Le passeur
Ta quête du Graal




Te voilà finalement au but...



Tu ne trouveras ici
Que la vérité...
 Même si elle te déplaît!
 
 


 



    D'accord; puisque ton scepticisme est sans borne, essayons autre chose. Une fois de plus tu douteras de ma parole, mais au point où nous en sommes, on peut bien se permettre d'essayer encore, non?

    Recommençons avec l'histoire du chien... Tu le crois? Tu devrais, parce qu'il existe vraiment. Et s'il une allure de Léonberg, c'est  que c'en est un! Mais non, il n'a rien à voir avec Cerbère. Comment pourrait-il, quand on sait que, parmi les qualificatifs de sa race, on dit que c'est un doux géant? Il s'appelle Merlin. Eh oui, c'est une fixation chez-moi.

 
Tout homme qui possède un chien
pour être adoré devrait aussi
avoir un chat pour être méprisé...
(auteur inconnu)
    J'ai aussi un chat. Tu ne t'imagines tout de même pas que je vais m'abaisser à le teindre pour te le faire voir, il est noir. Il s'appelle ...Lucifer, Lulu pour les intimes! Et s'il ne me méprise pas (comment peut-on savoir avec un chat...?) à tout le moins il m'ignore. Tu commences à me croire?

  Tu veux savoir de quoi j'ai réellement l'air? Qu'est-ce que ça te donnera de plus? Ce que tu viens de voir ne te satisfait pas? Je ne suis pas certain que tu seras emballé par une vraie photo. Je suis d'accord, ça ne s'arrange pas... Mais as-tu une solution? Entre nous, je ne suis pas pour me suicider; pas pour si peu... Le plus important n'est-il pas, justement, d'être bien dans sa peau? Qu'importe  la couleur du sac ou de la boîte, qu'importe son format. Tout au plus, assure-toi que le contenu ne se perde pas dans le contenant; le reste n'est que chimère, crois-moi!
 
 
 

 Tous les méchants sont buveurs d'eau
 c'est prouvé par le déluge...
 (Louis-Philippe Ségur)
 

    Voilà, les questions commencent à se préciser. Maintenant tu veux savoir ce qu'il y a dans ma tasse... Ce n'est pas sérieux... Elle ne contient jamais rien d'autre que du café. En passant, celle-ci ne m'appartient pas, elle est propriété de mon copain, le photographe. La mienne, puisque la curiosité te ronge, contient très exactement 60 cl d'un pur délice, un Colombien suprême (torréfié ultra-noir), le tout additionné d'un nuage de lait et d'un demi sachet de sucre. Comme je suis sous surveillance, tant de ma conjointe que de mon médecin, je me montre sage et ne prends généralement pas plus de 6 tasses par jour, lesquelles sont extrêmement importantes d'un point de vue psychologique pour moi, et pour la santé physique de ceux qui m'approchent. Ne faut pas me bousculer tant que je n'ai pas pris au moins une tasse, le matin. Puisqu'un homme averti en vaut deux et que je ne suis pas sexiste, il va sans dire que ça vaut aussi pour les femmes. Tu es donc prévenu-e!
 




    Oui, je fume. Enfin, un peu en cachette parce que ma conjointe et mon médecin, toujours les deux mêmes, me harcèlent pour que j'abandonne. Je réduis, juste pour leur plaire (qu'est-ce qu'un homme ne ferait pas pour plaire aux femmes...) , mais je reprends vite le terrain perdu à leurs mains. Non, sérieusement, j'essaie d'arrêter, mais c'est plus facile à dire qu'à faire et puis, quand on me fait des remontrances, j'ai tendance à devenir agressif. Je hais les extrémistes de toutes les sortes, sauf ceux qui sont comme moi, qui pensent comme moi, qui agissent comme moi...

    Je sais, tu trouves que la cigarette pue, tu as lu des quantités de documents dans lesquels on prétend que la cigarette affaiblit les capacités gustatives, qu'elle atrophie la reconnaissance olfactive et tout ça. Je t'arrête tout de suite parce que tout ça c'est de la bouillie pour les chats. Mon entourage pourrait te dire que ces deux sens ne gagneront pas de valeur chez-moi si je réussis à cesser de fumer, même pendant cent ans.

    D'ailleurs, même si j'arrêtais de fumer pendant cent ans, tu continuerais à trouver que je pue. C'est que, pour moi, parmi les bonnes choses de la vie, il y en a une, juste ici, que je ne suis vraiment pas prêt à laisser tomber. D'abord parce que j'aime pas, j'adore. Ensuite, parce que mon médecin pour qui j'ai beaucoup de considération m'a fortement recommandé d'augmenter ma consommation de ce côté-là. Tu vois, c'est pratique, tu es assuré-e de ne pas recevoir ma fumée dans les yeux, parce que tu ne t'approcheras jamais assez  pour ça... Mais je te rassure, avec toutes les campagnes pour exterminer notre race, vous finirez par avoir raison de nous tous. Enfin, l'homme n'en est pas à une extermination près. Une de plus ou de moins, d'autant plus que celle-ci est inutile, ajoutes-tu en ton for intérieur. Tu penses trop fort, je t'ai entendu! Mais il n'y a pas d'espèce inutile. Même les moustiques piqueurs nourrissent certaines espèces d'oiseaux, la libellule, la chauve-souris (en tous les cas certaines espèces), sans parler des grenouilles et crapauds, de même que l'araignée...

    Tu vois, c'est un mélange assez explosif: café, ail, cigarette... en plus de tout ce que je ne te dirai pas parce que je conserve certains secrets. Oui,  tu as tes prérogatives, mais j'ai aussi les miennes! Et maintenant, avec ce que tu sais de moi, tu te dis que je dois avoir les neurones chauffées à blanc. Peut-être. Mais avec un métier comme le mien, c'est bien pratique.

    Tiens tiens, je viens d'allumer ta curiosité. Je le vois, je le sens. Je te l'ai dit, j'ai un très bon nez. Donc, qu'est-ce que je fais dans la vie? «That is the question» aurait dit Homère. Quoi... qu'est que ça peut bien faire lui ou Platon, ou même Toutankhamon? L'important, c'est que ça ait été dit! Et cesse de m'interrompre, si tu tiens tant à tout savoir... Reprenons donc: qu'est-ce que je fais dans la vie? D'après toi? Je ne sais pas, moi. Tu ne veux pas que je sois le Passeur d'âmes...

Alors quoi? Veux-tu que je sois boucher? C'est un beau métier, boucher. Ah, le goût d'un bon steak, il n'y a pas grand-chose qui soit plus agréable au palais. Surtout medium-saignant, apprêté au poivre. Et tu maries le tout avec un bon Bordeaux rouge. Par contre, si comme moi tu es un sauvage et que tu tires une ligne de poivre à l'occasion sans éternuer, que tu aimes sentir tes papilles gustatives connaître l'orgasme, comme moi tu dois aller du côté des vins de pays espagnols, forts en tanin! Pour faire face à un tel steak, personnellement un vin comme ça, je lui donne les deux oreilles et la queue, comme diraient les Ibères...


    Nous disions donc que tu avais décidé que j'étais boucher. C'est vrai, pardonne-moi, tu n'avais rien dit. Ce que tu peux être pointilleux, ma foi! De toute façon, si j'ai été boucher, ce qui est un fait (je suis même détenteur d'un diplôme en ce sens), c'est un peu comme les questions de religion, y a longtemps que j'ai cessé de pratiquer. Pas pour les mêmes raisons, par contre. Idem pour la police, idem pour quantité d'autres métiers, tous plus nobles les uns que les autres et tous plus vils les uns que les autres. En fait, tout dépend du positionnement où on se place. Quand on aime ce qu'on fait, c'est toujours le métier le plus noble, le plus beau, le plus grand qui soit. Comme je suis un passionné, tous les métiers que j'ai exercés à date ont été, tour à tour, les plus beaux qui soient. Puis ils ont fini par devenir les pires et c'est pour cette raison que j'en ai changé.
    Oui, je sais, tu te dis que je suis encore en train de te mener en bateau. C'est normal puisque je suis le Passeur d'âmes et que je demeure sur une île. Bon, d'accord, si tu y tiens, je ne suis pas Charon. Oui, c'est le vrai nom du Passeur, du nocher des Enfers, si tu préfères. Mais je demeure en effet sur une île. Juste à côté. Si tu retournes là par où je t'ai fait passer tout à l'heure, tu arriveras aux  Îles-de-la-Madeleine.  Et maintenant tu te demandes pour quelle raison je fais tant de mystère pour te dire ce que je fais comme métier. C'est pourtant simple, je suis constructeur onirique. Tiens, je savais que je te surprendrais. Tu ne savais même pas qu'il y avait des constructeurs oniriques? Mais si, tu le savais. Par contre, tu ne leur donnes pas le même nom que moi.

    Bon, regarde. Si, à trois heures du matin, tu as encore les yeux grands ouverts et que tu as un peu cette allure, ce n'est pas le moment idéal pour éveiller ton-ta partenaire. D'abord ce ne serait pas chic de ta part et tu lui ferais peur. Alors, que te reste-t-il à faire, selon toi? Non non, je ne parle pas de compter les moutons.  Je suis très sérieux, tu sais. Je te propose quelque chose de beaucoup plus passionnant.
 

    Tiens, que dirais-tu de ça? Ça, au moins, je sais que tu le comprendras. Non je ne les fabrique pas, je les écris.  Enfin, pas tous, mais quand même quelques-uns. J'ai d'ailleurs publié chez différents éditeurs. Du théâtre, du roman, de l'essai, de la nouvelle, du document historique et même du roman-jeunesse. Tu ne me crois toujours pas. Ce que tu peux être incrédule! Dis donc, serais-tu né-e le 3 juillet par hasard? Pourquoi précisément le 3 juillet? Parce que c'est le jour où l'église de Rome fête l'apôtre Thomas. Continue ta randonnée, tu finiras bien par avoir des preuves à l'effet que je ne t'ai pas menti.