L'accueil d'Anglicans par l'Eglise catholique romaine

Philippe Brindet
21 octobre 2009


Le Pape Benoît XVI semble animé d'une irrésistible force pour réaliser l'unité des chrétiens. Relations avec les orthodoxies, offres aux intégristes, et maintenant, grandes manoeuvres pour accueillir les transfuges de l'anglicanisme éclaté par le problème du ministère des femmes et surtout par le problème de l'accession des homosexuels au sacerdoce.

Un autre problème de l'anglicanisme est qu'il s'est développé sur une raison qui peut s'appeler "nationale", beaucoup moins importante aujourd'hui qu'autrefois d'une part, mais aussi qu'il s'est élargi sur le dos du mouvement colonial au-delà de sa cause, d'autre part.

Il existe de fortes congrégations anglicanes en Amérique du Nord, dites episcopalian churches, mais aussi en Afrique et en Asie. La cause "nationale" dite plus haut n'ayant plus de force, le mouvement colonial étant épuisé et rejeté, de nombreux anglicans, anglais ou non, sentent un attrait pour la catholicité du catholicisme romain.

Des négociations seraient très avancées entre de nombreuses congrégations de la nébuleuse anglicane en cours de désagrégation et Rome. Sentant inéluctable la rupture de la communion anglicane, le Primat de l'Eglise anglicane, Dr Rowan Williams, tente de reprendre le mouvement en mains, en se rapprochant des pontifes catholiques d'Angleterre.

Notamment sur le statut du prêtre, il existe très clairement une minorité anglicane qui serait disposée, sous réserve de périodes transitoires, à rejoindre la discipline de l'Eglise catholique romaine. On peut penser que Rome avance à pas de géant dans cette voie.

Mais il existe une petite majorité d'Anglicans, particulièrement de prêtres et d'évêques, qui sont dévoués à la cause la plus "progressiste" qui soit, à côté de laquelle les abbés conciliaires du XXI° siècle sont, cum grano salis, de "tristes traditionalistes".

Une brève revue de presse nous a fourni les articles suivants : Le ton général de la presse anglo-saxonne n'est pas très enthousiaste. Mais, la presse ne cache pas que à la fois le Vatican et de nombreuses congrégations anglicanes sont prêts à une forme de réconciliation. Le Pape aurait ces jours-ci signé une Instruction donnant les conditions de l'Eglise catholique à ces retours.

Selon plusieurs indications, notamment dans le New York Times, plusieurs pontifes catholiques très impliqués dans l'oecuménisme, seraient choqués à nouveau de cette mesure prise par le Saint-Siège. Il semblerait que certaines autorités catholiques considèrent que l'ecclésiologie de Vatican II à leur mesure ne permet pas de réintégrer des "frères séparés", une telle "ré-intégration" étant selon eux un "manque de respect" des différences [1]. Le Pape et le cardinal Levada, qui semble être moteur dans cette affaire, ne doivent pas considérer que le concept de "frère séparé" soit un concept admissible dans le cadre de la théologie de l'Unité du Corps du Christ. On note que les mêmes réactions se sont fait jour lors du décret de lever d'excommunications des évêques de la Fraternité Saint Pie X. Selon le Times of London, clairement, le Conseil pontifical pour l'unité des chrétiens a été écarté et des négociations et des dispositions qui sont et seront prises. Une fois de plus, on peut constater que le Saint-Siège est une structure qui comporte des éléments qui ne travaillent pas selon le gouvernail de Saint Pierre. Une certaine conception du gouvernement en général peut conduire à s'interroger sur la légitimité du travail de ces éléments. Clairement aussi, il s'agit d'une interrogation sur la fidélité du cardinal Kasper, président de ce Conseil [2].

Des réactions d'évêques épiscopaliens (anglicans américains) montrent aussi les limites de l'unification envisagée. On peut citer les Dr Minns et Duncan, qui ont déclaré que le rapprochement qu'ils envisageaient ne consistaient pas en une ré-intégration ou en une conversion. En effet, dans l'anglicanisme, américain notamment, il y a une forte composante soumise à la Réforme luthérienne ou calviniste. Cette composante, même si elle se tient pour traditionnaliste au sein des communautés anglicanes, n'en est pas moins farouchement anti-papiste et au moins aussi fortement attaché au principe du salut par les Ecritures que certains progressistes errants du catholicisme. Leur entrée dans une structure liée au catholicisme devrait donc se faire dans une sorte de "sandbox" [3] pour limiter la contagion.

Selon les informations disponibles, il semble que les communautés anglicanes, diocèses ou paroisses qui veulent rejoindre l'Eglise catholique romaine, conserveront leur discipline et leur liturgie. De toute façon, il s'agit d'une nouvelle de première importance pour la chrétienté.

Cependant, il se pourrait que le concept d'oecuménisme dérivé du Concile et maintenu pour un prétendu dialogue auto-satisfait entre "frères séparés" depuis quarante ans soit mort. Un théologien anglican, resté attaché à l'anglicanisme progressiste, note bien qu'il s'agit d'un "coup" mortel au dialogue oecuménique entre les anglicans progressistes et le Vatican. Comme il n'y aura plus de prétendus évêques homosexuels ou féminins [4], le mal ne sera pas grand.

Le même théologien anglican progressiste n'hésite pas à condamner l'action de ce qu'il dénonce comme la machine centralisée du Vatican à cet égard. Emporté par la rancoeur, il n'hésite pas à se référer à une décision qu'il qualifie de catastrophique, la dissolution du parti catholique Zentrum en 1933 par le Vatican. La critique est mal venue sur la décision de 1933 [5] et plus encore, la comparaison avec la situation des anglicans traditionalistes est lamentable.

Il faut remercier le Saint-Père de mesures qui, même si elles bousculent l'ordre établi et la routine dans l'Eglise catholique romaine, font avancer de manière réelle l'Unité de l'Eglise.

o o o


Notes

[1] Cette bizarre doctrine de l'oecuménisme des "frères séparés" est fondée sur un principe d'amour universel. Le raisonnement est des plus spécieux, mais il est tout simplement incontestable. Je dois aimer mon "frère séparé", Pour l'aimer, je dois respecter ses différences, sinon je ne l'aime pas en tant que "frère séparé". retour au texte

[2] On doit se souvenir que, avant d'être nommé évêque d'un diocèse allemand, Mgr Kasper avait été assistant universitaire de ... Hans Küng. Ceci explique celà, mais seulement en partie. retour au texte

[3] On appelle une "sandbox" une sorte de cuve emplie de sable dans laquelle on laisse reposer un engin suspect, qui pourrait ou non être un colis piégé.retour au texte

[4] Il faut souligner ici que l'idée sous-jacente à cette remarque remonte non pas à une discrimination à l'égard des femmes et des homosexuels, mais au concept clair de la théologie chrétienne que le sacerdoce quelqu'il soit n'est pas ouvert de manière indistincte. Et particulièrement, il est fermé aux femmes et interdit aux pécheurs publics. retour au texte

[5] Dans l'affaire du Zentrum, il faut se souvenir qu'il était dirigé par un évêque allemand, que tous les chanceliers de la République de Weimar en étaient issus et que le dernier d'entre eux, von Papen venait en 1933 de trahir son parti en éliminant Brüning, le chancelier précédent, et en faisant alliance avec Hitler. Peu de temps auparavant en octobre 1930, l'archevêque de Mayence avait excommunié les catholiques qui adhéraient de près ou de loin au parti nazi, condamné par Rome essentiellement pour sa doctrine raciste. Au cours de l'année 1931, la plupart des diocèses allemands avaient pris les mêmes mesures. retour au texte