Loin de Paris
En Provence, au pays des platanes, des tuiles et des
fontaines, pas très loin de Grignan, de Nyons: à Saint Paul-Trois-Châteaux. Des
masses nuageuses de vapeur sortent continûment et au ralenti de trois des
quatre gigantesques chaudrons renversés de la centrale nucléaire du Tricastin.
Des montagnes à l'arrière-plan, dans le lointain, ou plus près de la route des
sortes de falaises dont le flanc boisé est blessé par une carrière, par le
tracé d'une route. A Paris on manque cruellement de montagnes qui viendraient indiquer
et limiter l'horizon, tenter le regard ou le reposer, rappeler que tout n'est
pas ici. Des champs entiers de coquelicots. Trois gigantesques hélices d'éoliennes,
en plein ciel: elles flottent au-dessus des arbres du bord de route, belles
comme des libellules, belles comme elles-mêmes.
Par
la fenêtre du deuxième étage d'une
maison ancienne, apparaît tout à coup une magnifique composition de tuiles, de
pans de toits vus comme à travers une lumière bleutée et blonde qui les révèle
sans les dénaturer. Tout éclate d'évidence, telle une énigme qu'il ne s'agit
pas de résoudre.
La
voix paisible de Virgile Novarina au restaurant sur la place, le sourire de
Marisol à peine sortie de clinique après son accouchement, un minuscule
nouveau-né qui dort dans un landau, et sur lequel on met un pull-over contre la
fraîcheur qui tombe. A son balcon du premier étage, face au ciel bleuté qu'elle
regarde et qui la regarde, une blonde en jeans téléphone longuement. Saïd et
moi nous la photographions d'en bas,
mais il faudrait demander à Vermeer de peindre cette scène à la fois intime et ouverte
sur l'extérieur.
Ce
matin, dit la femme de goût qui a organisé l'exposition des "Ecrits et
dessins de nuit" de Virgile, "ce matin, ce qui m'a éveillée, m'a
rappelé que j'étais au monde, c'est l'odeur du chèvrefeuille qui avait fleuri
entre-temps."
Pendant
le dîner, derrière les conversations, le bruit continu de la fontaine.
La
très jeune écolière est brune, en jean aussi, mais un jean dont le bas des
jambes, fendu comme un pantalon de cow-boy, est lacé de cuir sur le devant.
Réglant son walkman, elle ressemble à une jeune impératrice de Ravenne. Ses
cheveux tombent en frisettes de part et d'autre de son visage jusque sur sa
poitrine, alors que sur le haut de sa tête trois tresses sont maintenues sur le
crâne par des agrafes, des raies très marquées partageant le reste de sa
chevelure. Ses doigts sont enfantins, très ronds, terminés par des ongles
taillés en pointe. Sa bouche porte une expression maussade, presque méprisante,
pendant qu'elle écoute sa cassette, ce qui ne l'empêche pas de lancer de temps
à autre des œillades curieuses sur le côté. Cette Théodora plébéienne au teint
mat se rend à Vienne (Isère) dans un compartiment de train pour huit voyageurs,
à l'ancienne, aussi désuet qu'une malle-poste de western ou que le cadre d'une
scène de Hitchcock. Elle sait qu'elle est jolie. Le train longe l'autoroute, et
le Rhône vert. (dessiné sur le vif)
Deux
jeunes types, sur le quai, fument leurs cigarettes assis sur un banc. L'un en
chemise à carreaux, grosses chaussures, cheveux plats; l'autre, cheveux noirs
frisés, baskets, veste noire tricotée à fermeture éclair, un journal sportif à
la main. Ils attendent, n'échangent pas de paroles.
Une
dizaine de personnes, dans un champ appartenant au marquis de Carabas, sont
courbées et cueillent je ne sais quoi.
Pierre Pachet