PASCAL QUIGNARD

Pascal Quignard Né en 1948. Pascal Quignard fut longtemps lecteur extérieur pour les éditions Gallimard, puis il devient collaborateur dans la même maison et se charge du secrétariat général du service littéraire. Il a quitté ses fonctions en 1994 pour se consacrer à son écriture.

Bibliographie sélective : Essais : Au Mercure de France, L'être du balbutiement, 1969, Alexandra de Lycophron, 1971, La Parole de la Délie, 1974 ; Chez Fata Morgana, Le Voeu de silence, 1985 ; Une Gêne technique à l'égard des fragments, 1986 ; chez d'autres éditeurs : La leçon de musique, Hachette, 1987 ; Petits traités, tomes I à VIII, Maeght, 1990 ; Le Sexe et l'Effroi, Gallimard, 1994 ; Rhétorique spéculative, Calmann-Lévy, 1995 ; La Haine de la musique, Calmann-Lévy, 1996 ; La Frontière, Chandeigne, 1998.

Romans et récits : Chez Gallimard, Le Lecteur, 1976 ; Carus, 1979 ; Les Tablettes de buis d'Apronenia Avitia, 1984 ; Le Salon du Wurtemberg, 1986 ; Les Escaliers de Chambord, 1989 ; Tous les matins du monde, 1991 ; Vie secrète, 1998. Chez d'autres éditeurs, Albucius, P.O.L, 1990 ; Le Nom sur le bout de la langue, P.O.L, 1993 ; L'Occupation américaine, Le Seuil, 1994.

Né en 1948, auteur de six romans dont deux furent goncourables (Le Salon de Wurtemberg et Les Escaliers de Chambord), Pascal Quignard est de ceux qui exploitent la brièveté du fragment pour tisser des variations autour d'un thème, tenter d'en épuiser les multiples facettes. Difficile, pour ne pas dire impossible, de restituer dans sa globalité la matière de ces cinquante-six traités sans recourir à une rapide énumération : le silence, le livre, les écrivains ou les peintres oubliés. Mais le cheval de bataille de Quignard s'avère être la langue, "cette piquette mouillée et sucrée". C'est d'ailleurs dans l'art de raconter son histoire, d'exhumer les vrais trésors de l'étymologie, qu'il excelle, déployant toute son érudition afin de noter l'obsolescence de tel mot, l'éradication de tel autre, ou encore l'évolution des pratiques orthographiques (Les Langues et la mort,).

Il y aborde d'ailleurs volontiers le problème des langues mortes, et par leur intermédiaire la langue française, et par la langue française celle des écrivains : "Nous travaillons sur de bas morceaux toujours plus avariés." S'y trouvent aussi consignés des repères qui feront le bonheur de tous ceux qui aiment à voyager dans l'histoire des langues. Mais au-delà de cet exercice d'érudition, c'est à une véritable "quête mythique" que se livre Pascal Quignard : définir ce qu'est une langue, ce qu'elle désigne, quelles sont ses fins, la manière dont chacun l'acquiert, la transmet...

Il serait sans doute peu judicieux de lire d'une seule traite ces deux tomes de traités, enfin réunis en poche : l'ensemble paraît avoir été conçu pour que chacun y musarde à sa guise, choisisse ses haltes, en fonction de la longueur du traité (laquelle varie de deux pages à une bonne centaine), de son titre, ou encore de son genre, passant d'une réflexion philosophique à une fable, d'une narration à une biographie, d'une esquisse historique à un entretien (celui, réalisé en 1977, avec Georges Perec et Benoît Anelisseau). Il arrive toutefois que certains fragments surprennent par la somme considérable des références et leur manque de clarté, ou déçoivent par une extrême densité qui oblitère presque définitivement le sens...

LA DOCTE IGNORANCE DE PASCAL QUIGNARD

Erudition, préciosité, rareté : les critiques consacrées aux oeuvres de Pascal Quignard reposent le plus souvent sur l'emploi problématique de ces trois termes, comme s'ils permettaient, d'une manière ô combien satisfaisante pour l'esprit, d'assigner à résidence cette oeuvre si riche, si complexe, si diverse. 
  

    L'érudit : un "errant assis".

Certes, l'érudition de Pascal Quignard ne fait aucun doute. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir au hasard l'un des Petits Traités. Le tome VII, par exemple, prend en sa trame, l'Antiquité romaine, et son épilogue, le dixième siècle japonais, le seizième siècle allemand et français, mentionnant Perse, Synésios, Froberger, Grimmelshausen, Sei Shonagon, la pratique du blason, parmi d'autres. Le traité entraîne le lecteur à sa suite, dans un voyage "démaisonnant" dans le temps, et dans l'espace. 

Plus profondément encore, l'écrivain reçoit l'"enseignement", sens étymologique de l'érudition, de ces Anciens. C'est un lecteur : rien, dans cette oeuvre, ne peut être saisi sans la référer à une dialectique incessante et féconde entre lecture et écriture. 

Cependant si être érudit c'est traditionnellement être riche d'un savoir, le savoir inhérent à la lecture et à l'écriture est, paradoxalement, l'expérience d'un double dessaisissement : absence à soi-même du lecteur, absence redoublée dans l'écriture. C'est même l'expérience de ce Rien ainsi advenu que revendique Pascal Quignard : "Personnellement je conviens que ce que je recherche en écrivant est la défaillance. Et qui n'en serait pas convaincu en voyant ce que j'écris ? C'est cette possibilité de m'absenter de toute saisie réflexive de moi-même par moi-même dans l'instant où j'écris. C'est s'absenter jusqu'au temps où j'étais absent." 

Conséquence de la lecture, la pratique de la citation, constante, introduit d'autre part un dialogue d'oeuvre à oeuvre. Parfois elle est inapparente et, dans ce cas, le lecteur erre parfois entre vague familiarité inattribuable à aucun connu antérieur, et aveuglement complet, prenant pour argent comptant ce qu'on lui propose. Cette pratique citationnelle s'avance masquée. 

L'érudition est, dans cette oeuvre, effective, et consciente d'elle-même. Car elle est même l'objet de rêveries, créatrices d'images, comme celle de Florent au début du Salon du Wurtemberg : "Seinecé s'asseyait là - le dos tourné au mur - et c'était tout à coup un vieux moines à loupes-besicles et à grattoir, le nez rouge, le bout des doigts à nu dans des mitaines grises qui grattait un manuscrit latin. Là - assis face à la fenêtre - et c'était un Assyrien qui déchiffrait sa motte d'argile et évoquait les temps anciens où l'on parlait la langue de Sumer, où les femmes étaient belles et les moeurs affables et douces. Là - assis le dos tourné au lit - et un mandarin chinois déplissait de la main lentement un petit mouchoir de soie, mêlait l'encre, rêvait au visage de la femme qu'il aimait et qui se retournait dans son lit les yeux brûlants de ne pas trouver le sommeil." Le vieux moine, l'Assyrien, le mandarin chinois : trois figures de savants, d'érudits, de lettrés qui sont autant d'autoportraits indirects. 
 

    Les mots "précieux".

Dans l'esprit des critiques, la préciosité, qu'ils reprochent parfois d'une manière à peine voilée à Pascal Quignard, est le nom donné au "caractère affecté, recherché du langage, du style." Affectation, maniérisme : au nom de quel naturel décider qu'une langue est "affectée" ? Toute langue n'est-elle pas toujours une affectation, c'est-à-dire quelque chose qui se surimpose à un être silencieux et obscur ? On voit bien à quel point une telle critique est tributaire d'une esthétique classique, qui n'est peut-être pas pensée jusqu'au bout : "Le vers de Nicolas Boileau, écrit Pascal Quignard, dont usent beaucoup les imbéciles, selon lequel ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, suppose une neuvaine de postulations fantastiques : tout ce qui est au monde possède une idée claire, tout ce qui est au monde possède un nom attribué dans chaque langue, toute pensée est intégralement verbale [...], le monde est fini, la langue est finie, la pensée est finie, le monde est cohérent, la langue est la bonne, la pensée est juste, le monde est un et englobant, la langue est une et docile, la pensée est une et accordée à la cohérence d'un seul monde, et accordée à une seule langue, dont elle est la maîtresse, et qui est transparente, et qui est agréée par la vérité, etc." (Tome IV, Petits Traités, p 158) On ne saurait être plus clair, ni plus ironique ! 

La coloration, discrètement, péjorative du terme de "préciosité" témoigne à n'en pas douter d'une gêne occasionnée par les tours improvistes, mais non sans cause, que privilégie Pascal Quignard. Ainsi de cette "bénignité des ongles ras", ou cette "écharpe de laine succulente", que déplore un critique du monde dans un article du Monde, en 1989. Or, précisément, la préciosité au XVIIème siècle est le nom donné à une esthétique, extrêmement soucieuse de l'effet produit. A cet égard, Pascal Quignard ne désavouerait pas ce terme, lui qui écrit : "Le style doit sidérer le lecteur comme le mulot est fasciné par la vipère dont la tête se dresse en s'approchant de lui et qui siffle." (Rhétorique spéculative, p 171) Précieux, et rare, doit être le mot, le trait qui va briser "la mer gelée en nous". Car ce que certains lisent comme un maniérisme un peu désuet, et complaisant, n'est qu'un aspect d'une esthétique, tout entière tournée vers l'émotion, émotion de celui qui écrit et de celui qui lit. Le mot, le trait, le fragment sont les instruments utilisés pour méduser le lecteur, le contraindre au vertige. 

L'importance du mot est précisée d'une manière allégorique par le petit conte du Nom sur le bout de la langue. L'écrivain, comme le développe ensuite le traité, est Orphée : il descend aux Enfers, c'est-à-dire guette le langage défaillant pour y cueillir le mot qui répugne à paraître : "Dès l'instant où je découvris que le langage manquait, je découvris le rêve de mots vrais sur fond de silence - comme des îles sur la mort - qui font trembler celui qui les dit de désir ou qui l'enrouent absurdement et le font fondre dans les larmes." Ces mots, le conte le dit, il faut parfois s'en enquérir très loin, parfois au péril, sinon de sa vie, du moins de sa quiétude. Guetter silencieusement cette floraison c'est guetter des mots lourds, si polysémiques que le sens y devient évanescent : le mot vrai "dit plus qu'il ne signifie, et il montre plus qu'il n'exprime." Sa richesse vient de sa situation de carrefour; l'épreuve d'oubli qu'il a subie en fait un mot précieux : seuls sont oubliés les mots qui résonnent avec l'au-delà de la psyché. Il revient, auréolé de nuit, vérité de néant. Mots-sésame : ce sont les mots de l'enfance, du rêve et de la nuit. 
 

     Un débat originel : rhéteurs et philosophes.

Leur surgissement est toujours inopiné, et leur force de frappe en est démultipliée, car "l'effet de réel dans le texte, c'est la précision verbale indocile." Ce n'est pas une quête d'originalité, mais d'origine. Il en est de même en ce qui concerne traits et fragments : la vigueur de leur attaque, toujours renouvelée, modifie sans cesse les conditions de la réception, toujours sur ses gardes. A cet égard, mots et traits sont semblables au passé qui surgit dans le texte, à travers un mot grec ou latin, à travers la citation d'un auteur oublié. D'ailleurs ce recours à certains anciens est-il de la part de Pascal Quignard pure coquetterie ? Collectionne-t-il la rareté pour elle-même, comme contrepartie d'une très docte érudition ? Là encore, il faut répondre par la négative. Ces vieux Romains, ces Grecs oubliés, ces Chinois, ces Japonais, mais aussi ces jansénistes méconnus (comme Jacques Esprit, par exemple, auquel il consacre un très beau traité) ont en commun une même lucidité crue, et cruelle, un antihumanisme radical. 

Certains appartiennent à la tradition méconnue de la rhétorique spéculative , "tradition constante, oubliée, marginale, parce qu'intrépide, persécutée parce que récalcitrante, [qui] nous porte dans notre propre tradition, venant du fond des âges, précédant la métaphysique, la récusant une fois qu'elle se fût constituée." Ce n'est pas un acte de piété, mais une revanche : "Je ne ressuscite pas, écrit-il, le passé de la rhétorique spéculative. Je classe des documents d'une tradition persécutée. Les rhéteurs que j'évoque sont les marranes de ce que Bataille appela une athéologie." (RS, p 87) A l'orgueilleuse, et conquérante, spéculation des philosophes, qui oublient "la source de leur oraison", il oppose l'amère humilité des rhéteurs. Pour cette tradition, "le langage est par lui-même l'investigation". C'est la fameuse formule de Quintilien : "Philosophia enim simulari potest, eloquentia non potest." La philosophie est une imposture car, écrit Quintilien, "tout ce qui est revendiqué comme domaine presque exclusif de la philosophie, nous en parlons tous indifféremment." Pour Pascal Quignard le philosophe travaille sur "du logos prédécoupé", il se contente "d'ordonner dans la peur des effets du langage." Comme le dit très joliment Fronton à son élève Marc-Aurèle : "C'est comme si en nageant (in natando) tu préférais pour modèle au dauphin la grenouille (ranam potius quam delphinos aemulari)." 

Erudition et préciosité sont des armes de rhéteurs, c'est-à-dire de "littéraires" comme les nomme Pascal Quignard. 
 

    Au nom de la lettre.

Qu'est-ce qu'un littéraire ? Ce mot, quelque peu dévoyé en de vaines querelles, va retrouver sous la plume de Pascal Quignard son sens le plus juste, parce qu'il est le plus originel. 

"Le littéraire est chaque mot.", écrit-il. La littérature n'est donc rien d'autre que "le souci atomique des litterae." Le littéraire est en chaque mot dans la mesure où chaque mot est fait de lettres. Atomique : chaque lettre est considérée pour elle-même, comme un atomos, un individuus. Un roman entier est construit sur ce qui n'est au fond qu'un jeu de lettres, et qui, partant, est très révélateur de ce souci, de cette attention pointilleuse. Dans les Escaliers de Chambord, en effet, chaque femme aimée par Edouard épelle le nom de la première aimée. L'énigme de cet obscur amour est dévoilé quand les lettres initiales, assemblées, révèlent une identité masquée par la contingence des rencontres successives. 

Etre littéraire est se savoir marqué de la lettre comme d'un sceau. Emprise sans mémoire : "Nos lèvres, s'ouvriraient-elles au bas d'une tête qui n'auraient jamais lues, elles réciteraient, sue par coeur, une tradition implacable, un "empire" longuement exercé et qui commande jusqu'aux muscles de la glotte, jusqu'à l'usage de la main droite, jusqu'au haut du corps contraint et pétrifié." (La bibliothèque, Tome II, p 81) Mais cet empire qui s'exerce sur les corps, enchaînés et domestiqués par cette trame invisible, ouvre en même temps sur son au-delà. Car littéraire est celui qui, sous le sens des mots et des phrases, toujours un peu superfétatoire, cherche le son premier de la lettre, sa marque première : "Le littéraire est cette remontée de la convention à ce fonds biologique dont la lettre ne s'est jamais séparée. Il est cette ouïe ouverte à l'incessant appel abyssal - à ce lointain appel qui monte de cet abîme sans cesse creusé entre la source et la floraison qui se multiplie, de plus en plus profuse, sur ses rives d'aval." Médium privilégié, la lettre ouvre le chemin vers la physis, à laquelle nous appartenons de plein droit "par le sperme, par le lait, par la chair, par le sang, par la mort" Le langage par sa violence, parce qu'il est une violence, loin de nous arracher à ce Grund qui nous associe si intimement aux animaux, comme le disent justement les philosophes, nous y ramène encore. 

Cette faiblesse humaine, née de la Chute dans le langage, justifie le recours à l'esthétique du trait et du fragment, entre sourire et cruauté : "A des gens de chair et de matière il faut des occurrences de sang pour les émouvoir.", comme l'écrivait le Père Camus, cité par Pascal Quignard. Il leur faut aussi des contes et des romans pour y retrouver le plaisir et l'émotion qui sourd des rêves. 

Le projet du rhéteur, qui s'ouvre à la violence destituante de la lettre, ne peut se prévaloir d'être personnel, puisqu'il "ranime un foyer qui est dans tous dans la mesure où il est dans chacun." De là la persécution dont il est victime : on ne saurait réveiller, sans risque, cette ineffable violence. Sauver la source, c'est sauver l'énergie féroce du moment premier, de la conception, scène qui laisse à jamais mélancolique, puisqu'elle est nous sans que nous y ayons part. 

Et c'est en dénudant le langage, en le travaillant jusqu'au raffinement extrême de la préciosité, en le concevant comme pur jaillissement, non plus lié à la mort, mais tout au contraire souverainement articulé à l'engendrement, à la naissance que la littérature suscitera l'émotion qu'elle recherche, autre nom du sublime. D'une manière très curieuse, la "préciosité" quignardienne n'est donc que le masque de la plus extrême violence. 
 

    Vers une "docte ignorance".

Qu'en est-il alors de l'érudition ? Quel rôle joue-t-elle dans cette configuration orientée vers la source et le renaissant, sinon le naissant ? De prime abord elle paraît fondamentalement antinomique avec le goût pour le surgissant inopiné. Ce qui naît est, à l'instar du printemps, encore dans la fraîcheur de l'innocence et de l'ignorance. On ne sera pas surpris de noter que la pensée de Pascal Quignard trouve son point d'acmé en matière de paradoxe, dans la mesure où le savoir ne vaut toujours qu'en tant qu'il est dépassé. C'est là le sens de la "docte ignorance" de Nicolas de Cuse. 

Si la tradition, que Pascal Quignard entreprend de sauver de l'oubli, s'est trouvée constamment persécutée, elle doit aussi cette persécution à son refus de tout savoir constitué, de tout système, de toute doctrine. Tout au contraire elle se complaît dans une certaine ignorance. Mais cette ignorance elle-même est vérité : "Nous errons entre le plus vrai et le moins faux. Telle est la conjecture, savoir incertain, énigmatique et propre à l'espèce qui s'est faite l'expérience de ce qu'elle ignore." La première partie de la phrase évoque la thèse de Protagoras, selon laquelle : "celui qui pense sous l'effet d'un état pénible de son âme des choses tout aussi pénibles, on lui fait penser d'autres choses, des pensées que certains, par manque d'expérience, appellent vraies, mais que j'appelle, moi, meilleures les unes que les autres, en rien plus vraies." C'est la position sophistique par excellence : la congruence d'une proposition se vérifie non par son rapport à la vérité mais par l'effet qu'elle produit, conséquence en même temps de la seconde proposition de Gorgias : si c'est, c'est inconnaissable. Protagoras comme Quignard privilégient l'incertitude comme juste rapport à l'énigme. Qu'est le savoir, alors, sinon un démon intermédiaire, comme le montre Nicolas de Cuse : "Le plaisir que procure l'étude n'est pas la fin de la connaissance. Mais l'accroissement infini de l'ignoré est la tâche, et l'amplification de l'impénétrable secret la récompense." Cette note du Cusan donne sans doute la clé de l'érudition, imputée à Pascal Quignard. C'est, pour lui, toujours chercher, non pour trouver, mais pour, en de rares occasions, se laisser saisir, surprendre, emporter par une flèche lancée du fond des âges, qui est comme l'acmé du volcan vital. La merveilleuse, troublante et parfois effrayante opacité du réel, voilà le véritable enjeu pour l'écrivain, comme en témoigne ce passage dans le sexe et l'effroi : "Ceux qui aiment la peinture sont suspects. La vie ne se regarde pas. Ce qui anime l'animalité de l'animal, ce qui anime l'animalité de l'âme est sans distance à soi. L'ego veut le reflet, la séparation entre le dedans et le dehors, la mort de ce qui va et vient continûment de l'un à l'autre. Aussi l'ignorance dont nous ne pouvons pas sortir, il faut l'aimer comme la vie elle-même qui s'y continue." L'écrivain est donc voué au double tourment de l'intraduisible et de l'irreprésentable. Mais ce tourment est lui-même la source jaillissante. C'est Saint Jean de la Croix : "Ce savoir qui ne sait pas/ est de si haute puissance/que sages par arguments/ jamais ne le peuvent vaincre/ il ne parvient leur savoir/ à n'entendre pas entendant/ toute science dépassant.

Le lettré ne désire pas le savoir pour lui-même : tout au contraire, à son contact, il " se simplifie, se dépouille, et s'abstrait." Avec une inquiète constance, il s'assure, au-delà de tous discours, de la vérité de ce qui leur échappe. Plus il lit, plus il sait, plus l'énigme, au creux des mots assemblés, prend consistance. 

L'érudition sera donc un consentement actif à l'inconnaissable, à ce qui n'est pas l'objet d'un savoir, à ce qui n'est écrit nulle part, mais dont tout écrit, entre silence et férocité, est le signe.    

Chantal Lapeyre-Desmaison 

Pascal Quignard : l'intégrité d'une parole

La publication d'un livre de Pascal Quignard constitue désormais un événement. En 25 ans d'écriture, l'auteur des Petits Traités n'a cependant rien cédé à la facilité. L'Occupation américaine qui marque son départ chez Gallimard est un roman âpre, douloureux, fulgurant.

Je suis ombrageux et gourmand, gai en société, incapable de la moindre confidence, passionné d'être seul. J'aime la lecture parce que c'est la seule conversation à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l'instant. J'aime peu le sommeil, gouffre qui a partie liée avec la mémoire. Je suis musicien autant qu'il s'agit de jouer de la musique." Quand on donne à lire ce passage du Salon du Wurtemberg à Pascal Quignard en lui demandant s'il ne s'agirait pas d'un autoportrait, il sourit, sceptique : "Il n'y a pas beaucoup de biographies humaines qui ne soient pas similaires, dit-il. Nous nous ressemblons tous énormément. Sur ce point, le bouddhisme me paraît intéressant." Soit. Il n'empêche que la singularité de l'auteur de - pour ne citer que ses trois derniers ouvrages - Le Nom sur le bout de la langue, Le Sexe et l'effroi, L'Occupation américaine est bien réelle.

Pascal Quignard est né le 23 avril 1948, un vendredi saint, à Verneuil-sur-Avre, dans l'Eure. Monsieur et Madame Quignard sont tous deux professeurs de lettres classiques. Le premier est issu d'une famille d'organistes d'origine wurtembergeoise et alsacienne tandis que le grand-père maternel, Charles Bruneau, est l'auteur, avec son homonyme Ferdinand Brunot, d'une fameuse Histoire de la langue française. "Ces grands connaisseurs de la langue vous piétinaient à la moindre faute". D'où la nécessité, pour se montrer à la hauteur, de maîtriser le français rapidement et dans ses plus fines subtilités. Quant au goût pour ce que Pascal Quignard nomme les "langues originaires", le latin et le grec, il lui vient des jeux étymologiques qu'affectionnait sa mère. "Il n'y avait pas un repas qui ne soit interrompu par des recherches dans les dictionnaires. C'était à la fois fascinant et un peu effrayant de voir les lèvres de ma mère prononcer des mots cabalistiques, des dérivations dépourvues de sens pour un enfant." Très vite, il est pris par une passion qui est restée la passion de sa vie : la lecture. Il se souvient de lui, vers quatre ou cinq ans, les pieds sur un petit établi, lisant Peau d'âne ou les Contes et légendes de la collection Hachette. "Comme les panoplies de mousquetaires, de cow-boys ou de centurions romains, c'était revêtir des mondes imaginaires."

Pascal Quignard a passé toute son enfance au bord de la Seine. Au Havre d'abord, de deux à dix ans, "une ville en reconstruction entièrement rasée par la guerre, ce qui fait qu'on pouvait la traverser sans jamais cesser de voir la mer" puis à Sèvres à partir de 1958. Mais c'est la Loire à Ancenis où il passe toutes ses vacances de Pâques qui le marque le plus. Elle est présente dans plusieurs de ses livres, et particulièrement dans L'Occupation américaine. "La Loire n'est pas un fleuve comme les autres : elle a les crues les plus fortes, une civilisation : la Renaissance... C'est un fleuve un peu sacré." La Loire est aussi liée à la musique : à l'occasion de mariages et d'enterrements, il y a joué de l'orgue. Pascal Quignard a commencé l'apprentissage du piano vers l'âge de cinq ans, auquel il a ensuite ajouté celui du violon parce que son petit frère jouait du violoncelle. "Ainsi nous pouvions jouer ensemble. Le but de la musique a toujours été pour moi cet accord non-verbal très émouvant. C'est une communication qui va plus loin que la sociabilité." Beaucoup plus tard, Pascal Quignard se mettra lui aussi au violoncelle et à l'alto : "J'ai voulu retomber en enfance et reprendre des cours au Conservatoire afin de pouvoir changer d'instrument."

En 1968, il est en fac de philosophie à Nanterre, sur les mêmes bancs que Daniel Cohn-Bendit. S'il est trop farouche pour appartenir à un groupe et incapable de prendre la parole en public, il ne se sent pas du tout à l'écart du mouvement. Au même moment, il écrit son premier livre après avoir tenu des carnets de poèmes, de lectures, de notes biographiques qu'il a finalement détruits. "Mon essai sur Maurice Scève, qui était à l'origine une machine de guerre contre le "baratin", me semblait être un acte de sécession." De Gallimard, où il a envoyé son manuscrit, il reçoit une réponse signée Louis-René des Forêts, qui deviendra pour longtemps son lecteur. Celui-ci décide d'en publier un chapitre dans la revue L'Ephémère, où Pascal Quignard va côtoyer Du Bouchet, Celan et...Levinas, son prof à Nanterre. Après Maurice Scève, il travaille sur Lycophron, un écrivain grec, rencontré comme tous les auteurs maudits qu'il sauvera de l'oubli, au détour d'une note, en l'occurrence dans un ouvrage sur Mallarmé.

Un an plus tard, en 1969, Simone Gallimard, par l'intermédiaire de Louis-René des Forêts, lui propose de devenir lecteur extérieur pour Gallimard. "Je ne savais pas qu'on pouvait être payé à lire et j'ai trouvé ça fabuleux." Pendant vingt-cinq ans, Pascal Quignard ne va pas cesser de lire pour l'éditeur de la rue Sébastien-Bottin. Ses responsabilités peu à peu grandissent. En 1976, il entre au comité de lecture, puis au comité de direction et prend en charge le secrétariat général du service littéraire. "Je n'ai pas connu la lassitude du lecteur. J'avais demandé à lire ce qui arrivait par la poste plutôt que les écrivains confirmés aux savoirs plus ou moins tacticiens. Quelle qu'eût été la qualité du texte, c'était un plaisir. J'aime être abordé par ce que j'ignore." Pascal Quignard ne se range absolument pas parmi les éditeurs qui entourent de soins et soutiennent psychologiquement leurs auteurs. "J'étais avant tout un lecteur, un petit peu froid et technique, qui donnait son impression de lecture." Chez Gallimard, il aimait aussi l'idée de comptoir d'édition qui venait de Gide et qui s'est perpétuée jusqu'au comité de lecture de Claude Gallimard : "Des écrivains font prendre d'autres écrivains indépendamment de ceux qui détiennent l'argent pour faire fonctionner la maison."

Ecrivain, Pascal Quignard l'est peu à peu devenu, publiant dans les années soixante-dix de petits textes qui faisaient la part belle à l'abstraction et aux fragments, des traités érudits et un livre -Le Lecteur- qui cherchait à cerner "l'expérience limite de la lecture : le dénuement de soi aux confins de la folie, les abîmes possibles."

C'est en 1979, que paraît son premier roman, Carus, qui montre les amis d'un violoncelliste dépressif tenter de le sauver. "Les dépressions nerveuses ont beaucoup compté chez moi. Quels sont les recours ? L'amitié, c'est-à-dire le langage, ou la musique." La décennie suivante serait-elle celle où l'écrivain salué par ses pairs mais aux tirages confidentiels aurait recherché la reconnaissance par des romans plus accessibles, plus romanesques? Le Salon du Wurtemberg en 1986 puis Les Escaliers de Chambord en 1989 non seulement révèlent Pascal Quignard au grand public mais se retrouvent dans les dernières sélections du Goncourt, le second partant même favori, sans qu'aucun cependant ne remporte le prix. "Il était important de m'affronter à ce qui pesait sur moi : la généalogie paternelle dans Le Salon du Wurtemberg, et la lignée de ma mère venant de Flandres dans Les Escaliers de Chambord. Qu'il y ait davantage de psychologie et de romanesque dans ces romans vient de tous ces souvenirs familiaux, ces petits objets : les bonbons, les dinky toys... Bien sûr, il m'est impossible d'en écrire un troisième de ce genre. D'ailleurs l'ignorance de ce que je suis, fait que j'écris toujours quelque chose de différent." A propos du succès du Salon du Wurtemberg, il dit en avoir été surpris. "Mes lecteurs auraient peut-être pu l'envisager. Or, Louis-René des Forêts en particulier n'aimait pas beaucoup ce livre." Au même titre, le succès plus récent du Sexe et l'Effroi - dont le tirage atteint dix-huit mille exemplaires - reste une énigme pour lui.

En fait, seuls ceux qui s'en tiennent à une certaine rumeur médiatico-mondaine croient que Pascal Quignard a renoncé à l'intégrité de sa démarche d'écrivain. Il suffit de jeter un oeil sur la page "du même auteur" pour subodorer qu'il n'en est rien, et de le lire vraiment pour s'en convaincre. Pascal Quignard continue à exhumer d'obscurs auteurs romains ou chinois que la postérité a délaissés (Albucius, Latron, Kong-Souen Long), à concocter des Petits Traités qu'on a dit héritiers des Essais de morale du janséniste Pierre Nicole, et à inventer des contes ou des romans dont la puissance d'évocation et la charge émotionnelle sont proportionnelles à la rigueur toute classique de leur style. Seulement, avec le temps, les histoires et les personnages de Pascal Quignard ont gagné en chair, en sang, et en humeurs.

Comme on ne prête qu'aux riches, une autre rumeur persistante lui attribue les romans signés par une célèbre inconnue, Agustina Izquierdo : Un souvenir indécent et L'Amour pur, publiés respectivement en 1992 et 1993 chez P.O.L. Il dément catégoriquement : "Ceux qui m'imputent cette oeuvre sont les mêmes qui voudraient que je n'écrive pas de romans." Le cinéma vient à sa rencontre en la personne d'Alain Corneau qui a lu La Leçon de musique, publiée en 1987, où apparaissent les figures de Sainte Colombe et de Marin Marais. Alain Corneau, qui s'inspire toujours d'un livre pour réaliser un film, lui demande s'il ne serait pas tenté d'écrire un roman racontant Monteverdi à Venise ou Lully à Versailles. Monteverdi, Lully sont des musiciens trop reconnus pour Pascal Quignard. En revanche, Sainte Colombe... Et c'est l'admirable Tous les Matins du monde qu'Alain Corneau, finalement, se décidera à adapter.

Dernièrement, Pascal Quignard a abandonné toutes ses fonctions institutionnelles : les présidences du Festival d'opéra et de musique baroque de Versailles et du Concert des Nations, les jurys littéraires auxquels il participait. Et surtout, il a quitté cette année les éditions Gallimard. Sur les raisons de ce départ, il préfère rester discret. "Il me semblait qu'il faudrait de toute façon le faire un jour. Je n'ai aucun regret d'y avoir travaillé pendant vingt-cinq ans, et je suis heureux de me retrouver désormais solitaire comme un sanglier." Christophe Kantcheff

EXTRAITS

L’amour est une forme d’intelligence (de faim sur les levres, de voyage dans le regard) qui ne concerne que l’altérité de l’autre. C’est un mode du connaître dont le premier trait à ce que sa clairvoyance est contradictoire avec le langage. La langue constituée, nationale, apprise (apprise apres avoir été lue sur les levres maternelles) est toujours en position anachronique par rapport à l’harmonie d’emprise plus ancienne : car c’est cette derniére que l’amour (à la différence la concupiscence) reveille.

La passion est l’attachement involontaire et irrésistible pour la proximité d’un autre corps que le sien. Cette attache muette, subite, entraine des actions qui exhaltent l’âme – ou même l’affole – et qui qui mettent en péril l’inscription familiale ou conjugale ou sociale. La passion au contraire du désir (le désir qui est le contraire de la patio, qui est impatient) est à mes yeux nécessairement désintéressée par ce qu’elle reveille un état ou l’identité n’était pas encore construite. OU plutot l’amour est « non intéressé » : tout son intérêt est la proximité avec l’autre. Cette proximité n’est pas appropriation à l’intérieur de soi puisqu’elle se rêve comme une incorporation dans le corps de l’autre, dans l’altérité d’où on est issu. Puisqu’elle se rêve comme une fusion, rare, presqu’impossible (sauf dans les cas de dévoration), ou du moins une confusion. Il en résulte que :

-        l’amour va contre ses intérêts

-        l’amour brave les intérêts de la société

-        les actes irrépréssibles qu’il engendre ont tous un caractére d’extension, de désintéressement. De beauté. D’élation, c’est à dire de débordement. De contraste avec tous les autres comportement humains socialisés. C’est acting out boulversant, ces sidérations touchantes, ces perversions distanciées, ces manies obsédantes, ces audaces qui méprisent toute séduction succitent tous depuis l’aube du langage des récits où la société se conforte en se vengeant (où, apres coup, en se repentant). La société se repent toujours de ses méfaits quand il n’y a plus de conséquences à redouter du repentir.

Pourquoi l’amour ne s’éprouve t’il que dans la violence de la perte. Parce que sa source est l’expérience de la perte. Naître, c’est perdre sa mère. C’est quitter la maison de a mère. C’est quitter la maison de a mère. Sa trace est « toutes choses perdues ». Tout perdu commémore l’amour comme au premier instant. Parce que son aube est le perdu (la mère perdue dans le premier instant, dans le premier cri). Je définis comme amour tout ce qui en nous renouvelle le nascor, le découvrir pur, la violence de l’obscurité perdue, le spasme et l’inspiration du corps, la nudité expulsée dans l’air.

Le silence est comme un chiffon humide : il ôte la poussiére sans qu’il la fasse voler. Dans le silence la surface de l’étagère noire brillait. La surface du miroir luit, ses yeux sont agrandis, la peau de son torse boit la lumière, tout attend.

Il y a dans toute passion un point de rassasiement qui est effroyable. Quand on arrive à ce point, on sait soudain qu’impuissant à augmenter la fièvre de ce qu’on est en train de vivre, ou même incapable de la perpétuer, elle va mourir. On pleure a l’avance, brusquement, à part soi, dans un coin de rue, en hâte, pris par la crainte de se porter malheur à soi-meêm, mais aussi par prophylaxie, dans l’espoir de dérouter ou de retarder le destin.

Argumenter est un mot ancien qui veut dire la blancheur de l’aube. C’est tout ce qui s’éclaircit et se discerne dans cette pâleur qui survient en quelques instants. Péremptoire est l’arguement : il n’est jamais possible de détourner le fleuve juste à l’instant de sa crue.

Pas plus qu’il n’est facile d’arrêter le jour dans son aube.

On attend.
On attend sans pouvoir rien faire, tout à coup, dans une contemplation devenue malheureuse. Ou bien l’amour surgira de la passion, ou il ne naîtra jamais.

Il est vrai qu’il n’est pas aisé de désensorceler ce moment pétrifié. Chacun doit franchir cette passe étrange où tout ce qui était découverte au fond de l’âme découvre qu’il ne découvrira plus. Où tout se met à reconnaître.

On n’aime qu’une fois. Et la seule fois où on aime on l’ignore puisqu’on la découvre.

Amour vient d’un vieux mot ‘qui cherche la mamelle.’ Amor est un mot qui dérive de amma, mamma, mamilla. Mammaire et maman sont des formes presque indistinctes. L’amour est un mot proche d’une bouche qui parle moins qu’elle ne tète encore spontanément en avançant ses lèvres dans la faim.

 

Pascal Quignard, spécialiste de rien

par Marianne Payot
Juillet 1997

Depuis peu il a abandonné ses fonctions de lecteur et d'éditeur chez Gallimard pour se consacrer aux mots, à la musique et nourrir son insatiable curiosité.
Il y a trois ans encore, Pascal Quignard cumulait les postes et les honneurs: secrétaire général des éditions Gallimard, président de multiples jurys littéraires, président du Festival de l'opéra baroque de Versailles... Et un beau jour, plus rien! Rompant les amarres, il s'est retiré du monde, mettant un terme à vingt-cinq années de travail salarié. Une solution radicale dont il ne cesse aujourd'hui, après un an de flottement, de se féliciter: «Il n'y a pas lieu de me plaindre une seconde. Etre seul est une façon de vivre pleine de ruse et de joie. Quand nous nous retrouvons avec Modiano ou Le Clézio, nous nous reconnaissons, nous sourions, nous savons que nous ne sommes pas en train de souffrir.»

Un tableau des plus... parlant, en effet. Lorsque Sollers, son ancien voisin de bureau si éparpillé, le traitait de single, Quignard était ravi: «Je suis un antisocial profond. Je ne cherche pas à être missionnaire de quoi que ce soit.» Aussi, le réfractaire brandit-il avec fougue son emblème, le sanglier chinois (3), cher à son maître taoïste Tchouang-Tseu. «Le mot me plaît, il vient de singularis porcus, qui s'oppose à la vie en groupe.» Mais pour renoncer, il faut avoir connu. D'où une longue collaboration nourrie par l'appétit et l'ambition: «Il me fallait faire tout ce que j'étais destiné à ne pas faire. Il me fallait déplaire.» Des années d'anorexie, une enfance difficile («quand on cesse de parler et de manger et qu'on veut être dans le noir tout le temps, c'est mauvais signe») l'avaient définitivement classé aux yeux de sa famille dans la catégorie des marginaux sans retour. C'était sans compter sur le pouvoir stimulant de l'angoisse. Pris d'effervescence, le mutin du Havre, dont la grammaire, la musique et l'eau (4) ont été les puissances tutélaires, peint, joue du violoncelle (1), lit et écrit sans relâche. A 19 ans, son premier manuscrit envoyé chez Gallimard passe entre les mains de Louis-René des Forêts. Des mains d'autant plus bienveillantes que, hasard des hasards, un des chapitres du livre lui était consacré: «J'étais rouge comme un coquelicot, je ne pensais pas qu'il était mort mais pas non plus qu'il était vivant.» L'auteur du Bavard (!) devient le Pygmalion du jeune licencié en philosophie, l'introduit dans le groupe de L'Ephémère puis chez Gallimard où, «sans une goutte d'ennui», il va dévorer des milliers de manuscrits envoyés par la poste: «Ces textes étaient passionnants, tout point de vue est intéressant.»

Lecteur! Pascal Quignard est un lecteur fou, qui semble tout savoir de la Rome ancienne, du monde baroque du XVIIe, de la Chine taoïste, de la viole de gambe, de la mythologie grecque, des azulejos, de l'étymologie, de l'érotisme antique, de la peinture, des modèles réduits, de Georges Bataille, de Pierre Nicole, de Maurice Scève... Mais ne lui parlez surtout pas d'érudition: devant ce gros mot, le doux Pascal Quignard s'emporte de sa curieuse voix cassée: «Ce n'est pas de la culture, j'essaie juste de comprendre, je n'ai jamais rien compris à rien. Qu'est-ce que la musique? Le temps? L'argent? La vitesse? La mort? Tout m'est incompréhensible, tout m'intéresse, je ne souhaite être spécialiste de rien.» Soit. Toujours est-il que lecture et écriture sont indissociables pour ce drôle d'auteur qui, refusant la position assise, passe, allongé dans son lit, indistinctement du livre à la feuille de papier: «Lire est ma vraie joie, l'écriture se fait par carence de lecture. Elle doit être invisible, aller de soi, si je suis à un bureau, je me vois en situation, je pose à l'écrivain.» En fait, avoue-t-il, la véritable explication tient dans sa volonté de n'avoir jamais voulu peser à sa famille: «J'ai écrit une vingtaine de livres, des traductions du latin, du grec, sans en vendre un seul. Comme cela ne rapportait rien, cela ne devait rien coûter. Fantôme parmi les fantômes.» Les succès sont venus (Les escaliers de Chambord, Tous les matins du monde, Le sexe et l'effroi....) mais le crayon à papier est resté. Une fois les lettres tracées, le scribe joue avec le Littré, vérifie sa copie, la reproduit sur l'ordinateur, puis laisse sécher comme les peintres, six ou sept mois afin que «le ridicule ne passe pas».

Mais toutes les précautions du monde n'empêcheront jamais la presse de se déchaîner contre vous. L'écrivain se souvient encore de son angoisse à la veille de la publication des Escaliers de Chambord: «Après un succès - et ne voyez pas là de paranoïa - il y a une descente. Ça a été un massacre! Le plus dur, c'est de le savoir bien avant les autres, et d'être passif.» Il y a trois ans, L'occupation américaine, adaptée au cinéma par Alain Corneau, n'a pas failli à la règle: «préciosités d'antiquaire», «aphorismes pompeux», «sécheresse de l'inspiration» ... Les ténors de la critique littéraire ont donné le la. Gageons qu'après sa Haine de la musique de l'an dernier, ses 56 Petits traités échapperont à l'hallali.

Aventure extraordinaire que ces 1 280 pages commencées il y a dix-neuf ans en compagnie du peintre Louis Cordesse (2) et publiées aujourd'hui en poche grâce à l'acharnement de leur auteur. Plaisir des mots, hymne à la langue, à la grammaire, au livre, musicalité des enchaînements, suites baroques sans conclusion, liberté de l'écrivain, liberté du lecteur... toute la «non-érudition» de l'homme aux yeux bleus est là, étourdissante, envoûtante. L'occasion pour Quignard de réitérer sa haine du consensus, du «happy end», du prosélytisme. Ouvrir les portes, toutes les portes et laisser voir. Pour l'heure, récent rescapé d'une hémorragie interne cataclysmique, Pascal Quignard s'emploie à trouver une nouvelle forme littéraire, «une totalité authentique», qui intégrerait le «moi», l'imaginaire, l'essai. Casser les genres, décloisonner les domaines, brouiller les images. Quand le sanglier se fait loup...

Les abîmes obscures de l'âme...

Les titres de ses livres sont attirants et nous plongent d'emblée dans les profondeurs obscures de l'âme:
"Vie secrète, le sexe et l'effroi", "La haine de la musique", "Rhétorique spéculative", "La parole et le déni" et aujourd'hui: "Terrasse à Rome".
J'ai ouï dire que l'auteur était psychanalyste, d'ailleurs il est interviewé par une de ses consoeurs.
omme elle le lui fait remarquer, il est avant tout un littéraire (rumeurs dans la salle). Apparemment, il ne tient pas à mélanger les rôles, car de son C.V. il ne sera point question.
Son public est venu nombreux et parmi la foule, j'ai reconnu quelques uns de ses confrères strasbourgeois.
Il semble avoir de fidèles lecteurs, car le public se pressera en grand nombre pour faire dédicacer l'ouvrage à l'issu de sa présentation.

Carole de Maistre présente le livre en disant qu'il "n'est pas moderne, mais plutôt tourné vers les sources et non pas vers la marrée des embouchures."
Le citant: "Sauver la source tel est mon désir...je fais parti de ce que j'ai perdu."
"Qu'avez-vous perdu", lui demande son interlocutrice?
- Tout!
L'auteur semble mal à l'aise dans ce jeu de questions/réponses: l'écriture "n'est pas une profession, ni un statut social, j'en ai besoin pour vivre." Mais pas pour des raisons financières, précise-t-il. On l'avait compris.
En l'écoutant parler à voix basse, légèrement exaspéré par l'interprétation qui est faite de l'histoire qu'il a écrite, on a effectivement l'impression qu'il écrit comme on crée, avec ses tripes.
Le domaine de la créativité, que se soit dans la peinture, la musique ou ici l'eau-forte, lui tient particulièrement à coeur, comme il l'a montré dans ses ouvrages précédents.
"On travaille avec le langage pour se comprendre et s'éloigner du langage", analyse-t-il.
L'histoire est un prétexte à l'écriture, à la recherche de ce qui est perdu.
Dans "Terrasse à Rome", il s'agit d'une épopée, sur fond historique. Le héros a été défiguré par l'eau-forte. "Afin, que, privé de visage, il soit tout à son oeuvre." L'idée est intéressante. Un visage vous pousse vers l'extérieur. Il est tourné entièrement vers l'image, que l'on donne ou que l'on veut donner de soi. Il trahit par ses expressions, il est parfois confondu avec la personne, l'intériorité, qu'il masque. Il interfère dans la relation...et pourquoi pas dans la création.


Adolescent, le héros a aimé une femme à la folie. Mais elle était destinée à un autre homme.
Cependant, l'auteur récuse les comparaisons avec la transgression de l'interdit de l'inceste et avec Oedipe dont les chevilles enflées sont mises en parallèle avec le visage enflé du principal protagoniste.
"Où alors, Oedipe est partout!"
Pascal Quignard est l'auteur de la phrase que l'on retrouve dans notre dossier sur "le secret" (c'est en tout cas ce que j'ai appris lors de cette conférence.): "la vie n'est pas une tentative d'aimer, elle en est l'unique essai." L'auteur, est d'une pièce, ne connaît pas les compromis et pense comme nous, que la vie c'est ici et maintenant. Et non dans une réincarnation illusoire, ni sous d'autres cieux. Nous n'avons qu'une vie, "c'est ce que nous avons perdu qui nous poursuit: la fusion dont nous sommes issus." "La relation authentique est unique et absolue." Même si on peut la vivre plusieurs fois...
- "Mais vous semblez pourtant avoir vécu plusieurs vies!"
"Nous ne possédons pas qu'une empreinte psychanalytique", répond l'auteur. Voilà qui est agréable à entendre (lire notre édito qui fait allusion à une certaine dictature de la pensée psychanalytique.)

"Pour écrire, je cherche des successions de scènes sans liaison, pour ne pas interpréter à la place du lecteur...Des fragments de vie sont toujours plus émouvants à entendre, comme ça se passe dans la vie."
pour quelqu'un qui a écrit "la haine de la musique", on pense à l'interprète musical, qui joue la partition en mettant toujours un peu de lui-même. Ce qui se dit "interpréter un morceau de musique."
"La gravure fait penser à la matrice. Elle reproduit les oeuvres d'autres artistes, afin de les diffuser", reprend son interlocutrice.
"Je n'avais pas pensé, à cette forme organique de la reproduction."
Pascal Quignard dit s'être plutôt inspiré d'une nouvelle forme de gravure qui est apparu en 1642. Cette technique s'oppose à celle de la gravure traditionnelle qui consiste à vernir une table rase et à faire mordre le cuivre par l'acide, en le repoussant. Alors que la nouveauté ici, consiste à faire justement "table rase du passé", en hachurant la plaque et la noircissant dans son intégralité. C'est en appuyant sur la plaque que les blancs ressortent (à l'inverse du révélateur photographique qui fait surgir le noir du blanc). Ce geste, ainsi que le pari de la plaque entièrement noircie ont interpellé vivement l'auteur. "Le blanc ressort du noir". C'est toute la valeur de l'opposition que l'on retrouve ici, de même que dans l'opposition sexuelle, explique le romancier.


Le contexte de la Rome antique et du XVIIe siècle ont été choisis à dessein. Le monde romain n'a jamais cru en grand chose. Il y régnait cruauté, lucidité, indécence. Aucun Dieu ne parlait latin. Le XVIIe siècle est fait de guerre civile totale, les liens sociaux sont détruits, on y persécute les protestants.
Et...la luminosité de Rome. Que l'on retrouve dans les oeuvres de Claude Le Lorrain, qui apparaît dans le livre. "Vous êtes un peintre, vous n'êtes pas un graveur voué au noir et blanc, c'est à dire à la concupiscence." L'auteur raconte, que la première photo érotique fut réalisée en France, en noir et blanc ( les contrastes y sont plus forts). Elle représentait un enfant écartant les jambes de sa mère, afin de voir d'où il était issu. Comme Courbet", ajoute-t-il. Pour lui, la "couleur habille, elle ne peut montrer la nudité."
Les problématiques principales du livre se trouvent autour de la clarté, l'opposition, la complémentarité, le clair/obscur, la création, la vie, qui pour l'écrivain est une Renaissance" constante.
"Les cathédrales sont un moyen de locomotion de la lumière. Des vaisseaux de lumière."
Surtout pas dans le pêcher et la punition. Plutôt dans la sauvagerie...

Les questions dans la salle frappent fort et juste:

"A vous écouter, je vous trouve très proche de Du Bellay, avec ses regrets à Rome: "Rien de Rome ne restait".
- "Cela me va très bien. Dans ma famille, on était titulaire des orgues du Bellay. "
- "Avez-vous laissé la musique?"
-"Un livre ne rivalise pas avec la peinture, ni avec la musique, il y a une voix qui n'est pas celle de l'auteur et qui s'élève mystérieusement."
- "Vous n'avez pas voulu écrire un livre sur le temps?"
- "C'est indépendant de ma conscience. Je me suis lancé dans une grande suite sur le temps."
Sa conclusion n'en mérite pas d'autre: "...Malheureusement, il faut se dire au revoir, car je dois prendre un train."

Terrasse à Rome Pascal Quignard

Pascal Quignard ne s'en cache pas : il a renoncé à toutes ses "responsabilités éditoriales" pour se consacrer à l'écriture. Longtemps cacique respecté dans le saint des saints de la rive gauche (entendez : le temple Gallimard), il a décidé un beau jour de troquer son bel habit de citadin pour la défroque pastorale. Il y fallait certes un certain culot. Il paraît d'ailleurs qu'un accès de dépression ne pesa pas pour peu sur la balance du parti à prendre. Se mettre en congé de comités, de jurys, d'augustes accointances et autres financiers de la claque organisée en empires de presse, c'était en même temps renoncer aux chères prébendes tellement convoitées par beaucoup de candidats écrivains, comme nous le chantait Balzac.

Il y avait là un challenge d'autant plus difficile à relever qu'il s'agissait de revenir en somme à la littérature. Non qu'on l'eût jamais quittée réellement, d'ailleurs. Mais enfin, ce n'est quand même pas coton de comprendre que servir un éditeur, fût-il l'héritier du regretté Gaston, ne signifie pas forcément servir la littérature, hein ! Alors voilà, foin de l'adultère et de son train d'hypocrisies ! Notre Quignard a décidé de ne sacrifier désormais qu'aux seuls trips d'une liaison jusqu'alors trop négligée sans doute : son œuvre ! Dans la foulée, il a même quitté l'air de Paris pour aller se terrer au fin fond du terroir.

C'est que les guides touristiques l'attestent : les vapeurs de l'humus y dameront toujours le pion aux fragrances motorisées que nous autres, pauvres parisiens, ne cessons de renifler de l'aube au crépuscule par la faute d'un ministre renégat. Pour un peu, il nous l'aurait joué Tournier, vous savez ? Il aurait investi un presbytère menaçant ruine sur le flanc d'une colline riante et les paparazzis de la Kapitale seraient aussitôt venus faire le pied de grue sous la marquise. Occupés d'un seul rêve, un peu farce, convenons-en : le fixer sur la pellicule avec son bonnet de mérinos et sa smala de matous pacifiquement déployés parmi les ors d'une bibliothèque canonique. Mais rien de tel ici, évidemment : un simple manoir peut toujours faire l'affaire s'il niche à la croisée des TGV, à la rigueur une méchante gentilhommière suffira à la métaphore du retour de l'enfant prodigue. Quant aux journalistes, qu'ils cherchent bien. Le relaps, comme lui-même l'écrirait, a résolu de garder secrète son adresse et son téléphone, ma foi, est sur liste rouge.

Il n'empêche qu'avec le dernier opus annoncé par une presse unanime ou peu s'en faut dans la louange, et forts de tout un brouet sur le ressourcement posé par un créateur comme condition sine qua non de sa spécialité, nous croyions devoir penser à notre tour que quelques-uns des meilleurs éléments avaient été réunis, et donc nous attendions quelque chose. Pas nécessairement dans le genre chef-d'œuvre, remarquez : tout le monde n'est pas génial, et, en ce qui concerne Pascal Quignard, ses quelques précédents romans nous en avaient déjà assez convaincus. Mais quoi ! On se disait que l'ivresse de la solitude peut malgré tout engendrer des romans nouveaux, intéressants, qui sait, preuve que même un talent passable peut gagner à la fréquentation des charmes propres à la clandestinité des grands fauves. On s'est trompé. N'en déplaise à tous les laudateurs, soyez mis en garde : si les belles intentions de l'auteur restent évidentes, la qualité du résultat n'est encore une fois qu'à la mesure de la déception qu'on en retire, comme c'était déjà le cas de Tous les matins du monde.

Pourtant l'écriture est là, d'un extrême dépouillement, magnifique dans une forme qui confine souvent à la poésie. Il est vrai que Quignard entend écrire selon la manière dont son graveur grave : mezzotinto, gris, blanc, noir. C'est que, signale-t-il, les graveurs sont graves. On a compris que le graveur en question est le héros de Terrasse à Rome, "Un graveur d'eaux fortes qui cisela de Bruges à Rome sa manière noire et son chagrin d'amour." Tel est le sujet, en passant. On se demande alors ce qui ne fonctionne pas dans ce petit ouvrage chantourné et tout en exquise dentelle. L'absence de laisser-aller, peut-être ? La raideur des règles que semble s'imposer l'auteur pour parvenir à rendre l'atmosphère et les us d'une époque ancienne : le XVIIème ? Oui, tout cela à la fois, sans doute. Un certain défaut d'innocence, si l'on veut aussi : on sait bien que les romans les plus passionnants sont ceux qui échappent à leurs auteurs. Or pas un instant, ici, l'intrigue, quasi inexistante, et ses personnages, décrits à coups de traits si sommaires qu'ils tiennent davantage de la caricature que de la créature du bon dieu, n'échappent à l'intelligence érudite et trop sérieuse de Pascal Quignard. C'est aussi bête que cela : on n'y croit pas. On n'y croit pas parce qu'on y cherche un frémissement de vie et d'émotion qui ne se produit jamais, hélas. On se dit qu'en définitive tant de "beauté" est aussi vaine que peut l'être un artifice trop voulu pour être honnête, s'il en est qui le soit. Didier Hénique

Bibliographie

* L'Etre du balbutiement, (Essai sur Léopold von Sacher-Masoch) Mercure de France, 1969 * Alexandra de Lycophron (Présentation et traduction) Mercure de France, 1971 * La Parole de la Délie (Essai sur Maurice Scève) Mercure de France, 1974 * Michel Deguy Seghers, 1975 * Echo, suivi d'Epistolè Alexandroy Le Collet de Buffle,1975 * Le Lecteur, récit Gallimard, 1976 * Sang Orange Export Ltd, 1977 * Hiems Orange Export Ltd, 1977 * Sarx Maeght, 1977 * Les Mots de la terre, de la peur et du sol Clivages, 1978 * Inter Aerias Fagos Orange export Ltd, 1979 * Carus, roman Gallimard, 1979, Folio * Sur le Défaut de terre Clivages, 1979 *Le Secret du domaine, conte Editions de l'Amitié, 1980 *Les Tablettes de buis d'Apronenia Avitia, Gallimard, 1984 * Le Voeu de silence (Essai sur Louis-René des Forêts) Fata Morgana, 1985 * Une Gêne technique à l'égard des fragments (Essai sur Jean de La Bruyère) Fata Morgana, 1986 * Ethelrude et Wolframm, conte ` Claude Blaizot, 1986 * Le Salon du Wurtemberg, roman, Gallimard, 1986, Folio * La Leçon de musique Hachette, 1987 * Les Escaliers de Chambord, roman Gallimard, 1989, Folio * Albucius P.O.L, 1990 * Kong-souen Long, sur le doigt qui montre cela Michel Chandeigne, 1990 * La Raison Le Promeneur, 1990 * Petits traités, tomes I à VIII Maeght Editeur, 1990 * Georges de La Tour Editions Flohic, 1991 * Tous les Matins du monde, roman Gallimard, 1991, Folio 1993 * La Frontière Editions Chandeigne, 1992, Folio 1994 * Le Nom sur le bout de la langue P.O.L, 1993 * Le Sexe et l'Effroi Gallimard, 1994 * L'Occupation américaine Le Seuil, 1994