Ce récit a été couronné
«Prix littéraire des Associés»

(Publié à l'automne 1995, c'est un récit sur la cruauté, les déchirements qu'on fait subir aux enfants en certaines circonstances.)



Comme foin de mer
est originellement paru aux
Éditions Editeq
Illustration: «Isabelle» © Nathalie Leblanc
© Editeq & Gervais Pomerleau
Dépot légal - quatrième trimestre 1995
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
ISBN: 2-920307-44-4


Le quatrième de couverture mentionne:« Lorsque Gabrielle vient à faire face à la séparation de ses parents, elle devient littéralement comme foin de mer, subissant les vents de toutes directions, le sel, les marées, sans parler des tempêtes de sable, de la poudrerie et du verglas.
  Comme foin de mer, Gabrielle subit les sautes d'humeur de ses parents, les décisions des juges. Elle tente de s'accrocher à ce que fut son petit bonheur comme le foin de mer qui, lui, tente de se tenir avec ses racines.
  Et si nous avions la possibilité d'entendre ce qu'ont à dire ces foins de mer humains? Si, pour une fois, nous prenions le temps d'écouter ces enfants qui, comme foin de mer, doivent subir et se taire...
  L'auteur s'est inséré dans la peau d'une petite fille et nous livre ici, dans une langue à la fois simple et naïve, des secrets déchirants qui attisent notre révolte contre la bêtise humaine.
»


Pour Calixta qui ne connaîtra,
heureusement,
jamais un tel enfer.
G.P.



    dimanche 3 mars
    Salut mon ami, comment sa va toi?
    Je le sé, sa doit te faire drôle que je t'écris de mème. Sé mon papa qui m'a dit de faire de mème avec toi. Ben oui, il t'a apporté pis il m'a dit que asteure, t'étès mon ami le plus fin. Mon papa i dit aussi que je va pouvoir te dire toute ce que j'ai dans ma tète. Te dire quand que chus contente, pis te le dire aussi quand que j'ai de la peine. Il dit qu'i faut que je te dise toute sur moi pasque tu me connès pas encore.
    Moi je trouve sa drôle. J'ai dit a mon papa que t'es pas un ami pasque t'es un livre. Un livre sa peut pas ètre un ami que j'i ai dit. Mès mon papa i dit que oui. Comme je pense qu'i a toujours rèson pis qu'i dit jamès de menteries, ben sa doit ètre vrai.
    Je sé pas comment te parler. Si sa te fait rien, on va jouer a un jeu. On va faire comme si tu serès un ami qui reste loin loin, pis que j'i écrirès des lettres. Mès je sès pas si je vas trouver sa le fonne pasque je le sès, mème si je te pose une question, tu me répondras pas, pasque t'es du papier. Pis du papier, ben sa parle pas.
    Moi je trouve sa comique pasque t'es un livre puis mon papa veut que j'écrive dans toi. Sé la première fois qu'i veut que j'écrive dans un livre. Mès mon papa i m'a dit de faire attention a toi. Il m'a dit de te barrer quand que je t'aurai pas, pis de garder ta clé dans mon cou. Il dit que sé pour qu'i ait personne d'autre que moi qui save sé que je te dis. Il dit que sé des secrets.

    lundi 4 mars
    Toi tu vas le savoir que je sès écrire. Mème maman Armande sait pas que j'ai appris. Sé vrai, faut que je te dise sé qui qu'i a autour de moi, comme sa tu vas savoir de qui je parle. Moi je m'appelle Gabrielle Dubois, pis ma petite seur, elle, ben sé Alexandra qu'elle s'appelle. Pis sé une Dubois comme moi. Mon papa lui il s'appelle Lucien, ma maman elle s'appelle Armande. Elle sé une Lecomte. J'ai une autre maman, pis elle a s'appelle Sonia Tremblai. Sé pasque mon papa pis maman Armande celle-la qui m'a eu, ils étaient pas mariés.
    Quand maman Armande a décidé qu'a partait, mon papa lui i a marié maman Sonia. Moi je la connèssès avant, maman Sonia, pasque sé elle qui fèsait le ménage chez-nous quand on était encore a la mèson avec mon papa. I a, a part de sa, mon mononcle Gui, mon mononcle Pascal, pis mon mononcle Pascal, ben il reste avec Florence, pis Florence ben sé la cousine de maman Sonia. A part de sa, ben i a Julien, lui sé le tchomme a maman Armande. Lui son nom sé un Poliquin. Ben sa fait rien, moi je l'aime pas pareil.
    Je le sès que je devrès pas dire sa, pasque ma grand maman Madeleine a dit que sé pas fin de dire sa pis que sa fait pleurer le petit Jésus, mès moi sé pas de ma faute si je l'aime pas Julien, si i passerait pas son temps a me battre, peut-ètre que je l'aimerès. Je dis pas que je l'aimerès autant que j'aime mon papa, mès en tout cas je l'aimerès certain plusse que je l'aime asteure. pis quand il est pas en train de me battre, sé pasqu'il bat Alexandra. Si le petit Jésus i serait a ma place, chus certaine que lui non plus i l'aimerait pas.
    Moi quand il me bat, j'i dis des bètises, pis j'i dis que je l'aguis, pis que mon papa va i peter la ieule, pasque mon papa est ben plus fort que Julien pasque mon papa il a travaille avec des grosses machines, des bouledoseurs pis des affaires de mème. Julien lui, Il boit de la bière pis il fume tout le temps, mès sa je vas t'en parler une autre fois. A part de sa, i a mon mononcle Claude, mès lui i a des bibittes dans le traîneau, que mon papa dit. Je sès pas quelle sorte de bibittes. Peut-ètre que quand je vès aller a l'école, je vès le savoir. Mès en tout cas, l'affaire de mon mononcle, sé une maladie que mon papa i dit.
    Ah oui, je t'ai parlé de ma grand maman Madeleine, elle, ben sé la maman a mon papa. Pasque mon papa aussi i a une maman, comme moi pis Alexandra. A part de sa, i a mon grand papa Roland qui est marié avec grand maman Madeleine, sa fait que sé le papa de mon papa. Lui i est malade pis i est pas capable de se lever. Quand que je vas chez-eux, i est toujours assis dans une chèse qui a des roues comme un bicicle. Moi je les aime gros, mon grand papa Roland pis ma grand maman Madeleine. Ils sont fins.
    Mon papa i dit que sé pasqu'i a plus de jambes, que mon grand papa a une chèse de mème, mès moi je le sès bien que sé pas vrai pasque je les ai vues moi ses jambes. Moi je pense que mon papa i dit sa pour me jouer un tour. A part de sa, ben i a le papa pis la maman a maman Armande, mès j'i vas jamès pasqu'i veulent pas voir maman Armande. Je sès pas pourquoi, mès comme elle a i va pas, ben moi pis Alexandra non plus on i va pas.

    mercredi 6 mars
    Tu vois, toi tu le sès que je suis capable d'écrire. Mème maman Armande sait pas que j'ai appris. Pis je suis pas pressée d'i dire. Sé ma grand maman Madeleine qui me l'a appris. Maman Armande elle a pense que je sès pas écrire pasque j'ai rien que six ans pis que je vas pas encore a l'école.
    Ben je vas i aller a l'automne que mon papa dit, au mois de septembre, mès je trouve sa loin. Quand je vas voir mon papa dans la mèson où que je restès avant, il m'emmène voir ma grand maman Madeleine pis elle a m'apprend a lire pis a écrire pis a compter en cachette. Je sès que je fès encore des fautes, mès je m'applique pareil. Sé dur de savoir tout écrire comme i faut. Mon papa i dit que ben vite il va m'acheter un dictionère mès faut que j'apprenne a lire. Ma grand maman Madeleine a m'a promis qu'elle va me le montrer. Maman Sonia aussi m'apprend a lire. Mème si sé pas ma vraie maman comme maman Armande, ben j'aime mieux maman Sonia que maman Armande. Maman Sonia, jamès qu'elle me donne des coups de baton ou de ceinture elle, pis a dit qu'a m'aime autant que si je serès sa vraie fille.

(...)

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