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 Grèce : un mouvement qui se cherche

       jeudi 10 juin 2010 par cnt ait

       La phase de la lutte des classes qui se déroule actuellement en
       Grèce est sûrement une préfiguration de ce qui attend le reste de
       l'Europe. Les insurgés de décembre 2008 en avaient déjà
       conscience, eux dont les banderoles proclamaient « Nous sommes une
       image du futur ». Dans le précédent numéro
       d'Anarchosyndicalisme ! [1], nous livrions une analyse du
       pourquoi de cette crise, des perspectives d'issues, mais aussi des
       écueils contre lesquels les révolutionnaires pouvaient s'échouer.
       Suite à cet article, un compagnon Grec membre d'un groupe
       anti-autoritaire de Thessalonique nous a transmis des informations
       sur des luttes en cours ainsi que son analyse de la situation
       « vue de l'intérieur ».

       Loin des images médiatiques d'affrontement, ce compagnon nous
       dresse un tableau de la situation dans les lieux de travail. Si le
       sentiment d'injustice et le désir de révolte sont souvent
       présents, les travailleurs sont pour le moment entravés par leur
       incapacité actuelle (et espérons-le temporaire) à lutter autrement
       qu'à travers les structures classiques d'encadrement (syndicats,
       partis). Ils doivent tout réinventer par eux même, sans trop
       d'appui théorique ni d'expérience. Cependant des initiatives
       locales de lutte émergent (Interattica, pêcheurs égyptiens de
       Thessalonique, restaurant Banquet, etc.), qui pourraient devenir
       les prémices de quelque chose de plus large.

       Ces luttes de base, menées souvent avec - ou exclusivement même -
       par des immigrés (« non grecs »), montrent bien que le combat
       n'est pas - contrairement au discours « anti-impérialiste » du
       parti communiste grec, le KKE, souvent repris par le reste de la
       gauche européenne - celui des méchants (FMI et Banque Mondiale)
       contre les gentils (le « peuple grec » et, en sous-entendu, son
       non moins gentil Etat). Non ces luttes montrent que le visage de
       l'ennemi est celui du capitalisme sous toutes ses formes : qu'il
       soit mondialisé (celui des jumeaux FMI-Banque Mondiale et leurs
       plans de redressement et d'austérité), qu'il soit Européen (comme
       le groupe « La Poste » - oui notre bon service public français ! -
       qui a fermé brutalement sa filiale grecque Interattica), ou qu'il
       soit local (comme le sont l'État Grec et les patrons des petites
       et moyennes entreprises grecques). C'est contre eux tous que se
       mènent actuellement les luttes de base. Voici ce témoignage  :

       TEMOIGNAGE

       Jeudi le 20 mai a eu lieu une grève générale organisée par le
       GSEE [2] & l'ADEDY [3]. Pour la deuxième fois en mai, la
       participation à la manif au centre d'Athènes, mais aussi la grève
       dans tout le pays, a été massive. La manif a été sans
       affrontements avec la police, ce qui ne veut pas dire -
       contrairement à ce que pensent quelques militants - qu'elle
       n'était pas du tout importante. En effet, cette manifestation peut
       aussi s'analyser comme une réponse populaire au climat créé par
       l'Etat, les médias avec la complicité des syndicats
       eux-mêmes [4] à la suite de la mort des trois travailleurs de
       la Marfin Bank (dans l'incendie en marge de la manifestation du 5
       mai). Tout a été fait par le pouvoir pour exploiter au maximum cet
       événement en essayant de « criminaliser » les manifestants, de
       soupçonner tout le monde (et avant tout, les anars) comme de
       potentiels « provos ». Par exemple, pour que l'information sur la
       mort des trois travailleurs soit retransmise immédiatement (et ait
       le maximum d'impact émotionnel), le syndicat bureaucratique des
       médias (ESYEA) n'a pas hésité à interrompre sa grève du 5 mai. Il
       a pris également position contre la participation à la grève du 20
       mai, sous le prétexte des affrontements violents généralisés
       prévisibles... qui n'ont pas eu lieu, à sa grande déception !

       Cependant il ne faut pas se faire d'illusions. Les mobilisations
       organisées par les bureaucrates, même si la décision d'appeler à
       la grève a été prise sous la pression sociale, ne sont, comme tout
       le monde le sait, que des mobilisations organisées d'en haut pour
       canaliser la rage et l'indignation de la société. Beaucoup de gens
       (je parle ici des gens non-militants) se demandent : «  Pourquoi
       une grève générale tous les dix ou quinze jours ?  », «  Pourquoi
       des mobilisations après la ratification des mesures d'austérité ?
        », «  Quelle est la signification d'une « grosse » manif (même
       avec des affrontements) si on ne peut pas se battre contre les
       mesures le lendemain de la grève générale de 24 heures  ?  ». Pour
       moi, ces questions sont importantes, (je ne dis pas que ces
       questions sont « représentatives » de ce que pensent tous les
       manifestants) parce qu'elles montrent la situation réelle dans
       laquelle se trouve actuellement le mouvement. D'un côté, la
       tension réelle que ressentent les gens se manifeste par
       l'organisation de mobilisations dans les rues du centre d'Athènes
       presque chaque jour par des enseignants, des chômeurs du secteur
       public, des retraités etc., de l'autre, la situation dans le
       milieu du travail (et notamment dans le secteur privé) est bien
       différente. La colère et la rage exprimées dans la rue n'arrivent
       que rarement à s'exprimer sur les lieux de travail, parce qu'au
       niveau pratique il y a plein de questions non résolues : qu'est-ce
       qu'on peut faire ? Comment est-ce qu'on peut lutter  ?... A ce
       jour, les militants de gauche ou les anars n'ont pas véritablement
       de réponses, en partie parce que le mouvement « a/a »
       (anarchiste/antiautoritaire) n'a (re)découvert le « monde du
       travail » que récemment !

       Cependant, des petites luttes ont commencé à apparaître. Elles
       sont importantes car elles ont réussi à regrouper la mobilisation
       et la solidarité, non seulement des militants « connus », mais
       surtout l'implication active d'autres travailleurs et, parfois, de
       la société locale et, ainsi, à emporter des victoires. A mon avis
       la dynamique de ces luttes est plus importante que le nombre des
       gens mobilisés. Pourquoi ? Parce que, quand une lutte est gagnée
       dans un secteur (aussi mineur soit-il), il y a d'autres personnes
       à qui cela donne l'idée d'essayer de lutter et de s'organiser de
       façon similaire. Par exemple, une lutte menée par des travailleurs
       d'une entreprise de saisie informatique s'est étendue à une autre
       société du même type et toutes les deux ont gagné. Une lutte
       contre le licenciement d'un travailleur dans une maison d'édition
       a réussi à mobiliser des travailleurs dans le secteur du livre
       (malgré les intellos bien connus qui, eux, soutenaient l'éditeur)
       et a finalement été gagnée. Même dans la rue on commence à
       observer quelques tendances assez remarquables : par exemple, ce
       n'est pas par hasard que la majorité des gens qui sont descendus
       dans la rue pour manifester les 05 et 20 mai ne sont pas allés
       dans les cortèges du GSEE, ni de l'ADEDY, ni du KKE (qui
       traditionnellement réunissent des milliers de manifestants) mais
       ont préféré se retrouver dans ceux des syndicats de base, apparus
       ces deux ou trois dernières années et qui se sont multipliés.

       Malheureusement, très peu des gens essayent d'analyser ces luttes
       (leurs limites, leurs problématiques, leurs niveaux
       d'organisation). Ce n'est pas seulement une question de manque
       d'information due au fait que le grec est une langue
       « minoritaire », ce qui ne facilite pas les échanges au-delà des
       frontières linguistiques, mais aussi une question de manque
       d'analyse. Les militants en Grèce reproduisent souvent un
       fatalisme en reprochant à la « société » de ne pas « se
       révolter ». Je veux dire qu'ils n'essayent pas de voir les choses
       dans une dynamique, comme un processus. Ils imaginent que tout va
       se faire spontanément, automatiquement etc. Mais, il est vrai
       d'autre part et heureusement qu'il commence à y en avoir d'autres
       (je parle surtout de compagnons d'après Décembre et d'après le
       mouvement étudiant de 2006-2007 qui ne parlent pas la langue de
       bois des militants -celle des anars et autonomes y compris) qui
       cherchent des réponses et qui essayent de faire un travail
       politique de fond. En tout cas, le problème du manque d'infos doit
       aussi s'analyser comme un problème organisationnel (même-moi je ne
       trouve pas assez de temps pour écrire et avant tout pour expliquer
       le contexte et la situation actuelle), de conception et d'analyse.
       Il faut sortir du hiatus entre analyse et action, autrement que,
       comme cela se passe actuellement, en essayant de le combler soit
       par l'activisme soit par la spéculation théorique.

       Anonymos


       [1] Anarchosyndicalisme ! n°117, « Printemps grec : Dans la
       spirale infernale du capitalisme » et « Printemps grec : Aux    
       prises avec la stratégie étatique »            
       http://www.cntaittoulouse.lautre.net/article.php3?id_article=377#nb1

       [2] Syndicat majoritaire, équivalent de la CGT. Son siège
       avait été occupé par les révoltés en décembre 2008.
       http://www.cntaittoulouse.lautre.net/article.php3?id_article=377#nh2

       [3] Syndicat du secteur public. 
       http://www.cntaittoulouse.lautre.net/article.php3?id_article=377#nh3

       [4] Comme partout dans le monde, les centrales syndicales   
       grecques sont dans un double jeu permanent : elles sont un des
       outils du pouvoir pour obtenir la soumission des foules et, pour
       cela, elles sont obligées de « faire un petit quelque chose » pour
       ne pas décevoir leurs adhérents et sympathisants (ce qui leur
       permet de conserver leur capacité d'encadrement des foules, et
       donc de remplir leur rôle d'outil du pouvoir). 
       http://www.cntaittoulouse.lautre.net/article.php3?id_article=377#nh4

       Ce texte est un extrait d'un courrier dont l'intégralité ainsi que
       d'autres textes en relations avec les luttes en ce moment peuvent être
       lus sur :
       http://cnt-ait.info