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Sources :
SHAT : MR-2061 - 55

 

Relation de l’affaire de Raucoux du XI 8bre 1746

 

Toute l’armée scavoit des le 9 qu’on marchoit le lendemain aux ennemis ; cette resolution avois esté affichee avec eclat pour determiner le Pce Charles par l’apareil imposant d’une marche annoncée à repasser la Meuse sans nous attendre ; le 10 on battit la générale à la pointe du jour et sans doute pour lui donner plus de temps pour faire sa retraite, l’armée eut ordre de se détendre jusqu’à 9 heures du matin ; jl estoit 11 heures quand elle se mit en marche sur 10 colonnes pour passer le Jaar, au delà duquel elle alla camper environ à deux lieües des ennemis la droite en avant de Biazzé et la gauche au delà du village d’Houte, la marche ne fut point troublée par les troupes legères des alliés et la nuit se passa dans la plus grande tranquilité. Le 11 à 8 heures et demie du matin l’armée laissant son camp tendu s’ébranla pour marcher aux ennemis ; on ignoroit encore alors s’ils nous attendoient ou s’jls avoient repassé la Meuse. Vers les 11 heures on les decouvrit en bataille dans le plus bel ordre et la contenance la plus assurée, leur droite estoit en arrière du village de Sling, appuyée à Outin, leur gauche appuyoit au village Dance qui touche aux faubourgs de Liège ; Les villages qui estoient en avant de leur ligne estoient farcis d’infanterie soutenüe par des corps de cavalerie en colonne derrière les villages où jls avoient placé de batteries ; La première disposition de M. le Mal de Saxe estoit de faire attaquer Sling à leur droite et le village d’Ance à leur gauche et après s’en estre rendu maitre de profiter de ces points d’appuy pour attaquer en même temps de tout son front ; jl changea cette disposition sur le terrai en ne voulant pas sans doute engager une affaire générale (... ? ...) qu’il ne vit la tournure que prendroit le commencement de l’action jl se determina a faire attaquer le village D'ance a la gauche des ennemis et les village de Raucoux et de Liers qui estoient à peu près dans leur centre en se reservant de donner ses ordres d’après le succès de ces attaques. M. le Comte d’Estrées avec 4 brigades d’infe soutenues du corps de Mr le Comte de Clermont composé de dix neuf batailllons et 46 escadrons estoit chargé de l’attaque D'ance ; Mr D'herouville de celle de Raucoux et Mr de Clermont Gallerande de celle de Liers, Les dispositions se firent avec beaucoup de lenteur et jl estoit plus de deux heures après midy avant qu’aucune attaque eut commencé, Le Comte d’Estrées qui fut le plus tôt prest fit battre le village D'ance par du canon de 16 qui fut servi avec la plus grande vivacité et qui ébranla les troupes qui en defendoient les hayes, jl profita de ce moment de desordre pour y marcher, jl le fit attaquer à la droite par les brigades de Picardie et de Monaco et à la gauches par celles de Ségur et de Bourbon, Les brigades de Champagne et de Royal Suède devoient attaquer par le centre si la resistance eut esté considérable, mais elle n’eurent pas le temps de charger, le village fut emporté en une demi-heure et nous n’y perdimes pas 400 hommes. Avant que l’infanterie se mit en marche pour cette attaque son flanc gauche estoit appuyé de deux lignes de cavalerie qui n’ayant point ordre de marcher restèrent dans leur position et ne s’avancèrent point à hauteur de l’infanterie, L’ennemy qui sappercû que la colonne d’infanterie qui marchoit à l’attaque du village D'ance estoit dégarnie de cavalerie dans une plaine très decouverte fit avancer sur le flanc de cette infanterie un gros corps de cavalerie dans l’intention probablement de la charger, Mr de Loewendal qui estoit à cette droite sous les ordres de Mr le Comte de Clermont fut jnformé de cette manoeuvre, on luy demanda à plusieurs reprises de faire avancer de la cavalerie, il ne se pressa pas d’en donner l’ordre, ce moment pouvoit devenir fort critique mais heureusement avant que le corps de cavalerie des ennemis eut le temps d’arriver le village D’ance fut emporté. Les lignes d’infanterie qui se soutenoient se serrèrent sur le village sous la protection duquel jls n’avoient plus à craindre le choc de la cavale, et une batterie de canon qui fut placée sur le champ à la gauche du village foudroya ces escadrons et rallentit leur marche ; dans cet instant Mr de Loewendal determiné enfin par les représentations reiterées qu’on luy avoit faites fit avancer la cavalerie qui se forma à la gauche du village, ainsi n’y ayant plus rien à craindre dans cette partie jl ne fut ques(tion) que de pousser ce premier avantage.

Le Comte d’Estrées maitre du vilage D'ance voyant toute la gauche des ennemis se retirer en grande confusion sentit que s’ils estoient suivis avec vivacité jls seroient culbutés sur leur centre et porteroient partout le désordre et qu’il estoit d’autant plus important de ne pas perdre un instant pour les poursuivre que l’affaire ayant esté engagée très tard la nuit surviendroit avant qu’elle fut decidée et donneroit le temps aux ennemis de repasser la Meuze, jl forma au delà du village les quatre brigades d’infanterie qui l’avoient emporté, mais jl ne pouvoit pas aller plus avant sans estre secondé par ce que s’il s’y estoit hazardé tout seul, les ennemis qui ne se seroient vu suivis que par un corps si peu considérable se seroient reformés et n’auroient pas eu de peine à le détruire, jl demanda avec les plus grandes jnstances à M. le Comte de Clermont et à M. de Loewendal de le soutenir avec leurs troupes, il ne pû jamais l’obtenir, et ils luy dirent pour raison de leur refus qu’ils ne pouvoient aller plus avant sans scavoir le succès des autres attaques, que c’étoit l’jntention de M. le Maréchal et qu’ils attendoient ses ordres.

La disposition des attaques du centre et de la gauche avoit encore plus langui que celle de la droite, M. de Clermont Gallerande ayant trouvé des difficultés à l’attaque de Liers fit des representations à M. le Mal qui en conséquence luy ordonna d’attaquer le village de Raucoux par la gauche tandis que Mr D’hérouville l’attaqueroit par la droite, Mr de Clermont fit encore des objections à ce second ordre, jl pretendit que M. D’hérouville devoit attaquer le premier, les allées et venues des aides de camp consommèrent beaucoup de tems, Enfin le village de Raucoux fut attaqué par les brigades de Navarre, de Mailly, d’Orleans, de Montmorin, de Beauvoisis, de Rouergue, de Royal et des Vaisseaux ; La brigade de Royal qui avoit la tète d’une de ces attaques emporta d’abord la moitié du village, les ennemis qui y revinrent en force la reprirent, la brigade de Royal y remarcha soutenüe des autres, le village fut enveloppé, des retranchemens fort jnformes qui le deffendoient furent emportés, et tous ce qui estoit dans le village fut tué ou fait prisonnier, ce fut à cette attaque que Mr de fenelon qui monta le premier sur les retranchements pour animer les soldats dont le feu considerable des ennemis rallentissoit la marche eut la cuisse fracassée d’un coup de canon à cartouche.

Maitre de Raucoux Mr le Mareschal fit marcher les brigades d’Eu et de Bettens pour attaquer le village de Liers mais à peine la disposition de l’attaque estoit elle faite que les troupes qui estoient chargées de le defendre se retirèrent et regagnèrent le gros de leur armée.

Lorsqu’il fut bien constaté que les village D'ance, de Raucoux et de Liers estoient emportés et que les ennemis dont l’artillerie et la mousqueterie ne se faisoient plus entendre estoient en fuite, on prit enfin le parti de les suivre, le comte d’Estrées s’avanca par la droite, gagna la Meuze laissant le faubourg de Liège derrière luy, arriva à un pont des ennemis qu’il fit couper et les troupes légères qui faisoient son avant garde pillerent la queue d’une colonne de bagages qui defiloient sur ce pont. Le rest de l’armée qui marchoit à hauteur arriva sur un plateau qui domine les bords de la Meuze dont le centre formoit un escarpement et la droite aboutissoit à la Meuze par une pente douce, et très praticable, ce fut de là qu’on vit clairement le désordre de l’ennemi ; toute la cavalerie avoit déjà regagné les ponts, L’inf'e formoit dans le vallon une masse confuse et serrée et on ne pût pas se dissimuler que si on s’étoit meénagé trois heures de jour de plus ce qui estoit très possible en commencant l’attaque de meilleure heure, en accelerant les dispositions, cette infanterie epouventée et denuée de cavalerie, poursuivie par de troupes fermes, et animées auroit esté absolument détruite ; mais jl n’étoit plus temps d’y remedier, jl ne restoit plus qu’une demi heure de jour, on en profita pour placer du canon sur le plateau qui tira avec beaucoup de succès quoi que de fort loin sur cette masse de troupes ainsi serrés ; le feu de cette artillerie dura jusqu’à la nuit close, alors jl cessa tout à fait.

L’armée victorieuse resta en bataille dans la même position la droite à la Meuze, les ennemis profitèrent de la nuit pour la repasser à Vises à la reserve d’un corps de 8000 homs qui se jetta dans le camp de St Pierre, La précipitation de cette retraite ne leur permit pas d’emmener leur artillerie jls ont abandonné plus de 50 pièces de canon ou mortier et on leur a pris neuf drapeaux ; Le chevalier de Belleisle est resté le 12 sur le champ de bataille avec 3000 chevaux et 3000 h. d’infanterie pour ramasser les blessés et conduire l’artillerie abandonnée. On juge que la perte des ennemis est de 7 à 8000 hommes tués blessés ou prisonniers, la notre va à environ 3000 hommes.

Il y a lieu de juger tant par la manoeuvre des ennemis que par les avis qui sont venus postérieurement que le Pce Charles n’a jamais pû se persuader qu’il fut attaqué. Jl n’avoit profité d’aucun des genres de défense que luy presentoit son poste, les villages qu’il occupoit n’étoient point retranchés n’y accomodés, jls estoient trop en avant de sa ligne pour quelle fut en etat de les soutenir avec vigueur ; on presume que son intention estoit de nous arrêter à la faveur de ces villages toute la journée du 11 et de faire sa retraite à l’entrée de la nuit.

De nôtre coté nous n’avons esté ni assés tôt ni assée decidés. Nous avons pensés jusqu’au dernier moment que l’ennemy repasseroit la Meuze du bruit de notre marche, nous l’avons rallentie pour luy en donner le tems, le 10 nous nous sommes campés trop loin de luy, le 11 nous nous sommes mi trop tard en mouvement, les dispositions n’ont pas esté assés promptes, la lenteur des officiers généraux chargés en sous ordre de l’execution a encore retardé les progrès des attaques, de là le succès de cette journée s'est reduit à un avantage considerable à la verité, mais bien different de la destruction totale de l’armée ennemie que sa mauvaise disposition et la fermeté de nos troupes auroient infailliblement opérée. Tout l’infanterie s’est comportée avec la plus grande distinction, a marché avec ordre, attaqué avec vigueur n’a jamais molli, et quand le feu de la mousqueterie la dérangée, elle s’est ralliée sur le champ sans avoir un seul instant d’épouvante.

La cavalerie n’a point chargé, et jl est assez singulier que 300 escadrons soient en presence toute une journée dans des plaines sans qu’il n’y ait eu un seul choc.

Le Comte d’Estrées a marqué la plus grande intelligence le 11 à la pointe du jour il s’empara du village de Linchin dans le moment où les ennemis y marchoient pour l’occuper cette manoeuvre a produit l’avantage que nous avons remporté en nous donnant la facilité de deployer nos troupes, et s’il avoit esté secondé et crû, la victoire auroit esté jnfiniment plus complette.

 

 

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