Note de Lecture - L’Histoire normalisée de René Rémond
Philippe Brindet
9 novembre 2002 - révisé les 07/09/2004, 17/03/2009


René Rémond, Introduction à l'Histoire de notre temps, tome 1 - l'Ancien Régime et la Révolution, 1750 - 1815, le seuil 1974. Ouvrage tiré d'un cours professé en première année de Sciences Po'. Il s'agit d'une version révisée de cette Note de Lecture.


1)

Dans l'Avertissement liminaire de l’ouvrage, la thèse classique d'une Révolution Française issue d'un mouvement initié par la Déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique de 1777 est présentée.

Cette thèse qui respecte la chronologie peut conduire à évaluer deux éléments historiques :
- la part active que le roi Louis XVI a pris personnellement dans le succès de la Guerre d’Indépendance en fournissant aux insurgents des soldats (Suffren, La Fayette, Rochambeau), des techniciens (Mourre, Beaumarchais), et un puissant soutien diplomatique et financier (Vergennes et Necker),

- les conditions dans lesquelles une classe de la noblesse anglaise a soutenu par avance les insurgents.
Dans l’Histoire normalisée, on soutient que la Révolution est un mouvement spontané de civilisation qui écarte les oppressions pour placer le Peuple comme seul souverain, ou à tout le moins comme source unique de cette souveraineté.

Mais, il faut éviter de surestimer un texte laborieusement tracté par un quarteron de trafiquants anglais d’esclaves.

2)

Citation, page 13 :
"L'Europe a imposé au reste du monde son organisation politique et administrative, ses Codes, ses croyances, ses modes de vie, sa culture, son système de production. C'est par rapport à l'Europe que les autres peuples ont dû, bon gré mal gré, se définir, que ce fût pour l'imiter et se conformer au modèle occidental, ou, au contraire, pour le combattre et le refuser. Dans l'un et l'autre cas, l'asiatique, l'africain se sont affirmés, ont pris conscience d'eux-mêmes, par référence à l'européen."
Cette affirmation dans une certaine mesure révèle un européocentrisme, d’une part et une vision anachronique du XVIII° siècle, d’autre part.

Européocentrisme d’abord, parce qu’il faut se souvenir que le paysan français de 1780 vivait dans des conditions beaucoup plus proches de l’africain ou de l’asiatique que du seigneur des villes. Plus encore, certaines contrées asiatiques avaient des systèmes de production qui étaient aussi proches du système de production français, essentiellement agricole, que ce dernier était éloigné du système de production anglais, qui lui, était déjà industriel. Quant à la culture, je ne vois rien qui puisse montrer que « Versailles » se soit imposé à l’asiatique ou à l’Africain, pas plus qu’au breton ou qu’au limougeot.

Anachronisme ensuite, parce que la puissance publique de la France du régime gaullien n’a rien à voir avec celle du Roi en 1780. L’« Europe » est un mot qui n’a pas le même sens en 1780 et en 1974. D’ailleurs, en 2002, ce mot n’a plus aucun sens. On parle de l’« Amérique ».

3)

R. soutient la thèse de l'autonomie du fait politique relativement à l'Histoire. Particulièrement, il semble ainsi se dégager de la thèse selon laquelle l'Histoire est essentiellement Histoire économique. Pour se défendre de critiques issues du marxisme, il trouve que le fait politique est indissociable du fait social ou plutôt, comme il semble le préférer, du fait de société.

On ne peut que féliciter R. de se dégager ainsi de l'opinion dominante. C'était sûrement méritant de sa part en 1975.

4)

Plan de l'ouvrage
Partie 1 : l'Ancien Régime

Chapitre 1 : l'homme et l'espace, monde reconnu et monde ignoré
Paragraphe : le monde n'est pas unifiée
Paragraphe 2 : les étapes de la reconnaissance du monde. Des grandes découvertes à la conquête de l'espace, les épopées géographiques
Paragraphe 3 : le temps du monde fini


Chapitre 2 : le peuplement
Paragraphe 1 : la dimension démographique
Paragraphe 2 : La population et son accroissement
Paragraphe 3 : la répartition entre les continents
Paragraphe 4 : le monde à la fois sous peuplée et surpeuplée, les subsistances et l'emploi


Chapitre 3 : l'organisation sociale de l'Ancien Régime
Paragraphe 1 : les principes de toute organisation sociale
Paragraphe 2 : les activités professionnelles
Paragraphe 3 : ordres et classes


Chapitre 4 : les formes politiques et de l'Ancien Régime
Paragraphe 1 : les sociétés féodales
Paragraphe 2 : les républiques patriciennes
Paragraphe 3 : la monarchie absolue et administrative
Paragraphe 4 : le despotisme éclairé
Paragraphe 5 : le régime britannique


Chapitre 5 : les relations internationales
Paragraphe 1 : les relations entre l'Europe et les autres continents, et les empires coloniaux
Paragraphe 2 : les relations entre États européens
Partie 2 : la révolution, 1789 - 1815

Chapitre 1 : les origines de la révolution
Paragraphe 1 : les principes d'explications et les séries d'échos
Paragraphe 2 : la révolution simple accident
Paragraphe 3 : de l'influence occulte de minorité
Paragraphe 4 : les facteurs d'ordre économique
Paragraphe 5 : l'organisation sociale et la crise de société
Paragraphe 6 : les causes politiques
Paragraphe 7 : le mouvement des idées, leur diffusion dans l'opinion


Chapitre 2 : Le processus révolutionnaire et ses rebondissements
Paragraphe 1 : deux modes possibles d'évolution : mutation ou adaptation
Paragraphe 2 : les facteurs du processus révolutionnaire
Paragraphe 3 : la révolution et l'Europe


Chapitre 3 : l'oeuvre de la révolution
Paragraphe 1 : l'état
Paragraphe 2 : l'organisation administrative
Paragraphe 3 : religion et société
Paragraphe 4 : l'ordre social
Paragraphe 5 : la nation, la guerre et les relations internationales
Paragraphe 6 : conclusion


Chapitre 4 : le continent américain, 1782 - 1825
Paragraphe 1 : les quatre empires
Paragraphe 2 : la fin des empires français et britanniques
Paragraphe 3 : émancipation des colonies portugaise et espagnole
Paragraphe 4 : la marche des États-Unis vers la démocratie
Ce plan montre sûrement beaucoup de métier de la part de R.. On pourrait préférer d’autres approches plus précises et moins englobantes. Ce plan présente l'Histoire Moderne avec une «Révolution française » qui semble comme l’« Hégire» pour les «croyants».

Aujourd’hui, après la remise en cause du Bicentenaire et la mise en évidence du génocide vendéen, on voit la Révolution comme un débordement absurde et terrible qu’aucune interprétation ne peut plus parvenir à justifier après Lénine et Hitler, Staline et Pol Pot. C’est un fait de gangstérisme.

5 )

Sur le paragraphe 1 du chapitre III de la 1re section

Citation, page 46 :
"Les hommes sont pris dans un ensemble de relations sociales qui dérivent de leur habitat, de leur état professionnel, de la nature de leur activité est aussi des conceptions inspiratrices de la société. Ils sont associés dans des pyramides de groupements superposés, encadrés dans des systèmes sociaux."
Cette façon de voir est typique de l'Idéologie jacobine. Quand la démocratie revendique la libération de l'homme, le jacobinisme considère l'homme "pris dans un ensemble de relations sociales" dirigées par l'Etat.

Au contraire, sur la base de l’anthropologie chrétienne dont vient l’Histoire du XVIII° siècle, on voit se construire d'abord le concept de famille, qui forme à lui tout seul le corps social, le pouvoir royal étant essentiellement un pouvoir familial. Seulement après cette construction, le fait politique se dégage par l’application de la charité. On retrouve ce sens dans le formulaire du Sacre.

Or, l’Idéologie jacobine consiste à inverser cette perspective de manière révolutionnaire. L'idéologie conteste d’abord la naturalité de la société personnelle, puis familiale, puis enfin sociale pour imposer à l'encontre du droit naturel des structures sociales et celles-ci construisent automatiquement et nécessairement le fait politique, l’homme n’étant plus qu’un objet atomique d’une Physique sociale telle qu'elle sera "révélée" par Auguste Comte.

6)

Citation, page 46
"Toute société est différenciée ... Il n'y a pas de société uniforme à l'intérieur de laquelle les individus soient absolument interchangeables. Toute société se décompose - et s'organise - en un nombre plus ou moins élevé de groupes intermédiaires entre la poussière des individus et la société globale."
L'affirmation dans le cadre d'une Histoire d'une Idée comme l'Idée de la "différenciation d'une société" qualifie cette Histoire d'Histoire idéologique.

Le problème essentiel de cette affirmation idéologique consiste à considérer l'individu comme une poussière et la rationalité du côté de la société.

Enoncer que "toute société est différenciée", puis en dériver des individus assujettis, c'est essentiellement annoncer un principe totalitaire. Qu'en dérive le principe démocratique, tel qu’on le voit fonctionner sur plus de deux siècles d’Histoire occidentale, est alors comme un fait d'expérience, sauf que l'expérience n'a pas eu lieu.

En effet, le principe démocratique affirme l’existence d’un mécanisme d'agrégation des individus qui sont et qui restent strictement identiques. Seules, des fonctions basées sur le choix populaire ou sur le mérite, apportent à des individus, temporairement et localement, des différences de fonction qui ne modifient pas la matérialité de l'individu distingué. Ainsi, le fonctionnaire sera tout à fait distinguable de l'assujetti social, en ce qu'il représentera et appliquera la force publique sur le corps des individus indistincts appartenant à la société. Mais ce même fonctionnaire rejoint dans d'autres activités sociales, la poussière des individus indistincts de la société.

A partir du moment où l'historien soumet son analyse au principe démocratique, il se trouve confronté au dilemme du libéralisme et de l’étatisme. Ou bien l’organisation de la société décomposée en poussière d’individus vient d’un mécanisme de moyenne statistique sous l’effet de la volonté générale ou, plus largement, du comportement social, ou bien cette organisation ne peut être exécutée que par la force de la Révolution, puis de l’Etat. Dans le premier cas, l'Histoire idéologique est un libéralisme . Dans le second cas, c’est le léninisme le plus pur de l’Etat et la Révolution. Dans un cas comme dans l’autre, ces démocraties sont radicalement totalitaires.

7)

Citation page 47 :
"C'est, par exemple, l'idée que le service de Dieu doit avoir le pas sur toutes les activités terrestres qui justifie la prééminence du clergé et sur les deux autres ordres dans la société d'Ancien Régime."
Affirmer que le clergé avait une éminence sur les autres ordres de la société d'Ancien Régime semble au contraire à la réalité des faits historiques. Selon le domaine d'activités sociales concernées, un membre du clergé se trouvait le plus souvent en situation de soumission relativement aux membres de l'ordre dont ressortait ce domaine d'activités sociales.

Les trois ordres ne se trouvaient pas en situation hiérarchique, mais se trouvaient en rapport de coopération. Seul, le roi dominait des sujets, ou encore jusqu'à la dynastie Bourbon, le suzerain sur les vassaux. Encore cette domination était théorisée essentiellement comme un service et non pas comme une domination. Elle imposait notamment le secours et la protection.

8)

Citation, page 64 :
"La société de l'Ancien Régime ne connaît en principe que les ordres. On ne peut donc parler de classes à son propos qu'avec prudence."
L'Ancien Régime ne connaissait pas une seule société. Cette idée de "société unique" est une folie voulue par les idéologues qui traduit dans le fait politique le concept du Peuple souverain de la démocratie devenu esclave de l'Etat républicain qui l'organise.

A la différence, l'autorité du père de famille dépassait celle même du roi dans le cadre du réglement des affaires familiales, le père de famille fût-il un humble paysan ou un petit marchand d'un bourg. On le voit par exemple dans l’affaire Calas.

Il faut aussi se souvenir du rôle capital des corporations, des ordres religieux et des ordres militaires dans lesquelles l'autorité royale ou celle des ordres eux-même ne portait plus en réalité. L'Ancien Régime ne voit pas une société totalisée car les gens s'étaient dotés de suffisamment de niveaux autonomes pour sauvegarder les libertés les plus diverses. Un seul principe d'organisation sociale : la chrétienté.

9)

Citation, page 78 :
"Premier élément constitutif, négatif, qui caractérise la féodalité : absence d'un pouvoir central."
Là, on reste ébahi. Difficile de répondre sans nuance sur la féodalité abolie à la fin des Capétiens par la Guerre de Cent ans. L'Ancien Régime est une conceptualisation jacobine voulue par Michelet et Lamartine pour désigner la monarchie de Louis XVI et peut être la Régence. Si on remonte tout de même à la fodalité, le suzerain dispose d'un pouvoir central à moins queles mots n'aient plus aucun sens.

10)

Citation, page 132 :
"Le problème des origines de la Révolution peut se réduire à un paradoxe : celui des rapports entre la Révolution et l'Ancien Régime, thème qui a retenu la réflexion de Tocqueville .... Comment donc peut-elle à la fois rompre avec l'Ancien Régime et en procéder ?"
Parler d'origines impliquerait-il ici la recherche d'une cause ? On peut se demander si la Révolution a bien une « cause » au sens du déterminisme scientifique. Autrement dit, ce que l’on désigne par le terme de « Révolution Française » pourrait être un amalgame de choses sans rapport les unes avec les autres, qui, pour certaines, se renforcent l’une contre l’autre, pour d’autres s’affaiblissent l’une avec l’autre. Mais, c’est déjà une affirmation contestable de parler de « Révolution Française » en groupant ainsi des faits non définis de manière claire.

Aussi, le terme de « origines » utilisé par R. est-il suffisamment peu déterministe pour atteindre un objet réel. C’est un peu le point de vue de Tocqueville.

Mais l’interrogation de R. de savoir comment « on » peut rompre est exactement à l’opposé de la thèse de Tocqueville. A partir de la réflexion de Tocqueville, bien qu’elle soit suffisamment complexe pour résister au résumé, on peut tirer deux choses essentielles au problème que pose l'Histoire de la Révolution française :
- premièrement, la plupart des institutions de la Révolution se trouvaient déjà, au moins en germe sinon en réalisation, dans la monarchie française ;

- secondement, la Révolution a été faite par les bénéficiaires des plus belles largesses de l'Ancien Régime.
Plus simple, le personnel de la Révolution va se recruter dans les fractions pourries des sociétés décadentes de l'Ancien Régime : clergés comme Talleyrand ou Lebon, noblesses comme Mirabeau ou Orléans, bourgeoisies comme Camus, robins comme Danton ou Robespierre et enseignants comme Fouché.

Il est clair que ce personnel a tenté à la fois de conserver les bénéfices tirés des institutions de l'Ancien Régime qui servait sa pourriture, et on rejoint ici la thèse de la révolution bourgeoise vue par Engels et Marx, et de rompre définitivement avec lui en ce que cet Ancien Régime, aussi débile qu’il fut, ne se concevait que dans son rapport à l'Eglise, l'infâme des pourris de ce monde.

Ce dernier mouvement de la conscience révolutionnaire est avoué par Robespierre quand il réclame la tête du Roi Louis XVI.

11)

Citation, page 134 :
"Un premier groupe d'explications qui ne voient en la Révolution Française qu'un accident, résout le problème en en supprimant les données. Selon cette version, la révolution n'était pas fatale et on aurait pu en faire l'économie."
R. condamne t’il ici la thèse de Tocqueville ? Mais, il ne dit pas quelles données les tenant de cette Histoire suppriment pour faire croire à la vérité de leur interprétation.

Dans une certaine mesure, l’explication que nous en donnons plus haut rencontre quelque peu cette critique.

Tout d’abord, soulignons que, si la Révolution était fatale, alors l’idée qu’on puisse en faire l’économie est vaine. On regrette un typhon. On n’en fait pas l’économie.

Mais, il y a plus. Dire que la Révolution était fatale, c’est aussi simplement reconnaître que la Révolution ne souffre aucun négationnisme. De ce fait, il est difficile de soutenir que la Révolution ne fut pas fatale dans la mesure où elle affirme : «Avant que R. fût, je suis».

Plus simplement, R. ne dit pas quels auteurs soutiennent ce « premier groupe d’explications ». Il ne faut pas confondre l’Histoire et la Politique. L’Histoire politique est en effet toujours Histoire et jamais Politique.

12)

Citation, page 135 :
"L'influence occulte de minorités. Ce type d'explications, qui trouve aisément créance auprès d'une opinion satisfaite de penser que l'Histoire se ramène en définitive à l'action de cabales, fait la fortune de collection d'ouvrages ou de publications."
Ici une critique politiquement correcte des historiens que le jacobinisme a qualifié de conservateurs. Dans le style de R. on peut identifier cette dérision caractéristique des historiens terroristes de l’école marxiste. Cette seule phrase disqualifie à tout jamais son œuvre.

Plus loin, il mène sa servilité à la loi jacobine un pas trop loin :

Citation, page 136 :
"Si, par exemple, l'action des loges maçonniques ou des amis du duc d'Orléans s'était exercé à contre-courant du mouvement général, si l'ensemble du pays avait maintenu à la monarchie et à la société d'Ancien Régime une adhésion sans faille, le gouvernement n'aurait pas eu de peine à contrecarrer leurs intrigues. C'est parce qu'ils ont bénéficié du soutien de la population qu'ils ont pu réussir."
Cette thèse du politiquement correct jacobin est absolument contredite par les faits : si la population avait réellement soutenue la Révolution, les quelques élections qui se sont tenues durant cette époque terrible auraient du voir la participation de tous. Or, les statisticiens sont formels : les élections ont eu un nombre sans cesse décroissant de participants jusqu'à en devenir sans aucun fondement populaire.

Tout d’abord, les amis du duc d’Orléans et les loges maçonniques sont strictement inséparables, le duc d’Orléans étant Grand-Maître du Grand Orient. Le « ou » de l’énumération est donc erronné.

Ensuite, la preuve de R. de la prétendue inanité de l’Histoire « conservatrice » est une atteinte à l’honnêteté la plus élémentaire. Tout d’abord, on ne fait pas de l’Histoire en manipulant les faits comme s’ils étaient de simples élucubrations. Pire, prétendre que le gouvernement n’aurait pas eu de peine à contrecarrer les intrigues des loges maçonniques si l’ensemble du pays avait soutenu l’Ancien Régime permet de passer sous silence le fait que l’action des loges maçonniques s’exerçait pratiquement uniquement au niveau du gouvernement.

Tous les membres du gouvernement étaient des maçons de haut rang, les futurs rois de la prétendue Restauration les premiers. Et il n’est pas improbable que le roi Louis XVI fut lui-même initié.

13)

Citation, page 137 :
"Les facteurs d'ordre économique. Il faut prendre le parti de confondre économique et financier. Les causes financières de la Révolution tiennent au déficit budgétaire qui a assurément joué un rôle puisqu'il est à l'origine de la convocation des Etats Généraux ... La situation est aggravée par la guerre d'Amérique... Les causes économiques sont autrement plus importantes ... Et concerne le régime même de l'économie française, c'est-à-dire la façon dont la production des richesses et la distribution des biens se trouvent organisés."
R. semble ne pas citer une cause de la Révolution Française tout à fait intéressant aujourd'hui : l'écrasante fiscalité imposée par l'endettement financier d'une part et le retard industriel accumulé par rapport notamment à l'Angleterre, d'autre part. Il semble que les gouvernants contemporains ne soient pas au courant non plus ...

14)

Citation, page 141 :
"D'année en année, le décalage est davantage accentué par le déplacement de richesse qui appauvrit la noblesse et enrichit la bourgeoisie, ..."
Ce point de vue a l'apparence de la vérité. Malheureusement, si l'on étudie l’évolution de la bourgeoisie de l’Ancien Régime finissant, on remarque qu'elle accédait à la noblesse tandis que certaine noblesse s'appauvrissait. De plus, beaucoup de nobles étaient en réalité des bourgeois au sens moderne du terme. Particulièrement, on peut citer le comte de Buffon, exploitant de forges, ou le duc d'Orléans, promoteur immobilier du Palais-Royal par exemple.

De nombreux membres du personnel révolutionnaire seront issus des noblesses, aussi bien ancienne que

Cependant, il n'est pas dit que la noblesse de province s'était considérablement appauvrie à cause particulièrement de l'incapacité des physiocrates à permettre une agriculture aussi dynamique que l'agriculture anglaise. On peut tout à fait citer la famille Châteaubriant comme exemple typique de pauvreté dans la noblesse

La Révolution ne doit rien à cette catégorie qui fournira de nombreuses victimes à la guillotine ou à l'émigration.

15)

Citation, page 142 :
"Ainsi sous Louis XVI, la lutte plusieurs fois séculaire entre la couronne et les privilégiés se réveille, les corps multiplient les revendications, les officiers du roi s'émancipent..."
Il faut se souvenir que les banquiers girondins comme Roland et Clavière, ont pendant longtemps exploité les pamphlétaires et les pamphlets contre les privilégiés. Or le plus grand nombre d'entre eux et des fonctionnaires de l'État royal recevaient des pensions de vieillesse que la bonté royale leur octroyait. Ce système sera restauré au milieu du XXe siècle sous la forme des caisses étatiques de retraite ou de sécurité sociale.

Par ailleurs, la lutte des privilégiés et de la couronne est une vulgaire invention. Ce sont les privilèges qui ont permis de juguler les velléités des nobles. Louis XIV reprend en grand la technique du pourrissement des révoltés, initiée par Richelieu, portée à son paroxysme par Mazarin. Louis XIV et Colbert vont ainsi « enfermer » dans Versailles le vivier naturel des coups d’Etat et éradiquer dans le luxe et la décadence tout appétit de compétition avec le pouvoir.

Le réveil que R. dit, page 142, est d’ailleurs immédiatement annulé page 143 :

Citation page 143 :
"La collusion qui s'affiche à la veille de la révolution entre le pouvoir royal et les privilégiés rejettera la bourgeoisie dans l'opposition révolutionnaire."
Maintenant, on parle de collusion avec les privilégiés ! Bon, acceptons un prompt sommeil, puis une inversion de tendance …

R aurait dû se protéger de ce genre historique qui consiste à prendre les textes des pamphlets édités, il faut le reconnaître, avec les deniers royaux, comme des rapports impartiaux...

Citation, page 143 :
"Dans cette relation triangulaire entre la monarchie, les privilégiés et le tiers, le processus va entraîner l'extension de la révolution. Révolte des privilégiés, révolution antinobiliaire, révolution antimonarchique : tels sont les trois stades successifs d'un mouvement qui détruira jusqu'à ses racines l'ordre politique et social de l'Ancien Régime."
L'idée d'une relation triangulaire permet à R. en 1975 d'échapper à la méthode marxiste de la lutte des classes. Malheureusement, les privilégiés se confondent aussi bien avec la monarchie qu’avec le tiers. Et ils sont les uniques révolutionnaires. R. et les marxistes se trompent donc entièrement.

Si, pour aller jusqu'à la mort du roi, il faut trois phases, trois stades, on pourrait plutôt envisager un premier stade au cours duquel un petit groupe d'acteurs essentiels de la société royale tentent "pour voir" d'aller trop loin. Puis, il y aurait un second stade, au cours duquel ces acteurs, rejoints par un certain nombre de gens hétéroclites, comme le débauché Mirabeau ou le janséniste Camus, pensent pouvoir exercer le pouvoir à l'anglaise sous la férule d'Orléans. Enfin, travaillés par les menées suicidaires du trio "hugolien", Robespierre - Marat - Danton, ces gens vont disparaître dont la tornade thermidorienne.

Or, Thermidor est entièrement contenu dans la convocation des Etats Généraux. Il n’y a qu’à étudier l’élection de Robespierre dans l’église des Capucins d’Arras (in Robespierre, Georges Walters).

16)

Citation, page 144 :
"A côté des écrits (Encyclopédies, Montesquieu, Voltaire, Rousseau), il y a aussi la vertu des exemple,... La révolution américaine... L'esprit de la révolution se définit par cette volonté de rationalisme qui prend le contre-pied du respect de la tradition propre à l'Ancien Régime... "
R. écarte ici trois facteurs essentiels du mouvement des idées qui ont poussé l'idéologie de la Révolution :
- la volonté constante du clergé français de destruction de la société royale ;
- l’endoctrinement du personnel royal mis à la disposition des insurgents lors de la guerre d'indépendance des États-Unis (Beaumarchais, Lafayette, Lauzun, De Broglie,...) ;
- le rôle organisateur des sociétés de pensée, académies régionales et aux autres clubs.
On peut même ajouter l'incroyable surestimation de la mythologie antique, essentiellement romaine, qui a été promue par le clergé catholique dans l'enseignement. L'esprit « romain » avec sa phraséologie éclatera dès le début de la Révolution. On ne compte plus les Brutus, les Crassus et autres Néron parmi les prénoms du personnel révolutionnaire.

17)

Citation, page 146 :
"Pourquoi la Révolution ? La rupture d'un équilibre n'est pas nécessairement le fait d'une révolution."
R. semble revenir ici à la conception d’un modèle causal d’un phénomène unitaire. On a dit ce que l’on peut penser d’une telle chose. De plus, la situation antérieure à 1789 ne ressemble absolument pas à une situation d'équilibre. Enfin, il faudrait parvenir à cette idée d'un état catastrophique qu'une société, pourtant dotée de moyens de contrôle, peut présenter. Il faut revenir à l'interprétation du phénomène divergent de la cybernétique.

18)

Citation, page 148 :
"Les États-Unis proposent un autre exemple de ce mode d'évolution, le plus surprenant de tous peut être puisque depuis la guerre d'Indépendance les États-Unis n'ont pas connu de révolution, le seul accident d'un autre ordre, étant la guerre civile qui n'a cependant modifié ni le régime ni directement entraînés de transformation profonde."
On peut critiquer cette vue sur l'Histoire des États-Unis. Tout d'abord, la guerre d'indépendance a été en réalité une révolution et ne ressemble absolument pas à une guerre de libération coloniale. En effet, les insurgents avaient partie liée avec une partie de la noblesse anglaise. Ensuite, la guerre de Sécession n'a pas été en effet une révolution. Cependant, la lutte de 1866 du Sud et du Nord présente des ressemblances avec la lutte entre la Vendée et Paris de 1793. De plus, les causes et le traitement de la guerre de sécession ont été essentiellement révolutionnaires

Je remarque une erreur de brochage entre les pages 148 et 152.

19)

Citation, page 153 :
"Après le 9 thermidor, l'Histoire de la révolution perd cette belle simplicité que lui conférait la dramatisation de la lutte entre les factions"
R. considère que le régime jacobin présentait une "belle simplicité". On peut ne pas partager cette appréciation et considérer que cette " simplicité " nous vaut 1 million de morts au nom de la révolution démocrate, 30 millions au nom de la révolution hitlérienne et 70 millions de morts au nom de la révolution léniniste.

20)

Citation page 153 :
"Les thermidoriens reviennent au libéralisme dont s'inspirèrent les constituants et abandonnent sans regret la politique démocratique avancée, pratiquée par les montagnards. Si nous formulons cette observation en termes de force sociale, nous dirons, mais avec de grandes précautions, que la révolution, après thermidor, redevient bourgeoise, par opposition à la révolution populaire entre 1792 et 1794."
Entendre parler du libéralisme des Constituants, de politique démocratique avancée au sujet des thermidoriens, de révolution bourgeoise et de révolution populaire, glace d'effroi quand on pense qu'il enseignait les rudiments de la pensée unique à des générations d'élèves hauts fonctionnaires qui feront la génération Mitterrand en 1981.

22)

Citation, page 158 :
"Sur les rapports entre la question religieuse et la révolution, deux thèses s'opposent. Selon la première, la révolution étant foncièrement religieuse et son inspiration intrinsèquement antichrétienne, elle devait faire la guerre à l'Eglise ... ; l'autre interprétation réduit la portée du conflit entre la Révolution et l'Église à un accident."
R. est un conseil écouté à la fois de l’Etat jacobin et de l’Eglise de France. Pendant des années, il a participé au Ministère des Cultes à la nomination de tous les évêques de France par le gouvernement. Il a été un conseil constant de l’épiscopat qu’il a mis en place. Ceci éclate avec sa participation au scandaleux Comité pour juger le rôle de l’Eglise dans l’affaire Touvier, mis en place par l’un de ses protégés, le défunt Mgr Decourtray.

R. joue donc un jeu serré sur la question d’une prétendue révolution antichrétienne.

De fait, l'idée que il y aurait sur la question de la religion et de la révolution deux thèses en opposition telles qu'il les rappelle, semble largement infondée. Clairement, si un moteur de la Révolution a été la haine antireligieuse (Voltaire et Diderot dans les formateurs de l'Idéologie, Marat et Danton pour les exécuteurs), cette haine a été littéralement fondée par des membres actifs du clergé catholique, comme les abbés Reynal et Sieyès, et par des protestants comme Rabot Saint-Étienne.

23)

Citation, page 166 :
"Pour l'instant, nous importe le bilan positif de ce qui demeure au lendemain de la tourmente révolutionnaire, l'inventaire objectif de ce qui a résisté à l'épreuve des faits et au choc en retour de la restauration au lendemain de la Révolution... Bonaparte prolonge t-il la révolution ou l'a détruit-il ?... Napoléon était un tyran qui a violé la constitution, dispersé les assemblées, confisqué la liberté .... Napoléon est l'ennemi de la Révolution.."
Il n’y aucun commentaire à faire à une telle accumulation de contre-vérités.

24)

Y a t'il eu confrontation de l'Ancien Régime et de la Révolution ? Pour répondre positivement, R. soutient que, sous l'Ancien Régime, la politique aurait concernée une minorité restreinte, protégée par le secret des décisions. Avec la Révolution, la politique devient la « chose » de tous, la chose publique.

Or, la plupart de nos régimes démocratiques sont des régimes représentatifs dans lesquels un nombre incroyablement réduit de députés votent un nombre incroyablement élevé de lois, accompagnées de décrets et d’arrêtés dont aucun n'a été imposé autrement que par une minorité protégée par le secret des décisions, au moins autant que sous l'Ancien Régime. Les députés européens, que R. ne pouvait imaginer en 1975, ne disposent pas de plus de deux à trois secondes en moyenne pour étudier, discuter et voter les lois qui leur sont présentées. Ils ne les forment même plus et ignorent complètement leur application. Les députés français votent près de 2000 lois chaque année, qui sont complétées par plus de 300.000 décrets et arrêtés, qui sont tous imposés et par la haute fonction publique et par des groupes de pression complètement inconnus.

La responsabilité des historiens, fonctionnaires de l'Etat jacobin dans l’opération de déviation des esprits et le soutien aux propagandistes qui ont imposé l'idéologie démocratique totalitaire est immense.

o o o