Chapitre 14- 1954: L'année du speedster

Le 15 mars 1954, la cinq millième Porsche quitte l’usine. Les Spyder accumulent les victoires de classe. Pour Porsche, 1954 est avant tout l'année de naissance du mythique Speedster 356. 

1. Les dernières 356 pré-A.

Les 356 n'ont que peu évolué depuis 1952. Elles ont toujours leur pare-brise Knickscheibe, seuls des détails ont été modifiés au niveau des pare-chocs. La gamme des moteurs voit disparaître le 1500 Normal de 60cv, mais s'enrichit d'un 1300 Super de même puissance (modèle 1953). Il y a toujours un 1100 de 40cv, un 1300 de 44cv, un 1500 Normal (55 cv) et un 1500 " Super" de 70cv. Le moteur de 1.100 cc est peu demandé et disparaît bientôt.

Le prototype du Speedster avant l'installation des volets latéraux (pas de poignée de portière). Le bas de la carrosserie est incurve vers l’intérieur, ce qui est typique des 356 Pré-A.

La grande nouveauté est l'apparition en septembre 1954 d'un nouveau modèle, le Speedster. Depuis deux ans, Max Hoffmann voulait obtenir une petite Porsche, plus sportive que le Cabriolet et coûtant moins de 3.000 US $. L'America Roadster lui plaisait bien, mais il était trop lourd et beaucoup trop cher. De toute manière, la faillite de Heuer-Gläser avait entraîné sa disparition définitive. Max Hoffmann comprend alors que le perfectionnisme de Ferry Porsche et d'Erwin Komenda s'oppose à toute réalisation rapide. Il décide donc de s'adresser directement au commercial de la firme : Albert Prinzing. Les deux businessmen solutionnent rapidement le problème. Ils prennent une carrosserie de Cabriolet dont ils réduisent l'habitacle en soudant des tôles au-dessus de l'emplacement des sièges arrière. Ceci donne du volume à l'arrière de la carrosserie, impression augmentée par une découpe oblique des portières, petite réminiscence de l'America Roadster. L'équipement est simplifié avec des sièges baquets et un tableau de bord spartiate. Les vitres latérales sont remplacées par de simples panneaux en mica. Le pare-brise est copié de la Chevrolet Corvette de 1953 à moins qu'il dérive de celui du prototype Glöckler exposé sur le stand Porsche au Salon de Genève en 1953. L'ensemble, esthétiquement parfait, est accepté par Ferry. Plus tard, le dealer Porsche de la côte Ouest, John von Neumann, affirmera que le nouveau Speedster a été inspiré du roadster qu'il avait créé en 1952 en découpant la carrosserie d'une 356 SL Gmünd. Le Speedster porte la même désignation d'usine, type 540, que l'America Roadster, qui disparaît ainsi de la nomenclature Porsche. Ferry et Komenda ne lui ont pas pardonné d'avoir été forcés de lui donner un profil "à la XK 120". D'emblée, le Speedster est un succès commercial aux USA. Le prix de 2.995 US $ (contre 4.600 US $ pour un America Roadster) est obtenu grâce à une astuce. La voiture est théoriquement livrée sans chauffage, compte-tours et avec une trousse à outils réduite. En pratique, il s'agit là d'options obligatoires, livrées et facturées d'office. Tous les Speedster auront un moteur d'au moins 1.500cc, Maxie ne voulant pas entendre parler d'une cylindrée inférieure. 

2. Les appellations

Max Hoffmann a eu une énorme influence dans la réussite Porsche. Nous avons déjà vu qu'il était à l'origine de l'emblème de la firme. Pour les mêmes raisons promotionnelles, il désire que les Porsche portent un nom ronflant à la place d'un numéro. Il trouve plus chic "Cadillac Eldorado" que "356 Super". Il impose donc Speedster pour la nouvelle 540 et Spyder pour la 550. Pour les 356, il essayera de temps en temps des appellations, comme Continental (en 1955) et European (en 1956), qui n'auront aucun succès. Par contre, " Carrera ", nom donné en 1954 au moteur à quatre arbres est une trouvaille Porsche et ne doit rien à Maxie. "Carrera" fait bien sûr allusion aux succès de Porsche dans les Carrera Panamericana. Plus tard, Carrera deviendra synonyme de 911 malgré l'existence éphémère de quelques 924 carrera GT et GTS.

3. Le Spyder 550.

Ensemble moteur d'un Spyder. L'avant de la voiture est à droite. Par rapport aux roues, la boîte de vitesses est à gauche et le moteur à droite.

Avec l'exemplaire 550-05, le nouvellement baptisé Spyder a trouvé sa forme définitive et commence à être construit en série. Les carrosseries en alu dessinées par Erwin Komenda viennent maintenant du carrossier Wendler à Reutlingen. Porsche construira une quatrevingtaine de Spyder " cIients" qui présenteront quelques variations d'un exemplaire à l'autre. Ceci touche l'inclinaison des phares, l'habitacle (avec ou sans appui-tête) et surtout la forme des capots arrière (ailes plus ou moins saillantes, avec ou sans fentes latérales). La suspension avant est basée sur celle de la 356 (et de la Cox). A l'arrière, les barres de torsion transversales sont en avant des roues. Elles sont reliées par des bras longitudinaux à des essieux oscillants comparables à ceux des 356. Seule différence, le moteur est en position centrale arrière. Chez Porsche, on se lance timidement dans l'usage de barres anti-roulis (ou stabilisatrices). Placées à l'arrière, elles ne donnent pas satisfaction. A cette époque, chez Porsche, on n'est pas encore expert dans le domaine des suspensions, mais on apprend vite.Les avis de l'ingénieur Zora Arkus-Duntov (pilote d'un Spyder au Mans en 1954) sont écoutés avec beaucoup d'attention et immédiatement essayés sur les Spyder de course. 

4- Le Mans 1954

En juin, au Mans, comme bien souvent (et en 1998 plus que jamais), les Porsche bénéficient d'une chance insolente. La course a été terrible, avec une météo détestable. A une heure de l'arrivée, en catégorie 1.500cc et 1.100cc, les 550 survivantes sont à bout de souffle, complètement dominées par deux Osca qui comptent quinze tours d'avance. Heureusement pour Porsche, les Osca abandonnent "miraculeusement" peu de temps avant l'arrivée. Grâce à cela, la 550 jaune de l'équipage belge, John Claes et Pierre Stasse, qui ne tourne plus que sur trois cylindres, remporte la victoire en classe 1.500cc, Au classement général (à la distance), elle termine douzième. La deuxième 550 (équipage Gonzague Olivier et Zora-Arkus-Duntov) propulsée par un quatre cylindres 1. 1 00cc "Fuhrmann" est quatorzième et première en catégorie 1. 1 00cc. Ce 1.100cc à quatre arbres ne donna jamais les 93 cv à 5.500 tours prévus et fut abandonné. Les deux autres 550 inscrites par l'usine ont abandonné en début de course, leur moteur Carrera 1.500cc n'ayant pas tenu la distance à cause d'un mauvais réglage de l'allumage. La victoire générale échoit à une Ferrari d'une cylindrée de cinq litres, plus du triple de celle de la 550. La moyenne de la Ferrari est de 169 km/ h contre 127 km/h pour la petite Porsche. Quinze ans plus tard, lorsqu'elles auront une cylindrée comparable à celle des Ferrari, les Porsche n'en feront qu'une bouchée.

 5. Les Mille Miglia

En mai, les Porsche 356 et 550 trustent les victoires de catégorie aux Mille Miglia. C'est dans cette course que Hans Herrmann et Herbert Linge connaissent la frayeur de leur vie lorsque leur Spyder passe sous la barrière fermée d'un passage à niveau, cela à moins d'un mètre de l'avant d'une locomotive. Cette péripétie ne les empêche pas de remporter la catégorie 1.500cc.

 6. Le Liège-Rome-Liège.

Ce rallye diabolique est remporté en août par Helmut Polensky et Herbert Linge sur une 356 SL, modèle à toit abaissé. Pour l'occasion, la vieille Gmünd a été munie d'un moteur Carrera, ce qui lui a donné une nouvelle jeunesse. Cette voiture est pourtant loin d'être neuve, elle a déjà participé à cette course les deux années précédentes. Restée propriété de l'usine, elle est aujourd'hui exposée au Musée Porsche de Stuttgart.

7. Carrera Panamericana

Fin novembre 1954 a lieu la cinquième et dernière Carrera Panamericana, épreuve mythique à laquelle des Porsche prirent part trois années consécutives. En 1953 et 1954, la participation fut le fait de véritables équipes d'usine avec directeur de course (von Hanstein) et pilotes vedettes comme Hans Herrmann et Karl Kling. Les frais engendrés par de tels déplacements dépassaient de beaucoup les capacités financières de l'usine. Elle était heureusement aidée par Max Hoffmann qui, en tant que dealer Porsche aux USA, était le bénéficiaire direct des retombées publicitaires de la course. D'autres firmes allemandes aidaient Porsche, notamment Telefunken et Daimler-Benz qui pensaient à juste titre que toute victoire allemande pouvait favoriser la vente de leurs produits.

Le Spyder 550 qui s'est couvert de gloire en terminant troisième au classement général de la cinquième Carrera Ponamericana (Musée Porsche).

En échange, Ferry avait été peu exigeant à l'égard de certains coureurs locaux, comme le garagiste guatémaltèque Jaroslav Juhan. Ainsi, en 1953, il avait accepté de ne réclamer le paiement des 550 qu'après la course, c'est à dire après qu'elles aient été revendues d'occasion à un autre pilote. On retrouve ainsi dans la Carrera Mexicana de 1954, la primitive 550-01 (maintenant sans hard-top) rachetée par un industriel mexicain de la chaussure, Salvador Lopez-Chavez. Cette voiture doit se contenter d'un moteur culbuté (moins de 80cv) alors que la "Fletcher Aviation" de Herrmann (550-4), la "Garage Juhan" (550-5) et le Spyder blanc et bleu sponsorisé par le dealer VW de Mexico (550-06) sont équipés de moteurs à arbres à cames en tête de 110cv. Des quatre 550 engagées, trois terminent la course aux troisième (Herrmann), quatrième (Juhan) et vingt-huitième places (Lopez-Chavez). Il ne faut pas se leurrer, cette brillante troisième place de Porsche n'a été rendue possible que par le forfait de Mercedes, dont le service course était trop occupé par la préparation des Formules 1, et par la malchance chronique qui accompagne les Osca et les Borgward, leurs seules concurrentes. L'actrice Jacqueline Evans participe à nouveau sans succès à la Carrera au volant d'une 356 SL ex-Hoffman. Au classement général, la victoire revient aux puissantes Ferrari, dont la première n'avait en fin de course que moins de deux heures d'avance sur le Spyder de Herrmann. En 1955, le gouvernement mexicain, en difficultés budgétaires, décida d'annuler la course, prenant aussi prétexte de la catastrophe des 24 heures du Mans qui généra un gigantesque mouvement anti-compétition automobile.

 8. Les premières 356 Carrera.

Le Coupé Ferdinand offert au Professeur Porsche le 3 septembre 1950 pour son soixante-quinzième anniversaire. En 1954, cette voiture fut la première 356 à être munie d'un moteur Carrera.

Il semble qu'à l'origine le moteur à quatre arbres à cames n'ait pas été destiné à être installé dans une carrosserie de 356 de tourisme. L'extraordinaire triomphe de la 356 SL lors du Liège-Rome-Liège donne des idées à Fuhrmann. Il installe un de ses " quatre arbres" dans un des premiers Coupé " Acier" que l'usine utilise comme voiture d'essai. Cette voiture était baptisée "Ferdinand" parce qu'elle avait été la 356 personnelle du vieux Professeur. Le nouveau moteur transforme la vieille 356 en un bolide. Tout le staff de l'usine veut bientôt essayer cette voiture magique. L'enthousiasme est tel q u'il est immédiatement décidé de lancer une série de cent exemplaires pour obtenir l'homologation. L'existence de ce nouveau modèle est annoncée lors du Salon de Francfort et génère un intérêt prodigieux chez les Porschistes. Ils devront toutefois attendre car la fabrication de ces 356 Carrera prendra du temps. En 1954, seulement quatre Coupé et quatorze Speedster sont munis d'un moteur 547/1 et deviennent ainsi des 356 Pré-A "Carrera". Baptisés d'abord 356 " 1500 RS " l'année suivante, ils seront rebaptisés " 1500 GS" pour éviter toute confusion avec les Spyder connus aussi sous le nom de 1500 RS.

 

Précédant

Suivant