Chap 8. 1948 : L'année n° 1.

Nous sommes toujours à Gmund en Autriche où, en 1944, s'est réfugies l'équipe de Stuttgart. Les Porsche ne sont pas loin de ce qu'ils considèrent comme leur patrie, la région de Zell am See où ils possèdent depuis les années trente le domaine de Schüttgut. La scierie de Willi Meineke porte maintenant l'inscription "Porsche Konstruktionen GmbH". Cette société a été crée par louise Porsche, épouse Piëch, qui, contrairement à ferdinand et ferry, n'a pas pris la nationalité allemande. C'est la filiale autrichienne de l'ancien Konstruktionsburo de son père.
Il n'est pas facile de s'y retrouver dans la chronologie complexe des premières Porsche. Les premiers dessins de la 356 n°1 datent du 17 juillet 1947, le projet est alors baptisé "VW Sport". La voiture est homologuée par le Service des Travaux Publics de Carinthie le 8 juin 1948, date qui sera retenue pour l'anniversaire de la création de la firme. A ce moment, le Coupé 356/2 est déjà terminé, nous en reparlerons dans un mois. A peu de chose près, les deux premières Porsche 356 sont donc contemporaines, elles auront des destins très différents.

Extrait du plan 356.49.001 du 9 juillet 1947. Cette vue de profil du châssis montre bien sa complexité. Les roues ont été rajoutées. On voit l'arrière (flèche) l'endroit où s'articulent les bras de suspension dirigés vers l'avant


La N°1 s'inscrit dans la continuité des créations Porsche. Ses origines, avec son moteur central arrière, pourraient même être recherchées dans la Benz RH dite Tropfenwagen de 1923 qui avait fort impressionné Ferdinand Porsche.
Cette N°1 est une voiture très évoluée, tellement moderne qu'aujourd'hui encore, elle ne semble pas démodée. Sa complexité la rend presque impossible a fabriquer en série (même cinquante ans plus tard) et il est donc difficile de la considérer comme un véhicule de présérie, même si on a parfois évoqué l'idée d'une production de cinq cent exemplaires destinés à de riches citoyens suisses ou suédois. On cite souvent à ce propos l'aide et les encouragements fournis par deux Suisses, l'architecte von Senger et surtout l'hôtelier Blank (qui achètera la N°1). A la rigueur, on pourrait l'imaginer comme le prototype roulant d'un projet que l'on espérait vendre à un autre constructeur, un peu comme la Cisitalia de Dusio.
Le plus probable, toutefois, est que la N°1 est plus un "dream car" qu'un prototype. Elle ne peut être comprise que comme une vitrine du savoir-faire des Porsche Konstrukionen, une sorte de voiture de démonstration comme le sera plus tard la 959.
Enfin, il ne faut pas oublier que ferry est un ancien enfant gâté. Souvenons-nous de la petite auto fonctionnelle qu'il conduisait si fièrement à 11 ans dans les rues de Wiener-Neustadt et dont il a si souvent parlé jusqu'à sa mort.
La paix revenue, il voudrait bien une nouvelle auto sportive. Quelque chose de plus excitant que la VW "Berlin-Rome" que son père a utilisé pour ses déplacements pendant toute la guerre. Ce qu'il veut c'est un cabriolet, mieux un roadster. Dans ce domaine, en cette période d'après-guerre, il n'y a strictement rien. Alors, il va se la construire pour lui-même cette voiture sportive et il va y incorporer tout l'immense savoir-faire de son équipe.

La N°1 " capoté "

C'est pourquoi la N°1 est un projet extrêmement ambitieux, bien symptomatique de l'euphorie qui commence a régner à Gmund à cette époque. En effet, les Porsche ont survécu à la guerre
A cause de Staline, l'Amérique a renoncé au plan d'Henry Morgenthau qui voulait transformer l'Allemagne en un pays uniquement agricole. L'épisode de la Cisitalia a démontré que leur compétence n'est pas du tout oubliée et, depuis février 1947, ils ont de l'argent frais fourni par Dusio. Avec ses fonds, en août 1947, ils ont pu payer la rançon du vieux Professeur qui, grâce à cela évite l’assassinat en cellule (Louis Renault). Bien plus, la situation politique se décantant progressivement (déjà deux ans que les hostilités sont finies), ils vont pouvoir récupérer une partie de l'argent qu'ils ont gagné pendant la guerre et qui a été bloqué a l'extérieur de l'Autriche. Bref, l'avenir est prometteur pour notre équipe qui n'a rien perdu de sa notoriété et à qui personne ne reproche déjà plus ses liens avec le régime nazi.
Autre motif de satisfaction totalement inespéré, la VW a survécu. C'est une aventure surréaliste, une preuve manifeste de l'existence d'une bonne étoile Porsche. A la fin de la guerre, les usines VW de Wolfsburg avaient été partiellement détruites par les bombardements alliés, mais la main-d'oeuvre était restée sur place. Ces ouvriers allemands, extrêmement appauvris, mais très compétents et travailleurs dociles, sont prêts à tout pour relancer la fabrication des Cox. Par chance, Wolfsburg s'est retrouvée dans la zone d'occupation militaire britannique. Par miracle, il s'est trouvé un militaire anglais, Ivon Hirst, qui est tombé amoureux de la Coccinelle et qui, par jeu, a timidement lancé une petite série. Les ouvriers n'ont été que trop heureux de collaborer et d'exhumer les machines-outils cachées par eux en 1940. Bref, la VW, qui n'avait pratiquement jamais été produite avant la guerre, part à la conquête du monde. Le 5 janvier 1948, Nordhoff prend officiellement la tête de Wolfsburg. Nordhoff est bien plus qu'un ami des Porsche, c'est un fanatique. Il leur promet tout: des pièces mécaniques, bien sûr, mais aussi l'usage du réseau VW et une royalties de 5 DM pour chaque Cox. De partout, des industriels de l'automobile supplient Nordhoff pour obtenir une licence d'importation VW. Les premiers seront les Hollandais, puis les Belges (1948). Bientôt la VW sera mondialement distribuée, elle entraînera la 356 dans son sillage. Jamais une nouvelle voiture sportive aussi exclusive n'aura eu d'emblée un tel réseau de concessionnaires. Ceci aussi explique le succès immédiat de la nouvelle marque. Or cette VW, c'est la plus grande réussite du génie Porsche. C'est aussi une publicité permanente pour l'équipe d'ingénieurs géniaux qui travaillent comme des fous dans ce bled pittoresque d'Autriche.
Tout ceci pour dire que, depuis le début de 1947, contrairement à ce qui a souvent été écrit, notre famille Porsche n'a plus aucune raison d'envisager l'avenir avec inquiétude. Bien sûr l'absence du grand Professeur (libéré en août 1947) a posé quelques problèmes, mais maintenant il est rentré, vieilli, affaibli par la captivité et les tortures, et moins actif. En arrivant à Gmund, il a tout approuvé, de la Cisitalia aux plans des 356, 1 et 2. C'est une sorte de transmission officielle des insignes du pouvoir à son fils. Evidemment, ferry n'a pas le caractère autoritaire de son père, mais ce n'est pas nécessaire car il est secondé par sa terrible sœur, Louise Piëch, qui a hérité de la personnalité de Ferdinand, qu'elle transmettra à son fils, autre Ferdinand destiné aux plus grands honneurs automobilistiques.
Cette N°1, ferry ne l'aurait peut-être pas construite si Dusio avait été capable d'honorer son contrat qui comprenait la monoplace de GP, un tracteur et une voiture sportive à moteur central arrière (Type 370). Dusio a préféré commencer par la monoplace (Type 360) au lieu de la 370 qui aurait probablement été un succès. Dusio avait d'ailleurs été puni de sa mégalomanie. Il avait exigé les plans de la meilleure monoplace de GP possible. Et, à Gmund, on lui avait dessiné les plans d'une voiture extraordinaire, quatre roues motrices, moteur central arrière, boite de vitesse synchronisée, etc... A sa demande, on n'avait lésiné sur rien et surtout pas cherché à éviter les complications et les difficultés techniques. Pourquoi s'en serait-on préoccupé chez Porsche? Dusio voulait toujours plus de perfectionnements et l'imagination était au pouvoir à Gmund. D'autant plus que l'équipe n'était pas terriblement concernée par la réalisation pratique, puisqu'elle se faisait à Turin dans les ateliers de Cisitalia. Les ingénieurs italiens d'abord, puis argentins passeront des nuits de travail à essayer de résoudre les innombrables problèmes techniques. Finalement ils se casseront les dents sur cette voiture qui avait trente ans d'avance et qui ne roula qu'un peu et mal, atteignant seulement 233 km/h en 1953. A ce moment, on avait complètement oublié la Cisitalia à Stuttgart, peut-être qu'on en riait.
Néanmoins, en 1948, la Cisitalia n'est pas encore un échec, c'est au contraire un sujet de fierté. Ferry Porsche et son équipe ne doutent de rien, ils veulent aussi ce qu'il y a de mieux pour leur Roadster N°1. Ceci explique son châssis tubulaire et sa merveilleuse carrosserie en alu. Néanmoins, leurs oreilles résonnent des appels à l'aide des ingénieurs italiens confrontés au complexe V12 de 2.985cc, 400cv à 7.000 t/mn de la Cisitalia. Ils vont donc se montrer pratiques et utiliser ce qu'ils ont sous la main, le moteur de la Cox qu'a si bien dessiné Xavier Reimspiess. Ce moteur est facilement améliorable. Pour la Berlin-Rome, ils avaient déjà bien réfléchi aux possibilités de lui faire cracher quelques chevaux en plus. Néanmoins, à l'époque, le puissant Deutsche Arbeitsfront s'était opposé à la vente des pièces de Kdf. Les ouvriers allemands qui attendaient impatiemment leur Cox , n'auraient pas toléré de voir la production ralentie par la création d'une version sportive.
Maintenant, les Porsche vont pouvoir utiliser toute la mécanique VW qu'ils connaissent bien et qui est devenue facilement disponible. Ce sera la numéro 1, voiture merveilleuse.
Comme celle de la VW et de la 356, la carrosserie est l'œuvre d'Erwin Kommenda. La N°1 est un roadster aux lignes très pures de style " ponton". L'avant ressemble à celui de la Berlin-Rome. L'arrière est nouveau avec un énorme capot. Le refroidissement du moteur est assuré par une série de fentes alignées le long des bords latéraux du grand capot arrière. Les petits pare-chocs, déjà typiquement Porsche, sont soudés au bas de la carrosserie. L'habitacle est strictement biplace avec une seule banquette, comme c'était la mode à l'époque. Le pare-brise est haut et sans encadrement latéral. Il existe une petite capote en toile détachable. La N° 1 est peinte en gris argenté qui est la couleur des autos de course allemandes depuis les flèches d'argent Mercedes (officiellement c'est le blanc). La carrosserie en aluminium est fixée sur un châssis tubulaire complexe très résistant, mais très encombrant.

Sous cet angle, la n° 1 pourrait presque être prise pour un Speedster 356

La suspension avant à roues tirées par deux bras reliés à des barres de torsion transversales est 100% VW. Il n'y a pas de stabilisateur. Par rapport à une Cox, le moteur, la transmission et la suspension sont retournés pour être situé en avant de l'essieu arrière. Les barres de torsion se trouvent donc derrière les roues arrière et les bras de suspension ont leur extrémité mobile vers l'avant. Ceci soumet l'arrière du châssis à des contraintes très importantes. De plus, cette disposition inversée doit certainement augmenter le survirage, en créant des micro-braquages parasites des roues arrière. Ce n'était probablement pas très important pour la tenue de route car l'excellente répartition des masses contribuait à diminuer le caractère survireur de la N° 1. Le moteur quatre cylindres à plat, d'origine Volkswagen, était à l'origine un modeste 1.131cc de 25cv à 3.300 t mn porté rapidement à 35, puis à 45 cv à 4.000 t mn. Ce résultat est obtenu par l'adjonction d'un deuxième carbu et par l'adoption de nouvelles culasses permettant un repositionnement (en V) des soupapes. Ceci suffit pour propulser les 600 kg de la N°1 à plus de 135 km/h, performance merveilleuse à cette époque.
La N°1 existe toujours. Après avoir été vendue plusieurs fois et intensément modifiée, sans pare-chocs et toute cabossée, elle a finalement été récupérée par l'usine Porsche en 1958. Richard von frankenberg a mené les négociations et a réussi finalement à échanger la vieille N°1 contre un Speedster 356 A neuf. Après trois restaurations, elle apparaît aujourd'hui presque plus belle que neuve. L'authenticité de la restauration est parfois discutable, les sièges baquets et le volant avec l'écusson Porsche sont des anachronismes.
C'est une voiture merveilleuse, bien digne du génie Porsche.

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