PHILÉAS LEBESGUE

 

Philéas vers 1950

Le Printemps

 

Le fluide arc-en-ciel

Sur le cerisier blanc a jeté son écharpe,

Sur le cerisier blanc d'où sort un son de harpe,

Et qui vibre au soleil ;

 

 

Dans la gaze éblouissante

Du fluide arc-en-ciel

Vont et viennent les abeilles ;

Au coeur des fleurs tremblantes,

 

 

Elles chantent,

En quêtant leur miel...

 

(La Bûche dans l'âtre)


PÂQUERETTE

Pâquerette, pâquerette,

Il y a des gouttes d'eau

Sur ta collerette,

Et tu plies un peu le dos...

Pâquerette, pâquerette,

Le beau soleil printanier

Viendra-t-il les essuyer ?

 

Pâquerette, pâquerette,

Qui souris près du sentier,

Je te le souhaite...

[.......]

Pâquerette, pâquerette,

Eh ! Je crains pour toi, ce soir,

La folle fillette

Qui marchande de l'espoir !

Pâquerette, pâquerette,

M'amie aux jolis souliers

Vinedra-t-elle t'effeuiller ?

 

(Triptolème ébloui)

 

 

Philéas LEBESGUE est né le 26 novembre 1869 à la Neuville-Vault (Oise) en Picardie. Il fréquente le Collège de Beauvais (actuel lycée des Jacobins) puis retourne à la terre. Là, il redevient paysan mais poursuit assidûment un travail intellectuel prodigieux, notamment dans le domaine des langues étrangères où il excelle. À dix huit ans, il fait paraître ses premiers poèmes. Il est alors très marqué par le symbolisme. Deux ans plus tard il publie son premier drame lyrique "Dieu et Démon". Entre 1896 et 1940 il sera le critique favori et attitré du Mercure de France pour les lettres portugaises, grecques, yougoslaves et brésiliennes... Il traduit aussi bien Tagore que des ouvrages en Breton "Sous le chêne des druides" en 1931.

Le poète-paysan décède le 11 octobre 1958, assez connu pour ne pas être ignoré, mais si peu célèbre qu'on peut se demander pourquoi son oeuvre n'a pas eu le retentissement qu'elle méritait... N'était-il pas issu d'un milieu social qui ne convenait pas ?... Trop autodidacte ?

Son intelligence, en effet était universelle et puissante. On peut dire que dans bien des domaines, il a été l'égal de Victor Hugo et qu'a bien des égards, il l'a dépassé.

"Lebesgue est poète, mais il est aussi un linguiste extraordinaire, un érudit, un philosophe, un penseur de très haute classe. Et là est le miracle... ". (Émile Guillaumin 1923)


L'au-delà des grammaires

Au commencement était le verbe

Il émane des choses et de nous-mêmes un rayonnement invisible, des vibrations, des ondes indéfiniment propagées selon la diversité de rythmes nombreux ; il existe en nous, autour de nous, comme le flux et le reflux d'une mer où nous serions baignés jusqu'aux profondeurs de nos fibres charnelles, des pulsations mystérieusement accordées entre elles et d'une telle importance pour chcune de nous, à cause de leur étroite parenté avec le principe même de la vie, que les hommes reconnurent de tout temps un don céleste à quiconque se révélai capable de fixer pour les autres, fût-ce par hasard ou fugitivement, ces rapports étranges. Toute notre existence idéique semble ainsi sortir de nous-mêmes, pour constituer autour de notre être une sorte d'atmosphère obscure et se projeter à certaines heures, au souffle de nos volontés, loin par-delà la banalité des vulgaires contacts, dont la pression sur elle ne cesse, toutefois un seul instant d'agir. On a comparé l'âme humaine à un miroir, à la boîte sonore d'un instrument de musique, à ces harpes primitives dont les cordes se laissent doucement émouvoir par le vent qui passe, et voici que la nouvelle science vient, en effet, de découvrir de quels reflets cachés ou concordants s'animent, sous certains chocs, certains êtres, certains corps ou certaines ténèbres. Sonores, lumineuses, magnétiques ou radioactives, selon l'expression récente qu'il a fallu créer, mille ondulations s'entrelacent et se remplacent, se correspondent et se répondent, et le monde est comme un piano dont elles seraient les cordes et dont nous serions les touches... sous quels doigts ?

Inconsciemment nos paroles, à chaque instant, transposent sous la forme sonore quelques unes de ces vibrations émanées des choses ou des intelligences secrètes de la Nature et qui, au hasard, sollicitent, pour s'en nourrir, notre vertu sensitive.

L'art, diversement, imagina ou perfectionna d'autres modes de transposition tous dérivés de la parole ou du geste.

 

IMAGES

 

La lune vêt les bois de mousseline bleue ;

Le ciel entre les peupliers

Mire ses yeux dans la rivière

Où viennent se déplier

Des écharpes de lumière.

Dans le fond du vallon, je reconnais Bonnières...*

Du haut de la colline on voit les flots soyeux

Accourir vers l'écluse où le moulin les guette

Pour les happer dans ses mâchoires

Avec un hurlement joyeux...

 

Comme il fait clair de lune aussi dans la mémoire

Du vieillard qui revient promener ses soucis

Parmi les choses de jadis !

 

Il voit l'église blanche et, là-bas sur le faîte

Du grand clocher, un coq tout d'or

Dont l'ombre tombait naguère

Au jardin du presbytère.

Le vieux prêtre qui dort

Près du porche, au cimetière,

Fut autrefois son maître...

Dans la vieille église blanche

Il lisait parfois l'épître

Le dimanche...

 

La lune luit sur la rivière ;

Le vieux curé sommeille au cimetière...

 

(Campagne de France)

 

 

TU AS VIEILLI

 

Tu as vieilli ma mère et quand je vois tes rides,

Ton dos courbé, tes bras amaigris, ta pâleur,

Je sens monter du fond de ma poitrine aride

Jusqu'à mes tistes yeux une averse de pleurs.

 

La noblesse des traits usés affirme encore

Que tu fus belle en ton printemps, et ton regard

Atteste une vertu que notre époque ignore

Quelque chose dont l'or ne peut acheter l'art.

 

Tu as vieilli ma mère et j'en ai de l'angoisse.

Quant à croire pourtant que tu doives mourir

Je n'y puis résigner mon coeur que le vent froisse

Comme un lys frêle, un lys rebelle à se flétrir.

 

Qui me remplacerait ta voix qui est l'eu pure

De ma vie et qui m'aide à plonger dans le sol

Les racines d'espoir où mon destin s'assure ?

Ma mère, tu es fière et tu penches le col.

 

[...........2]

Va, je sacrifierais pour toi les biens du monde

Et je renoncerais à toute volupté

Pour racheter tes jours qui coulent comme l'onde

Entre les doigts et dont le nombre est bien compté !

 

[...........1] (Les servitudes)

Paru en 1925.