1956 : Déjà dix mille 356 et premier succès a la Targa Florio

La firme Porsche occupe maintenant l'ensemble des bâtiments du site de Zuffenhausen. Une partie des ateliers est toujours louée au carrossier Reutter. C'est une année de mondanités. Une fête est organisée à l'usine lorsque la dix millième 356 quitte la chaîne de montage et Ferry Persche donne une party à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de la firme. A cette époque, l'an 1 n'était pas comme aujourd'hui 1948 mais 1931, date de naissance du Konstruktionsbüro.

 1. Les modèles de série

Ce sont toujours des 356 A T 1 fabriquées d'octobre 1955 à août 1957. A chaque millésime, et même en cours d'année, les voitures subissent des modifications tant esthétiques que techniques. Le nombre de pièces d'origine VW est en constante régression. Ainsi, le carter qui groupe la boite de vitesses, le pont et le différentiel n’est plus en deux pièces (et d'origine VW). Il est remplacé par la transmission 644, dite " tunnel". Le carter a maintenant la forme d’un cylindre ouvert vers l'avant. Ceci permet de retirer ensemble et facilement tous les engrenages de la boite.
L’importance du marché US pousse Ferry à américaniser les 356. Ceci se marque par l’apparition de pare-choc surélevés destinés à protéger les frêles 356 contre les grosses américaines. Il s'agit d'un bricolage, on s'est contenté d'allonger les butoirs vers le haut et on les relie par des barres transversales appelées overriders. Il y a aussi de fréquents changements de forme et de couleur des différents feux.
En 1956, les feux avant sont plus saillants que ceux des Pré-A. Comme ils ont la forme d'une petite ruche, on les baptise "beehives". Les deux arrière sont toujours séparés et rond. Peu avant le passage des 356 A de Tl en T2, ce qui aura lieu en 1957, les deux feux arrière sont remplacés par un seul allongé, baptisé " teardrop " (larme). En même temps, l'éclairage de la plaque passe sous celle-ci. On parle alors de "shine down " par opposition au modèle "shine up". Il est clair que l'influence US se manifeste aussi par l'anglicisation du vocabulaire porschique.
La motorisation Carrera consiste encore en des moteurs 1.500cc (Type 547/1) avec vilebrequin Hirth. La cylindrée est essentiellement motivée par le fait qu'en catégorie "Sport" les limites de classe sont de 1.000 à 1.500cc. Le passage en 1.600cc aurait forcé les Carrera à concourir contre des deux litres.

 2. Succès commercial des moteurs Porsche

L'hélicoptère d'observation Gyrodyne est un bon exemple d'adaptation réussi du moteur de la 356 à une utilisation autre que l'automobile

Porsche ne fabrique pas que des autos. En plus des tracteurs "Porsche diesel" déjà cités, la firme continue la tradition du Konstruktionsbüro en inventant dans de nombreux domaines. Il est impossible de tout citer, cela va des pompes hydrauliques à des générateurs électriques. La plupart des projets utilisent les versions industrielles du fabuleux moteur de la 356. On le retrouve partout, il actionne des petits téléphériques, il propulse les bateaux et des aéronefs variés. Ce domaine aéronautique est depuis longtemps une spécialité de la famille Porsche. A la fin des années cinquante, on voit apparaître plusieurs moteurs d'avion dérivés du quatre cylindres 356 que son refroidissement par air prédestine particulièrement à cet usage. En version aviation, il a un carter sec (comme plus tard, la 911) est dépourvu de turbine (le vent de l'hélice suffit) et est muni par sécurité d'un double allumage. Une version est développée pour actionner un hélicoptère léger (type 702). C'est le Gyrodyne américain, prototype destiné au corps des Marines US. Sur cet appareil, le moteur (678/3) est modifié pour pouvoir fonctionner verticalement de manière à ce que l'axe du vilebrequin soit dirigé vers la base des deux rotors coaxiaux contrarotatifs. Cet hélico ne sera finalement pas commandé car l'adaptation du moteur 356 au carburant aviation standard est difficile.
Il faut aussi signaler les importants travaux de recherche effectués pour le compte de VW. Trois prototypes (types 672, 673 et 675) sont construits entre 1955 et 1958. Ils se caractérisent par la présence du moteur à l'arrière sous le plancher.

Le tout terrain Jagdwagen (type 597) dont soixante dix exemplaires seront fabriqués avant l'abandon du projet en 1958.

3. Le type 597 Jadwagen.

A l'époque, la firme Porsche reste très discrète au sujet de ses activités militaires qui pourraient nuire à la vente de ses voitures de tourisme. Par contre, lorsque l'armée allemande lance un concours pour un véhicule léger 4x4, Porsche ne cache pas son intérêt, voyant même un débouché civil à un successeur de la Kübelwagen. Dès 1954, sans commande ferme, la firme Porsche s'était lancée dans la construction d'une petite série d'un véhicule tout terrain bientôt baptisé Jagdwagen ("voiture de chasse "). Ce nom montre bien que Porsche a l'intention d'en fabriquer des versions civiles. Ce Jagdwagen est un véhicule compact, mais assez lourd, en fait beaucoup moins spartiate que le Kübel. Le moteur monté à l'arrière lui donne un comportement de propulsion (la transmission aux roues avant peut être débrayée comme sur la Cisitalia). Bien que dépourvu d'hélice, le Jagdwagen flotte et peut avancer à la rame ou être halé au moyen de cordes. L'armée allemande suite à des pressions politiques commanda la Munga (à moteur deux temps) présentée par la firme DKW (Auto Union) qui était alors en grandes difficultés et pour qui cette commande était une question de survie. Cette munga allait être une grande réussite. Munie plus tard d'un moteur de Golf (et rebaptisée Iltis), elle sera fabriquée sous licence parla firme canadienne Bombardier et est encore utilisée aujourd'hui par l'Otan. Voyant cet énorme marché potentiel lui échapper, Ferry en conçut une grande amertume, d'autant plus que le ministère ne remboursa qu'une partie des frais engagés. Il eut peut-être tort de renoncer à la fabrication en série de Jagdwagen civiles quand on voit le succès remporté ultérieurement par ce genre de véhicules tout-terrain et l'engagement actuel de Porsche dans le projet SUV.

 4. La 550 ailée de Michael May.

Le Spyder 550 de Michael May photographié lors des essais des " 1. 000 km du Nurburing" de1956. Il sera interdit de course par l’ADAC sous prétexte qu'il gênait la visibilité des au ses concurrents. En réalité, il gênait les Spyder 5A d'usine qui n'arrivaient pas à le suivre

Les artifices aérodynamiques destinés à augmenter la tenue de route étaient encore inconnus dans les années cinquante. Bien sûr, certaines voitures de record (comme l’Opel Rak2 et la T-80 du Professeur Porsche) avaient été munies d'ailes latérales, solution efficace mais inacceptable pour une voiture ordinaire. C'est à un ingénieur suisse que revient l'idée de munir sa 550 d’une aile surélevée réglable à partir du cockpit. Son Spyder fut immédiatement interdit de compétition par le pouvoir sportif téléguidé par Porsche. Ce fut une réaction infantile d'orgueil de la part de l'usine qui eut le tort de considérer cette voiture comme une concurrente potentielle alors qu'il s'agissait d'un développement génial. Il faudra attendre dix ans pour revoir de tels dispositifs aérodynamiques sur les Chaparral du texan Jim Hall et sur les Formules 1. Les ailes mobiles seront définitivement interdites en mai 1969.

5. Nouveau Spyder : Le 550A (ou 1500RS / 550 RS)

En 1956, le Spyder550 (dont la production continue) est manifestement dépassé par la concurrence, tout au moins en ce qui concerne les grandes compétitions internationales. Par contre, il reste très compétitif aux mains des amateurs.

Son successeur est le Spyder 550 A muni d'un tout nouveau châssis tubulaire " space frame " extrêmement léger et trois fois plus rigide en torsion. La tenue de route est améliorée par l’installation, à l'avant cette fois, d'un stabilisateur. A l'arrière, on abaisse le centre de rotation des demi-essieux en l'installant sous le différentiel à la manière des Mercedes de l'époque. Les performances sont aussi en progression car le moteur Carrera développe maintenant 135cv. Porsche fabriquera en deux ans sept Spyder pour son propre usage et une trentaine d'exemplaires destinés à être vendus.

6. La Targa Florio.

Targa Florio : départ du vainqueur Umberto Maglioli sur Spyder 550 A monoplace (les autres concurrents étaient accompagnés d'un copilote).

Le grand succès de l'année est la magnifique victoire d'un Spyder 550 A piloté en solitaire par Umberto Maglioli a la Targa Florio (10 juin). C’est justement le cinquantième anniversaire de cette course légendaire (1906-1956). Le parcours de 72 km (appelé circuit de Madonie) emprunte les routes les plus difficiles de Sicile qui doivent être parcourues dix fois. A l’origine (et jusqu'en 1914) il s agissait d'un vrai tour de Sicile de 965 km Notons que le nom de la course est celui de ses riches organisateurs les frères Ignazio et Vincenzo Florio, qui offraient chaque année une plaque (targa) au vainqueur.

 

Le Mans : 5ème au général !

Après le carnage de l'année précédente, le circuit et le règlement sont modifiés et la moyenne s'en ressent. En 1956, les conditions météo sont exécrables, rendant la piste très glissante. Seules quatorze des quarante neuf voitures engagées terminent. L'hécatombe touche aussi les Porsche ont seulement deux des six voitures termineront. La meilleure Porsche est un proto 55O A avec hard-top, car le nouveau règlement exige un pare-brise plus haut qui perturbe l'aérodynamisme des voitures ouvertes. Piloté par von Frankenberg et von Trips, il termine cinquième au classement général (à la distance) avec une moyenne de 158km/h, précédé. seulement par deux Jaguar, une Aston et une Ferrari de cylindrées bien supérieures. Pour les années prochaines, le principal concurrent de Porsche pourrait bien être Lotus dont une XI de 1.100cc termine deux places derrière la 550 à une moyenne de 141 km/h. Une autre Porsche, une 356 A Carrera, parviendra laborieusement à atteindre l'arrivée, terminant sans gloire à l'avant dernière place.

Pour être complet, il faut encore signaler la deuxième place de la 356 de Storez-Buchet au Liège-Rome-Liège, les victoires de classe des 356 de Gacon-Arcan (1.300cc) au Monte-Carlo et de Persson-Blomqvist (1.600cc) aux Mille Miglia. A cette dernière course, la première 550 ne terminera que quatre-vingt septième au général, laissant enfin la victoire de classe en Sport 1.500cc à une Osca.

 7. Mickey Mouse : Type 645.

Mickey Mouse, type 645, photographié à côté de deux Spyder 550 A à fente de refroidissement du moteur est censée diminuer la traînée aérodynamique en aspirant la couche limite.

Un peu exalté par les excellentes performances de la nouvelle 550A et sa cinquième place au Mans, Ferry décide d'en dériver immédiatement une version courte et à maître couple réduit (Type 645) spécialement conçue pour les circuits comportant une longue ligne droite. D'abord connue sous le nom de "Test Spyder ", la 645 est baptisée "Mickey Mouse" par son pilote, Richard von Frankenberg. C'est la première Porsche à abandonner la suspension arrière dérivée de la VW pour utiliser des bras triangulés, superposés et inégaux reliés à des barres de torsion. Le seul exemplaire se révèle d'une instabilité extrême à haute vitesse à cause de son moment d'inertie polaire réduit. De plus, l'association d'un train avant à bras tirés parallèles (comme sur une Cox) avec une suspension arrière plus performante entraîne un passage brutal du sous au sur-virage en fonction de la vitesse. Le seul exemplaire connaît une fin spectaculaire sur le circuit de l'AVUS. Lors d'un freinage, il se peut qu'un élément de suspension avant gauche se soit rompu (cette version "officielle " de l'accident ne sera jamais prouvé.) La voiture partit en dérive, passa au dessus du " banking " et fit un vol d'une dizaine de mètres qui aboutit dans un parking, La carrosserie de "Mickey Mouse " en magnésium (tout comme celle de la Mercedes qui s'embrasa lors de la catastrophe du Mans) brûla complètement. Richard von Frankenberg fut éjecté pendant le vol et atterrit dans un buisson, commotionné mais vivant. Son arrivée surprit les pompiers qui recherchaient son cadavre au milieu des débris calcinés de sa voiture.

 

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