L'écologie des religions selon Edward Goldsmith
Philippe Brindet
13 mai 2006, révisé le 26 août, puis le 3 septembre 2009


Dans un article publié dans la revue L'écologiste, en février 2003, Edward Goldsmith aborde la question des relations entre les religions et l'écologie.

La question de l'écologie est une question centrale dans la civilisation contemporaine, essentiellement dans sa région occidentale. Or, cette civilisation présente encore des racines dans le monde religieux, chrétien essentiellement. Malheureusement pour les chrétiens, ces racines sont de plus en plus profondes, si profondes même, que beaucoup peuvent les oublier ou même les contester.

Bizarrement, encore plus profondes que les racines chrétiennes, la zone géopolitique occidentale possède des racines païennes, que le christianisme a tenté ou bien d'éradiquer ou bien d'intégrer comme il a pu dans son propre corps culturel. Et il se trouve justement que ces racines païennes reprennent vigueur dans le mouvement idéologique écologiste. Cette zone géopolitique occidentale est par ailleurs essentiellement dirigée par l'idéologie des lumières. Est-il besoin de démontrer cette chose ? Nous ne le pensons pas.

Or justement, l'idéologie des lumières a très souvent tenté de retrouver des racines dans des sociétés anté-chrétiennes, comme la République romaine ou la démocratie athénienne. C'est donc sous l'influence d'une certaine convergence que l'écologie et les Lumières se retrouvent pour effacer les racines chrétiennes.

Nous espérons éviter un contre-sens, mais il nous semble que Edward Goldsmith n'échappe pas à cette tentation. Mais, plus soucieux d'allégeance au canon écologiste qu'au diktat des Lumières, il se tient sur une position très critique à l'égard de la civilisation contemporaine. Ainsi, sa position le conduit à noter que les religions conventionnelles comme le christianisme, mais aussi l'islam et le bouddhisme, convergent dans une condamnation de la dérive destructrice de la société industrielle que condamne l'écologie radicale elle aussi.

Les critiques de Goldsmith portent essentiellement sur
« la substitution systématique d'un univers artificiel à la nature -- le monde réel, fruit de 3000 millions d'années d'évolution biologique et écologique ».
Cet artificialisme serait le fait des scientifiques dont le rationalisme aveugle le lien de l'humanité produit par les croyances traditionnelles qui maintenaient l'humanité en harmonie avec la nature.

Edward Goldsmith considère que la science contemporaine se constitue en « religion séculière propre au monde industriel ». Le dogme de la religion scientiste est celui du paradis sur terre apporté par la technologie développée à partir de la science. Et c'est par le combat contre la nature que ce paradis artificiel peut exister et progresser.

En réalité, il nous semble que l'écologie naturaliste se trompe en imaginant converger avec les religions conventionnelles, comme le christianisme, sur la question de la défense de la nature [1]. On peut concéder à Edward Goldsmith que le christianisme condamnera tout excès produit par un comportement humain, individuel ou collectif [2]. Un tel excès est manifestement réalisé par les manoeuvres polluantes de la société industrielle. Mais, l'écologie naturaliste ne devrait pas perdre de sa mémoire le fait incontournable que le christianisme annonce une destruction absolue, totale et radicale du monde [3]. À la différence, l'écologie naturaliste considère que le monde devrait être éternel et que c'est le devoir de l'homme de sauvegarder cette éternité en évitant par ces actions de mettre la nature en danger. On voit le caractère irréconciliable entre le christianisme et l'écologie naturaliste que cette opposition contient [4].

Quand une église, ou plutôt un hiérarque religieux, prend une position favorable à l'écologie au sens large du terme et profère une parole critique à l'encontre de la société industrielle, ce n'est généralement pas pour des motifs écologiques. Cependant, il est clair que même un hiérarque peut se tromper et adhérer à une thèse écologiste. Nous pensons plutôt que le christianisme dans une telle situation s'en tient au rappel du principal de la responsabilité de l'homme, créé à l'image de Dieu, non pas dans le monde spirituel, mais inséré dans le monde naturel. Seul l'examen attentif de la doctrine du péché originel, avec l'explication qu'elle donne de la rupture du lien qui existait entre la nature dans laquelle l'homme était inséré et le monde spirituel dans lequel l'homme trouvait la lumière de son image, permet de comprendre la position du christianisme souvent critiques à l'encontre de la société industrielle.

À la différence, l'écologie naturaliste ne comprend pas l'homme, en tant qu'il est image de Dieu, inséré dans le monde naturel. Pour cette écologie naturaliste, l'homme n'est jamais qu'un organisme supérieur parfaitement comparable aux autres organismes vivants. Qu'il existe un dieu créateur de l'ensemble ou non est indifférent à l'écologie en ce sens qu'elle peut aussi bien admettre l'existence de Dieu que considérer la parfaite autonomie existentielle de ce monde naturel.

Beaucoup d'écologistes naturalistes d'aujourd'hui tentent de retrouver les vieilles croyances panthéistes de l'époque qui a précédé le christianisme. C'est un véritable danger, parce que ce panthéisme est une régression sur les apports du christianisme.

Le naturalisme écologiste aujourd'hui identifie dans la nature un principe auquel l'homme doit se soumettre, non par un acte de volonté, mais simplement de la même façon qu'il est soumis à la gravité comme corps matériel ou à la loi de l'évolution, comme organisme vivant, sans aucune caractérisation supérieure sur les autres vivants. Souvent, ce principe est « personnalisé » ou « nommé ». Les écologistes parlent souvent de « la mère terre » ou encore de « Gaïa », retrouvant les vieilles expressions panthéistes. La révélation de l'ensemble judéo-chrétien, qui est historiquement et substantiellement considérable, est alors occultée, annulée, oubliée. Il est donc du devoir des chrétiens de recommencer l'annonce de la science admirable qui se trouve dans cette révélation divine et dont le dépôt se trouve dans l'Eglise depuis 2000 ans. Notablement, le christianisme a évacué la pensée "magique" des vieux paganismes en lui substituant l'architecture d'un monde créé par Dieu et qui a été donné à l'homme non seulement pour l'exploiter - premier sujet de l'opposition de l'écologie naturaliste - mais aussi et surtout pour le comprendre comme fait rationnel.

A partir du 18° siècle, la science se dégage de la religion dans un mouvement culturel qui rappelle celui de l'homme dans le péché originel. Dans le péché originel, l'homme se prend pour Dieu et se déclare seul propriétaire de la Justice. Dans le scientisme, le scientiste se prend pour l'homme et il se déclare seul propriétaire de la Raison. Le Hold-up du Second Millénaire ! Dans cette folie de l'exclusive de la raison, la "Science" a alors placée la civilisation dans un mouvement terrible qui a à la fois détruit l'homme et porté atteinte à la Nature.

Après une période de contestation de la suprématie de la société moderne, accusée de polluer la Nature, l'Ecologie a peu à peu pris le dessus sur la Science scientiste et rationaliste. L'écologie naturaliste s'oppose à la "Science" dans un rapport semblable de l'opposition de la "Science" à l'Eglise et de ce fait, l'écologie naturaliste constituerait aussi une régression "magique" au regard de la "Science" positiviste.

En face d'écologistes naturalistes qui, dans une manière peut-être mal comprise de Rousseau, veulent revenir à l'état de nature du bon sauvage, et qui, de ce fait, envisagent d'en revenir aux éructations des peuplades primitives du néolithique [5], il faut se souvenir qu'il existe un bien plus grand nombre de scientifiques, qui se sentent en marge du mouvement industriel. Eduqués sous l'empire de l'idéologie des lumières, c'est alors dans l'évocation, et même l'invocation, d'un positivisme scientiste, typique du XIXe siècle, qu'ils fondent, à l'orée du Troisième Millénaire, leurs critiques de la société industrielle et de ses dérives polluantes. L'humanité reste toujours et encore dans la voie de la régression.

Or, si Edward Goldsmith partage la critique des "scientistes" de la société industrielle, sa propre critique d'une "religion séculière du progrès" montre dans le débat combien la prise en compte de l'exigence chrétienne est essentielle pour l'avenir du Monde.
o o o


Notes

[1] Révision du 26 août 2009 : On citera tout particulièrement la Constitution concilaire Gaudium et Spes :
"Mais aujourd'hui, aidé surtout par la science et la technique, il a étendu sa maîtrise sur presque toute la nature, et il ne cesse de l'étendre; et, grâce notamment à la multiplication des moyens d'échange de toutes sortes entre les nations, la famille humaine se reconnaît et se constitue peu à peu comme une communauté une au sein de l'univers. Il en résulte que l'homme se procure désormais par sa propre industrie de nombreux biens qu'il attendait autrefois avant tout de forces supérieures. " (Cap 3, 33)
On voit ici encore que l'Eglise du Concile cherche désespérément à s'associer au monde industriel. retour au texte

[2] Révision du 26 août 2009 : On doit noter qu'en 1962, lors du Concile, l'idée d'une nature menacée par la pollution et l'activité industrielle n'a pas effleuré les participants au Concile. Il faut attendre les années 90 pour que l'idéologie écologiste passe dans la structure hiérarchique de l'Eglise. En France, on a maintenant régulièrement l'invocation d'une "écologie chrétienne" ... (voir cette page du diocèse de Fréjus). On est toujours un peu étonné de la "plasticité" des discours ecclésiastiques aux idées dominantes. Mais il s'agit aussi d'une demande de la "base", de la piétaille, du "troupeau". Ainsi de l'écologiste Jean-Marie Pelt, chrétien et homme de science, qui insiste sur la responsabilité des religions (voir par exemple la page. retour au texte

[3] Révision du 26 août 2009 : Cette fin du monde a été considérablement allégée et ouverte depuis le Concile Vatican II qui renonce à certaines doctrines catastrophistes de fin du monde, préférant mettre en avant un avenir radieux, nouveau et ... inconnu :
"39. 1. Nous ignorons le temps de l'achèvement de la terre et de l'humanité, nous ne connaissons pas le mode de transformation du cosmos. Elle passe, certes, la figure de ce monde déformée par le péché ; mais, nous l'avons appris, Dieu nous prépare une nouvelle demeure et une nouvelle terre où régnera la justice(, et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au coeur de l'homme. Alors, la mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans le Christ, et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira l'incorruptibilité. La charité et ses oeuvres demeureront et toute cette création que Dieu a faite pour l'homme sera délivrée de l'esclavage de la vanité. " (Gaudium et Spes, para 39.1)
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[4] Révision du 26 août 2009 : On doit cependant reconnaître que la situation entre écologie et christianisme est plus nuancée. En effet, on a vu que le catholicisme moderne préfère accentuer l'espérance d'une Terre Nouvelle par rapport à la "fin du monde" et à une "apocalypse catastrophique". Mais, dans le même temps, l'écologie elle-même n'est pas toujours claire sur la question des échelles de temps. Quand le christianisme "ne sait ni le jour ni l'heure", l'écologie raisonne par unités de centaines d'années. Si le "siècle prochain" ressemblera beaucoup au notre sous le réghne de l'écologie, qu'en sera t'il dans dix siècles ? retour au texte

[5] Révision du 26 août 2009 : L'expression avait parue à son auteur pleine de mordant et bien cadencée. Elle est simplement déplorable en ce qu'elle ajoute une invective à l'encontre des écologistes. Or, c'est ce qu'on peut regretter dans les débats actuels, par exemple celui opposant le scientifique Allègre aux partisans de la "cause anthropique du réchauffement climatique". retour au texte