Faisant une recherche Web sur les Historiens français, je clique sur un lien qui me renvoie à une page de vente par correspondance de la firme bien connue, au moins des internautes, Amazon.
Il s’agissait de vendre une ré-édition de l’ouvrage de Augustin Cochin, L’Esprit du jacobinisme , PUF 1979. Le prix en était d’ailleurs fort avantageux.
Or, la mémoire de Augustin Cochin est accompagnée d’une réputation fâcheuse entretenue par les historiens professionnels. Il serait un contre-révolutionnaire, pervers de la collusion avec la bourgeoisie dans sa constante agression contre le prolétariat. Je pense être on ne peut plus clair.
Aussi, ne suis-je pas ému par un court avis d’un Service Documentaire Multimédias, dont j’imagine qu’il appartient à la firme Amazon, et qui est le suivant :
Chroniques et points de vue
SDM
On redécouvre ici Augustin Cochin, mort prématurément en 1916 après avoir laissé une oeuvre inachevée sur la Révolution française, en particulier sur l'idéologie jacobine qu'il analyse dans cet ouvrage. Les mécanismes de la Terreur décrits par Cochin ressemblent comme des frères à ceux qui ont conduit aux camps nazis et au goulag stalinien. Dans une préface remarquable, Jean Baechler montre excellemment comment on peut être à la fois un esprit faux et un génial précurseur. -- Services Documentaires Multimédia
Peu ému par ce genre de stupidité, habituelle chez les vendeurs de papiers en tous genres, j’en déduis que « l’excellent » Jean Baechler démontrerait « excellemment » que Cochin est « un esprit faux ».
Je trouvais un peu bizarre de voir les Terroristes jacobins désignés « frères » des nazis et des staliniens, mais je pensais que l’expression avait dû dépasser la pensée de son auteur et n’en tirais pas plus d’avantages.
Quelques jours de là, je trouve l’ouvrage et la fameuse préface de l’« excellent » Jean Baechler.
Or, je tourne et retourne l’objet dans tous les sens. Je tente de « tirer sur les lignes » pour y découvrir s’il n’apparaîtrait pas quelque mot caché. Rien. L’idée que Cochin fut un esprit faux ou qu’il fut un génial précurseur ne se trouve nulle part dans le texte de Jean Baechler.
Furetant davantage, je trouve dans la préface même de Jean Baechler la cause cachée du commentaire des « Services Documentaires Multimédia » de Amazon :
Page 9 :
L’accueil des spécialistes – il faudrait dire des prêtres
– de l’historiographie révolutionnaire fut marquée pour le moins par la
froideur et par une incompréhension totale. Aulard crut saisir qu’Augustin Cochin
reprenait la vieille thèse du complot maçonnique lancée par Barruel, ce qui
manifeste, dans la meilleure des hypothèses, une incompréhension complète.
On peut voir ici que le prétendu « Service Documentaires Multimédia » de Amazon se comporte comme un vulgaire affidé de l’école de Aulard, c’est-à-dire la vieille école de l’Histoire marxiste ou radical-socialiste.
Pour une société commerciale qui utilise les moyens les plus « modernes » du marketing, il est vraiment critiquable de se réserver les services de médiocres potaches qui en sont restés aux erreurs du 19° siècle. Le « Services Documentaires Multimédia » de Amazon n’a t’il pas plus lu François Furet que Jean Baechler ?
Or, la préface de Jean Baechler va beaucoup plus loin que la question des querelles d’écoles historiques. Baechler écrit :
Page 10 :
Il (Cochin) a réussi à proposer une interprétation de
la production d’homo ideologicus, de ses stratégies en tant qu’acteur
social et du type de régime politique et social qu’il impose, si d’aventure il
accède au pouvoir. Sur ces trois points, l’analyse du jacobinisme par Cochin
dépasse ses limites dans le temps et l’espace, pour offrir une des clefs de la
modernité et un instrument conceptuel efficace pour étudier l’histoire que les
hommes font sans le savoir.
On peut donc se demander ce que la firme Amazon recherche en travestissant à la fois la pensée de Cochin et l’opinion qu’en donne son éditeur, Jean Baechler. Amazon et son prétendu « Services Documentaires Multimédia » se comportent tout simplement et de manière insinueuse comme des commissaires politiques ou des ayatollahs.
Philippe Brindet
13 février 2003