Chap 5 : AUTO UNION.

 1. LE KONSTRUKTIONSBURO

Nous voici en 1930, les conséquences du grand krach financier de 1929 ont entraîné une crise mondiale sans précédent. L’Allemagne est en proie à des troubles politiques graves. Adolf Hitler présente un programme nationaliste qui apparaît à la majorité des allemands comme la seule alternative au chaos généré par le "Diktat" de Versailles. Le professeur Ferdinand Porsche décide de revenir à Stuttgart et de créer son propre bureau d'études, le "Dr-Ing-h.c.F-Porsche GmbH Konstruktionsbüro ... " (La date de naissance officielle de la firme est un peu plus tardive, le 16 mars 1931). Cette "GmbH", abréviation de "Gesellschaft mit beschränkter Hoftung" (société à responsabilité limitée) s'installe chez lui, Feuerbacher Weg.
En juin 1938, le bureau déménagera pour se fixer dans la banlieue, Kronenstrasse à Zuffenhausen, où se trouve encore actuellement une partie des usines Porsche. Il deviendra alors la "Porsche Kommonditgesellschaft" (KG), une société utilisant les fonds fournis par des commanditaires, composés presque exclusivement de membres des familles Porsche et Piëch.
Par contre, ou début des années trente, l'équipe du "Konstruktionsbüro" est seulement formée de douze personnes qui travaillent très activement dans une ambiance familiale. La maisonnée est dirigée d'une main ferme par Madame Porsche, qui, comme la cuisinière (Madame Sieberer) et le chauffeur Goldinger, veillent à ce que les chercheurs ne manquent de rien. Il y a là, en plus du grand Professeur, le financier Adolf Rosenberger (propriétaire de 15% de La GmbH) ainsi que tous ses anciens collaborateurs autrichiens qui ont quitté Steyr et Flustro-Daimler pour le suivre.
Le plus important est certainement Karl Rabe, qui porte le titre de "Chefkonstrukteur". Il faut aussi citer Erwin Komenda, spécialiste des carrosseries, Karl Frohlich (transmissions), Josef Kales (motoriste), Josef Zohrodnik (suspensions) et bien sûr Ferry.

Auto Union Type H des records du monde de 1934

Si Ferdinand Porsche est alors mondialement connu, son bureau d'études n'a encore aucune notoriété. Logiquement, il décide de numéroter chaque commande, mais pour éviter de donner aux premiers clients l'impression qu'ils ont affaire à une bande de débutants, les six premiers numéros ne sont pas utilisés. Le premier projet est baptisé arbitrairement Type 7, c'est une berline très classique de la marque Wanderer dont nous allons reparler bientôt. Comme aujourd’hui, le bureau d'études Porsche accepte toutes les commandes. On dessine donc des tanks, des turbines à eau, des éoliennes, des tracteurs, des moteurs
1931, Ferdinand dépose un important brevet concernant les barres de torsion qui seront utilisées sur les 911 jusque 1989.
Bien sûr, La spécialité de la maison, ce sont les autos et plus spécialement les voitures de course. C'est donc avec joie que Ferdinand et Ferry accueillent en 1932 le richissime Prince Leiningen qui veut la meilleure voiture de course possible. Le projet déchaîne le cerveau fertile de Ferdinand qui conçoit en peu de temps un véhicule merveilleux, mais d'un prix exorbitant, bien supérieur aux possibilités du Prince. Heureusement c'est à ce moment (1932) que vient d'avoir lieu la création du consortium Auto Union AG qui va sauver cette P-Wagen (P comme Porsche bien sûr). Ceci mérite quelques explications.

2. AUTO UNION.

De même que VW AG englobe aujourd'hui plusieurs marques (Audi, WV, Seat et Skoda), le groupe Auto Union comprenait quatre marques différentes qui conservaient leur spécificité.
L'origine du groupe remonte avec August Horch aux débuts de l'automobile. En effet cet ingénieur s'associa dès 1896 avec Karl Benz. Mais énervé par son manque d'intérêt pour la vitesse, il le quitta en 1899 et créa sa propre firme HORCH. Suivant un schéma semble-t-il classique à l'époque, Horch fut éjecté en 1909 de sa propre société qui garda son nom. Cette dernière continua à fabriquer des voitures plutôt sportives jusqu'à l’arrivée de Paul Daimler qui, suivant le jeu des chaises musicales, avait comme nous l'avons vu été remplacé chez DMG par Ferdinand Porsche. Paul Daimler orienta la firme Horch vers la construction de très puisantes voitures à moteur de 8 à 12 cylindres. Entre-temps, August Horch décidait de créer une nouvelle firme. Ne pouvant réutiliser son nom, il choisit l'appellation AUDI, traduction en latin de Horch (J'écoute). Après la guerre de 14-18, Audi se lança dons la construction de grosses voitures qui se vendirent mal. La firme agonisante fut reprise par un certain Rasmussen, patron de DKW qui fabriquait des DKW. C'est vers 1930 que le bureau d'études d'Audi dessina une traction avant populaire commercialisée sous le nom de DKW Front qui fut à l'origine des Audi actuelles.
Le dernier membre d'Auto Union, WANDERER, était aussi une ancienne fabrique de cycles qui s'était mise à construire des voitures réputées pour leur robustesse. Elle s'adressa en 1930 ou bureau d'études Porsche pour un renouvellement de la gamme. La Type 7 dont j'ai déjà parlé était une voiture moyenne. Les grosses Wanderer Type 8 et 9 ne trouvèrent pas de place dans la gamme Auto Union car elles concurrençaient les Horch. Le prototype de La Type 8 fut conservé par Ferdinand Porsche comme voiture personnelle.
Au début des années trente, les quatre sociétés étaient plus ou moins en difficultés. Les banques qui finançaient décidèrent de les fusionner sous l'étiquette générale d'Auto Union. C'était en 1932, année des Jeux Olympiques allemands, et on décida de symboliser le Consortium par quatre cercles.

 3 LES AUTO UNION DE GRAND PRIX "P-WAGEN"

Pour faire sa promotion, le consortium Auto Union cherchait une voiture de course extraordinaire. Comme Wanderer était client du Konstruktionsburo, le nouveau groupe se trouva d’emblée en contact avec Porsche et racheta le projet P-Wagen ou Type 22 pour 75.000 Reischmarks. Cette Auto Union était une voiture de course révolutionnaire à moteur central arrière fort comparable à la Benz RH "Tropfenwagen" déjà citée auparavant.
Une brève description de cette P-Wagen s'impose. Les suspensions avant par roues tirées et barres de torsion transversales sont celles de La VW et de la 356. De même à l'arrière, on retrouve des demi-essieux oscillants. Mais, contrairement à ce qui existe sur les VW et 356, l'ensemble est suspendu par un gros ressort transversal à lames fixé au-dessus du différentiel qui permet des variations du carrossage en fonction de la charge. Le moteur central arrière est un 16 cylindres à un arbre à cames central en tête. Un carbu Solex est suralimenté par un compresseur Roots. La boîte située en porte-à-faux arrière comporte cinq vitesses.
L’appellation P-Wagen ne fut en fait jamais officiellement utilisée chez Auto Union où on parlait des Types R, B et C. La D fut conçue après que Ferdinand Porsche a quitté Auto Union, bien sûr en mauvais termes.
Le programme commença en mars 1933 par la construction de 10 Types R et 15 moteurs (4.360cc). Le premier exemplaire fit ses premiers tours de roue ou Nürburgring en novembre 1933. La présentation officielle eut lieu plus tard, le 12 janvier 1934 sur le circuit de l'AVUS. Il est impossible de reprendre dans l'espace qui m'est imparti le palmarès fabuleux de cette Auto Union. Elle battit de nombreux records internationaux et fut opposée en course principalement aux Mercedes.
La Type 8 (1935: 4.950cc) se différenciait par de courts tuyaux d'échappement verticaux situés de part et d'autres de la carrosserie alors que la Type A avait deux longs tuyaux d'échappement latéraux. Le vilebrequin fut monté sur rouleaux (comme les 356 Carrera) et le ressort a lames transversal remplacé par deux barres de torsion longitudinales situées en position basse (comme à l'avant des premières 911 ).
Les Types C de 1936 eurent un châssis amélioré et un moteur de 6006cc développant 520cv à 5.000 tours/minute. Cette année 1936, L’Auto Union remporta sept des treize grands prix de la saison. Ce record est à rapprocher des succès de la McLaren-TAG-Porsche qui gagna 12 des 16 courses du Championnat de Formule 1 en 1984. Il est donc tout à fait grotesque de déclarer que Porsche n'a jamais rien fait en GP. Stimulés par le régime national socialiste (Deutschland über Alles), les firmes Mercedes-Benz et Auto Union se lancèrent dans des programmes insensés afin de battre tous les records existants. Il n'était pas difficile de modifier I'Auto Union pour en faire une voiture de record. Son architecture à moteur central arrière permettait un profilage presque parfait au prix bien entendu d'un grand allongement. Les problèmes de portance étaient peu prix en compte.

 

Lors d'une de ces "Rekordwoche", les "Stromlinienwagen" Mercedes et Auto Union se disputaient des records terribles (plus de 400 km/h au km lancé) sur la nouvelle Reichsautobahn Frankfurt-Dorrnstadt. Le monde entier était passionné par ces joutes mortelles qui étaient une incroyable publicité en faveur du régime hitlérien. Il était presque évident que seul un accident pourrait interrompre cette course folle à la vitesse. Il survint à l'Auto Union de Bernd Rosemeyer. Après le passage d'un pont, une bourrasque de vent dévia le bolide qui quitta la route et alla se briser au milieu des arbres. A cette époque, Ferdinand Porsche ne s'occupait plus qu'indirectement d'Auto Union mois c'était son équipe qui avait dessiné la voiture de record. Sur cet ultime modèle, on avait même muni la monoplace de jupes latérales mais rien n'avait été prévu pour créer une déportance ou diminuer la sensibilité ou vent latéral. En version GP, toutes ces Auto Union étaient survireuses à la folie, le phénomène étant aggravé par les pneus étroits de l'époque et l'énorme puissance disponible. Seulement trois pilotes parvinrent à les dompter: Tazio Nuvolari, Hans Stuck et Bernd Rosemeyer. Ce coureur allemand eut alors une notoriété internationale inouïe. Il fut considéré comme un personnage mythique. Les nombreuses victoires des Auto Union et la fin glorieuse de Rosemeyer contribuèrent aussi ou développement du mythe Porsche: celui qui construit des voitures terribles. James Dean allait conforter cette réputation.

Ferdinand Porsche, qui appréciait beaucoup Rosemeyer, fut très affecté par cet accident. D'autant plus que la direction d'Auto Union n'avait pas hésité à le critiquer. Ce fut une des raisons de son abandon du développement de voitures de GP. De plus, ses grosses P-Wagen dessinées pour ne pas dépasser 750 kg (sans les pneus) avec toute liberté en ce qui concerne le moteur étaient devenues incompatibles avec le règlement de 1938 qui limitait à trois litres la cylindrée des moteurs suralimentés. A cela, il faut encore ajouter le fait que la construction de l'usine VW lui prenait beaucoup de temps et qu'il avait signé un contrat avec Mercedes-Benz, le rival d'Auto Union. Il s'agissait de développer une voiture allemande destinée à battre le record de vitesse sur terre détenu par la Railton de l'anglais John Cobb. On a aussi dit que la firme Mercedes avait trouvé ce moyen pour débaucher Porsche à qui Auto Union devait ses succès en course. Cette T80 tenait compte de l'accident de Bernd Rosemeyer et était munie de deux ailes latérales destinées à empêcher tout décollage. Une étude récente (William Huon) jette un doute sur la capacité qu'aurait eue la T80 de dépasser les 595 km/h de Cobb (août 1939).

 

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