diable allait-il faire dans cette galère?
Molière
(Les fourberies de Scapin)


Depuis la nuit des temps, l'homme a cherché, par tous les moyens mis à sa disposition, à conquérir les mers. Cette opportunité lui permettrait, outre le constat que la terre était une sphère, d'aller d'un pays, d'une contrée, d'un continent à l'autre, en quête de nouveaux clients à qui vendre ou d'espaces à occuper, à dominer. Les conquérants n'agissaient pas autrement, qu'ils s'appellent Pizarro, Marco Polo, Alexandre le Grand, Ulysse d'Ithaque ou plus généralement les Phéniciens.
L'homme aura donc appris à aimer la navigation, à s'en servir pour commercer avec son semblable, sans égard à la distance à parcourir qui lui était imposée. Si les différents cours d'eau qui baignent la planète s'avérèrent souvent salvateurs, les tragédies survenues en mer ne se comptent plus depuis la nuit des temps.
Alors que certaines de ces tragédies marquèrent la mémoire collective parce que l'homme en était la victime principale qu'on songe par exemple au Titanic avec ses 1500 morts, à l'Empress of Ireland avec ses 1200 victimes ou plus récemment le Salam 98 en Mer Rouge qui cumulerait plus de 1000 morts d'autres allaient avoir des répercussions beaucoup plus dévastatrices pour l'environnement. La mer est un tyran cruel et impitoyable, disait l'amiral E. King de la US Navy, qui se venge du marin imprudent qui ne s'est pas préparé par beau temps au mauvais temps qui l'attend. Parce que c'est un fait indéniable qu'elle sait mâter tout homme. Si elle sait se montrer généreuse et donner beaucoup, elle prend à pareille mesure.
Sur ce plan, la liste des grands désastres fait frémir, mais à chaque fois qu'un tel désastre se produit, peu importe l'endroit où l'on se trouve sur la planète, on se dit que la chance nous a souri puisque ce n'est pas dans notre cour que le drame est survenu. Pourtant, celui ou celle qui se retrouve victime d'une telle catastrophe a une réaction tout aussi humaine: «Pourquoi est-ce que ça s'est produit ici? On nous disait pourtant que le système de prévention mis en place dans notre pays nous met à l'abri de tels drames!»
Cependant, si malheureux que ce puisse être, ça se produit dans tous les pays, sous toutes les latitudes. Aucun plan d'eau n'est trop petit pour nous faire rencontrer la catastrophe. Les pays dits riches ou industrialisés sont, par la force des choses, plus enclins à ce genre de bouleversements de leur quotidien parce qu'ils sont plus à même de se servir de moyens que n'ont pas les pays du Tiers-Monde. Déjà en soi la nature n'est pas particulièrement tendre avec elle-même. Lorsque l'homme décide de la prendre à parti, on assiste parfois à des drames qui font frémir. Conquérant, l'homme continue à se croire capable de mâter la nature et, de ce fait, enclenche le drame.
Le 29 janvier 1969, suite à un bris sur une plate-forme de forage appartenant à la Union Oil, les côtes de Santa-Barbara en Californie sont aux prises avec un déversement de 200,000 gallons de pétrole qui souillera 35 milles de côte (56,3km).
Le 16 mars 1978, un désastre que la France connaît davantage et qu'elle sera longue à oublier tant les conséquences de son passage le long de ses côtes auront été néfastes, l'Amoco Cadiz. C'est, somme toute, normal qu'on ait la mémoire plus sensible puisque c'est ici que les dommages se sont fait sentir. Propriété de l'Amoco, une filiale de la Standard Oil en Indiana, il est affrété par Shell Oil, battant pavillon de complaisance libérian, et laisse échapper sur les côtes du Finistère et de Bretagne 232,182 tonnes de pétrole après la perte de contrôle de son gouvernail.
Le 16 octobre 1990, le Rio Orinoco s'échoue sur la côte nord de l'île d'Anticosti à l'embouchure du fleuve St-Laurent; fort heureusement, les dégâts seront «mineurs» avec un déversement de 185 tonnes de mazout. Ce naufrage aura tout de même coûté au Fonds d'indemnisation 6,200,000 livres sterling. C'est deux fois moins de mazout perdu dans l'environnement que le Czantoria qui avait perdu 400 tonnes deux ans plus tôt. Certes, ce sont des déversements mineurs et on ne compte ici que les coûts financiers de tels naufrages. Qu'en est-il pour la faune et la flore? Qu'en est-il pour l'environnement? Et, malheureusement, il ne s'agit pas ici de cas d'exception; il y en a d'autres et la liste est longue.
Le 5 janvier 1993, le Braer (propriété américaine [la Braer Corporation, une division de B&H Shipping de Stamford au Connecticut], battant pavillon de complaisance libérian), parti à destination des installations d'Ultramar en banlieue de Québec se brise sur les côtes des Shetland, entraînant un déversement de pas moins de 85,000 tonnes de mazout.
En 1993 également, à peine 16 jours plus tard, le 21 janvier, le pétrolier Maersk Navigator 255,312 tonnes enregistré à Singapour entre en collision avec un autre pétrolier, vide celui-là, le Sanko Honour dans la Mer d'Andaman alors qu'il se dirige d'Oman vers le Japon. Le Maersk Navigator transporte une cargaison de près de 2 millions de barils de pétrole. Sa rupture provoque un déversement de pétrole en feu sur 56 km de long près de Sumatra.
La même année, le 11 février, aux Pays-Bas, on évalue jusqu'à 30,000 oiseaux de mer tués par un déversement d'huile de paraffine déversée par un navire inconnu, quelque part au cours des deux semaines ayant précédé la découverte. C'est le pire déversement dans cette région au cours des cinq dernières années.
Toujours la même année, le 9 mars, le Jan Heweliusz, un traversier polonais coule dans la Baltique, près de l'Allemagne; il perdait de l'huile depuis le 14 janvier. On estime qu'il avait à son bord, au moment du naufrage, 80 tonnes de mazout.
Encore et toujours la même année, le 3 juin cette fois-ci, 7 membres d'équipage d'un pétrolier britannique, le British Trent propriété de British Petroleum (BP), sont brûlés vifs dans une mer de pétrole d'environ 24 km au large d'Ostende après la collision avec un cargo panaméen dans une brume épaisse. Deux autres membres d'équipage sont portés disparus et présumés morts. On évalue à pas moins de 24,000 tonnes le déversement de pétrole par un trou dans la coque.
Ce n'est pas encore assez pour cette même année 1993, puisque le 17 août, une nappe d'huile se répand le long de la Riviera après la collision entre un sous-marin nucléaire et un super-pétrolier. La situation est vite maîtrisée et sans conséquence néfaste pour les plages.
Enfin, le 9 octobre, du mazout s'écoule du pétrolier grec Iliade tuant la faune et détruisant des piscicultures dans la baie de Pylos. Une nappe d'huile de 4,8 km se répand lorsque le pétrolier s'échoue près d'une île. Voilà donc une année bien remplie. Mais 1994 ne sera pas en reste...
Le 7 janvier 1994, le Morris J. Furhman, une barge transportant environ 1,5 million de gallons de mazout s'échoue dans le port de la capitale de Porto-Rico: 750,000 gallons de mazout lourd se déversent et créent une nappe s'étirant sur 9,6 km le long de la côte. Conado Beach, le lagon Conado et la Baie de San Juan sont pollués. Le 6 mars en Thaïlande, environ 105,670 gallons de diesel se déversent dans la mer sur 6,4 km sur la côte est de Sriracha après qu'un pétrolier et un cargo non identifié soient entrés en collision. Le pétrolier Visahakit 5 transportait plus d'un million de gallons de diesel et de gaz liquide.
Le 31 mars, aux Emirats Arabes Unis, cette fois-ci, 15,900 tonnes de pétrole se déversent dans la Mer d'Arabie après que le Seki, un super-pétrolier battant pavillon panaméen ait déversé sur 16 km sa cargaison près du port de Fujairah (toujours dans les Emirats Arabes Unis) à l'entrée du Golfe, après une collision avec le pétrolier eau Baynunah. Le pétrole atteint la côte nord de Khor Fakkan près du détroit d'Hormuz. Le déversement allait polluer plusieurs plages en plus de 40 km de côte.
Le 2 octobre, au Portugal, le pétrolier Cercal battant pavillon panaméen perd environ 2,000 tonnes de mazout en mer après avoir heurté un rocher en route vers le port de Leixoes à Oporto. Et ça continue...
Le 19 janvier 1996, l'Etat du Rhode Island se retrouve aussi avec une catastrophe environnementale après un déversement majeur de pétrole le long des côtes de la Nouvelle-Angleterre, après que le remorqueur Scandia qui traînait dans son sillage la barge North Cape chargée de 4,000,000 de gallons d'huile à chauffage domestique ait pris feu. Parti de Bayonne, (N. J.) en direction de Providence (R. I.), 828,000 gallons d'huile à chauffage domestique allaient se retrouver dans l'environnement. Beau dégât...
Le lendemain de l'incident, les mesures de nettoyage sont en place, mais on réalise bientôt qu'il y aura beaucoup de travail: 11 des 14 citernes de la barge coulent. C'est ainsi qu'on retrouvera des résidus du déversement jusque dans le Trustom Pond, un refuge faunique national. Ce déversement allait contaminer l'une des zones de ponte de poissons et mollusques les plus prolifiques de la Nouvelle-Angleterre.
Plus de 14,000 homards morts s'échoueront sur les côtes. Des échantillons de mollusques prélevés sur les lieux révéleront des traces d'hydrocarbures s'élevant jusqu'à 80 parties par million. Résultat du déversement, 19,500 kg de homard allaient être détruits. L'économie de la région est sévèrement touchée: 254 milles carrés de zones de pêche ont été fermées pendant plusieurs mois. Comment chiffrer de telles pertes?
Le 15 Février 1996, le Sea Empress laisse s'échapper sur les côtes du sud-ouest du Pays de Galles 78,000 tonnes de mazout, de sorte que la côte sera polluée sur plus de 100km. Et l'homme n'apprend toujours pas de ses erreurs.
Le 2 juillet 1997, le super-pétrolier Diamond Grace s'échoue dans la baie de Tokyo. "Le déversement est à peu près le dixième de ce qui avait été initialement rapporté" affirme le porte-parole japonais du World Wildlife Fund Tobai Sadayosi. Cinquième plus importante catastrophe navale au Japon, cette zone abrite la Petite Sterne, une espèce en danger de disparition, approximativement 1,500 cormorans en plus de différentes autres espèces aviaires. Le pétrolier monocoque Diamond Grace, propriété de la Nippon Yusen KK Oil Transport Company, a vu sa coque déchirée par un récif avant que ne s'écoulent 1,315 tonnes de sa charge approximative de 257,000 tonnes de mazout dans la baie de Tokyo. Le déversement pollue une zone de 10 km par 13 km.
Le temps passe et les catastrophes se suivent et se ressemblent; seule la quantité de rejets en mer change. 1997 n'est pas mieux que les années qui l'ont précédée. Le 7 janvier, on découvre au Japon, où le naufrage a eu lieu, que le pays n'a pas de mesures d'urgence lorsque le pétrolier soviétique Nakhodka laisse s'écouler dans l'environnement pas moins de 5,200 tonnes (36,400 barils) de mazout...
Le deux juillet, un super-pétrolier heurte un récif dans la baie de Tokyo, une fois de plus au Japon, une zone de pêche réputée, laissant s'écouler ce qu'on évalue à 1,500 tonnes de mazout. Le nom du pétrolier ne sera pas même dévoilé.
Et ça continue. Le 15 octobre, cette fois-ci à Singapour. Un pétrolier transportant 120,000 tonnes d'huile crue entre en collision avec un vlcc. Plus de 25,000 tonnes de la cargaison s'écoulent du vaisseau et, malgré une quantité phénoménale de dispersants chimiques, les plages de plusieurs petites îles près de Singapour sont couvertes de résidus graisseux. Le nom du pétrolier demeure inconnu...

Le 27 juin 1998, sur le Mississipi, le remorqueur Christine Cenac, propriété de la Cenac Towing Company Inc. de Houma, est éperonné par le remorqueur American Heritage, propriété de l'American River Transportation Co. de St-Louis. Le Cenac tirait deux barges contenant chacune 420,000 gallons de mazout. Sous l'impact, l'une des barges du Cenac se brise et déverse 69,000 gallons de sa cargaison. Ce sont les bayous le long du Mississipi qui subiront le plus de dommages. On s'en est, une fois de plus, bien tiré, mais la chance n'est pas toujours aussi souriante; ce serait trop beau...
Le millénaire n'allait pas s'arrêter sur une aussi «belle» lancée. Pendant que l'ensemble de la planète se prépare lentement à passer le cap du millénaire, le 12 décembre, la France reçoit son premier «bogue» avec la visite du pétrolier Erika, battant pavillon maltais qui se brise au sud de la pointe de Penmarc'h. Il faudra, pendant 170 jours, plus de 500 travailleurs pour nettoyer les côtes de la Bretagne et recueillir quelque 28,000 tonnes de mazout et de déchets mazoutés; le déversement de mazout qui atteindra les côtes de France est évalué, à lui seul, par la Coordination marée noire à 15,000 tonnes. Les bassins d'huîtres et les côtes sont souillés sur des centaines de kilomètres. Même en faisant fi du désastre environnemental, les pertes sont phénoménales.
Pour la seule année qui suit, l'an 2000, il n'y aura pas moins de vingt-trois déversements majeurs un peu partout sur la planète. Et reste encore le Prestige qui se brise au large des côtes nord-ouest de l'Espagne le treize novembre 2002. Propriété grecque, battant pavillon de complaisance des Bahamas, il laissera s'écouler la presque totalité des 77,000 tonnes de sa cargaison, laquelle polluera les côtes espagnoles, portugaises et, encore une fois, françaises.
Plus de 15 ans après l'une des pires catastrophes sur le plan environnemental depuis la dernière guerre, le cas de l'Exxon Valdez continue à demeurer nébuleux. Non seulement le commandant Joseph Hazelwood ne reconnaît pas sa responsabilité dans ce déversement de 11 millions de gallons de pétrole qui allait souiller plus de 1000 milles (1,600 km) de côte après que le super-pétrolier ait heurté un récif dans la nuit du 24 mars 1989, mais encore il rejette la responsabilité sur son second. Suite à ce déversement, l'employeur du commandant Hazelwood sera condamné, au terme d'un long procès, à une amende de cinq milliards de dollars...
Et toutes ces données ne font évidemment pas état des dommages à l'environnement via les actes de sabotage au cours de la guerre du Golfe persique, non plus que de sa deuxième phase en 2004.
On le voit, les hécatombes se succèdent les unes aux autres avec, semble-t-il, toujours la même insouciance des armateurs, de leurs assureurs et des gouvernements. Pourtant, de cette liste que nous venons d'énumérer, aucune de ces catastrophes maritimes n'implique une ampleur, un cauchemar aussi dramatique que celui engendré par la barge Irving Whale. Aucune? Même prises en bloc, ensemble, on ne saurait voir une commune mesure entre toutes ces catastrophes réunies et le dossier de cette péniche propriété de la Irving Oil.
Et que font les politiques pendant ce temps-là? En France la ministre de l'environnement Dominique Voynet se fait rabrouer par les écrivains-journalistes. Au Canada, comme si l'argent des contribuables poussait dans les arbres, la Garde côtière demande à la firme Marex une étude de faisabilité en vue de la récupération de la barge Irving Whale. La ministre de l'environnement Sheila Copps en demande une à la société cef et, comble d'ironie, elle se retourne, balaie du revers de la main les deux rapports achetés au nom des contribuables canadiens évidemment avec leurs deniers pour se rabattre sur un autre qui a été commandé par la Caisse d'indemnisation, le rapport de la firme Murray Fenton. Pourquoi? Sans doute, serions-nous en droit de conclure que c'est tout simplement parce qu'il est plus près des visées à courte vue de la ministre de l'Environnement. Mais comme elle se justifie elle-même, écoutons-la: «Murray Fenton n'a d'intérêt ni dans le pompage ni dans le renflouage, c'est pourquoi on a choisi leur rapport.». Le problème c'est que si elle fait cette déclaration, elle est soit naïve, soit nous la retournons au chroniqueur Jean-Simon Gagné:
«Si la sottise se vendait au mètre, nul doute que Sheila Copps serait depuis longtemps milliardaire. Avec un peu de chance, grâce à tout ce fric. Elle aurait peut-être même abandonné la politique.»
...Murray Fenton ne se préoccupe, en effet pas du pompage non plus que de la récupération, ils n'ont pas même la compétence pour le faire. Alors pourquoi se baser sur leur expertise? Parce que leur rapport est établi pour le compte de la caisse d'indemnisation. Rappelons-le, tout ce qui leur importe n'est pas la sécurité non plus que l'après-récupération mais le moindre coût. Cependant, un fait pour le moins nébuleux, ladite ministre ne prendra pas davantage le rapport Murray Fenton au pied de la lettre. Elle grappille à tous les râteliers, allant de l'un à l'autre rapport, pour en établir un qui lui est propre. Une cuiller de ceci, une autre de cela, une pincée de ce truc, un doigt de ce machin, avec une bonne tasse de ce truc verdâtre qui croupit dans le frigo depuis des lustres peuvent bien arriver à remplir un pot de conserves, mais de là à conclure que c'est avec ça qu'on fera un repas... C'est pourtant le genre de bouillie qu'entend nous servir la ministre de l'Environnement. Qui veut goûter à sa cuisine? Le lecteur à l'estomac plus solide que le mien me permettra de me désister devant de telles agapes.
Ce n'est pas en récupérant un chapitre des Versets sataniques de Salman Rushdie, un chapitre de 1984 de George Orwell, un chapitre de l'Illiade d'Homère et un autre chapitre prélevé dans la Guerre des Gaules de Jules César qu'on arrivera à réécrire les Misérables de Victor Hugo. Mais comme Sheila Copps n'est pas ministre de la littérature, laissons-la à l'Environnement. Quoique, à bien y penser, est-elle bien à l'environnement ou si elle ne serait pas plutôt à la Irving Oil?
«Tous les déversements maritimes affectent les secteurs suivants: écologique, socio-économique et la perception pour une durée de temps variant selon les frontières géographiques en cause. A titre d'exemple, l'impact socio-économique a un effet plus important à l'échelle locale à brève échéance; l'impact de la perception est souvent plus grand à distance substantielle de la scène de l'événement et persiste à conserver une influence négative à plus long terme. Ces facteurs agissent également en inter-relation; ainsi les dommages écologiques à un écosystème côtier pourraient être suffisants pour entraîner la fermeture d'une industrie locale de pêche, ce qui, en retour, aura un effet négatif sur l'emploi et les conséquences sociales.
«Tout déversement d'huile produit également une amélioration du système opérationnel de réponse à ce genre d'incidents, incluant la prise en charge, la coordination, la manipulation, les techniques préventives et de nettoyage; s'il existe un suivi environnemental, des leçons seront également tirées des dommages réels à l'écosystème et à la faune de même qu'au taux de recouvrement. «D'autres leçons peuvent être tirées de ce genre d'événements comme l'identification des besoins pour une coordination plus proche et une meilleure gestion du suivi environnemental».
Malheureusement, ce n'est visiblement pas toujours le cas. Sans égard aux conséquences de leurs agissements, il n'est pas rare de voir en pareil temps de crise, des instances décisionnelles prendre des positions qui sont loin d'être toujours réfléchies ou éclairées. Tractations politiques, amis du parti, jeux de pouvoir des uns par rapport aux autres, égocentrisme débridé, toutes les raisons sont bonnes pour n'en faire qu'à sa tête.
C'est l'enfance de l'art que d'affirmer que plus un pays, une région a de plans d'eau navigables, plus il est sujet à se voir un jour ou l'autre confronté à un déversement pétrolier. Ainsi, si on se reporte aux données du Centre de technologie environnementale qu'on peut trouver sur internet, on constate de façon effarante que, de 1974 à la mi-juin 1997, en ne comptant que les accidents environnementaux à travers le monde qui totalisaient un déversement supérieur à cent trente-six tonnes métriques ou mille barils se chiffrent à sept cent quarante-deux. Notons ici pour la bonne compréhension du lecteur que les données qu'on vient d'établir sont loin d'être exhaustives; on ne compte, dans ces sept cent quarante-deux déversements que ceux provenant de pétroliers et de barges et dont les produits pétroliers représentent la cargaison principale. Sont exclus, par exemple, les déversements volontaires qui existent, rien ne sert de jouer les autruches ceux des plates-formes de forage ou ceux causés par des guerres. Si on remonte un peu encore dans le temps, on constate que le mauvais sort s'acharne occasionnellement sur une cargaison...

(...)


La suite est dans le volume; veuillez vous adresser à mon éditeur ou chez moi