Chap 3 : AUSTRO-DAIMLER

jusqu'à la guerre de 14-18

Ferdinand Porsche a toujours été un chercheur et un expérimentateur. Quand un dispositif nouveau était inventé, il laissait aux autres le soin de perfectionner sa trouvaille. Chez Lohner, il ne lui fallut que l'espace d'une année (1899 à 1900) pour créer l'Elektromobil Lohner-Porsche, la Rekordauto 4x4 et les voitures à propulsion mixte. Ensuite, il se lança dans des expérimentations coûteuses qui menèrent pratiquement Lohner à la faillite. Le fils de l'industriel a raconté qu'après 1900, les recherches de Porsche avaient coûté à la firme une somme énorme, à peine compensée par la vente de véhicules électriques, surtout des taxis et des voitures de pompiers. Ainsi, six ans après son arrivée triomphale chez le carrossier, le torchon brûle entre Ferdinand et son patron.
Porsche quitte Lohner et ce dernier, dégoûté de l'automobile, vend ses licences à d'autres firmes, dont Daimler, et se lance dons la fabrication de tramways.
Dès lors, Ferdinand Porsche va commencer son errance de firme en firme. Certains auteurs ont parlé de parcours initiatique et on a même comparé Ferdinand Porsche à Jean Sébastien Bach (Stefano Posini). La notoriété de l'inventeur est très grande et il ne faudrait pas croire qu'il rencontre des difficultés à trouver un emploi, d'ailleurs il n'accepte que le poste de Directeur Technique ou Chef des Etudes.
Porsche, électricien de formation, mais automobiliste passionné, comprend que les deux ne sont peut-être pas compatibles et que l'avenir de l'automobile n'est pas dans la propulsion électrique. Ceci rappelle Amédée Bollée qui, bien qu'ayant réussi à développer des véhicules à vapeur, eut le courage et la lucidité de déclarer que ce procédé n'avait pas d'avenir pour la locomotion individuelle. Ferdinand Porsche avait compris que tant que le problème des accumulateurs ne serait pas réglé, l'Elektromobil n'aurait pas d'avenir. Plus de trente ans plus tard, il évoquait ce problème devant Hitler. Le Führer lui propose alors d'instaurer un concours richement doté pour récompenser l'inventeur d'une batterie puissante et légère. Ferdinand Porsche aurait répondu que c'était inutile car celui qui trouverait la solution au stockage de l'électricité gagnerait tellement d'argent que toute récompense lui semblerait dérisoire. Revenons en 1906, Ferdinand Porsche est heureux de quitter Lohner. Il est immédiatement engagé chez Daimler (à Wiener Neustadt). A cette époque, la firme Daimler avait déjà marqué l'histoire de l'automobile. Gottlieb Daimler avait eu l 'idée d'un moteur à 4 temps et la chance de pouvoir engager le génial Wilhelm Maybach. A eux deux, ils produisirent en 1883 le premier moteur moderne. Celui-ci, d'abord essayé sur une sorte de moto (l'Einspur), fut ensuit utilisé sans grand succès pour motoriser un véhicule hippomobile (1887). La première voiture Daimler réussie, la Stahlrad, ne roula qu'en 1889. L'année suivante fut créée la Daimler Motoren Geseilschaft ou DMG située à Bad Connstatt (les usines s'installèrent juste à côté, à Untertürkheim). Cette société créa bientôt une filiale autrichienne à Wiener-Neustadt qui fut dirigée à partir de 1902 par Paul Daimler, fils de Gottlieb. Les moteurs des Lohner "mixtes" étaient des Daimler et, avant même l'arrivée de Porsche chez DMG, il y eut une Mercedes-Lohner (1902) à propulsion mixte.

Projet d'une version mixte de l'Austro-Daimler Maja (1907): le moteur à 4 cylindres (45cv) est formé par deux blocs de 2 cylindres unis par leur vilebrequin. Il actionne une dynamo (B) qui produit du courant pour actionner les moteurs électriques situés à l'intérieur des roues arrière

Le choix de la firme Daimler s'imposait donc à Porsche qui en prit la Direction Technique en 1905 à 31 ans. On le chargea immédiatement de créer une voiture capable d'être engagée en compétition. La course automobile était un domaine qui passionnait Porsche, il avait déjà participé à certaines compétitions au volant d'une Lohner-Porsche mixte. Il restera toute sa vie un habile pilote, prenant même le volant des grosses Auto Union V 16 lors de leur mise ou point. Revenons un an avant l'arrivée de Porsche à la DMG. Leur meilleur client est un riche commerçant austro-hongrois du nom d'Emile Jellinek. Vivant à Nice, il devient représentant de la marque et vend des Daimler à toute la clientèle fortunée de la Côte d'Azur. Bientôt, son influence devient telle qu'il arriva à partir de 1902 à faire baptiser les Daimler de tourisme du nom de sa fille Mercédès (progressivement les accents disparaîtront). Seuls les véhicules commerciaux restèrent des Daimler. Pour que son autre fille Maja ne soit pas jalouse de sa soeur Mercédè, Jellinek demanda ensuite que la nouvelle Daimler 30cv soit baptisée « Maja », ce qui fut fait.
Malheureusement, le révolutionnaire Benzinmotor dessiné par Porsche pour la Maja ne donna pas satisfaction. Il s'agissait d'un quatre cylindres composé de deux blocs de deux cylindres séparés avec prise de force centrale. Le nom de la soeur de Mercécdès n'entra donc pas dans l'histoire automobile. Un peu déçu par cet échec, Porsche décida de développer la Mercedes-Lohner en la munissant d'un moteur de 80cv. Cette voiture avait la particularité d'avoir des freins arrière refroidis par eau. Ses performances étaient remarquables puisqu'elle atteignait. les 185 km/h.
C'est à cette époque que naquit Ferry Porsche (le 19/09/1909, date facile à retenir). En réalité, il s'appelait Ferdinand comme son père et fut surnommé Ferdy. Ce n'est que plus tard que ce diminutif, jugé trop plébéien (en Allemagne), fut transformé en Ferry. Le papa n'était pas présent lors de l'accouchement. Il participait à la course de côte de Semmering. Il participa encore cette année aux Courses du Prinz Heinrich de Prusse. Il s'agissait d'une course de vitesse à étapes reliant Berlin à Munich en passant par Budapest et Vienne (1850km).

La Maja à propulsion traditionnelle en version course.

La course fut remportée par une Mercedes (c'est à dire une Daimler allemande). L'Austro-Daimler qu'il pilotait ne le satisfaisant pas, Porsche proposa à la maison mère de créer conjointement une nouvelle voiture. Ayant gagné la course, Mercedes ne trouva aucun intérêt à cette proposition et refusa. Porsche décida alors de créer une nouvelle Austro-Daimler qui serait une rivale de Mercedes. Ceci accrut la scission entre les deux firmes, perceptibles même au niveau des noms. Les voitures de Bad Constatt étant des Mercedes (portant la célèbre étoile à partir de 1909) et celles de Wiener-Neustadt restant des Austro-Daimler. L'année suivante, les nouvelles voitures dessinées par Porsche enlevèrent les trois premières places de la Coupe du Prinz Heinrich, la première Mercedes terminant septième.
Porsche devait rester de 1906 à 1923 chez Austro-Daimler, devenant même Directeur Général en 1916, et marquant de son influence presque toutes les voitures de cette firme. Néanmoins, ces autos restèrent traditionnelles pour l'époque et ne permettent pas de prévoir le côté révolutionnaire qu'auront les créations de Porsche après 1930.

Les véhicules militaires:

C'est pendant son séjour chez Austro-Daimler que survint la première guerre mondiale. Déjà en 1902, dans sa Lohner-Porsche mixte personnelle, le jeune Ferdinand avoit servi de chauffeur à l'héritier des Habsbourg, l'Archiduc François-Ferdinand, dont l'assassinat à Sarajevo allait provoquer la première guerre mondiale. Austro-Daimler avait une longue tradition de constructeur de véhicules pour l'armée, la firme avait même construit en 1903 le premier blindé moderne, une automitrailleuse.

Le tracteur " Zugmaschine " 80cv de 1917.

Ferdinand Porsche semble avoir été impressionné par tout ce qui était militaire et conserva toute sa vie un goût prononcé pour la réalisation de gros véhicules blindés.
En Autriche et dans une grande partie de l'Allemagne, il existait depuis longtemps un courant de pensée militariste, proche de la mentalité prussienne telle qu'elle avait été modelée par Bismarck en 1870. La France de cette époque était aussi préoccupée par les problèmes militaires. La défaite de Sedan, l'occupation de Paris et l'humiliation que constitua la Proclamation du deuxième Reich à Versailles en 1871 étaient présentes à l’esprit de tous. L’armée française rêvait d'une revanche méritée sur les Prussiens. Par rapport aux français, les militaires allemands avaient toujours abordé les problèmes militaires d'une manière plus technique qu’héroïque. Ce fut le cas en 1870 et bien plus encore en 1940. Il en était de même avant quatorze. Alors que les transports militaires français reposaient encore essentiellement sur la traction chevaline et la marche forcée (souvenons-nous des taxis de la Marne), les Allemands se préoccupaient depuis longtemps de motoriser leur charroi militaire. D'où l'idée d'un général, Ottokar Landwehr, de créer des trains routiers. Ferdinand Porsche vit là une application militaire pour la propulsion mixte et réalisa le train routier Porsche-Landwehr. Un tracteur produisait de l'électricité ou moyen d'un moteur à essence et d'une génératrice. Les roues de chacune des remorques étaient équipées de leur propre moteur électrique. L’articulation entre les véhicules se faisait suivant une géométrie complexe permettant à chaque remorque de passer exactement au même endroit que la précédente, ceci en marche avant comme en marche arrière. A l'époque, les stratèges privilégiaient le développement d'une artillerie lourde, solution classique pour effectuer des bombardements. Jusque-là, le transport des canons par voie ferrée ne présentait pas de problèmes, mais l'apparition de l'aviation de bombardement fragilisait brusquement tout le système. Porsche fut sollicité pour motoriser un kolossal mortier de 30.5 cm capable de tirer des obus de 380 kg. Il dessina le tracteur M-17 qui donnait satisfaction en terrain plat malgré seulement 80cv. En montée, le manque d’adhérence se faisait sentir. Il créa donc un nouvel ensemble à traction mixte qui sera connu sous le nom de Train C. Ce "C-Zug" avait la particularité ce pouvoir circuler tant sur route que sur rail, rendant possible le transport des plus grosses pièces d'artillerie. De plus, la multiplication du nombre de roues (toutes motrices) permettait de diminuer la charge au sol et donc de franchir les ouvrages d'art les plus faibles. Cet engouement des Allemands pour les canons géants allait continuer jusqu'à la fin de la guerre avec la "Gross Bertha" qui bombarda Paris en 1918. L'énorme canon était caché dans les environs de Loan et tirait sur la capitale d'une distance de 120km. Cette tradition germanique de harcèlement des populations civiles est à rapprocher des bombardements de Londres (Conventry) par la Luftwaffe, puis par les V1 et V2, lors de la deuxième guerre mondiale. Ses travaux à usage militaire vaudront à Porsche d'innombrables distinctions. C'est aussi à cette époque qu'il devint ingénieur honoris causa de l’école Supérieure technique de Vienne où il avait suivi les cours du soir.

Un C-Zug Porsche à propulsion mixte. Toutes les roues sont motrices et directrices, ce qui permet le transport d'énormes charges sur les routes accidentées d’Autriche (1918).

Les systèmes mixtes, crées par Porsche pour transporter du matériel milliaire auront une utilisation limitée. La complexité du câblage électrique et les dangers d'électrocution limiteront leur utilisation aux véhicules où la dynamo est proche des moteurs électriques comme c’est le cas sur les locomotives ou les chars d'assaut. Il semble que Porsche comprit cela assez rapidement et développa des tracteurs géants (comme le " Goliath Zugwagen ") à propulsion classique. Ces tracteurs à quatre roues motrices principalement destinés à un usage militaire supplantèrent bientôt les modèles à propulsion mixte.
Il faut noter que c'est à cette époque que Ferdinand Porsche découvrit un jeune ingénieur du nom de Karl Robe. Les deux hommes avaient des caractères complémentaires et finiront par ne plus se quitter. Ce sera d'ailleurs Karl Robe qui lui succéda lorsqu'il quitta Austro-Daimler.

LES AVIONS:

On ne peut quitter le chapitre Austro-Daimler sans évoquer l'expérience aéronautique de Ferdinand Porsche. Toute sa vie, Porsche fut un remarquable motoriste. Ce fut particulièrement vrai dans le domaine de l'aviation où, dès 1909, il essaya de nombreuses formules dont un 9 cylindres en double V, architecture qui revient à la mode aujourd'hui chez Audi (Avus) et VW (W 12). En 1912, année du naufrage du Titanic, il dessina un moteur quatre cylindres à plat pour l'aviation qui sera le prédécesseur du moteur de la VW et dont le dessin se perpétue encore aujourd'hui dans la 911.
A celle époque, Porsche rencontra le fabricant d'avion Igo Etrich dont le chasseur Taube était très réussi. Etrich, en tant qu’avionneur, était un pionnier des sciences aérodynamiques. Il aurait conseillé de modifier l'arrière des voitures des Coupes du Prinz-Heinrich dont la carrosserie dite "en tulipe", ne tenait aucun compte des phénomènes ce traînée. Porsche se souvint de ces enseignements lorsqu'il dessina les Auto Union et la VW de course "Berlin-Rome". Enfin, il faut ajouter que Ferdinand se lança lui-même dons l'aérostation avec le dirigeable "Parseval" à moteur Daimler

 

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