L'impossible dispute avec le matérialisme
par Philippe Brindet
10 juin 2007 - révisé le 7 janvier 2009


Dans un entretien publié il y a peu dans un quotidien français, un philosophe français, et donc matérialiste, disputait avec un idéaliste français, bizarrement scientifique. Le contenu de la dispute n'avait que peu d'intérêt. Mais sa forme par contre était suggestive. Ne tenant pas à polémiquer au sujet d'auteurs connus, nous appellerons le premier le philosophe et le second l'idéaliste, faute de mieux.

L'idéaliste affirmait que la science se dégageait peu à peu de l'empire du matérialisme. Avec causticité, l'idéaliste soulignait le paradoxe que ce soit la science, pourtant fondement idéologique du matérialisme moderne, qui amène à un effondrement de celui-ci.

La réaction du philosophe a bien entendu été cinglante. Quand l'idéaliste mettait en cause des idées, le philosophe taxe l'idéaliste d'ignorance et de lyrisme, le désignant en adversaire.

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Le matérialisme de notre philosophe est le produit d'un déterminisme de sa pensée philosophique. Sa cause essentielle réside dans la négation de Dieu. Mais, la contestation du matérialisme par l'idéaliste ne le conduit pas, et les chrétiens savent pourquoi, à la confession de Dieu. La critique du matérialisme que l'idéaliste voyait dans l'avancée de la physique moderne, physique quantique essentiellement, est causée par l'ouverture de possibles probabilités.

L'idéaliste, dangereusement avancé dans la polémique avec le matérialiste, en déduit alors que la physique quantique donne la permission à Dieu de devenir possible.
"Mais la physique quantique ne prouve en rien l'existence de Dieu. Elle élargit le « champ des possibles ». La physique démontre l'existence d'un niveau de réalité dont on ne peut rien préjuger. (...)  l'existence de cet autre niveau de réalité, (...) rappelle les intuitions majeures de toutes les grandes religions - y compris les religions sans dieu comme le bouddhisme ou le taoïsme - fondées sur deux principes : l'existence, précisément, d'un autre niveau de réalité et la possibilité d'un lien entre l'esprit humain et cette autre instance."
Mais, le matérialiste affirme qu'il admet lui-même cette possibilité :
"Les philosophes ont toujours su que la croyance en Dieu et en une vie après la mort était « non absurde a priori », pour reprendre votre expression, et que le matérialisme et l'athéisme ne l'étaient pas davantage."

On peut craindre que l'idéaliste ait confondu le matérialisme avec le déterminisme. Pourtant, Dieu n'est pas un Grand Indétermineur. Et le déterminisme conduit simplement l'égaré à évacuer l'hypothèse possible de Dieu, alors que l'homme, pour nier Dieu, a besoin de connaître son Existence. "Tu ne nierais pas Dieu s'Il n'existait pas."

Dieu existe, puisque le matérialiste est contraint de nier son existence. Mais l'idéaliste croit simplement possible son existence. Négation et possibilité sont deux voies erronnées, la première parce qu'elle se nie elle-même, la seconde parce qu'elle conduit l'homme à l'imbécilité du pari
pascalien [*].

Le débat rapporté pose ensuite une question sur l'incompréhension partagé par l'idéaliste et le matérialiste sur ce qu'est la religion après le christianisme. En effet, l'idée que se fait l'idéaliste de la religion correspond à l'idée que s'en faisaient les Grecs ou les romains. Cette idée infeste en effet la littérature, même contemporaine, à cause des ravages produits par le recours à l'éthymologie sur les esprits faibles qui ont besoin de certitudes fortes.

Pesamment, les savants et autres doctes nous assènent que le mot de religion dérive du verbe latin "religare" que l'on traduit par relier l'homme avec la divinité, "cette autre instance" de l'idéaliste. On peut trouver sur la Toile bien des exemples de cette réduction dans toutes les langues :
"The word, "religion" comes from the Latin word religare, which means "to tie." People of all faiths believe that their religion ties them to a higher purpose." (voir)

"¿Cuál es la etimología de religión? Se suele decir que viene del latín religare, pero he leído que puede venir de otros verbos latinos como relegere o reeligere. " ( voir )

"RELIGIÓN -  a palabra "religión" viene del latín religio. Religio viene del verbo religare formado de re (de nuevo) y ligare (ligar o amarrar). Entonces "religión" significaría algo así como "ligar de nuevo"." ( voir )

"L’objectif des religions ( religare en latin) est de relier les hommes et Dieu." ( voir )
Or, si nous pouvons accepter cette approche verbeuse des religions païennes, nous affirmons que le christianisme entraîne un bouleversement essentiel du concept de religion. En effet, la religion après l'intervention du Christ n'est plus ce lien entre deux mondes qui ne se touchent pas et qu'il faudrait par un effort spécial de l'homme "re - lier". Elle devient l'union en cours d'achèvement des deux réalités, parfois ennemies, toujours distantes.

Le christianisme n'est plus une religion au sens traditionnel du terme. Il est le dépassement de toute religion et n'impose plus le maintien d'un lien particulier avec une quelconque "autre instance". Le christianisme tient tout entier dans la reconnaissance d'un Dieu Trinitaire, dont le Père est Créateur, le Fils est Roi de l'Univers parfaitement homme et l'Esprit-Saint qui inspire l'homme chrétien et lui fait reconnaître Jésus, comme Christ Fils de Dieu. Le Christ est le seul Grand Prêtre et il est le Seul Dieu. Et c'est la raison pour laquelle le Christ n'est pas fondateur d'une religion, nouvelle ou ancienne. Il est Fondateur de l'Eglise, réalité à la fois visible au monde et étrangère au monde.

Aussi, les chrétiens sont-ils les athées d'un Dieu auquel l'homme devrait se relier par un quelconque effort d'imagination. Le "dieu" dont Voltaire se moque parce que les hommes lui auraient bien rendu le fait de les avoir fait à son image, n'est pas Dieu. Le philosophe de la dispute vaine avec l'idéaliste se laisse prendre par "discipline" à cette erreur quand il déclare :
"Autant, comme copie de Dieu - puisqu'il est censé nous avoir créé à son image -, nous sommes lamentables (cela ferait douter de l'original !), autant, comme cousins du chimpanzé - avec lequel nous avons 98 % de gènes communs -, nous sommes exceptionnels !"
La chose la plus mal comprise de la Bible est vraiment le premier chapitre de la Genèse. Tout le monde croit savoir que "Dieu fit l'homme à son Image". Et immédiatement retentit à l'oreille le ricanement voltairien. Mais tout dément que le Deus Faber ait fait une telle chose. Au contraire, le Deus Faber fait l'homme avec de la boue. Matériellement, nous sommes de la nature du monde. L'image est une métaphore, devenue un infect cliché "bibliste", qui nous enseigne deux choses. Que l'homme est doté de l'inventivité de Dieu. C'est la liberté. Que l'homme est destiné par Dieu à promener dans le monde Sa présence un peu comme le miroir renvoie sur le mur notre propre image. Mais pour celà, l'homme doit se tenir devant Dieu. Le péché originel tient tout entier dans l'escroquerie qui fait croire à l'homme qu'étant "image de Dieu", il est "comme Dieu".

L'homme, en tant qu'il rejette le choix de Dieu, tend à rejoindre le règne du chimpanzé, parce que, même s'il dispose de 2% de différences génétiques avec lui, comme le chimpanzé, l'homme va vers sa fin. Seul le chrétien peut être saisi par la Rédemption qui, exploitant cette petite différence génétique, entraîne les élus d'une humanité vouée à la mort, vers l'accomplissement d'un dessein divin que Dieu nous révèle dans le christianisme, sans aucune métaphysique, sans aucun idéalisme, mais au contraire avec un réalisme qui exige la rationalité de la foi assurée, fondée sur le roc.

Malgré tout l'intérêt que l'on peut porter tant à la métaphysique qu'à l'idéalisme, il nous faut bien apprendre que l'homme n'est pas seulement le "peu-différent" du chimpanzé. En confessant la divinité du Christ, le "peu-différent" du chimpanzé entre dans la Vie divine. En refusant de se laisser enseigner par l'Eglise, le "peu-différent" du chimpanzé se voue volontairement à la boue des chimpanzés qu'est incontestablement la mort.

Et la démarche du chrétien est bien plus profonde que celle d'imaginer, de maière idéale, ou même de manière métaphysique, qu'il existe une certaine probabilité p qu'il existe un Dieu et donc une probabilité complémentaire 1 - p qu'il n'existe pas de Dieu. Le chrétien connaît Dieu, non pas parce qu'il a réalisé un calcul de physique quantique ou une spéculation de la "métaphysique matérialiste" que disait le philosophe, mais parce que Dieu le connaît lui, le "peu-différent" du chimpanzé, parce que Dieu l'a choisi pour devenir membre de Sa Réalité.

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Nous avons beaucoup de mal, et l'idéaliste semblait rencontrer la même difficulté, à comprendre ce que pourrait être la "métaphysique matérialiste" que dit le philosophe quand il dit :
"Qu'il n'y ait presque rien de commun entre l'atomisme épicurien (qui était une philosophie, pas une science) et la physique contemporaine (qui est une science, pas une philosophie), je vous l'accorde évidemment. Mais cela n'empêche pas que l'épicurisme continue philosophiquement de nous éclairer. La métaphysique n'est guère soumise aux aléas de la physique !"
qui laisse supposer que la métaphysique existe pour un matérialiste.

"Aristote et Épicure demeurent infiniment plus éclairants que mon ami J___ S_____ ! Tout simplement parce que, au plan de la métaphysique, il n'y a pas de progrès. Ce qui veut dire que les grands métaphysiciens sont par définition indépassables, alors que n'importe quel physicien d'il y a cent ans est dépassé ..."


Deux remarques au sujet de la métaphysique.

Nous pensons qu'il faut en rester au sujet de la philosophie à ce qu'en dit Karl Marx :
"À parler exactement et au sens prosaïque, la philosophie française des Lumières, au XVIIIe siècle, et surtout le matérialisme français n'ont pas mené seulement la lutte contre les institutions politiques existantes, contre la religion et la théologie existantes, mais elles ont tout autant mené une lutte ouverte, une lutte déclarée contre la métaphysique du XVIIe siècle, et contre toute métaphysique, singulièrement celle de Descartes, de Malebranche, de Spinoza et de Leibniz. On opposa la philosophie à la métaphysique, tout comme Feuerbach opposa la lucidité froide de la philosophie à l'ivresse de la spéculation le jour où, pour la première fois, il prit résolument position contre Hegel."
in « La Critique critique absolue » ou « la Critique critique » personnifiée par Mr. Bruno.
Nous attendons de savoir ce que serait cette nouveauté absolue, une métaphysique matérialiste.

Enfin, même la métaphysique aristotélicienne est radicalement issue d'une physique avec laquelle elle échange des principes premiers qui sont étrangement liés avec l'observation scientifique des choses de la nature ou des choses sociales. Il en résulte que la métaphysique aristotélicienne voit son sort largement solidaire de sa physique. Or, la physique aristotélicienne est probablement beaucoup moins invalide que sa métaphysique. Il n'est donc probablement pas justifié de considérer l'indépassement des "grands métaphysiciens du passé" au motif étrange que les physiciens "plus contemporains" seraient dépassés !

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Le vain débat de l'idéalisme et du matérialisme ?

Idéalisme et matérialisme en restent à l'exercice de la petite différence génétique entre l'homme et le chimpanzé. Le christianisme est LE réalisme qui dépasse le débat de savoir l'avantage ou non d'avoir une différence génétique de 2%. Il n'est ni un idéalisme, ni un anti-matérialisme. Parce que, si le matérialisme est un négationisme de la Vérité, le christianisme qui rend témoignage à la Vérité, ne peut enseigner la Vérité en niant sa négation.

Notes :

[*] Il y a beaucoup de présomption dans l'affirmation d'une prétendue "imbécilité" du pari pascalien.
«Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude; et votre nature a deux choses à fuir : l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant choix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »

Pensées, Blaise Pascal (1670)
Sa complexité ne se situe pas au niveau du seul pari qui, isolé, est en effet un jeu stupide. Il faut examiner les choses à perdre, les choses à engager et les choses à fuir. L'homme du pari pascalien n'est pas un "imbécile". Il est spécifié par le vrai et le bien, la liberté et le bonheur, l'erreur et la misère. Quel programme !

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