Réflexions sur Spe Salvi - Raison et volonté
Philippe Brindet
28 janvier 2008


Dans son Encyclique "Spe Salvi", au numéro 23, Benoît XVI pose une interrogation profonde :

"En ce qui concerne les deux grands thèmes « raison » et « liberté », les questions qui leur sont liées ne peuvent être ici que signalées. Oui, la raison est le grand don de Dieu à l'homme, et la victoire de la raison sur l'irrationalité est aussi un but de la foi chrétienne. Mais quand la raison domine-t-elle vraiment? Est-ce quand elle s’est détachée de Dieu? Est-ce quand elle est devenue aveugle pour Dieu? La raison du pouvoir et du faire est-elle déjà la raison intégrale?"

Sa réponse indique le grand champ dans lequel l'Eglise apporte, non une réponse toute faite, mais une aire de liberté dans laquelle l'homme en communion avec l'Eglise exploite sa raison de manière harmonieuse.

"Si, pour être progrès, le progrès a besoin de la croissance morale de l'humanité, alors la raison du pouvoir et du faire doit pareillement, de manière urgente, être complétée, grâce à l'ouverture de la raison aux forces salvifiques de la foi, au discernement entre bien et mal. C'est seulement ainsi qu'elle devient une raison vraiment humaine. Elle ne devient humaine que si elle est en mesure d'indiquer la route à la volonté, et elle n'est capable de cela que si elle regarde au delà d'elle-même. Dans le cas contraire, la situation de l'homme, dans le déséquilibre entre capacité matérielle et manque de jugement du cœur, devient une menace pour lui et pour tout le créé."

Benoît XVI remet la confrontation de la raison et de la liberté en présence de la volonté de l'homme. Et cette volonté est entièrement déterminée par sa position relative au discernement du bien et du mal.

Selon Benoît XVI, la raison qui s'exerce sans le recours à un au-delà d'elle-même, devient une menace pour l'homme et pour la Création.

Ainsi, peut-on voir ici le fondement même de l'Histoire du Salut. C'est par la faculté de juger que l'homme décide du mode d'exercice de sa raison. Ou bien il considère que la liberté est toute entière dans la détermination du jugement par la raison seule, ou bien la raison de l'homme donné, et non pas d'une abstraction d'homme générique ou idéologique, se situe avec un ailleurs qui lui est offert par l'Eglise.

Peu importe que cet homme donné soit ou non membre de l'Eglise. Le problème pratique se pose aussi bien pour le chrétien que pour l'impie. Mais, le chrétien sait, et ne peut pas ne pas savoir, que l'Eglise dispose du Trésor de cet ailleurs qui éclaire la faculté de juger.

Or, l'Histoire montre que l'ignorance ou le rejet de cet ailleurs conduit tout homme et l'humanité à la mort et à la destruction, pas seulement dans l'au-delà, mais déjà ici bas.

Quelle est la chance qu'un homme donné, ennemi de l'Eglise, puisse accéder à cet enseignement de l'Eglise ?

La question n'est pas là, semble-t'il. C'est en multipliant les présentations de cet enseignement que l'homme donné, réel, peut être atteint par l'annonce de cet ailleurs de la raison. Cet ailleurs qui jamais n'élimine ni la raison, ni la liberté, ni la volonté. Cet ailleurs, qui est un chemin pour progresser.

Ainsi, le Pape met-il en relation "les forces salvifiques de la foi" d'une part et "le discernement entre le bien et le mal" d'autre part. La foi produit-elle, et elle seule, la capacité du discernement entre le bien et la mal ?

Si on entend la foi sous son expression rationnelle de propositions logiquement accesssibles à la raison, on peut en douter.

En effet, si on prend comme exemple d'une proposition logique de la foi, celle selon laquelle "il existe un Dieu Créateur", l'homme donné, c'est-à-dire une fois de plus un homme réel, et non pas un homme générique ou idéologique, peut rejeter la vérité de cette proposition logique, notamment par la critique du créationisme ou la contestation athéiste. Cet homme donné peut tout aussi logiquement accepter et poser de par sa raison que la proposition "il existe un Dieu Créateur" est vraie.

Dans l'un ou l'autre de ces deux cas de vérité, l'homme donné n'en tire aucun discernement particulier sur le bien et le mal par sa raison, qu'elle soit celle qui pose que l'existence de Dieu créateur est une proposition erronnée ou celle qui la pense vraie. Mais, celui qui professe la fausseté de l'existence de Dieu Créateur se contraint à renoncer à percevoir la vraie source du discernement du bien et du mal.

A la différence, celui qui pose par sa raison l'existence du Dieu Créateur, est accessible à l'existence d'un ailleurs sur le discernement du bien et du mal. Et cet ailleurs se révèle essentiellement dans la Personne du Fils de Dieu, en qui se trouve tout le discernement du bien et du mal, parce qu'il a vaincu les puissances qui troublent le discernement de l'homme. Et l'union parfaite, réalisée ici-bas seulement par les Saints, est la voie pour trouver cet ailleurs de la raison qui permet à la raison d'accéder à la faculté de discerner le bien et le mal.


o
o o