René Rémond rallie l'Eglise à l'idéologie des droits de l'homme

Philippe Brindet
05 avril 2005, révisé le 29 mai 2010


Profitant du décès de Jean-Paul II et préférant engager le Saint-Père avant la nomination du Pape successeur, le Président René Rémond "rallie" l'Eglise à l'idéologie des droits de l'homme. Interrogé par Le Monde en date du 2 avril 2005, à la question :
Quels sont les points de son (Jean-Paul II) bilan qui resteront à l'histoire ?
René Rémond répond :
Outre ceux déjà mentionnés, je citerai le ralliement de l'Eglise aux droits de l'homme, qu'elle combattait il n'y a pas si longtemps.
Une telle déclaration, venant de la part d'un catholique qui est une autorité à tout le moins de consultation des autorités anticléricales comme le ministère de la police et l'épiscopat français, ne laisse pas présager des lendemains ensoleillés à l'Eglise.

Quelle critique fait-on ici de l'opinion de René Rémond ?

Elle est double.

Tout d'abord, c'est un raccourci que de parler de ralliement quand, parmi les droits de l'homme, on sait que leurs sectateurs tiennent le droit à l'avortement comme l'un des plus essentiels.

En effet, le Président Rémond ne peut ignorer la condamnation absolue que le Pape et l'Eglise ont adopté de tout temps à l'encontre de cette pratique abominable qui est pratiquée en France par plus de 250.000 femmes chaque année, et ce depuis plus de vingt ans. On peut donc poser que plus de 4 millions de femmes encore vivantes aujourd'hui ont pratiqué au moins une fois un avortement en France, et près de 4 millions d'hommes ont été leurs complices.

Il en découle que près de 8 millions de Français, soit 8 % de la population actuelle a pratiqué des avortements. Du fait que chaque couple est entouré d'au moins d'une famille de vingt à trente personnes, la probabilité pour que l'immense majorité des familles soit touchée par le fléau de l'avortement dans un pays comme la France est donc énorme. Or, si l'Eglise était "ralliée aux droits de l'homme" au sens où l'entend René Rémond, comment pourrait-elle condamner cette atrocité de l'avortement ?

Si dans un esprit de dialogue constructif, nous dégageons de ce fatras épouvantable des droits de l'homme dont parle René Rémond ceux dont, par un hâtif raccourci, on peut dire que l'Eglise les reçoit, on verra que les droits de l'homme ne sont non une conquête de l'homme lui-même, mais les droits de l'homme sont des propriétés intrinsèques de tout être humain indépendemment du fait qu'il soit ou non citoyen. Ce que l'Eglise réfère avec l'expression de "droits de l'homme" provient du fait fondateur que tout homme est fait à l'image de Dieu.

De sa création à l'image de Dieu, il résulte que le premier caractère de la dignité de l'homme se trouve être la liberté. Cette liberté n'est en rien l'acquis d'une lutte au sens de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que Rousseau, à la suite de Hobbes, l'invente dans Le Contrat social. Mais, la liberté inventée comme un trésor par l'Eglise est une propriété de tout être humain, une caractéristique essentielle de la dignité humaine et qui découle de la nature de l'homme fait par Dieu-Créateur. Cette liberté, chacun de nous la détient du simple fait qu'il a été conçu.

A la différence, la liberté voulue par Rousseau et Hobbes, ces deux auteurs étant pris ici comme les représentants de l'idéologie des droits de l'homme au sens de René Rémond, découle d'une volonté dictatoriale parce qu'elle asservit l'homme à la loi du droit et du droit prétendu de la Nature. Cette Nature est en fait une représentation du Monde qui est trompeusement écarté du lien avec Dieu-Créateur. Cette représentation du Monde est radicalement celle du péché originel dans lequel l'homme se représente le monde sans Dieu.

Usant des propriétés que Dieu lui a concédé, l'homme du péché originel applique ses facultés et la première d'entre elles, la liberté, pour se représenter le monde sans passer par Dieu. Il devient alors "comme Dieu".

Le drame du péché originel vient de ce qu'il s'agit d'une simple représentation en ce sens que la réalité du monde est tout autre. Et ainsi le monde représenté par l'idéologie de l'homme pécheur est radicalement une illusion.

Le second caractère de la dignité de l'homme s'exprime dans la fraternité. Et cette fraternité ne réduit pas l'homme à l'appartenance à un sang ou à un peuple en ce qu'il s'oppose aux autres sangs, aux autres peuples. Cette opposition funeste est directement mise en oeuvre dans l'exposé de l'idéologie des droits de l'homme que constitue l'un des symboles de la démocratie française, La Marseillaise.

Au contraire, la fraternité offerte par l'Eglise ouvre l'homme particulier à deux dimensions essentielles. La première dimension de la fraternité fait entrer tout homme, du simple fait de son baptême, dans une adoption divine parce que, de par sa Volonté arbitraire, Dieu s'est fait dans l'Incarnation, l'un de nous, et "ne retenant pas jalousement son rang divin", comme nous l'enseigne Saint Paul, nous saisit et, par sa Résurrection, nous incorpore à sa divinité.

La seconde dimension de la fraternité offerte par l'Eglise place chaque homme dans une position de service à l'égard de tous, par imitation du Christ.

De cette fraternité de service, il découle un troisième caractère de la dignité de l'homme, à savoir l'égalité. Il existe dans le christianisme une égalité foncière qui place chacun des membres de l'Eglise comme serviteur de tous, dans l'Eglise et hors l'Eglise, d'autant plus que l'homme particulier veut atteindre le pouvoir. Le premier d'entre les hommes, le Christ, s'est fait le Serviteur de tous.

Et voilà la raison de la prétention au ralliement de l'Eglise. Elle est une simple erreur d'interprétation de la théologie de l'Eglise à moins qu'elle ne soit qu'une manipulation, une trahison. Déjà, en 1791, Saint Pie VI écrivait aux Evêques de France une Lettre dite Quod Aliquantum, expliquant la position de l'Eglise relativement aux nouveautés de la Révolution et plaçant délibérement l'Eglise en dehors de la querelle entre l'Ancien et le Nouveau Régime, mais adjurant les partis aux prises à respecter les droits de l'Eglise.

L'autre point de la critique faite ici de l'opinion de René Rémond vient du sacarsme que contient l'affirmation erronnée que l'Eglise aurait combattue si longtemps les droits de l'homme.

L'Eglise n'a jamais combattu les droits de l'homme en ce sens que l'Eglise ne dispose d'aucun pouvoir ni d'aucune troupe armée. Bien au contraire, l'Eglise est partout victime des atteintes policières aux droits de l'Homme et ce depuis toujours. Il suffit aujourd'hui de voir le traitement de contrôle du culte catholique que la France applique grâce à la Loi de 1905 et qui lui permet de contrôler le ministère ordonné particulièrement par la police des cultes.

Plus encore, il existe et il a toujours existé, une convergence entre les chrétiens qui appliquent la doctrine catholique sur la dignité de l'homme et de nombreux hommes de bonne volonté, même non chrétiens, qui pensent mettre en oeuvre l'idéologie des droits de l'homme dans la défense de cette dignité.

Particulièrement, cette convergence s'est vue dans les luttes des Chouans quand la dignité humaine était si gravement mise en danger dans les massacres des Républicains en Vendée. Les prêtres pourchassés pour des raisons religieuses se sont fondus pacifiquement dans le peuple vendéen en lutte et lui ont apporté le soutien spirituel de leur ministère.

Le lecteur de bonne foi verra dans cet exemple historique et connu de tous combien la prétention que l'Eglise aurait combattu les droits de l'homme est éloignée de la vérité. L'idéologie des "droits de l'homme" a surtut servie à persécuter l'Eglise. Il est de mauvaise foi de retourner le rôle des bourreaux dans un formidable négationisme de l'Histoire.

Mais toujours est-il que l'idée d'un ralliement de l'Eglise romaine aux "droits de l'homme" en trouble plus d'un, qu'il soit "papiste" ou militant anti-clérical. Comme quoi René Rémond avec sa formule est un ... rassembleur.

Qui dans l'Eglise considère que Rome est ralliée aux droits de l'homme sinon les chrétiens démocrates qui, à la suite de l'Eglise gallicane de Talleyrand et de Gobel, de Lindet et de Grégoire, veulent une organisation chrétienne, "compagnon d'humanité". Or, l'abus de clichés par ces sectateurs du Monde décourage la critique.

Qui dans l'Eglise se choque de ce que "Rome se serait ralliée aux droits de l'homme", sinon les conservateurs historiens qui vivent dans le souvenir d'un Ancien Régime fantasmé dont ils ne savent même plus qu'il portait intégralement l'idéologie des droits de l'homme, curés et évêques en tête.

Or ce que les chrétiens en vérité savent au plus profond de leur théologie, c'est que la liberté, la fraternité et l'égalité sont des valeurs fondamentales du christianisme et ces valeurs ont été détournées ignomineusement par l'idéologie des "droits de l'homme", comme une conquête de la Nature sans Dieu. Et Jean-Paul II ni aucun chrétien en vérité ne s'est jamais rallié à cette perversion. Nous avons l'original et nous méprisons la contrefaçon.

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