Cet ouvrage a été couronné
«Prix du Public»
du Salon du Livre du
Saguenay-Lac St-Jean

 (Publié au printemps 1996, pour souligner le 25e anniversaire de la tragédie, cet ouvrage relate l'histoire du village de Saint-Jean-Vianney au Saguenay, dont la nature a arrêté l'ascension dans la nuit du 4 au 5 mai 1971.)

Saint-Jean-Vianney village englouti est originellement paru aux Editions Humanitas à Montréal (Québec) Canada
ISBN: 2-89396-134-7
Dépôt légal - 2e trimestre 1996
Bibliothèque nationale du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Illustration de la couverture: "La fin du rêve" © Jacques Villeneuve
© Humanitas et Gervais Pomerleau





A la mémoire des victimes
de cette nuit du 4 au 5 mai 1971
et à la population du
Saguenay-Lac St-Jean qui s'est soulevée
comme une muraille
pour en soulager l'horreur...
G. P.
PREFACE

Passant ne fais ici de bruit!
Garde que ton pas ne l'éveille
Car voici près de dix mille nuits
Que Saint-Jean-Vianney sommeille!


     Il y a des événement qui prennent beaucoup plus d'envergure qu'on avait prévu. La Déportation des Acadiens n'a sûrement pas pris la tournure cachottière que l'envahisseur Anglais aurait souhai-tée; par ailleurs, le voyage du Titanic en 1912, un vaisseau hau-tement sécuri-taire, ne devait certainement pas se terminer par l'un des pires désastres du début du siècle. Ce voyage apparemment sans histoire prit soudain l'allure d'une tragédie dont on se souvient encore aujourd'hui, alors qu'on a oublié bien des chefs d'Etats qui faisaient la manchette au moment où l'orgueilleux navire était en route vers l'Amérique.
    Hasard pour les uns, Providence pour les autres; toujours est-il que certaines aventures "sans histoire" se changent soudain en événements "historiques" qui laissent loin derrière eux d'autres faits qui devaient retenir l'attention des historiens et des auteurs de dictionnaires.
    La catastrophe de Saint-Jean-Vianney fait partie de ces événements qui viennent faire dévier de la ligne droite le sort d'un petit village s'épanouissant paisiblement aux abords de grandes villes où se déroule l'action.
     Voici les faits: c'est le 4 mai; la nuit est chaude et paisible. Nelligan aurait pu dire: "O le beau soir de mai,

Tout se mêle en un vif éclat de gaîté verte.
O le beau soir de mai! Tous les oiseaux en chœur,
Ainsi que les espoirs naguères à mon cœur,
Modulent leur prélude à ma croisée ouverte."


    Oui, une nuit paisible en ce début du mois des fleurs, où la fin des séries de hockey gruge les heures de repos des rudes travailleurs d'usine qui sont tellement pris par leurs virtuoses de la rondelle qu'ils n'ont pas le temps de lire Nelligan en ce beau soir de mai.
    Et soudain c'est la catastrophe. La terre tremble, le sol glisse vers l'inconnu, "aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil". Plusieurs personnes disparaissent et un petit village va rejoindre de nombreuses localités disparues après Herculanum et Pompéi. En quelques heures Saint-Jean-Vianney, jusque--là sans histoire, est projeté sur l'échiquier mondial.
    Vingt-cinq ans ont passé. La vie a repris son cours durant ce quart de siècle. Mises à part les familles sinistrées, la population grisonnante se rappelle cette catastrophe comme dans un rêve. Depuis ce temps, plusieurs rescapés sont allés rejoindre les malheureux disparus. Les autres ont continué leur vie du mieux qu'ils ont pu.
    Mais quelqu'un n'a pas oublié. Depuis cette nuit infernale, il scrute ses souvenirs, accumule des documents sur le sujet et il s'est bien promis de ne pas laisser passer 1996 sans réveiller ce fantôme qui sommeille. Il nous présente donc en cet anniversaire un document étoffé décrivant cette catastrophe où certains de ses proches ont péri et d'autres ont été dispersés. Ce n'est plus le romancier qui parle; c'est l'historien avec sa rigueur scientifique, mais surtout l'ami qui se souvient.
     Pendant ces cinq lustres, Gervais Pomerleau aussi a fait lui aussi du chemin. Etabli maintenant aux Iles-de-la-Madeleine où ce romancier poursuit une fébrile carrière d'écrivain, il aurait eu toutes les raisons d'oublier, de laisser passer sous silence un événement que personne ne lui réclamait; mais alors ce serait mal connaître cet homme de cœur qui aime associer son nom aux causes humanitaires. Personne ne lui demandait de réactiver l'Affaire Coffin ou de ramener à la surface la tragédie du "Irving Whale". Il l'a fait et l'Histoire semble lui donner raison dans les deux cas. Jamais deux sans trois, dit-on. Alors surveillons bien la présente monographie. Le désastre de Saint-Jean-Vianney, vu par ce visionnaire réaliste et bien documenté, pourrait nous en apprendre sur ce dossier fermé depuis longtemps. Gervais Pomerleau a le don de rouvrir les vieilles portes "condamnées" ou de vieilles plaies qui commençaient à se cicatriser. Pour lui le grincement de pentures rouillées ou quelques soupirs provoqués par la vue de photos d'un album vieillissant, est le dernier de ses soucis. Ce qui importe à ce chercheur infatigable c'est la quête de la vérité et la découverte d'éléments nouveaux qui font avancer l'humanité.
    Il y a des événements qu'il vaut mieux oublier, mais par contre, il y en a d'autres qu'il faut tenir bien vivants comme ces phares qui permettent aux navires d'éviter les écueils. Pour Gervais Pomerleau, la tragédie de Saint-Jean-Vianney fait partie de la dernière catégorie. Aussi, nous souhaitons à l'auteur que la publication de son nouvel ouvrage atteigne l'objectif recherché.

Raoul Lapointe
Chicoutimi,
25 janvier 1995

NOTE DE L'AUTEUR


    A titre de mise en garde, précisons qu'il n'est nullement dans les intentions du présent document de fermer les portes à d'autres fouilles. J'ai plutôt la conviction doublée d'une profonde espérance que d'autres pourront se servir du fruit de ces recherches pour entreprendre de nouvelles investigations.
     D'aucuns allégueront que le temps n'est pas encore venu de considérer les événements décrits dans les prochaines pages, comme partie intégrante du patrimoine du Royaume du Saguenay et, par extension, à celui de ce pays encore à faire, l'actuelle province de Québec.
     A ceux-là, je répondrai qu'il est du devoir de tous ceux qui s'en sentent la force et le courage, de noter l'histoire sur une base quotidienne. Ainsi, les générations qui nous suivront seront en mesure de savoir ce qui s'est passé en notre temps, à notre époque.
    Je ne suis ni Dieu ni diable et ne prétends à rien, sinon à la vérité. J'ai tout simplement à cœur, la survie morale du présent et du passé. Je laisse humblement le titre et les lauriers d'historien à des personnes comme le préfacier de cet ouvrage, M. Raoul Lapointe ou d'autres qui sont passés à l'histoire, M. Léonidas Bélanger de même que le chanoine Victor Tremblay qui nous a légué des textes d'une inestimable valeur dont son Histoire du Saguenay. Le 26 juin 1960, pendant son homélie de la grand-messe corroborant le 25e anniversaire de l'érection paroissiale du village de St-Jean-Vianney, le premier curé de la paroisse, le chanoine Basile Néron faisait des vœux de bonheur et de prospérité à l'intention de "ces gens qui habitent le plus beau coin du pays".
     Dans son édition hebdomadaire du 9 août 1967, le Réveil au Saguenay publiait un article intitulé "St-Jean-Vianney, un village de 2315 âmes où il fait bon vivre".
    Moins de quatre ans plus tard, en l'espace d'une nuit, le petit village venait de changer l'aspect topographique du Saguenay et, par la même occasion, disparaissait peut-être à tout jamais de la carte du Québec.
    Cette même journée, le Progrès Régional (un autre hebdo du Saguenay) titrait son édition avec une photo couvrant 50% de la une, avec en-tête couleur de deuil: "Le cataclysme de St-Jean-Vianney".
    Des centaines de personnes vécurent cette nuit d'épouvante. Résultat: 31 personnes perdirent la vie; 42 maisons glissèrent dans le gouffre et les dégâts matériels s'élevèrent à plusieurs centaines de milliers de dollars. Actualisant les pertes financières de cette nuit, on atteindrait rapidement plusieurs millions de dollars.
    Etait-ce là une ironie du sort après la déclaration du Réveil du 9 août 1967? Quoi qu'en dirent plusieurs, spécialistes ou non, s'agissait-il vraiment d'un phénomène purement imprévisible?
     Les journaux, souvent, se contredisent l'un l'autre lorsqu'ils ne renient pas tout simplement leurs propres pages, mais chacun y va de sa petite idée. Les journalistes accourent de toutes les parties de la région, de la province et le mal s'étend en quelques heures, au pays entier. Les grands journaux américains délèguent leurs correspondants pour venir griffonner quelques lignes sur les bords du gouffre.
    Plus d'un an et demi plus tard, alors que la plaie commence à se refermer dans l'esprit des gens du Royaume du Saguenay et qu'elle demeure indélébile, à tout jamais gravée dans la mémoire des anciens résidents de St-Jean-Vianney, on retrouve un corps en provenance du petit village saguenéen, en pleine Baie des Chaleurs, le long des côtes du Nouveau-Brunswick, tout près de Bathurst.
     Dans le présent ouvrage, après avoir survolé l'histoire de St-Jean-Vianney, j'ai voulu laisser la place aux témoignages des gens de ce petit village et à ceux et celles qui vécurent pour ne pas dire "partagèrent" leur affliction.
    Il s'agit donc d'un travail essentiellement basé sur mes recherches personnelles qui eut été impossible à réaliser sans la bienveillante collaboration de quantité de personnes, groupes, sociétés, institutions ou organismes gouvernementaux. Les nommer deviendrait vite fastueux pour le lecteur et je risquerais d'en omettre, même parmi les plus importants. Que chacun de ces groupes ou organismes gouvernementaux, chacune de ces personnes, sociétés ou institutions trouve, ici, le témoignage de ma reconnaissance la plus vive.
     Je considère cette recherche comme étant basée sur la stricte vérité et crois sincèrement qu'elle ne doit être appréciée autrement qu'à titre de document historique.
     Néanmoins, si le moindre doute persiste dans l'esprit du lecteur quant à l'authenticité des énoncés de cet ouvrage en partie ou dans son entier, je suis, en tout temps, disposé à défendre mes allégations, avec preuve à l'appui lorsque ce sera possible.
    Ceci n'exclut pas pour autant les possibilités d'erreurs qui auraient pu se glisser à mon insu. Je n'ai d'essence divine, que ce que tout être appartenant à la Création, qu'il soit du règne minéral, végétal ou animal, possède.
     Il va de soi que je suis prêt et disposé à recevoir tout commentaire ou toute critique. Nonobstant ce que j'ai dit plus haut, je suis prêt à corriger les erreurs qui auraient pu s'infiltrer dans le présent volume. Errare humanum est, disaient les anciens. Je crois qu'il en est encore de même aujourd'hui.
L'AUTEUR

TROUVER UN ROYAUME


    Lors de son second voyage au Canada, pendant l'année 1535, le navigateur malouin Jacques Cartier découvre l'embouchure de la rivière Saguenay. Dans ses Relations de Voyage, il note le premier septembre:
    ...y a une rivière fort profonde et courante qui est la rivière et chemin du Royaume et terre du Saguenay, ainsi que nous a été dit par nos deux hommes du pays de Canada. Et est icelle rivière entre hautes montagnes de pierre nue, sans y avoir que peu de terre, et, nonobstant, y croît grande quantité d'arbres et de plusieurs sortes, qui croissent sus ladite pierre nue comme sus bonne terre (...) A l'entrée d'icelle rivière, trouvâmes quatre barques de Canada qui étaient là venues pour faire pêcheries de loups-marins et autres poissons...

    Cent six ans plus tard, en 1641, c'est au tour d'un Jésuite de faire son apparition à l'embouchure de la rivière Saguenay. Le père Paul LeJeune arrive en effet à demeure, à la demande expresse faite par le chef Montagnais Charles Meiachkwat au père Barthélémy Vimont qui faisait office de supérieur provincial chez les Jésuites de la Nouvelle-France.
    Meiachkwat fait cette requête aux Jésuites, dans le but de faire évangéliser sa tribu. Ce n'est cependant pas sans d'énormes difficultés que le père LeJeune exerce son ministère car les Montagnais sont des nomades. A cinquante ans lorsqu'il arrive à Tadoussac, le missionnaire a grande difficulté à suivre les Montagnais. Pourtant, il ne se plaint pas.
    ... ces bonnes gens m'appelaient ordinairement à leurs Conseils. Ils me communiquaient leurs petites affaires, m'invitaient à leurs festins. Ils me traitaient comme leur père...
     Le père Paul LeJeune n'habite en 1641 qu'une cabane d'écorce. Le 29 juin, après un mois à Tadoussac, il rentre à Québec, épuisé par la vie menée au cours des dernières semaines; mais il le fait avec satisfaction car il a baptisé une quinzaine d'amérindiens.
    ... j'en aurais baptisé beaucoup plus si ces pauvres gens eussent été en un lieu où ils pourraient être conservés à la foi. Mais cela arrivera en son temps...
    En 1642, le père Paul LeJeune est remplacé par un autre Jésuite, le père Jean DeQuen, âgé d'à peine 39 ans. C'est à ce dernier qu'on doit la découverte du lac Piek8agami c'est-à-dire le "Lac Plat", aujourd'hui connu internationalement pour sa traversée à la nage, le Lac Saint-Jean. Voici d'ailleurs ce que dit le père DeQuen au sujet de ce majestueux lac auquel on a donné son nom.
    ... ce lac est si grand qu'on en voit à peine les rives. Il semble être de figure ronde. Il est entouré d'un pays plat terminé par de hautes montagnes éloignées de 3, 4, 5 lieues. Il se nourrit d'une quinzaine de rivières qui servent de chemin aux petites nations qui sont dans les terres pour venir pêcher sur le lac et pour entretenir commerce et amitié entre elles...
    La nouvelle région, uniquement habitée par les différentes familles des Algonkiens, en particulier les Montagnais dont les plus denses ethnies sont formées par les Papinachi8ck (Papinachois) et les Kakouchak (Nation du Porc-Epic), jusque-là était sur le point d'être perturbée par des indésirables chez les paisibles nomades.
    Si tout allait pour le mieux chez les blancs, la guerre qu'ils menaient contre les Iroquois concentrée sur deux décennies (1660-1680) fut des plus pénibles pour le Royaume naissant. Sédentaires, les Iroquois étaient voués à l'extermination s'ils demeuraient sur leurs terres que les blancs convoitaient; ils se replièrent sur le Saguenay pour contrer l'attaque. Les Montagnais ainsi privés de leurs terrains de chasse traditionnels les défendaient plus souvent qu'à leur tour, au prix de leur vie.
     ... ce fut en ce temps-là que les Iroquois ayant poussé leurs voisins, entrèrent dans le Saguenay et dans les profondeurs des terres, où ils ont massacré la plupart des sauvages, leurs femmes et leurs enfants...
    Les Algonkiens formaient une grande et belle famille dans ces temps reculés. Leur clan était divisé en différentes Nations dont, bien sûr, les Montagnais qui se sous-divisaient en différentes branches. On décèle parmi celles-ci, les Papinachi8ck, les Oumami8ck ou Oumamiois, les Bersiamisk8 ou Bersiamites dont le nom est resté au lieu où ils habitaient et enfin, les Kakouchak, c'est-à-dire les Porc-Epic.
    En 1673, le père François de Crespieul (ou Crépieul), également Jésuite, fait une brève allusion au glissement de terrain survenu aux Terres-Rompues dix ans plus tôt, en 1663 et, selon toute vraisemblance, c'est le seul témoignage qui nous est fourni dans les écrits de la Nouvelle-France pour donner une datation un tant soit peu précise qui fixe le glissement auquel faisait allusion le Dr Pierre LaRochelle directeur de la mission technique dans son Rapport de Synthèse sur la Coulée d'argile de St-Jean-Vianney que nous aborderons ultérieurement.
    ... le lendemain (3 novembre 1673), nous fûmes obligés de porter notre canot et tout ce que nous avions avec nous pendant deux lieues, avec beaucoup de fatigue, marchant tantôt dans la boue et tantôt dans les neiges. Pendant que nous marchions, je remarquai de funestes traces du grand tremblement de terre de 1663...
    Au mois de décembre 1674, le Roi-Soleil Louis XIV abolit la Compagnie des Indes Occidentales et, probablement au début de 1675, il détache le territoire du Saguenay de la colonie de la Nouvelle-France et lui décerne par décret le titre de Domaine Royal ou Royaume du Saguenay, ce qui en fait un territoire dont les revenus iront directement à la caisse du Roi.
    Depuis ce jour, le Saguenay a conservé la même superficie, environ 150 000 milles5. C'est en se servant de sa limite nord-est comme délimitation que, suite au jugement du Conseil Privé en 1927, une parcelle de 110 000 milles fut retranchée du Québec pour être accordée à Terre-Neuve: le Labrador.
     Les Montagnais sont d'habiles chasseurs et le Roi-Soleil en a entendu parler. Cette même année, profitant donc de la situation pour renflouer ses caisses, le roi décide de faire passer les droits de chasse et de pelleterie alors aux mains des fermiers pour lesquels les argents "constituent le fond du pays et subventionnent en une bonne partie les dépenses de l'administration du pays, à une compagnie dont le procureur est le Sieur Bazire".
    Le Sieur Bazire réalise très vite l'insuffisance du poste de Tadoussac et s'empresse d'ériger de nouveaux postes de traite, l'un à Shegoutimish "jusqu'où l'eau est profonde", lequel deviendra en 1842 Chicoutimi, de même qu'à Métabetchouan auquel on accole également l'appellation St-Jérôme.
    Nous savons que le père Jean-Baptiste de la Brosse fut le dernier Jésuite à s'installer au Royaume du Saguenay pour évangéliser les Amérindiens, en 175612. Décédé en 1782, il repose sous la chapelle de Tadoussac. Les prêtres séculiers allaient prendrent la relève des Jésuites à la mort du père de la Brosse.
     Mais que savons-nous des premiers laïcs à venir au Royaume du Saguenay pour y faire la traite des fourrures ou cultiver cette terre qui semblait si étrange à Jacques Cartier? Nous savons que Nicolas Peltier vint à la fin du XVIIe siècle; il fut le premier à se confesser dans la chapelle de Chicoutimi. Mais, antipathique au procureur du Domaine Royal, même s'il trouva épouse à deux occasions dans la région, il ne put jamais s'y établir.
    Comme la région qui nous préoccupe est celle de St-Jean-Vianney, rétrécissons l'étendue du territoire que nous scrutons. Quand arrivèrent les premiers habitants? Quelles étaient leurs occupations dans ce royaume enchanteur? D'où venaient-ils? Quelle fut leur lignée?
     Ici, notre histoire commence à s'embrouiller. La documentation de l'époque, dite de première main, est rare et encore plus ambigüe. Lors d'une conférence tenue dans le cadre des festivités entourant le jubilée d'argent de la paroisse, le 26 juin 1960, le chanoine historien Victor Tremblay déclarait:
    ... le premier fait à établir est celui des pionniers. Il pose un problème assez difficile, car votre paroisse n'est pas le résultat d'une fondation initiale...
    C'est peut-être pourquoi il y a tant de premiers arrivants. Chacun a sa propre version sur les faits qui nous préoccupent. Ainsi, le deuxième curé de la paroisse, Jean-Baptiste Savard qui exerça son ministère à St-Jean-Vianney entre les années 1942 et 1959, assure que Alexandre Murdoch, arrivé en 1867, est le premier colon établi à St-Jean-Vianney.
    Par ailleurs, une descendante de ce même Alexandre Murdoch affirme, dans une lettre, que jamais son ancêtre n'a cultivé la terre; par le fait même il lui est impossible d'être le premier colon du village.
     ...le premier en date, dit le chanoine Victor Tremblay, était établi dans le voisinage avant même l'ouverture du Saguenay: c'est Peter McLeod senior, père de celui qui a commencé Chicoutimi en 1842. Le père McLeod demeurait aux Terres-Rompues près de l'embouchure de la Rivière aux Vases. (...) [Il] possédait un vaste domaine dont une grande partie, 8 lots, (les lots 17, 18, 19 et 20 des rangs 1 et 2) sont dans les limites de la paroisse de St-Jean-Vianney. Ses lettres patentes sur ces lots sont datées du 21 octobre 1850. Il est donc à la fois le premier occupant et le premier propriétaire de terrain...
    Le même chanoine Victor Tremblay dira ailleurs que Peter McLeod demeurait au Saguenay depuis 1809. Cependant, sous une autre plume, on trouve un autre revirement de la situation.
     ... la Société des XXI a vraiment été la colonisatrice du Saguenay. C'est grâce à son effort que des hommes pénétrèrent dans ce vaste pays peuplé jusque-là de mystères...
...En fait, le nombre de ceux qui ont contribué de quelque manière à la colonisation du Saguenay dépasse vingt et un. Au printemps de 1838, vingt-sept hommes quittent la Malbaie, conduits par Alexis Simard...
    Ce dernier est le frère de Thomas qui, longtemps, œuvra pour la Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est en hommage à Thomas que le Canton Simard, auquel appartient St-Jean-Vianney, a été toponymisé.
    Nous n'avançons guère... Trois versions différentes se démentent mutuellement, proposant tour à tour Alexandre Murdoch, Peter McLeod père, puis Alexis Simard. Et voilà qu'arrive un autre historien, J.-Allan Burgesse, affirmant que la plus ancienne famille au Saguenay serait la famille Verreault. Il précise même que François Verreault demeurait à l'embouchure de la rivière Ship-shaw, ce que confirme un autre historien, Lorenzo Angers.
    J'ai tenté de pousser plus avant, de fouiller le dossier, mais toute trace de "civilisation blanche" à demeure sur le site de ce qui allait devenir St-Jean-Vianney, s'arrête dans le temps à ce fameux François Verreault, selon mes recherches.
     Entendons-nous donc pour accorder à Burgesse raison sur ce point: François Verreault serait effectivement le premier résident des Terres-Rompues. Qui fut François Verreault? D'où venait-il? Qu'est-ce qui prouve qu'il était là avant les autres?
    Burgesse affirme que François Verreault a été baptisé à Château-Richer le 8 mars 1760, ce qui n'est pas tout à fait exact. Bien que ses parents, Prisque Verreault et sa femme Catherine Laberge, habitaient fort probablement Château-Richer, (les baptistères de six de ses enfants y sont enregistrés) François fut baptisé à l'Ange-Gardien.
    C'est peut-être la découverte des baptistaires de Marie-Catherine (1756), Marguerite (1765), Joseph (1767), Prisque (1769), Louise (1773), Louis (1773) qui fait conclure à Burgesse que François était originaire de Château-Richer.
    Avec le concours et la bonne volonté teintée de patience du curé et de la secrétaire de la Fabrique de Château-Richer, j'ai tenté de trouver trace de François Verreault dans cette paroisse. Malgré la célérité de nos recherches, nous avons été incapables d'y arriver.
    Cependant, le registre de l'Ange-Gardien porte cette annotation:
    L'an mil sept cent soixante le huit mars par nous ptre soussigné a été baptisé François né le jour de son baptème du légitime mariage de prisque verau et de Catherine Laberge le parain a été françois Gravel et la maraine Dabé gagnon qui on déclaré ne sçavoir signé de ce requis selon lordonnense.
Fr. Sabourin ptre
    François Verreault est le descendant à la cinquième génération de Barthélémy Verreault dit le Bourguignon arrivé de St-Jean de Dijon en Bourgogne entre 1660 et 1662.
     Son oncle François, né, lui, à Château-Richer le 10 novembre 1749 brouille souvent les pistes. Ainsi, on le retrouve aux Ilets Jérémie lors de la bénédiction de la chapelle qu'il a lui-même construite de 1766 à 1767. Il est très ardu de départager les deux et ce, particulièrement pour ce qui a trait à la descendance.
    De toute façon, celui qui nous intéresse est venu rejoindre son oncle Louis Verreault (il signait Louiverro ce qui le fait croire analphabète) au cours de l'année 1775. Chasseur et trappeur comme son oncle, François s'établit à l'embouchure de la rivière Shipshaw. C'est d'ailleurs ce qu'il déclare devant la commission d'enquête sur l'ouverture du Saguenay à la colonisation, lors de son témoignage.
     ... l'immense centrale hydro-électrique de Shipshaw, construite pendant la dernière guerre pour desservir les alumineries d'Arvida, se dresse presque sur l'emplacement de sa maison...
     C'est ce que nous rapporte J.-Allan Burgesse. Croyant qu'il s'agit là d'un élément véridique donc fondé et digne de foi, Lorenzo Angers transcrit l'annotation de Burgesse dans son livre avec cependant une variante de taille, même s'il cite Burgesse.
    ...D'après J.-Allan Burgesse, [...] La grande centrale hydro-électrique de Shipshaw, qui dessert les alumineries d'Arvida, se dresse précisément sur l'emplacement de la maison de François Verreault...
    Or, cette autre assertion est erronée si on se reporte à un article paru dans le Progrès du Saguenay daté du 14 janvier 1926. On y annonce le détournement prochain de l'embouchure de la rivière Shipshaw pour la construction du barrage qui porte le même nom. Il appert que cette déviation de l'ordre de 1.6 kilomètre fut entreprise et complétée au cours des années 1930.
    La maison de François Verreault ne peut pas avoir été érigée sur l'emplacement actuel de la centrale (ni presque ni précisément) car, pour des fins pratiques, la maison des colons à cette époque était toujours construite tout près des cours d'eau, souvent en deçà de 100 pieds du rivage.
     On doit donc éliminer l'emplacement du barrage de Shipshaw comme site probable de la maison de François Verreau. Où demeurait-il, alors? Nous en avons un bon aperçu, mais il ne sera jamais possible de prouver nos assertions. Dans son Journal of Chicoutimi dont nous reparlerons plus tard, Neil McLaren situe, au début du XIXe siècle, l'emplacement de la maison de François Verreault aux Terres-Rompues.
    D'après Burgesse, François Verreault épouse le 5 août 1786 Marie Petsiamiskueu, une amérindienne que le généalogiste affirme n'avoir pas été baptisée.
     Egalement généalogiste et descendante de François Verreault, madame Georges Dessaint de Saint-Pierre (née Marie-Ange Verreault) affirme: "Marie Petsiamis Kueu n'était pas catholique mais j'ai trouvé son mariage à St-Pierre I.O." Selon ses recherches que madame Dessaint de St-Pierre a bien voulu nous communiquer, Marie Petsiamis Kueu a été confirmée le 23 juillet 1790 et a fait sa première communion le 27 mars 1795.
     Demeurant sceptique quant à l'éventualité d'un mariage sanctionné par un prêtre sans qu'il y eut préalablement certitude d'un baptême antérieur, j'ai poursuivi mes fouilles jusqu'à ce que je découvre ce qui suit:
     " Item baptistatur Maria BersiamisKue, duos menses nata, filia Josephi Antonii Shashumegu et Mariae Josephae Ustshesk, susceptoribus Ludovico Namesteku et Maria Kaskanetsis"
    [on pourrait traduire librement le document comme suit:]
    j'ai baptisé Marie BersiamisKue, née deux mois plus tôt, fille de Joseph Antoine Shashumegu et Marie-Josèphe Ustshesk; les parrains sont Ludovic Namesteku et Marie Kaskanetsis.
    Bien que d'autres personnes aient donné au nom de l'épouse de François Verreault, plusieurs graphies différentes, nous nous bornerons à lui donner celle que Jean-Baptiste de la Brosse lui a donnée sur les Registres du Poste de Tadoussac.
    
(...)

Pour la suite, veuillez vous adresser à mon éditeur
ou chez moi