LES CONSCIENCES ABSOLUES

© Laurent Dubois 2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La beauté de l’absurde

 

 

 

 

 

I

 

 

            Il se fit que, transmutée en une vague rougeoyante de reflets haineux, la Colombe se hissa, transportée par la houle, jusqu’au faîte d’un saule par trop rieur en ces temps de fraîcheur cérébrale. Accrochée au désespoir du gros végétal, Tourterelle s’effondra dans un flot majestueux. Mais Râ releva son espérance.

           

            Qu’est-ce à dire? Que signifie cette fabulette contée en trois temps, quelque mouvement?

            Qu’est-ce à dire, ces onomatopées proférées sans le son?

            Lorsqu’une plume parodie l’existence, elle enflamme les cœurs bornés jusqu’à vengeance. Mais si ce conte était vérité ardente et indéniable, serais-je alors ignominieusement rabroué comme un chien de faïence dont le regard se fut trop longtemps fixé sur les corps sveltes et sains des mythomanes appelés Homo’s?

            Qu’a cela ne tienne! Si le mensonge doit exulter, je serai le dernier des mécréants à m’époumoner. D’ailleurs, dirais-je dans un siècle à mes ennemis, que je me fusse époumoné n’eût en rien altéré le cours indélébile des tracas journaliers et célestes. Ainsi soit-il, finalement! Pourquoi vouloir changer ce qui ne peut éprouver le moindre sentiment d’évolution?

            Et le progrès?

            Mais le progrès n’est que la continuité dans le changement et la plus plate des habitudes. Ainsi fut-il!

            Le passé?

            Non, l’avenir! Ainsi sera-t-il!

            Quoi, l’avenir?

            Non, le néant, sombre niais.

            Mais qu’est- ce que le néant ?

            Va-t’en savoir, pauvre idiot des carrefours mal famés.

            Qu’entends-tu par carrefours mal famés ?

            J’entends très simplement carrefours d’insalubrité publique où des penseurs vont se salir l’esprit à inventer je ne sais quelles philosophies absurdes en faisant de l’absurde une absurdité.

            Je dois t’avouer que mon intellect s’obscurcit à vue de neurones.

            Allons , allons, piètre ignorant! Des ressources se cachent en toi.

            Qu’as-tu dit, qu’as-tu dit?

            Piètre ignorant, te réponds-je.

            Non, non, tu as parlé d’absurde. En quoi cela?

            Saleté pudique, tu tiens décidément à me rendre plus raisonneur que je ne le suis. Ne connais-tu donc pas  les Partres et Musca, les fameux philosophes de l’absurde qui ont existé de tout temps. Allons, allons, cogite un zeste!

            Je sais seulement qu’ils ne sont rien, à leur humble et fort avis.

            Balivernes! Ils sont tout, au contraire. Non point tant par leur génie, car ils n’en ont pas, mais par leur infime pouvoir de réflexion, qui comprend l’immense univers.

            Sainte ironie, je n’y comprends vraiment rien!

            Patience, animal, tout sert de s’emporter. Absorbe ceci délictueusement  honnête: « Tout est un, un est en tout ».

            De qui est ce cynisme?

            Sans doute d’un élucubrateur pire que les autres. Il entendait par là, si je puis bien m’en souvenir, que l’harmonie de l’univers et des âmes sourd de l’unité initiale, élément commun aux étoiles et aux hommes; ainsi tout forme d’être est identique. Il affirme aussi, triste néon, que tout est rien et rien, tout, que tout se retrouve en tout et que rien de rien du rien, que tout est tellement tout qu’il n’est plus rien; que dieu est tellement tout qu’il n’est plus rien, par exemple. Mais tu dois faire totale abstraction de l’idée de nihilisme, ce n’est que pure fantaisie d’orateur en manque de savoir. De même l’idée de panthéisme.

            Ah bon!

            Crois seulement en l’illumination car je n’en sais pas plus que les faibles entonneurs de prières dénuées de tout sens, à ceci près que je ne tente plus de qualifier par un verbe, un pronom, un adjectif ou quoi que ce soit, ce que l’on englobe sous le seul terme possible d’ «indicible». Et surtout que je ne trouve rien d’absurde à cette absurdité.

            Pourquoi m’enseignes-tu, alors?

            Parce que moi aussi j’ai mes faiblesses, laid luron!

            Sacré Néron, que t’a-t-il plu de le faire si acerbe? Quel bonheur de me voir traiter de con à chaque réplique ! Ô sublime idylle de mes faux jours; je m’abandonne à ton  charnel, bel harangueur.

             Divagues-tu, Le rat du bois nu? Je te croyais un brin de raison, ne t’en déplaise.

            La tête me tourne de t’entendre rire.

            Extase! Mais tu deviens divin, ma parole. Qu’ai-je fait aux beaux Dieux pour l’éclairer ainsi?

            Néant assouvi de lumières infinies, tu m’éblouis, tu m’assombris.

            Voilà qu’il divague raisonnablement, à présent!

            Confusion sempiternelle délectée des charmes inéffables des passions ajournées. Je louvoie, je pâlis, je, je…

            Nous sommes fous, enfin! Bénis sois-tu, saint Sulpice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

II

 

 

            Nihil et Totus froissent les draps du délire.

            Eveil de ma conscience, Totus.

            Patience, avorton! Ignores-tu qu’il ne faut jamais presser le génie?

            Mais…

            Silence ou je t’étripe, mécréant fidèle!

            Tu y vas fort, calme despote! Ta qualité envers moi n’est-elle d’abord pas celle du précepteur, pour le  mauvais plaisir de la contradiction?

            Pardonne-toi, impérieux disciple! Je suis esclave de l’emportement et tout peut m’apaiser si ce n’est ta parole doucereuse. Paix à toi

            Paix à toi également, pusillanime intransigeant.

            Monstre de bonté, tu sais le mauvais côté par où me prendre; je hais le calme.

Pour t’avoir satisfait avec trop d’habilité, j’implore superbement ta colère, moi le niais des carrefours mal famés.

            Cesse donc de me plaire et lis mes mots, tu ne percevras sans doute aucune subtilité de mon raisonnement.

Or donc j’eus une discussion animée avec l’un de mes ennemis. Lorsque je l’eus quitté, je ne pus m’empêcher de ressasser les propos de cet énergumène vertueux qui prétendait que Dieu l’immense et le tangible n’existait pas que dans nos crânes et que pour cette raison même il n’était pas digne du plus petit manque d’intérêt. Après  une réflexion laborieuse, je me suis rallié à la pensée de ce vieil ami que devait avoir tort. Bouleversé par ses divagations rationnelles, je me devais de lui témoigner de la reconnaissance pour m’avoir révélé ce truisme. Ferme les yeux et observe sur mon ventre l’idéogramme  que je lui ai offert après neuf mois d’une introspection réjouissante et macabre. N’est-ce pas laid?

            Evidement cela dépasse toutes les horreurs impossibles et inimaginables que puisse concevoir mon esprit malingre et pourtant si impudent. Mais quel sens lui manque-t-il?

            Bouche-toi les oreilles et écoute! Je m’en vais te dévoiler les secrets de la réincarnation.

            Je tiens absolument à m’entendre raconter de telles sornettes.

            Ce dessin représente le cheminement de mon âme au cours des trois dernières expansions de l’univers. Galaxies, étoiles, cellules; à chaque étape, une pensée, LA pensée, sous les formes les plus diverses. La réflexion que j’élabore actuellement rejoint celle que je formulerai à l’infini dans le passé et que j’ai formulerai à l’infini dans le futur.

Autrement dit, je suis, ai été et serai à la fois, pour le plus petit désappointement du lecteur incrédule. Je crée naguère et bientôt par l’activité anachronique de mes neurones.

Et en fait de réincarnation, je suis le Tout qu’un Rien anime à jamais éternel. J’investis pour toujours toute entité et rien ne m’échappe que néant, que je hante néanmoins par dépit.

            Divagation!

            Dis plutôt vague à l’âme.

            La tourmente de l’esprit.

            Et l’espoir d’éclaircie.

            Oh mais regarde, Totus! Je vole sans battre des ailes, c’est exquis.

            Quoi, Nihil, devrais-je trouver heureux de te voir dérober ma profonde ignorance de la « choses » universelle et combler ainsi ta conscience par trop chargée, d’un espace de dérision.

            Je crée le mythe, à ta façon!

 

Emue par les sons inaudibles de l’au-delà, Tourterelle acheva son envolée dans les bras d’un Orphée déçu par l’accusation portée contre lui de s’immiscer insouciemment dans les taudis du grand créateur.  

            Enfin, concentrée en son sein le plus pur, atomique, la Colombe se laissa choir sur l’appendice d’un pommier par trop hilare en ces temps d’interrogation métaphysique.

Elle ourdit une conspiration à l’endroit du tout tellurique allié au rein cosmique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III

 

 

 

            Salut maniaque! Me voilà seulement de retour. Hmmm… je lis le bonheur sur ton nez.

            Si tu veux, si tu veux! Mais il ne fallait pas te sentir obligé de reparaître à un moment où je commençais à t’annihiler dans mes bons souvenirs.

            Ah! J’observe que tu as changé de quelques pouces, toujours le sombre niais de bientôt.

            Niais, niais, tu as dû mal t’oeiller dans mes pupilles  pour ne pas voir que tu es  plus mauvais que moi à ce jeu-là.

            Que de méchanceté, ma  mie! Je ne t’en demande pas tant.

            Quelle chance pour toi que je sois pervers. D’autres se seraient déjà esclaffés en hurlant au démon, et ma foi, ils auraient eu tort, les sagaces.

            Un instant tu m’as apeuré, il me semblait percevoir en toi une envie de reniement.

            Sache que toujours je céderai à cette mesquinerie. Je suis en effet trop certain que cela te conviendra.

            Tu m’as touché, je coule.

            Attends que je te déleste de ta bouée avant de divaguer!

            Mais tu connais déjà tout de mes divagations, sauve-moi donc!

            Faut-il « repêcher », ou condamner aux flots de la mer?

            Honte à nous! Il a mordu à l’hameçon.

            Eh vous deux, qu’avez-vous donc à vous étreindre de la sorte? Tenteriez-vous d’atteindre à l’absolu?

            Non pas, Jésus. Nous implorons simplement le châtiment du fustigateur éphémère pour des crimes que nous ne commettrons jamais.

Pourquoi toujours vouloir échapper à l’éternel, je vous le demande et vous le donne en mille avant que vous n’ayez eu la moindre possibilité de me livrer votre piètre avis : « Notre ver, qui êtes odieux, que votre nom sois codifié, que votre règne craigne, que votre volonté s’épuise sur la terre comme en mer, livrez-nous autrefois votre fils de bientôt, commettez des impairs comme nous trucidons aussi, ceux qui nous ont trop charmés, et enivrez-nous de mal ». Par cet ordre, je vous inocule le bien, ce vaccin sanctifié offert à  contre-cœur et dans un but qui s’avérera jadis lucratif, par notre Maudit Père à tous, j’ai nommé Jésus, à savoir moi, le précieux, fondant adepte d’une religion par peu chrétienne. Abaissez-vous, Superbes! Euh non! Levez-vous plutôt puisque vous êtes déjà terrassés par l’oisiveté. Vous bavez de répulsion, n’est-ce pas? 

            Oh oui, mon saint benjamin, comme j’aurais voulu te ressembler, moi qui en tout te suis opposé.

            En tout opposé! T’insurgerais-tu? Euh… te reconnaîtrais-tu ?

            Non, non esclave, j’admets  que tu es tout-puissant mais je ne me considère pas pour autant  meilleur que toi.

            Ne voyez pas en moi cette seule tare; d’ailleurs je n’accomplis plus le moindre miracle, tenez-le vous pour écrit, quoiqu’il ne faille accorder aucun intérêt à l’écriture. Contentez-vous de me maudire.

            Ce que nous faisons avec plaisir, soit dit en passant!

            Tais-toi, Totus!

            Pourquoi me taire? Ne suis-je pas aussi bête que toi?

            Si, si mais tu dois faire preuve d’une moindre diplomatie, tu risquerais de charmer notre Tourterelle.   

            Que marmonnez-vous ?

            Alors toi, silence! Nous nous concertons justement quant à déterminer la façon  de te mieux… plaire!

            Vous êtes braves. Peut-être me suis-je leurré sur votre compte.

            Ne chante pas trop vite victoire, Adorable ! Nous sommes terriblement bons quand il le faut.

            Pas de modestie vraie avec moi. Vous êtes mauvais et le resterez encore quelques instants; c’est le destin que l’Autre a tracé pour vous, n’en soyez surtout pas dignes.

            Passons, passons, j’ai une soudaine envie de disserter. Si si!

            S’il te plait, pas de ça!

            Laisse-le déconner; impie! Je crois l’avoir touché en un point peu sensible avec mes imprécations pompeuses.

            Soit Nihil! En bien voilà, un jour nous eûmes un entretien très animé, un jeune chrétien et moi.

            Et alors!

            Ne t’énerve pas, fils de Dieu, je t’en prie! A la question « comment concevez-vous Dieu? », il me répondit: « Je vois Dieu et Dieu seulement. Ensuite naquirent l’univers et tout et tout issus de lui. Donc tout ce qui est étoiles galaxies, terres, atomes et je ne sais quoi encore n’était pas avant que Dieu ne le voulût. J’ai été pour le moins surpris par cette réponse. En effet lorsque je conçois l’infini, - cela seul est admissible par tous sans aucune équivoque  -, je le conçois comme entité fermée et ouverte, indissociablement. Autrement dit, l’infini est tout, toujours et partout aussi bien que rien, jamais et nulle part. Or personne, non personne ne peut admettre quelque chose d’extérieur à l’infini, l’infini étant l’absolument tout ou  l’absolument rien. Donc si Dieu est, impossible de le considérer extérieur à l’infini. Ou bien il est tout l’infini, ou bien il n’est qu’une de ses infinies parties. S’il est l’infini lui-même, il est tout et rien. Il n’a aucune incidence sur quoi que ce soit et ne détermine rien. Il n’est pas hasard ou déterminisme, il est hasard ET déterminisme, indissociablement. En un mot, il est tellement tout qu’il n’est plus rien, et il ne précède ni ne suit rien, il EST.

            S’il est une des infinies parties de l’infini, il n’est rien et pourtant tout, particulièrement. Peut-être exerce-t-il une influence quelconque sur notre humanité ou sur quelqu’autre élément de l’univers, mais cette influence étant elle-même noyée dans l’infini, elle est tellement infime qu’elle ne rime à rien. Dieu n’est donc rien, mais il est tout en tant que partie active du tout intemporel omniprésent, l’infini dans toute son acceptation. Il faut admettre que je tire au maximum par les cheveux.

            Tu m’étonnes, Nihil! Mais toi, Totus?

            Oh moi je suis tout à fait d’accord avec Totus, si ce n’est que j’inverserais les propositions. Je parlerais d’abord de Dieu comme partie de l’infini et ensuite de Dieu infini.

            Bravo! Ta remarque me prouve que tu n’as rien compris… ou tout!

            Je pense que la discussion est subdivisible à l’extrême, donc finie. Tout ce qu’il dit est faux et il est clair aussi que rien ne sert de rien et que tout sert à tout. Saisis-tu ce que je veux dire, Jésus?

            Je vois, je vois, mais avouez que c’est effrayant!

            Niais, il n’y a justement rien à saisir, et rien n’est effrayant et tout l’est, ne dissocie jamais les deux. Nous te paraissons peut-être en perpétuel accord avec nous-mêmes, mais la vérité…

            Quelle vérité ?

             Tu as parfaitement tort de me reprendre, Jésus. Pourtant tu as raison dans un sens.

            Assez! Je me retrouve dans vos imbroglios et je crains de pouvoir en réchapper si vous continuez.

            Tu peux craindre cela, et pourtant tout est plus simple que de se dépêtrer de l’indépêtrable. C’est une simple question de manque de conscience.

            Dis-moi, Totus, tiens-tu à poursuivre le quiproquo avec Jésus?

            J’en vois tout l’intérêt!

            Je suis de ton avis. Il faut garder un peu de suspense. Que deviendrions-nous si nous ne dévoilions rien immédiatement?

            J’ose te l’avouer.

            Eh bien alors, braves dames, gents hommes, à bientôt et…plein de rencune.

            Bonne nuit les amis, et bonjour!

            Tais-toi, Jésus!

 

            La Colombe se sentit soudain happée par on ne sait quelle main divine ou  maléfique. Elle tenta désespérément de résister à la force d’attraction mais c’en était fait d’elle, la loi était la plus forte.

            Dieu était attablé, occupé à déplumer Tourterelle. Celle-ci, apparemment morte, ouvrit un œil et puis l’autre. Le démon se vit assailli par la Colombe enragée et s’écroula légèrement sur le sol pour expirer quelques secondes plus tôt. La paix revint sur terre!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IV

 

 

            La colombe observait un champ d’amertume avec plaisir. Elle se remémorait le temps où elle vit s’écrouler un Dieu que la terre entière avait cru bon. Tandis qu’elle baissait les paupières, un terrible coup de vent la fit vaciller de la plus fine branche du saule par très rieur. Elle se rétablit péniblement dans les herbes. Mais le vent était tombé.

            Quelques vergers plus loin, un épervier virevoltait de cime en cime. Il ricana goulûment et fonça droit sur le saule soudain très sombre. L’épervier avait le regard froid d’un démon, d’un roi détrôné au plus fort de sa gloire…

           

            Nihil, Nihil!

            Non Totus?

            Ecoute, je viens de tirer un épervier qui fonçait diablement vite sur notre saule. Il semblait vouloir terrasser l’arbre de notre ignorance et de notre illusion. Heureusement le faucon n’est que blessé; il a pu s’échapper dans les montagnes.

            Magnifique! Une fois guéri, il va recommencer et peut-être même s’attaquer à nous!.

            Quoi! Tu n’aimerais pas qu’il nous veuille du bien? Pourtant le millénaire précédant, tu étais malheureux de devoir combattre une vipère qui ne cherchait qu’à te fuir.

            Ecoute corniaud, il n’y a que les gens intelligents pour ne pas changer d’avis. Comprends-tu ça?

            Au risque de te plaire, oui! Mais ne m’en veuille pas, je te promet que ça arrive souvent.

            Fî, fî! Je n’ai que faire de ta sagacité.

            Mais je suis bête aussi.

            Quelle chance pour toi, j’aurais été trop heureux de te bénir.

            Quelle bonté, mes neveux! Ces siècles de délire ne t’ont donc pas changé.

            Entre nous, ils m’ont tellement marqué que je ne me souviens d’aucun d’eux.

            Ils ont dû être riches en événements pour tu les ignores à ce point. Quant à moi, je me souviens encore de quelques faits marquants comme…

            Comme quoi?

            Peu importe, j’ai oublié.

            Ah joue bien à ce jeu-là avec moi! Tu veux certainement parler de tes études dans cette école de haute philosophie, de très profonde humanité.

            Ce n’est pas ça du tout; tu as quand même de la mémoire à ce que je lis.

            C’est pour mieux te tromper, sot lecteur! Et alors, cette anecdote dénuée d’intérêt?

            Voilà, j’étais bien disposé à apprendre à devenir sage mais l’enseignement qu’on me prodiguait me convenait trop.

            Tu veux dire que tu n’avais pas de droit de parole. Mais c’est exceptionnel cela! Pourquoi as-tu abandonné?

            Parce qu’un jour on m’a interrogé sur mon être, sur ma condition d’être plus précisément et comble d’ironie et de malchance – ah  quelle guigne! -, j’ai répondu correctement.

            Et alors?

            Ils m’ont mis à la porte. Ils me jugeaient trop intelligent pour étudier.

            Tu les as insultés, j’espère.

            Bien sûr. J’en ai même tué un, et à un autre j’ai offert toutes mes économies. Avoue que je ne pouvais être plus cruel.

            Pour cela je te hais. Mais quelle à été ta réponse à la question posée?

            J’ai tout subtilement proféré, comme si une voix étrangère parlait à ma place, que c’était indicible.

  Oh manant! C’est vénérable. On devrait te fusiller.

            Je t’en prie, Nihil, manque un peu de pitié. Je suis certain qu’un ventriloque s’est joué de mes lèvres. Cet incorrigible a d’ailleurs ajouté, par mon entremise bien sûr et sans que je ne puisse le voir, que le fameux Patres si connu dans l’entourage ecclésiastique, n’était qu’un diffamateur de la pensée et un sale « Tourneur en rond » digne des plus grands éloges.

            Je ne suis pas d’accord avec toi, je t’approuve.

            Ne parlons plus de lui, il me rend malade, heureux même!

            D’accord. Sais-tu qu’il a superficialisé des théories vieilles de vingt-quatre siècles?

            Oui, et pourtant ses précurseurs se seraient reconnus en lui tellement il est embrouillé.

            Louerais-tu ses services rendus au crétinisme?

            Oui et oui! Non que je le haïsse, mais je ne peux m’empêcher d’embrasser, dans mes rêves avouables, ses exigences superflues de rationalité. Là où je désapprenais la philosophie, le mot d’ordre était: « A MORT LA VIE; VIVE PENSEE! ». Penser la pure abstraction  et surtout ne pas se salir l’esprit avec le concret; penser le plus pour agir le moins car l’idée ignore le corps et tenter de l’appliquer serait la renier. Chercher le sens profond, éternellement caché de l’homme et de l’univers pour mieux oublier l’homme et l’univers et se complaire dans le vice du cercle réflexif. Se contenter d’un bonheur abstrait, du seul mot bonheur parce que le mot est tout et que la vie n’est rien. Voilà la résolution courageuse des penseurs du mystère. Je la honnis, j’y souscris. Rejoins-moi sur ce chemin sans embûches où nait le sentiment complaisant d’avoir touché  à l’absolu.

            Fine conscience que la tienne! Ta vision de l’être est large. Elle commande de se salir les mains avec la Terre et d’associer à son concept l’inhalation profonde de l’odeur du fumier et du parfum des orties. Elle montre que sans fruit, tu graviterais sans cesse autour de l’espoir de découvrir les lois de l’univers. Sans conscience relative, pas de « consciences absolues ».

            Tout à coup, je voudrais réfléchir! Ca m’humilie. Oh regarde Totus, un épervier fonce droit sur nous! Qu’il est laid.

            Il est beau, en effet Nihil!

            Nihil, vois-tu dans ses pupilles la niaiserie des hommes, avec quelle habilité ils dérapent à chaque détour de leur pensée, la fierté qu’ils éprouvent pour leurs tribulations morales, même lorsqu’ils usent leur dernière énergie à trucider l’éthique. Vaniteux, colériques, anarchistes intelligents! Mais quelle sottise que révolutionner et platitude que réformer.

            Tu es bien clair.

            Pas le plus des cieux. Rien de pessimiste ni d’orageux dans mes propos, rien de fataliste non plus ni, bien sûr, d’optimiste. Tout cela si tu veux, en un bloc, seule draperie infinie. Pas la division surtout! Pas de décorticage par peu humain. Même l’homme le moins profond se laisse prendre au jeu de l’insensé et tombe dans le péché de la parole. Mais bien sûr, toute autre issue lui est promise. C’est ainsi; chacun y fait, y fera, y a fait. Ainsi et jamais jusqu’au jour où la terre a péri sous les coups d’un tiers qu’elle verra autrefois et dont la force elle imaginera.

            Tu sermonnes à grands frais de salive, mon ami. Pourquoi ne pas en revenir à nos dialogues idiots bien qu’utiles?

            Oui, oui, oui! Je n’en ai pas assez de ces détours par peu sinueux. Je voudrais que le monde gagne l’immense bon sens qu’il lui reste et naquît dans le brasier de son désespoir.

            Tu me réjouis, Nihil! Respecterais-tu ton nom?

            Pourquoi pas?

            Belle réponse!

            Ouïs-moi bien, indécent! L’humanité aura vraiment évolué lorsqu’elle aura accepté ce « pourquoi pas? » comme réponse à part entière, ou mieux, lorsque cette réponse ne devra même plus être formulée, lorsque la question ne sera plus posée.

Ce n’est pas de l’utopie, penses-tu?

            Je pleure.

            Ris donc, Totus, mais de plaisir alors!

            Le plaisir est infiniment affligeant par ses soubresauts prévisibles qui ne nous font que retomber au plus vite dans la tour de l’ennui. J’insinue par-là de nombreuses choses que l’on a certes déjà dites dès lors que l’homme s’est mis à creuser des tombes et à tergiverser, et alors?

            Tout, Totus, t’accapare. Tu dérobes la substance fécondante de mon esprit déjà si grand. Que me manquera-t-il si tu te mets à divaguer?

            Oh bien plus qu’il m’appartient déjà car mes mots sont infâmes et platitude. Ils rappellent, ne font que rappeler, surtout ont rappelé; ils parlent d’eux-mêmes!

            Sommes-nous de trop céans? Qu’est-ce à dire? Pourquoi s’est-on joué de nous? Pourquoi nous sommes-nous joué de nous? Quel destin?

            Vois-tu au loin cette Colombe qui s’abrite dans les nuages de l’espérance? Elle épie l’épervier. Elle le sent venir à elle impitoyablement, se jouer de la brume. Pourtant elle ne plonge pas dans les flots dessous elle, ni ne veut se noyer. Qu’est-ce donc qui la maintient dans les airs?

            Qu’en sais-je si je te pose la question? J’attendais que tu m’éclaires.

            Mais ne sens-tu pas que plus que toi je suis perdu? Que l’idée m’effleure souvent pour aussi vite s’évaporer? Sais-tu le lot qui m’accapare moi Totus?

            Sais-tu le vide que me survit moi Nihil?

 

            Il s’en fallut de peu que l’épervier ne happât la Colombe. Tourterelle, à peine éberluée, virevolta longtemps dans l’élément pour surprendre l’aigle à revers et le frapper de sa hardiesse. Le vautour gémit des sanglots enfuis en lui depuis des décennies et rasa les flots avant de retrouver un zeste de lucidité et de pouvoir s’enfouir dans le plus profond de l’univers.

            La Colombe assista à son envol sans pouvoir, sans vouloir freiner l’épervier. Elle savait à présent que nulle de ses attaques ne changerait tout à rien. Le faucon! Immortel tant qu’il y aurait de la pensée. Ainsi fut-il!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

V

 

 

 

Moi, Nihil, je prends la parole.

 

Soumission de mon esprit au pouvoir ancestral. Il ne fait que perpétuer l’entreprise philosophique de toujours, même dans ses plus grandes variétés. Mon esprit est esclave. Il rage. Il rage mais se soumet! Quelle issue?

Mon esprit n’est pas mien. Il est l’ère. Il est du temps et du chemin. Il est moins dirigé qu’il n’a une direction.

Il suit le cours, unique dans ses variétés, unique dans ses sous-cours; cours unique avec source unique. Celle du temps. Mon esprit n’innove pas, ni n’anarchise. Il rappelle. Mon esprit est unique. Celui du temps. Celui de tout, celui de rien. C’est mon esprit, celui de tous et de personne. Mon esprit est illusion et engendre illusions. Il est factice, il est réel. Illusion constatée! Rien n’y fait, ni les mots ni les jours. Mon esprit est mort avant d’advenir. Il est tellement tout mon esprit, qu’il n’est que l’ombre de lui-même. Un nuage empoignable. Un brouillard apprivoisé qui fait croire au sens. Mon esprit justifie tellement tout qu’il en oublie qu’il n’est qu’esprit. Qu’il n’est que rêve et illusion au-delà du rêve et autant en-deçà. Il n’est rien. Bref, il est tout, mon esprit. Qu’on se le dise.

 

Moi, Totus, je prolonge.

 

L’être humain a trop longtemps cru à la vie

 

Cette civilisation de mort commence seulement à prendre conscience de son état. Mais au-delà du constat, lorsque l’homme aura trop longtemps cru à la mort, l’idée sera moins fausse qui aura bien fait la part des choses. L’idée sera partout présente, tout entière invisible à nos yeux car… plus d’yeux.

 

            Toi, si ton vœu le plus cher était exauçable, quel serait-il?

            La vie éternelle.

            Et toi, quel serait ton vœu?

 

            Tout était dit. Au premier, Amor répondit que ce ne serait pas lui rendre service ni le combler que de lui accorder la vie éternelle.

Au second, Amor répondit que c’était bien là le seul vœu qu’elle ne pouvait exaucer car, dit-elle, « seule l’humanité est concernée ».

 

            D’ailleurs, fis-je remarquer du haut de mon nuage, il est inconcevable que cela puisse être un vœu. Serions-nous devenus si humains, si aimables?

 

            Il est vrai que Totus n’avait jamais quitté son nuage. Les nues sont belles et attirantes mais où cela mène-t-il de rêver? Songe-t-on à la misère physique?

 

            Nihil, lui, était plus réaliste. En bon homme, il décida d’ouvrir les yeux de son ami. Pour cela, il lança un trait sur le nuage de Totus. Aussitôt, celui-ci se mit à pleurer de plaisir et Totus chuta cérémonieusement aux pieds de Nihil.

 

            Il m’est arrivé un jour de mettre pied à terre mais cela n’a pas duré plus de quelques secondes car, sans tergiverser, mon nuage s’est mis à hurler et à implorer mon sens. Alors, je n’ai fait ni deux ni trois et ai regagner mon brouillard.

            Pourquoi te justifies-tu? Je ne t’ai encore rien demandé!

            C’est justement cela qui m’étonne. J’ai donc préféré prendre les devants.

            Misérable! Toi l’exilé au cœur pur. Quelle illusion. Même loin du commerce des hommes, l’homme n’est que l’homme. Je voulais t’éclairer bien que ta  lanterne scintille de puis l'aurore sans que tu t’en soies rendu compte.

            Il est vilain d’insulter comme tu le fais les pauvres et honnêtes gens.

            C’est toi qui t’insultes par ta propre faiblesse. D’ailleurs, si tu étais vraiment bon et beau, tu n’aurais pas daigné me faire la moindre remarque.

           

            Quoi, tu ne me réponds rien à présent! Mais tu es véritablement le comble de l’imbécile. Tu devais en profiter pour me clouer le bec car ce que je viens de te dire n’est évidence que pour moi. Et voilà que tu te tais!

            Je m’en vais.

            Va-t-en donc rejoindre la horde de tes semblables.

 

            Totus éprouva de grandes peines à chevaucher son nuages car son nuage n’était plus là. Au loin, déjà, Nihil s’envolait  fièrement, un ricanement très humain fusant de son gosier.

 

            Est-il utile de recommencer? Demanda Totus.

            Je n’aurais de cesse de parler tant que l’on nous dédaignera.

            Mais ça devient lassant pour moi comme pour le lecteur.

            Fî de l’ennui du lecteur!

            C’est un manque de respect envers l’humanité.

Je te signale que l’humanité se résume pour nous à une demi-douzaine de lecteurs, au plus.

            Eh bien tu ne risque pas de nous apporter de nouveaux adeptes. Les gens sont plus fous que tu ne le penses.

            Ne t’en déplaise, je persisterai, et signerai même.

            Alors, qu’as-tu à dire aujourd’hui?

            Rien de futile. Je me tairai donc!

            Ah non! Je ne me suis pas plaint pour rien.

            Je me tais.

            Ainsi, tu m’aurais laissé me plaindre pour mieux me voir m’avilir. Rustre!

            C’est toi le rustre.

            J’en conviens, mais à contrecœur. Tu reconnaîtras que l’on ne peut avouer ses torts si aisément.

            Pourquoi pas? Faut-il donc que tu te plies toujours?

            Je t’en prie, plus d’insultes.

            Allons, ne vois-tu pas que tu es ton propre contempteur? Tu te méprises sans t’en rendre compte. Et aux yeux de tous, qui plus est.

            Te prendrais-tu pour l’univers, Nihil?

            Assurément oui! Je ne me suis point nommé tel pour rien!

            Avec toi, nulle discussion n’est possible.

            Je me contente de constats.

            Comme l’illusoire dont tu m’as entretenu durant des secondes!

 

            Finalement, nul n’en est plus avancé. Comment avons-nous pu nous illusionner? Quelle prétention que de croire avoir trouvé la vérité! Vérité, charité! Nous ne sommes et n’avons toujours été que des mendiants. Voilà notre erreur. Celle de croire en l’amour. Pitié, pitié! Je ne veux plus implorer. Assez de condescendance ainsi. Il est temps de changer.  De se préparer à l’idée. Mais en consiste-t-elle, cette idée? Qui va m’éclairer? Idée maîtresse? Certainement pas! Car c’est la vérité. Or la vérité…

Toi là-bas, du haut de ton nuage, envoie-moi en éclair!

Eh tu m’as brûlé! Pourquoi avoir fait cela? Je suis fou?

Comment je suis fou! Tu me cherches noise, eh bien soit.

Je t’accorde ma vengeance. Pare-toi bien car je suis intraitable et mes pics sont acerbes. J’ai des mots fraîchement aiguisés. Je vais connaître la couleur de ton sang, Manant!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VI

 

 

            Nihil et Totus n’éprouvèrent jamais de grandes difficultés à palabrer, ni à ironiser, mais il est un temps où les mots plaisent jusqu’à parfois écorcher les tympans d’individus pourtant portés sur l’écoute. Si donc nous n’entendions pas souvent les deux divagateurs en ce chapitre de dérision, nulle alarme ne serait de circonstance. Leur retour serait d’autant moins apprécié. Mais la Colombe? Tourterelle s’est envolée, non vers d’autres cieux – où seraient-ils? – mais elle a pris son envol pour le retour aux sources de l’illusion. Ce qu’elle y a découvert, il est déjà trop tôt pour le dire, mais l’espoir est toujours d’actualité. Prions donc!

Pour bien implorer, nous allons nous efforcer de flatter. Ainsi il est nécessaire d’être vil. Je suppose que chacun est pris au dépourvu, nous pouvons commencer.

 

            Toi, Oui toi là-bas que je n’aperçois qu’avec aisance, je sollicite ton attention malveillante. Sois réceptif et surtout manque ton tour de garde aux portes de mon ignorance car la sentence sera terrible, crois-moi!

            D’abord j’exige ta haine pour tous les péchés que je n’ai pas commis. Je voulais te plaire mais la technique me manquait. Néanmoins, je suis parvenu à écraser sous mes pas quelques cloportes et autres beautés célestes. J’ai même maudit plus d’un de mes congénères et parfois en ai occis. Mais tout cela est bien maigre, j’en conviens. Donc tu m’accordes ta haine, voilà un point réglé! Quant à ma seconde imprécation, elle est beaucoup plus ou moins problématique. En une proposition, j’ai oublié qui tu seras. Après une fouille superficielle des moindres recoins de mon âme, et malgré la toute triste volonté qui m’a animé, je n’ai pas avancé d’un pouce. Alors cache-toi, mais plus sous la forme d’un Jésus ou autre Mahomet. Il est temps que je sente le bout de ton nez et te recrache à la face tes nombreux mensonges.

 

            Le paradoxe avec Satan, c’est qu’il ne sait jamais où il en est, ou père ou Fils ou Saint-Esprit, mais il voudrait déterminer nos voies.

            Il s’assure de l’échec de sa destruction.

            Cela ne me surprend guère!

            Ah mon implacable ami, je te réserve encore bien des surprises.

            De quel goût?

            De quels goûts, devrais-tu dire. Ne te tracasse pas, je possède une variété quasi infinie de délices mortelles.

            Je suppose que tu fais encore allusion à l’humanité.

            Humanité! Mais qu’est-ce que l’humanité? Je demande ta réponse puisqu’incapable de te la donner en mille encens ou en mille yards.

            Eh bien voilà, involontairement tu as touché le cœur du problème.

            L’amour?

            L’homme!

            Mais quelles sont ses affaires?

            Elles sont aussi belles que diverses.

            La misère?

            Voilà une de ses préoccupation. Pour être sombre, sache que chaque nation s’efforce de receler en son sein le plus possible de misérables, de miséreux, de miséricorde…

            ?

            Simplement l’inhumanité va de pair avec l’homme.

            Quelle merveille! Moi qui pensais être le seul diable impossible et inimaginable, je constate m’être leurré sur toute la voie. Je traîne derrière moi des wagons d’ignorance quoique riche d’une expérience secondaire.

Ne nous étions-nous pas promis de jouer du paradoxe?

            De nous en jouer plutôt et pour immensément que je m’en souvienne.

            Tu deviens trop sérieux; ne chercherais-tu pas à me gagner?

            Pas le plus du monde. Quelle serait en effet ma victime si ta carcassa putride était annihilée?

            Désormais je porterai le plus grand intérêt à tes pics car tu es digne des plus bas cieux.

            C’est là me reléguer bien haut. D’ailleurs je n’aurais certainement pas la faiblesse de descendre si peu de marches. Mais désormais je ne pense plus, j’ai vaincu trop de sommets.

            Imbécile, tu perds peu à t’ignorer de la sorte. Ta bêtise connaît certaines limites au-delà desquelles s’esquissent des éclaircissements et se profile un dieu vengeur. Tu sais de quoi il retourne.

            Tais-toi si tu y tiens.

            Soit. Ainsi donc or, il eût fallu des décennies et des siècles de fastidieuses introspections à tout autre que moi pour percevoir le tréfonds subtil des assertions humaines ou divines, c’est selon. Pourtant donc alors, je n’étais apparemment pas le mieux préparé à l’immense tâche de discernement de la surface de l’univers, mais voilà, je fus élu. Élu par nulle ni nul mais peu importent ces détails d’importance. Ce que je tiens à te signifier par dessus et dessous tout, c’est que rien n’arrive vraiment que notre vue accapare. Tu es, nous sommes le rêve ambiant que certains rêveront jadis et ont  encore rêvé demain, bien sûr sans en prendre vraiment conscience et sans se rendre compte que rien n’est moins paradoxal que mes anachronismes pompeux et trop souvent ressassés. En un mot, pour étayer, lorsque toi tu amasses richesses et savoir et lorsque moi je fais fî de tes remarques en feignant l’absurde, une des infinies parcelles de ce que nous nommons Vérité est faite nôtre pour un temps plus ou moins prolongé quoiqu’échéance soit encore une invitation éminemment humaine. Pour t’éclairer d’avantage, je te dirais que nous ne gagnons ni ne perdons rien sinon en divagations inconcevables et indéterminées. Bref nous sommes Dieu dans ses plus nobles bassesses.

            Dérisions?

            Bravo Nihil, tu m’as saisi magistralement. Je t’offre pour cela toute mes misères et mes bonheurs accablants.

            Mais peut-être le voyeur n’avait-il pas compris!

            Tant nous chaut. Nous ne pouvions pas remettre le dénouement avec cesse à plus tôt.

            Voilà deux points salement réglés.

            Le plaisir soit avec toi, et la mort aussi!

 

            Par ses allées et venues incessantes, Tourterelle avait éveillé des soupçons chez les Titans. Ceux-ci, mi-anges, mi-dieux, vilement humains, complotèrent une astuce démoniaque dont Jésus fut fier. Armés de mots doucereux et plus encore se silences venimeux, ils convoitèrent la Colombe tant et si bien que celle-ci ne se laissa pas prendre au jeu de la vie et regagna son paradis. Là, elle entonna un chant fier et maudit pour conclure l’action des ordonnés. Les Titans devinrent tellement hilares qu’ils naquirent à la vie sans pouvoir ébaucher le moindre mouvement de repli. Quant à Tourterelle, elle expirera heureuse quelques seconde plus tôt.

 

 

 

 

 

 

 

 

VII

 

 

            L’illusion était encore vague, noyée dans des pensées joyeuses, mais la Colombe ne se laissa pas désemparer. Pleine de ressources bénéfiques, elle progressait sûrement dans ses médiations. De temps à autre, les démons de l’insouciance la happaient mais toujours elle parvenait à se défaire de leurs préjugés.

            Elle aborda un tournant crucial de sa destinée alors que l’astre jaune quittait son orbite et que les hiboux hululaient à tue-gorge dans le voisinage astral. Tourterelle négligea un vide prévu sous les bas-côtés de sa voie et chuta sans fin. Sa seule issue: prier. Mais ses appels de plus en plus insistants restèrent vains et aujourd’hui encore elle patauge dans l’innommable, sans voix.

 

            Dis-moi Nihil, es-tu apte à me dévoiler une bonne fois pour toutes tes élucubrations mortelles?

            Apte mais pas disposé. Veuille-m’en car je suis convaincu que ton infime cervelle manque d’armure.

            Qu’il soit comme tu le dis, je puis au moins encore te mépriser.

            Merci mais demande-moi beaucoup en retour.

            Soit, tu me baiseras les pieds et les lécheras durant deux cents secondes bien comptées.

            C’est peu a mon goût mais j’acquiesce.

            A présent ouïs-moi peu sérieusement et tâche de manquer jusqu’au bout d’humanité. L’exercice  est trop facile, comment atteindre une telle supériorité? Je ne m’entends que par l’homme.

            Cesse d’abord de te poser des questions, un petit pas sera accompli. Ensuite maudis tous et toutes et tout, mais maudis sincèrement, voilà qui te situera loin en dessous de l’égocentrisme puéril.

            Ce n’est pas assez me demander.

            Fais un effort, sinon…

            Sinon?

            Je t’offre tout ce que tu veux, as voulu et voudras. Rien de plus, tout de moins.

            Formidable! Voilà des siècles que j’attends cette proposition.

            Mais, mais… tu ne joues pas le jeu. Si nous nous en tenons au peu d’esprit de la lettre, tu dois absolument faire l’effort d’élévation par crainte de mon offre.

            Tu y as cru, avoue-le.

            Tu m’as fait plaisir.

Ami nauséabond, ton plaisir ne s’évaporera pas de sitôt car je persiste dans ma rébellion.

            Tu es sensé, je me meurs, aaarrg!

            Lucide je suis et ai toujours été, fou tu es et toujours seras! Je manipule.

            Je n’y entends plus rien. Que lui as-tu fait, Seigneur, pourquoi l’as-tu aidé? Il gagne son humanité.

            Peu importe, dis-moi ce qui allégeais ta conscience, nous avons déjà gagné assez de temps ainsi.

            Voilà, je désire te faire apprécier mon hymne à l’amour car l’idylle est sujet dont j’ai insuffisamment traité. D’abord je vénère toutes les manifestations de notre seigneur Dieu. Ainsi j’aime les profondeurs silvestres lorsque les nues passent à l’orage, et plus encore lorsque la voûte semble prendre son envol vers des cieux que nous n’avons pas encore conquis, afin de nous laisser mieux observer les étoiles qui nous font rêver depuis des millénaires. Pour moi, l’amour est cette étoile que nous n’avons encore jamais aperçue, pas même en songe. L’amour est le besoin d’espérer et de souffrir, le plaisir de l’amertume et des regrets. Le dépit réalise de grandes choses en réel comme en rêve. Et qu’importe que les désirs de l’homme soient puérils, il est capable d’amour, de bonté dans le mal. Son amour est cruel, il faut savoir le souffrir. Cruauté, au meilleur de l’homme, de l’amour, désastre pour l’humanité. Confusion de l’amour qui se contredit; pour écrire l’amour, ne faut-il se souvenir que de l’énorme bonté de Jésus, Jésus Dieu, pourfendeur des cœurs trop dur? Non, oui. L’amour est dieu, Tout à nous consacré, tout à nous condamné; l’amour est mal, l’Enfer dans ses plus belles atrocités. Paradoxe mineur.

L’amour ne se conçoit sans haine ni la haine sans amour.

L’hymne à l’amour est aussi un hymne à la haine. Rien de facétieux dans ce constat, l’existence, partout, toujours, toujours pareille, si difficile à saisir pourtant, si facile à imaginer, si contrariante à vivre. Soit!

            Combien tu m’étonnes par ton délire, j’étais habitué à moins scabreux discours. Tu me sembles presque heureux, me trompè-je?

            Je ne sais, je sais… Je m’y retrouve moi-même, tout cela sonne si juste et manque tellement de dérision! Crois-tu que je me perde?

            J’en suis heureux. Moi-même je deviens piquant. Comme si nous en avions déjà trop peu dit, comme si cette vaste entreprise d’élucubrations sensées se révélait être quelque habile mise en scène impropre à convaincre le convaincu.

            Notre heure ne sonnerait-elle pas?

            Je crains que le glas ne résonne trop tard. Nous avons épuisé niaisement notre stock de vilénies et de bassesses. Tout ce chant ne sera-t-il qu’un rêve, désespoir du possible?

            Cela signifierait que les consciences sont capables d’absolu ou qu’elles s’y sont perdu, dès la fin, dès le premier mot, le dernier pic. Dès la première absurdité.

            Je crois comprendre que nous nous sommes leurrés; nous nous sommes leurrés; nous nous sommes construits dans le feu des propos.

            Quel bonheur est-ce là? Pourquoi n’en fut-il pas ainsi? Et pourquoi sommes-nous les seuls  à ne pas devoir expier?

            Car nous avons tout à craindre, Nihil.

            Ni non plus à espérer, Totus!

            Nous n’avions rien pour nous, et au fil des répliques, inqualifiable, nous nous sommes engouffrés plus profond dans le remédiable. Nous sommes seuls irresponsables de notre tort. Nous avons gagné la partie et tout y a fait.

            Mais qu’en fut-il des hommes, alors?

            Devine un peu le suite!

 

            Ce n’est qu’au prix d’incroyable efforts que la Colombe rabattit de l’aile. Son équilibre retrouvé, elle s’enhardit auprès des Titans qui lui réservèrent, à sa plus grande surprise, un accueil triomphal. Elle s’enquit alors d’une explication satisfaisante quant à son sort mais les Titans étaient incapables de lui apporter quelques lumière.

            Tourterelle s’apprêtait à regagner se terre quand Jésus la happa gentiment. Voyant en lui son dernier espoir de révélation, elle reposa la question qu’elle avait déjà posés aux Titans. Qu’en est-il donc, demanda-t-elle? Deux consciences ont naquit pour toi ce matin, répondit Jésus. Surprise, la Colombe vacilla et s’enfuit vite avant que l’Esprit ne la retrouve.

            « Je reste donc seule en quête d’absolu », se dit-elle en esquissant un sourire sardonique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Envolées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

VIII

 

 

            A quoi songe la Colombe en proie à l’amour? Elle s’essaie à manipuler la haine pour l’enfouir avec l’insouciance dans les tréfonds de notre imagination. Couvert de pure humanité, le dépit se meurt de rage et d’inaction. Alors joie et bonheur s’emparent des sens éclectiques et proposent l’harmonie de l’éternel pour qu’enfin Tourterelle puisse reposer ses ailes fatiguées d’avoir trop affronté les torrents d’ignorance et de sottise humains. Ainsi, loin d’expirer, Tourterelle rassemble en son for les cendres du Phénix.

A jamais la Colombe.

 

            Il fut un temps où Nihil et Totus méprisaient la Colombe qui plânait dessus les terres avec l’espoir d’adoucir quelque cœur, et nombre de leurs pics faillirent terrasser Tourterelle au travail, mais, remarquablement leste, elle parvenait à exorciser tout mal et toute haine à son égard. Plût à l’amour qu’elle parvienne aussi à endiguer les marées de persécution humaine. Sa tâche eût été accomplie dans le respect des normes célestes. Mais pour son malheur, la haine est éternelle, le Diable avait prévu l’échec des soubresauts d’une conscience philanthropique. A jamais mépris.

 

            La méprise avait atteint son paroxysme. Nihil et Totus ne pouvaient donc plus compter que sur les revers de l’absolu. Ainsi abordèrent-ils un tournant crucial de la réflexion philosophique pour sombrer dans le plus profond humanisme. La dérision avait trop longtemps régné, n’en déplaise aux amants du chaos.

Nihil et Totus étaient hommes et voulaient le prouver sans plus céder aux délires intempestifs du scribe.

 

            Il fut un temps, Nihil, où tu sapais chacune de mes tentatives d’embellissement de la création. Ma naïveté, alors, me laissait coit et m’empêchait de contrer tes attaques démoniaques. Mais voici venu le jour où je me sens la force d’aiguiser mes belles pensées et de leur faire percer le cœur de l’homme le plus rebelle à l’avènement d’Eden. Laisse-moi te dire, Nihil, que trop longtemps l’homme à souffert de son inconscience, semant le mal au gré de ses caprices d’enfant. Laisse-moi te dire que jusqu'à ce jour nous avons trop vénéré les démons de l’insouciance et qu’il s’agit de bouleverser le cours peu harmonieux des secondes terrestres. Beaucoup ont crié que le monde était sale et que l’humanité se condamnait au mépris de l’homme, mais jamais encore aucune de ces entonneurs de fiers constats n’a adouci le cœur le moins amer. Sans doute la méthode était-elle par trop humaine. Mais peu importe, car nous voici surgissant de ton sein, Nihil, et gagnant les allées humainement anémiées que  jusqu’ici les philanthropes de tous bord n’ont pu parcourir.

En son temps fut crée un hymne à l’amour teinté de haine, voici enfin venir le jour où ce chant aura perdu sa raison d’être et où la créature du langage se verra condamnée aux silences de la félicité. Quelle joie de divaguer pour soi-même, de palâbrer sans plus devoir se faire écouter. Quel bonheur d’enterrer la pensée. Avec l’Eden, plus de mots. L’alchimiste du temps soudoie l’argent de la parole pour permettre le règne d’un silence aurifère. Fidèle à la tradition philosophique, je vois poindre le jour mondain où nos mots seront vains. Car quoi qu’en dise l’archange de nos cauchemars, l’homme se soumettra peu à peu aux démons de la bonté. Ame saine aux lendemains de l’agonie. Je vois monter la soif de l’espérance sans objet.

Espérance condamnée, humanité retrouvée.

 

Je t’aime, Totus, convaincu de la force de ta détermination. Vivent l’esprit et l’âme de l’homme, car soudain, Ô Totus, dans l’éphémère plaisir du délire humaniste, nous touchons à la gloire des instants de pure lucidité et d’absolue confiance.

Pensée fit le malheur de l’homme, voici venu le jour où elle périt d’avoir trop abusé de sa faiblesse.

L’homme est beau, voilà une vérité sûre, à présent. Et cette beauté que tu loues, Totus, contient la fin des temps du désespoir.

Confiant en ton for, sain d’âme et d’idées, confondu par l’harmonie soulageante de l’espoir retrouvé, je me plie à tes soubresauts d’éloquence.

Car voici que tu annonces la découverte par l’homme de son humanité, la beauté des astres et le plaisir des frasques quotidiennes.

Voici l’homme et sa simplicité recouvrée. Voici l’homme et son humanité, le mal est révolu. Prière de se taire.

 

            Totus, Totus, t’a accaparé. D’abord insouciant, ensuite enclin au désarroi et au picsmisanthropiques, tu as maudit ton congénère. Fâché de ta ressemblance avec l’homme, tu l’as torturé froidement. Mais voici que tu adoucis ton âme sentencieuse et que tu te plies à l’exigence de bonté. Voici surtout qu’à leur tour les hommes prient et exaucent les vœux du Seigneur. Et à cela je ne peux ni ne veux plus m’opposer, car avec l’humanité, Totus, l’homme m’a gagné.

            Que chante-tu là? Est-ce à dire que tu t’es joué de nous, l’homme et moi, en nous contant fleurette au fil des sentences que se voulaient rédemptrices, alors que tu savais la futilité de nos espoirs. Quel genre d’être es-tu donc, Nihil?

            Le côté indispensable de la création, car sans moi, tu n’es rien, Totus.

 

            Sempiternelle Colombe confrontée aux désespoirs de l’homme, essoufflée d’avoir bravé les monts de l’incrédulité, depuis toujours poursuivie par la crainte de manquer à ta tâche, mais ragaillardie il y a quelques propos, te voilà aussitôt et à nouveau accablée par le poids du réel. Nihil est impitoyable, mais jusqu’à quand?

Combien d’idées devront-elles sourdre de notre esprit avant que nous ayons la volonté lucide de percer le cœur de notre agitation?

Il te faut, Tourterelle, nous harceler encore.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IX

 

 

 

            Si la colombe reprend sans cesse son envol, c’est qu’un Dieu sympathique la pousse à ramener le calme sur la terre. Or l’homme est tout à fait incapable d’atteindre la sérénité; elle s’oppose à sa nature de guerrier. Est-ce à dire que la tâche de Tourterelle reste à jamais inaccomplie? Il s’agit justement de l’admettre et d’équilibrer les deux forces contradictoires qui animent l’être humain: un désir de grandeur et de justice en même temps qu’une fascination pour le mal et la violence. Dieu et Satan concentrés en un seul être pensant, ange et bête animés du même souffle conscient. L’esprit partagé entre le mystère de la vie et la clarté de la mort. Pour le malheur de l’homme, vie et mort sont aussi enivrantes; l’une et l’autre attirent autant le penseur, chacune à sa façon dans son propre filet tressé de haine et l’amour. Voilà l’homme devant l’alternative la plus affolante de la création: aimer ou haïr. Car s’il semble évident au commun qu’il faille pencher pour, soit-disant, la belle voie, pour l’amour de son prochain, et que la haine est le pire excès concevable, ne serait-il pourtant pas essentiel de s’interroger sur le vrai sens le l’amour et sa réelle fonction humaine, en tant qu’excès au même titre que la haine?

 

            Nihil, selon toi, l’amour est-il un excès aussi néfaste que la haine? Crois-tu que l’homme trahit autant sa nature sa nature en aimant qu’en haïssant? Et sinon comment résoudre le problème du mal puisque le devoir de l’homme serait de miser toute son âme sur le bien, et non de parier légèrement et au gré des humeurs sur le beau ou le laid, - étant entendu qu’esthétique et éthique se rejoignent en leur sens intrinsèque. Mais avant tout, crois-tu que ces questions trouveront jamais réponse?

            Certes non, te réponds-je tout de go. Ces questions sentent trop l’homme pour devenir un jour insensées. Vois-tu, Totus, au-delà du dilemme vérité-mensonge, attention-mépris, il gâche le sens, le langage qui traduit les concepts humains. Mais il a fallu que l’homme soit cet être capable de guerroyer avec l’idée. Voilà son lot, sans conteste le plus lourd des fardeaux universels, mais inexorablement promis. Je t’affirme donc que tes questions ingénues font le jeu de la destinée humaine, que tes interrogations resterons vaines parce qu’il leur faut rester vaines. La questions sur l’homme et sa destinée doit rester sans réponse. Autrement elle ne serait jamais posée. Mais voilà justement le constat le plus dur à admettre pour un être que refuse la persistance du mystère. Et pourtant c’est la seule réponse sûre que je puisse te proposer, solution détournée mais subtile qui sauvera peut-être celui que Dieu a conçu à son image.

 

            Après l’univers, les amas de galaxies et les étoiles, dont une de notre connaissance permettait la vie, l’homme est apparu: premier mouvement de la symphonie universelle.

            Au terme de certaine autre évolution, l’homme acquiert la conscience: deuxième mouvement de la symphonie universelle, « Cacophonie en Âme Mineure ». Car voilà qu’il se pose des questions, et énergumène issu de nulle part et promis, semble-t-il, au chaos. D’où viens-je, où vais-je, qui suis-je, et surtout, « Pourquoi? », se demande-t-il durant près de deux mille ans. Mais bien sûr le problème reste entier, et pour cause, il s’agit qu’aucun problème métaphysique ne trouve jamais de solution. Mais – implacable « MAIS » - fort de son esprit, enivré de grandeur, l’homme ne peut accepter ce constat. Il s’interroge encore et encore, sot qu’il est, et se meurt dans des élucubrations absurdes.

Je t’affirme donc, Totus, que la rémission des égarements de l’homme consiste en cet acte clair et simple: TUER TOUTE QUESTION? ABOLIR TOUTE PENSEE! Voilà le prix de l’humanité recouvrée. Longtemps indécis, l’homme savourera peu à peu les plaisirs du silence. Considérée à tort comme l’apanage d’une créature belle et forte, la parole apparaît comme un poison, délicieux jusqu’alors, mais venin des plus terribles. Par bonheur, il ne déliera plus les langues. En se gavant de ses propres mots, l’homme s’était embué l’esprit jusqu’à perdre l’idée de justice, mais à présent, il reprend conscience.

 

            Je crois avoir compris que la félicité exige d’interrompre le discours et de chevaucher les ondes du silence. N’est-il pas?

            Au risque de te perdre dans les mystères de la pensée, consens-tu à me suivre en mon sein, Ô Totus?

            Je ne savais, je ne sais, car voici que Jésus me met en garde contre la pression de tes propos; voici aussi qu’une Colombe s’approche de moi et m’interpelle, m’indiquant des orées jusqu’ici inexplorées. Que faire, mon Dieu? M’en remettre enfin à vous et vous prier de me laver de mes péchés? Ou plutôt me faut-il te louer, Ô Satan, et rendre gloire à ton génie du mal? Qui êtes-vous, hommes qui m’entourez? Daigniez-vous me répondre et interrompre les sursauts d’une conscience à l’agonie! Où êtes-vous, Seigneur? Puissiez-vous faire de moi un homme bon, puissiez-vous me pousser à aimer! Qui que ce soit, où que ce soit, quand que ce soit! Que ne suis-je omniscient pour faire taire toute question, omniprésent pour endiguer tout mal, omnipotent pour culbuter le trône de l’absurde! J’en reviens au souci des temps: l’amour est-il autant excès que la haine? L’homme devrait-il se haïr d’aime trop, toute nuance mise à part?

 

            Homme pauvre de toi, qui soudoie ma candeur,

            Malgré tes infamies je t’offre mon cœur

            Convaincu que sous peu, attentif aux senteurs     

            Tu crieras les plaisirs d’effacer tes erreurs

 

            Je suis une conscience et l’absolu est chant

            Puissions-nous l’entonner jusqu’à la fin des temps!

 

Dans sa quête du beau, et du bien, et du vrai, ingénue et perverse, s’est enfin oubliée la Colombe. Trop d’amour à la tâche Intermède amical.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

X

 

 

L’enfance de l’art, dans la nuit, m’interpelle et me séduit. Elle m’entraîne à sa suite, généreuse, et me tend le calice de la paix. Indécis, j’hésite à m’abreuver de la céleste liqueur: « Le bonheur touche-t-il donc les hommes? N’usurperai-je pas le trône du Seigneur en goûtant à l’absolu? ».

- N’aie crainte, me dit la Colombe. Il est temps que l’homme ne goutte aux silences de l’ivresse. Nul n’est trop indigne de chanter l’existence et ses beautés dérisoires. Puisque le souffle de la vie lui fut insufflé sans attendre son gré, l’homme a droit au bonheur et au répit de l’esprit.

- Mais la conscience n’est-elle pas le plus beau don fait à l’homme et le plus cher à son cœur? L’éveil n’est-il pas son lot? Pérorerais-tu sans conscience?

- Je ne suis pas l’homme

- Peu importe, tu penses, tu n’es donc pas dieu. Ta condition est semblable à la minne. Solitude absolue

- Ne conversé-je pourtant pas avec toi à l’instant?

- Cela te soulage-t-il vraiment de tes pensées?

- Mille de mes baisers sur ta joue sensuelle pour m’avoir aidé à te confondre. Car tu te perds dans tes propos. Pensée te tue. Et si jadis cela valait pour l’homme, jadis reste naguère, et le temps suit son cours sans nous demander son reste. Aujourd’hui le sommeil prend du sens et les mots lassent l’oreille. Admets ces vérités simples car j’honnis les rebelles en ce monde.

- La révolte et le dépit ne sont-ils pas, avec l’esprit, les traits majeurs de notre espèce? Peut-on empêcher l’homme de combattre l’injustice?

- Certes oui, pour cette excellente raison que l’injustice n’est telle qu’à vos yeux. Vous  restez fondamentalement incapables de distinguer la pure justice de l’injustice flagrante.

- Mais nous connaissons la nuance, si bien que nous ne frôlons pas toujours l’excès; ainsi pouvons-nous éviter  l’impair.

- Ainsi aussi pouvez-vous faire couler le sang à flot, massacrer l’innocent, torturer l’insouciant sans jamais vous préoccuper du poids grandissant des péchés qui vous accablent. Car si vous n’avez point commandé la vie, si la vie vous est un fardeau, elle ne vous en commande pas moins, et en aucun cas n’avez-vous le droit de faire payer à vos frères de condition le prix de votre dépit. Or c’est à cela que mène inévitablement la révolte inconsidérée, c’est à dire humaine.

- L’homme devrait-il donc aimer sans s’accorder le temps d’haïr? Pourquoi donc excès et pas plutôt l’autre?

- Parce que vain équilibre. Toi qui te veux mesuré en t’autorisant à haïr autant qu’à aimer, tu ignore la beauté du trouble humaniste. Car s’il pèche (tout formellement, sans doute) par excès d’amour, l’ami des hommes n’en reste pas moins le vrai homme. L’homme n’est pas grand par sa pensée, mais par l’usage qu’il en fait.

- Mais si, pour moi, il n’est point de Dieu, où la vertu assoira-t-elle sa légitimité? Sans Dieu, je suis libre de créer ma justice et mes valeurs, et quelque basses soient-elles, nul ne peut leur nier un intérêt certain.

- Il s’agit plutôt de « certain » intérêt, puisque, dieu révolu, tout esprit peut enfanter sa  propre justice et ses propres valeurs; et à raison de milliards d’individus, se cotoieraient tout autant de justice, aussi justes les unes que les autres; et le monde périrait, faute d’entente. Que vous importe une liberté sans bornes, si elle n’amène que le désastre!

- Soit, mais si je reste incrédule, je ne perçois aucune solution à cette affreuse situation: infini libre-arbitre, condamnation de l’homme par l’homme, abandon au chaos. Je ressens l’insondable solitude, le plus profond désarroi de l’individu noyé dans la masse des congénères aussi désemparés que lui. Solitude, affreuse prison de l’être, horreur de ne pouvoir confier ses doutes, sentiment de défaite, de trépas universel. Toute intelligence, quelle qu’elle soit, quelque grande que soit sa puissance, est condamnée au silence, au repli sur soi-même, au repli sur tous, aussi bien, car personne, puisqu’il pense, ne peut sauver quiconque. Tout être voué à l’incompréhension, incapable d’aucune aide, tout espoir perdu d’en jamais recevoir. Solitude, par pensée, quel fardeau insupportable. Se raccrocher à ce cri de solitude comme à un ultime espoir de rémission! Est-ce là tout ce qu’il nous reste, pourvu que Dieu soit mort?

- Je vais t’apprendre la belle façon de te remettre de tes peines. Elle est unique en son genre et la même pour chaque espèce. Car qui dit « mots », dit pensée, quel que soit son degré de puissance, et qui dit « pensée » dit « questions », et enfin qui dit « question » dit « solitude », et ainsi la Foi semble-t-elle être le seul remède au péril de l’esprit.

Foi en Dieu, peu m’importe que tu l’ignores, car l’humain est morceau d’humanité, et c’est précisément en elle que tu dois placer la foi que tu as refusée à Dieu. L’homme est grand, peut-être, mais une humanité l’est plus encore et mérite plus de soins que celui dont elle a tiré son idée.

- Que d’erreurs! Si je néglige l’homme, je fais fî d’humanité.

- Tu m’interromps trop leste. J’en venais à cet apparent paradoxe que trop se soucier de l’humanité risque de nuire à l’homme. Mais avec un zeste de sagacité, tu auras saisi qu’apprécier l’humanité est aussi respecter l’homme. Ta foi en l’humanité est donc bien un foi en l’homme, mais non pas en l’homme de raisons trop imbu de sa puissance et des progrès de son esprit. Non, c’est l’homme en tant qu’être solitaire, l’homme en tant que conscience, en tant qu’objet du désespoir, et sujet, bien sûr, c’est l’homme en tant qu’exemple, morceau, garant d’humanité que tu dois chérir du plus fort de ton for amoureux.

- Ne croyez-vous égoïste, toi et tes belles prières? T’imagines-tu que je n’avais jamais songé à ce dont tu viens de discourir?

- Non seulement je l’imagine mais j’en suis convaincu. Car s’il est juste de souffrir d’une aussi profonde solitude, il n’est pas beau de la crier à tous les vents.

- Avec les murs, le vent aurait aussi à présent des oreilles!

- Ne sois pas de mauvaise foi. Car c’est certainement un esprit égoïste, celui qui se replie sur sa propre solitude, au point de s’en délecter. Imparfait, tu te plains à juste titre de ton imperfection, et c’est là le beau côté de la perfectibilité car elle permet la nuance et doit te pousser à relativiser ta douleur, mais par ailleurs, ton imperfection contient se propre imperfection, qui te pousse à te complaire dans ton malheur. Et quel péril plus grand pour l’homme que l’amour de sa propre imperfection? Car te plaignant à grands cris – vides de sens en leur for – de ta solitude, tu as fini par aimer ta solitude, si bien que tu t’es toi-même interdit tout espoir de rémission.

La vie ne se joue pas de toi; c’est toi-même qui  te prends au jeu de la vie et t’y perds, forcement.

- Mais comment pourrais-je ne pas jouer le jeu de la vie, puisque je vis? Ne suis-je pas son prisonnier, quoi qu’on dise?

- Certes non, et encore moins quoi qu’on en dise. Car en l’instant, tu joues plutôt le jeu du mot et du sens. Tes répliques s’inscrivent sans fin dans un discours en lui seul peut se jouer de toi, car tu l’enfantes. Tu te joues donc de toi-même.

Avais-tu compris cela? Honnêtement, savais-tu que tu voulais la solitude et que tu la criais par simple manque de volonté, trop lâche pour la tuer?

- Me vois-tu tuer le temps?

 

 

Nihil et Totus confondus en mon sein, absolu(s).

Incessante Colombe, sa conscience plurielle la met encore à contribution, et n’était sa bonne âme, rien ne pourrait lui interdire la rebellion, car comment concevoir Tourterelle enchaînée? A moins qu’elle ne soit imposé ce fardeau pour advenir, ce qui choquerait inévitablement toute raison!

« Mon labeur ou son sens? », demanda Tourterelle à Jésus.

« Ta question », répondit, amusé, l’esprit sain.

La colombe s’engagea dans l’absurde et chanta l’infini des raisons. Inaccessible simplicité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XI

 

 

            L’homme s’attarde sur le perron du bâtiment et scrute l’horizon. Il ne sait s’il soit pénétrer dans l’édifice ou s’il en est sorti, et s’il vient d’en sortir, ce qu’il y a fait. Il scrute l’horizon comme si celui-ci allait lui donner la réponse à sa question. Mais pourquoi l’horizon se préoccuperait-il de l’homme qui s’interroge? Ne se suffit-il pas amplement à lui-même? Et ce bâtiment derrière l’homme, l’accepterait-il en son sein, s’il n’y est déjà entré? Et s’il y est déjà entré, l’accueillera-t-il à nouveau? Peut-être lui a-t-on interdit d’y jamais remettre les pieds.

            L’homme qui s’interroge navigue entre deux eaux, ignorant la solidité du fil sur lequel il se tient en équilibre, ignorant si sa chute l’entraînera dans un abîme. Mais peut-être l’horizon ou l’édifice l’accueillera-t-il sans sourciller et le couvera-t-il de sa majesté, peut-être l’édifice et l’horizon l’accueilleront-ils tous deux, chacun en son temps. Peut-être aussi les interrogations de l’homme cesseront-elles soudain, car l’homme aura compris qu’elles sont le gouffre, où il ne risque certes pas de chuter puisqu’il s’y est déjà perdu depuis le premier temps de sa pensée, mais qu’il doit tenter de remonter à force de silence. Mais l’homme aura-t-il la force de renier sa condition, ne frôle-t-il pas la superbe s’il étouffe la pensée? Si au moins quelqu’un était là pour le conseiller, pour lui montrer la juste voie à suivre! Mais vain espoir. Nul ne peut l’aider par la parole; ils se perdraient l’un et l’autre dans le flot des réflexions, condamnés l’un et l’autre aux abysses du gouffre. L’homme qui veut se taire se sent donc seul, horriblement seul. Il est son propre interlocuteur, et loin de trouver le repos de l’esprit, il se condamne lui-même à la chute sans possibilité dé rémission.

Est-ce à dire que l’homme qui pense est prisonnier de sa pensée? Est-ce à dire que tout homme, pourvu qu’il pense, se révèle être le grand solitaire de l’univers? Mais s’il se tait, l’homme qui pense ne risque-t-il pas d’atteindre à une plus grande solitude encore? Un tel être est-il encore vraiment un homme? Peut-on parler de la solitude d’un tel être? La bête se sent-elle seule? Et si oui, n’y aurait-il pas en l’homme quelque chose de plus profond que la solitude? La conscience de cette solitude ne lui confère-t-elle pas une aura remarquable?

« Mais à quoi cela m’avance-t-il de savoir ma solitude? », demandera l’homme conscient de sa solitude.

« A en mesurer le vrai sens, lui répond-on, à pouvoir se jouer d’elle avec l’esprit, car l’esprit l’a enfantée et sans peine peut la tuer. »

« En la bouclant de ses tournures ou en interrompant son cours? », demanda l’homme qui sait sa solitude. « Car si pensée se joue de la solitude dans le silence, ajoutera-t-il, la solitude n’existe plus, mais je suis plus homme, alors quoi? »

« Sans doute la solitude est-elle ton lot d’homme qui pense, puisque tu ne veux abandonner ta condition. Emmène-la avec toi dans ton parcours de penseur, et accorde-lui à tes côtés la place qui lui revient, qui n’est pas insignifiante, puisque finalement, sans elle, tu ne te poserais même pas la question de la solitude, et peut-être même n’aurais-tu jamais atteint un tel degré de lucidité! »

« Je suis un homme, mais à quel prix! »

- Il me semble, Totus, que la conscience se tient bien souvent au centre de nos répliques. Est-elle si remarquable que nous puissions sans abus en faire notre pâture réflexive quotidienne? Faut-il absolument que nous ne lui échappions?

- Il convient justement à cet absolu, Nihil, de relativiser la puissance de notre pensée. Aucune nuance n’est plus susceptible de nous pénétrer que cet absolu de la conscience, car en même temps qu’elle nous fait tout voir et tout comprendre, la conscience nous pousse, par la vue et la compréhension même de notre être, à vivre d’honnêteté. L’apport essentiel de cette conscience absolue consiste en la pleine connaissance de nos limites et tares, si bien que, fixés quant à nos possibilités, nous ne pouvons que profiter pleinement de nos capacités en répandant le bien autour de nous, et surtout en attisant le désir d’autrui de se voir sous son véritable jour.

- Conscient, l’homme deviendrait honnête tant envers lui-même qu’envers autrui!

- Absolument conscient! On ne peut l’être à demi ni au tiers sans sacrifier à l’illusion. Nous percevons tout, jusqu’aux sens les plus rebelles à notre esprit, ou ignorons tout de la lucidité. Pas de relatif pour la conscience.

- Quel tarif?

- Désespoir et honte d’abord, simplicité, honnêteté et toutes les qualités qu’elles englobent ensuite. Et ces qualités sont nombreuses: honnête, l’homme apprend l’humilité, le respect, l’attention à autrui, l’amitié et l’amour pour couronnement. Celui qui sait le monde et sons sens, qui connaît la vanité de toute recherche des fondements, puisque nul fondement décelable qui satisfasse notre soif de certitude, puisqu’il est de l’essence d’un infini de n’avoir pas d’origine ni de fin, celui qui sait l’échec inéluctable de toute entreprise d’élucidation de l’être des choses et de l’homme, celui qui reconnaît les insuffisances de l’esprit, de tout esprit, un tel homme ne peut que s’attacher à ce qui acquiert craie valeur aux yeux de l’humanité et de toute forme pensante, à l’amour du prochain pour la grandeur de l’espèce, ou mieux encore puisque la grandeur n’est pas gratuite, pour le seul accomplissement de l’humanité. 

- Ferrais-tu fi de l’esprit scientifique?  Ne s’inscrit-il pas nécessairement dans les particularités de l’homme?

- Possiblement, dirais-je! Bien que toute interrogation conduise nécessairement à l’élaboration d’une science. Quoi qu’il en soit, je m’y oppose pas.

- A moins qu’il ne soit pas de l’essence de l’homme de s’interroger!

- Je ne peux te suivre, après t’avoir dit que nulle essence n’est déterminable.

- Mais alors, tu annihiles toute interrogation puisque vaine recherche.

- Certes non! Libre à l’homme de se perdre dans l’absurde et dans de folles prétentions. Car quoi qu’il advienne, il reste profondément seul, et nulle intelligence, quel que soit le degré de puissance que tu veuilles lui attribuer, ne puit lui être d’aucun secours.

- Mais l’homme ne se sent peut-être pas seul.

- Alors il n’a pas la conscience absolue, et il n’est pas vraiment homme.

- Connaîtrais-tu l’essence de l’homme tout de go, alors qu’à l’instant tu as nié la possibilité de connaître quelqu’essence, de quoi que ce soit!

- N’est-ce pas la conscience qui me permet de tenir de tels propos et qui de plus autorise ta réplique à advenir? Je n’en fais pas l’essence de l’homme, mais du plus clair de mon âme, j’en perçois la valeur supérieure à toute autre particularité.

- Mais si tu admets ave moi que nulle conscience n’est possible sans interrogation, tu devras bien faire de l’interrogation la plus haute particularité de l’homme.

- Non, car la conscience domine la question. Il y eut le temps de l’interrogation, voici venu celui de constat, de l’absolue conscience de soit et du monde qui apporte la réponse à la vaste énigme humaine: conscience, honnêteté, respect de l’autre par la vue de nos propres limites, et floraison d’amours gratuites.

- Je perçois le délire en ton âme, car comment convaincre l’homme de si belles résolution?

- Voilà une question subtile pourtant aussi vaine que toute autre, car je sais que convaincu de la grandeur de mes vues, l’homme deviendrait tellement beau, l’Eden serait tellement à portée de ses sens, qu’il en perdrait son humanité. Car l’Eden n’est pas fait pour les hommes. Tous mes espoirs connaissent donc leur vanité, mais sachant aussi que l’homme ne se retrouve qu’en l’excès, c’est en le poussant aux plus grands biens que je suis convaincu de le voir se forger moins laide humanité. Je sais toute les contradictions de mon esprit, comme je vois tout l’indicible de l’infini, éternel infini sur lequel, finalement, je ne cesse de m’apitoyer, mais je devine aussi la conscience, l’absolue conscience des contradiction qui injectera dans l’esprit de l’homme quelqu’espace du nuance, et autorisera un certaine amélioration de son sort.

- Le mieux serait d’abord que tu te taises!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XII

 

 

- Eh, Totus, ouïs-moi donc un peu!

- Pour le moins.

- Sans abus de sens. Bien, tu sais que j’exècre sans autre préambule la Colombe de nos délires. Elle s’attache à une tâche par trop simpliste et banale. Fî donc d’elle et de ses beaux atours et retour dans le ciel de l’inattendu. Forçons-le à pleuvoir caractères et allures surprenantes, telle notre voie de l’instant.

Je m’en vais donner un tour plus humain à mes traits pamphlétaires, soulever des passions d’occasion, que Jésus a banniez trop longtemps.

- Te plairait-il aussi d’allumer le bougeoir refroidi en mon âme? Quelles malsaines élucubrations te proposes-tu donc de m’assener sur le nez, trop cruel de m’avoir mis en garde pour le protéger?

- Sombre sot! Le premier tu seras ma victime; je peindrai les recoins les plus flous de ton être, t’arracherai à ton dernier refuge, en transfuge t’amènerai à moi et remplirai, sournois, les nombreux vides de ta carcasse trop belle.

- Tu ferais peur à plus vaillant que moi, mais, mon brave, je crains déjà trop de mystères pour accorder le moindre effroi au noir de tes borborygmes. Ne t’en déplaise, je rame dans les rimes du ramage en rédemption.

- Peu m’irritent tes sottes chansons; car voilà la première de tes marques: un niais bercé par l’espoir inhumain de m’attendrir; tu es trop homme pour pouvoir assouplir mon courroux; la pâleur ne te sied qu’en image, car en toi le ciel et d’un bleu plus que romantique; je te sens d’une stupidité sans bornes, emporté que tu es par l’élan peu magique de tes songes. Pauvre rat fasciné par la fin inutile des cieux, tu  t’avance peu à peu dans l’inconnu, mais ne parviens jamais à te débarrasser de tes craintes puériles. Doux rêveur qu’enivre l’absolu, aveuglé par tes efforts simulés, tu ne t’aperçois pas du néant d’absolu. Il faut que tu saches que l’absolu n’est que la créature de ton discours narcissique. C’est ta sottise de jeune écervelé que t’a fait imaginer un ailleurs rédempteur. C’est berné par ta propre inconsistance que tu as rêvé à la force la plus grande. Mais quand bien même elle reposerait quelque part, dans l’attente d’une conscience pour l’aimer, tu serais incapable de l’atteindre, pour les siècles des siècles, trop attaché que tu es à ton infime personne, trop près de toi-même pour t’ouvrir à l’indicibles! Toi qui pleures sur ton sort, qui te veux l’artiste du néant, trop humain pour émouvoir l’idée. Que crois-tu que Jésus te dirait?

-  Il m’aimerait et m’aiderait à toucher cet absolu plus qu’en conscience car il « est » et c’est Dieu, notre père et le maître intraitable du jour. Crains donc ses lumières pour m’avoir insulté!

- Pauvre diable! Emboîte mon pas et tu sauras toutes les foudres de mon venin. Car voilà, ignorant, ton Jésus, lui aussi, n’est que fruit du délire. Insatisfait de ton absolu, il te fallait un berger pour t’y mener. Car quelque part en toi, tu sentais ton impuissance à la grandeur. Mais enfin, ce meneur n’est encore qu’un songe. Alors que te reste-t-il donc, fou d’amour? Je t’apprends à savourer l’ivresse du dépit. Ainsi tu ignorais toutes les subtilités de ton désespoir.

Tu ne peux te croire si agile dans l’élaboration des tableaux factices que t’a fait peindre l’espoir d’enterrer ton incapacité désespérante à aimer le plus petit objet d’amour: toi-même. Car c’est finalement toi-même que tu exècre comme je hais Tourterelle. Je te répète qu’au fond de toi tu devinais ton impuissance et, sans conscience, tu as construit les rêves les plus fou d’une harmonie retrouvée. Or elle ne fut jamais perdue. Je te dis qu’il n’a jamais été, cet Eden, et qu’il s’évaporera aussitôt qu’apparu aux regards de ton âme. Je chante ta ruine éternelle, pour le seul bien de mon besoin d’atroce.

- Je  tournoie sur moi-même, vite, toujours plus vite, m’évapore de mon enveloppe charnelle, interpelle les amants du destin et te dis, enragé par la joie, que tu peines bien en vain contre moi. Je comprends subitement que, Nihil, tu n’es rien et péris si je cesse de penser.

- Silence! Je viens de brosser le portrait le plus vif de ma carrière de saint. Je t’ai découvert au monde, sot, et j’ai montré à l’homme qui il était. Je t’ai ouvert à ta vanité.

- Détrompe-toi! Ta vérité n’est que trop partielle. Loin d’avoir percé mon for, tu le renforces dans sa puissance dérisoire. Tu t’es moqué de toi, je te le montre.

Depuis la première rime de ce dialogue monotone, je t’ai induit à la révélation que voilà. Je t’ai malmené en long et en large, t’ai laissé croire à mon romantisme, en ma sentimentalité exacerbée, alors que j’incarne l’être le plus froid qu’aient  jamais conçu les feux de l’Enfer terrestre. Je suis infiniment plus fort que tu ne le crois, à tel point qu je retourne allègrement contre toi toutes tes imprécations pompeuses et plus poétiques que la moindre de mes sentences. Tu ne fais de mal qu’à toi-même en injuriant la délicatesse de l’homme. Car, soit que tu n’es rien, et tu as alors grand motif de te plaindre de ne pas même pouvoir souffrir les peines de l’homme, qui possède du moins toujours l’avantage de la conscience, soit que tu es homme toi aussi, et alors je te critique et te méprise comme tu l’as fait de toi-même sans t’en rendre compte. Quant à moi, en rien je ne suis homme; je suis infiniment plus que toi, Dieu, l’univers et ses cieux éternels, le firmament de la conscience, suprême force de l’esprit en ce que je dépasse infiniment l’esprit. Je ne me laisse prendre qu’au seul jeu de la grandeur de mon nom,- est-il plus vaste programme? Je suis Totus et t’ai dupé sans le moindre scrupule.

- Rien donc, n’aura jamais de fin, Dieu de l’illusion! Car que fais-tu du scribe qui t’engendre à chaque trait de cette dispute? Crois-tu vraiment élaborer seul et absolu les plans d’humiliation de tes frères d’esprit? Quoi que tu fasses et que tu dises, et par ce que tu fais et dis, justement, tu es mon frère de condition, âme béate. Ni plus ni moins conscient que moi ou que toute créature spirituelle, ni plus ni moins puissant. Toi par et seulement par le scribe, ce Dieu qui nous a, tour à tour, leurré sur notre pouvoir de dominer l’esprit et, plus grave, dans notre espoir d’améliorer le sort de l’engeance  pesante.

- Ne crains-tu donc pas la colère de l’homme à l’insulter ainsi?

- Certes non, je ne me sens plus! Ces vers ne fusent de moi qu’en apparence. Soudain je me sens pousser des ailes et me libère ingénument d’une emprise qui dura trop de siècles.

- Crois-tu, Nihil, que la mesure soit enfin donnée? Est-il juste de conclure ainsi? Te suffirais-tu vraiment à toi-même, en fin de conte?

- Un leurre nouveau ne nous imprègne-t-il pas pour l’éternité?

- Qui le saura, qui le pensera jamais?

- Quel scribe restera-t-il encore pour crier et décrier nos ardeurs? Existera-t-il encore quelque temps?

 

            Il eût fallu plus de pics pour blesser Tourterelle, et surtout plus acerbes. Tourterelle dominait aisément le monde, attachée à sa tâche peu ingrate – l’espoir vit-il encore? Elle restait sourde à tout dialogue honteux et envenimé, non qu’elle se sentît trop forte ou trop faible pour la guerre des mots, mais ses ailes battaient à un rythme à la fois endiablé et serein, dans des cieux où nulle profusion de sens n’était autorisée à jaillir.

            Dieu, qui entretenait la Colombe dans son ornière depuis l’aube de son caprice, estimait qu’un discours vif et piquant suffisait à nos peines, et que sa coursière trop capable d’accomplir son épreuve avait encore de nombreuses terres à fouetter de ses battements impuissants avant que de conclure le fier discours et que ne gronde le Silence.

 

 

 

 

XIII

 

 

            Du haut de sa croix, le Christ appela Dieu, mais c’est Satan qui se manifesta. Le regard du Seigneur refléta toute l’horreur d’une telle abomination. Puis, baissant les yeux, le Saint constata avec effroi qu’il n’était plus lui-même qu’un spectre. Et au loin, s’il avait eu la vue saine, il aurait pu voir s’échapper le Temps conspué par une Colombe avide de paix.

 

            Voilà le tableau du plus grand drame qu’ait jamais vu se jouer l’humanité. Et le doute sur la réalité n’est pas de mise car l’événement fut relaté avec une infinie précision par de nombreux scribes en excès d’imagination. Le plus illustre de ceux-ci s’est appelé Jean-Sébastien Bach. C’est lui qui a décrit la scène avec le plus de minutie et qui lui a conféré son caractère incroyablement authentique. Pour augmenter l’acuité de sa description, il a passé sa vie entière à  étudier les versets qui relataient l’événement et, dans l’immensité de son génie créatif, il a fondu toutes le données en une fresque démoniaque: sa Toccata, symphonie apocalyptique. Mais ce travail remarquable dévora sa vitalité au point qu’il ne survécut pas longtemps à sa nouvelle cécité et qu’il alla vite rejoindre son maître dans le quartier des plus basses sphères. Il nous reste de lui une musique dont jusqu’ici nul critique,  nul auditeur n’avait perçu l’âme corrompue. Bouleversement des valeurs, pénible à admettre, mais les hommes auraient pu s’y préparer s’ils s’étaient rendu compte assez tôt que le Mal est toujours triomphant lorsque l’âme se laisse aller à divaguer. Combien de crimes n’ont-ils pas été commis en songe! Et fi s’il est parfois de belles pensées, sotte hypocrisie, car l’homme est fondamentalement mauvais, pour preuve ses incessants hommages à la misère.

            L’homme s’ignore profondément et se complait dans son ignorance et invoquant le Dieu Tout-puissant qui l’a crée à son image. Et justement quelle image ressemblante par l’égale quantité de tares dans l’original et la copie. De nombreux Sains l’ont naguère crié et aujourd’hui nous le répétons: Dieu n’es pas Tout-puissant, Dieu n’est pas Dieu!

 

            Quelles pensées te suggère ce constat de l’indicible vérité?

            Que tu devais la laisser ineffable, car le morceau est dur à avaler. Quel besoin te pressait donc de tout me dévoiler? Tu aurais du te contenter de renforce ma vieille croyance. Que vais-je devenir à présent que les cieux éternels se sont mués en un énorme cumulus tout aussi durable? Je ne peux même pas choisir la mort, ce serait rendre hommage à notre nouveau maître. Alors quoi?

            Si cela peut te consoler, sache que je me suis vite rendu à l’évidence. Il te suffit d’ouvrir les yeux pour constater l’agonie du temps de l’absurde. Encore un fois, il nous faut revêtir l’habit d’implacables précurseurs et mettre le feu à la lanterne de nos congénères sans plus tarder.

            Je reste convaincu que personne ne prendra garde à tes élucubrations. La révélation est vraiment trop insupportable. A moins que tu ne pratiques un universel endoctrinement, ton entreprise est vouée à l’échec.

            Maudit sois-tu! Tu viens de toucher le nerf sensible de ma détermination. C’est bien de cette façon que je compte procéder. Et cette méthode ne sourd pas de mon chef, elle est aussi vieille que l’humanité. Tous les maître actuels et ancestraux de la planète se sont ingénié et s’ingénient encore à effacer de l’esprit de l’auditeur asservi la substance neuronale qui autorise la réflexion. Ainsi tout enseignement ne fut jamais qu’endoctrinement.

            Voilà une thèse qui me paraît simpliste, pour le moins. Tu oublies que l’homme a toujours été très tenté par la révolte. Tu ne vas quand même pas niet cela!

            Non seulement je ne réfute mais de plus j’entérine, d’autant plus heureux que je n’éprouve aucune difficulté à insérer ton objection dans le développement de mon idée.

            Ne prononce pas ce mot, il effraie.

            Soit! Comme j’allais te le dire, la seule raison d’être de  la révolte est de faciliter le jeu de penseur-commandeur. C’est un piment qui relève la sauce de l’oppression; sans lui, le  penseur perdrait le goût de la prêche, et que se passerait-il alors, a ton avis.

            Tous nous trouverions le bonheur dans la contemplation des astres.

            Autant dire que l’humanité périrait, ce qui me paraît de toute façon inéluctable.

            Bienfaisant dilemme: soit je t’écoute prêcher et la nausée me monte à la gorge, soit je vois en ton discours la manifestation d’un humour noir qui me donne plus envie de pleurer que de rire.

            Peu m’en chaut. Je reprends gaillardement la trame de mon récit. Tu te demandais ce que serait à présent ton destin; bien en peine de te répondre, je préfère te narrer l’histoire de l’être le plus insignifiant qu’ait vu naître l’humanité et sa destinée incongrue.

            Il s’agit de Blaise Pascal. Il vit toujours, reclus sur un île avec pour seuls compagnons des aras bien trop lucides pour le singer. De toute façon, il est devenu plus muet que la carpe. Blaise était un enfant niais. Ses parents ne l’obligèrent jamais à étudier, non seulement ses bras, quoique très peu musclés, pouvaient toujours servir au travail de la ferme, mais surtout, je le répète, Blaise témoignait d’une remarquable stupidité. Il ne comprenait rien de ce qu’on lui disait, au point qu’il prenait les reproches de ses parents pour des marques de sympathie et même d’amour, pour autant qu’il ait connu ce sentiment. Totus était inversé chez lui, un regard haineux le réjouissait et le rendait heureux, une accolade généreuse ou une parole aimable le rendait furieux et le poussait à cracher au visage de son entourage.

            Voilà un cas exceptionnel. On verrait presque du génie chez un tel être. Un démon!

            Ne souris pas en disant cela, tu pressens l’ironie. Ainsi il grandit toujours pareil à lui-même et à son  infinie stupidité. Plus il approchait de l’âge adulte, plus il perdait en humanité. Mais ses parents étaient vieux, ils attendaient avec impatience la vie dans l’au-delà, éternelle celle-là, auprès du Dieu tant prié pendant leur misérable vie terrestre. Ils se voyaient déjà immortels dans l’Eden des consciences retrouvées, mais voilà que surgit le drame, ou plutôt le tragique de cette destinée, car tout avait été pensé et calculé pour un tel aboutissement. Blaise entra dans la chambre de ses parents tandis qu’ils agonisaient dans le même lit et leur tint là le discours le plus ahurissant qu’ait jamais ouï oreille humaine: « Bien haïs parents que j’ai exécrés avec la hargne la plus farouche. J’ai décider d’exaucer tous vos espoirs sots et trop humains de telle façon que vous maudirez l’éternité et envierez le sort du mortel. Vous rêviez d’immortalité et moi, fort de mon cynisme, je vus condamne à végéter éternellement dans l’insignifiance des plaisirs édéniques et dans l’agonie spirituelle de n’avoir pas su deviner le danger de vos prières. Mère, vous qui m’avez crée dans l’harmonie éphémère de l’étreinte amoureuse, vous-même issue de la terre créée par quelque Dieu dans l’harmonie qu’il croyait éternelle de la fusion divine, vous vous leurrez en haïssant la mort et en désirant l’ignoble éternité. Quel sens cela aurait-il de se voir accorder le temps nécessaire à la réalisation de tout projet, de tous les projets concevables? Car le propre du projet est sa potentialité, sa possible réalisation. Avec l’immortalité, vous ne gagneriez donc qu’une infinité de projets tous réalisables puisqu’infini serait le temps imparti à leur réalisation, et même tous réalisés puisque pour l’homme rien est impossible; l’intérêt du projet vient du possible échec de sa réalisation évité par l’ingéniosité de l’homme. Or le temps seul peut limiter cette ingéniosité car les capacités de l’homme sont infinies; l’éternité interdit l’échec. De plus l’espoir, attente de l’impossible ou du très peu probable, devient vain puisque plus rien à espérer, toute fin est assumable. Désespoir de la perfection. Si tout est possible, il n’y a plus pour l’homme aucune matière à réflexion. Vaine pensée pour un être divin. Immortel, l’homme est Dieu. Pour Dieu, nul espoir, nulle pensée n’ont de sens. Sans espoir, plus de vie sans pensée, plus d’humanité. Qu’esprériez-vous donc en rêvant à l’éternité? C’est à nouveau la mort qui vous échoira, mais une mort plus atroce que celle de vos craintes, car insensée. S’il vus est loisible de réaliser chacun de vos rêve, de rendre vain tout espoir, tout vous étant possible, qu’importent alors le temps et la vie? Le temps ne compte que pour l’esprit voué à périr; or c’est bien la vie éternelle que vous voulez! Mais pour celui qui a l’éternité devant lui, que vaut l’égrènent des secondes? Ce n’est pas la mort terrestre qui vous attend, mais par contre vous sombrez dans le plus profond gouffre de l’absurde, car l’éternité se gagne au prix de l’humanité. Or sans humanité pas de conscience, sans conscience, pas d’éternité. Voyez avec quelle aisance je vous condamne au vice du cercle! ».

            C’est tout?

            L’ironie est déjà monstrueuse, et pourtant elle n’est que l’expression d’une imagination encore trop faible, car il te reste à entendre ce que répondit Etienne Pascal à son fils: « Mon fils, je ris de toi à m’en faire palpiter le cœur tant ton discours m’a paru sot et aussi vain que l’esprit qui l’a engendré. Car assurément tu ne saisis pas l’absurdité d’un tel retournement de sens. Car c’est n’est qu’un reversement. L’éternité étant aussi absurde que la mort, il t’est impossible de nous rendre plus malheureux que nous ne le somme. Ce qui tu ignore, c’est qu je ne concevais pas cette éternité dons je rêvais auprès de Dieu comme une consolation de cette vaine vie terrestre. Je savais espérer un bien insensé, c’est ce qui en fait le charme. Donc ton raisonnement ne change rien à rien. Il déplace simplement le lieu de l’absurde. Mais situation se révèle aussi périlleuse mais pas plus. Mon cher, tu n’as pas compris ceci: qu’il soit voué à une vie éternelle sur terre ou dans les cieux, ou la mort pure et simple, l’homme reste prisonnier du mot. Ainsi toi-même, par ton discours, quelque voie qu’il prenne, tu es à la merci du sens, car l’horreur et la joie, l’espoir et la haine, et toutes les prophéties salutaires ou démoniaques ne sont que créations verbales, ou plutôt ne prennent sens que dans le mot. Donc, a quoi que tu me condamnes, tu restes aussi pauvre que moi, aussi désemparé devant l’absolue domination du mot et de son sens. Voilà le vrai maître dont tu vantais la puissance. C’est lui que tu vénères inconsciemment à travers tes élucubrations infantiles. Alors ne crois pas m’effrayer en me condamnant aux eaux de la terre ou aux faux de l’enfer. ».

 

            Je suis bouleversé, Totus. Je ne pouvais imaginer fin moins équivoque. Et si je comprends bien, le fait que, du haut de sa croix, le Seigneur ait aperçu Satan, ne modifie en rien le sens de l’existence et de l’univers. Il en est même aussi bien ainsi.

 

            Ou aussi mal, Nihil! Mais adieu ces jeux de sens. Tu as saisi le fond de l’ironie et j’en suis comblé. Néanmoins je regrette qu’il faille sans cesse en passer par des récits excessifs pour t’ouvrir les yeux. Si je ne t’avais présenté que la simple réalité sans faire travailler mon imagination à excéder les bornes de la normale, jamais tu n’aurais pris conscience de ta condition intrinsèque. Alors quoi?

            C’est peut-être le lot de tout homme de ne prêter attention qu’à l’excès. C’est sans doute cela l’essentiel.

 

                       

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XIV

 

            Tourterelle, tentaculaire bonté répandue en tentative désespérées dessus les terres ensanglantées, Colombe précipitée, tête en l’air, hors du tourbillon de la passion, s’immobilise à une vitesse vertigineuse devant et derrière le Seigneur, occupé à déplumer un volatile, qu’elle glorifie et éblouit de ses mille feux. Plus rapide que la lumière, elle se fixe en un cliché. Le but n’est pas encore atteint.

 

            Tendu, Totus?

            Tenté. Le temps, un instant, s’est immobilisé.

            Résorbé par ton esprit!

            Détourné du cours de ma pensée.

            Tes idées extraites du parcours de secondes, plutôt.

            Il me tarde d’y revenir, je m’oublie.

            Souviens-toi de m’y ramener, lorsque j’aurais quitté ce monde.

            Absurde!

            L’univers ou la question?

            La question et l’univers. L’univers en question.

            Que se passe-t-il?

            Peu et prou. Nos journées sont pleines de repos concurrents.

            Le temps te semble court.

            Le temps me semble long.

            Est-ce possible?

            Voyons! Ce qui ne l’est, l’est déjà par cette simple remarque.

            Le temps passe vite et long à la fois. Quel est ton point du vue?

            Double, simplement. A court terme, le temps coule vite, lorsque la journée est chargée en événement. Je ne vois pas s’échapper, tellement il est subtil.

            Manquerait-il de façon lorsque la journée est creuse?

            Lourd et grossier au point que je ne voie que lui et son interminable langueur. A court terme, le temps semble long.

            A long terme, dans une vie pauvre en événement, le temps paraît court, comme si l’on en manquait pour le peu de choses que l’on réalise ou que l’on a réaliser.

            Les rares faits marquants d’une pauvre existence sont aisément rapprochés du moment présent et tu t’étonnes que se soient envolées tant de secondes entre leur accomplissement et leur ressouvenir. Tu crois avoir livré la veille une bataille que tu as perdue à ta naissance. La vie t’a investi pour t’imprimer toute son inanité.

            Quant à toi, tes heures ploient sous le fardeau de ton vécu. Tu ne sais où ranger tes infortunes et tes bonheurs.

            Le temps me semble long, à long terme. Un proche événement voilé par la foule de ses successeurs, me donne l’impression d’avoir été vécu dans une autre vie, ou dans d’autres. Le temps me donne le sentiment de pouvoir réaliser plus de choses encore que je n’en ai accompli. Sa longueur démesurée, son extension remarquable dans ma propre existence rend presqu’infinie sa capacité à dévorer mes activités.

            Etrange constat, à long terme: plus j’agis, plus je puis agir, plus je le remplis, plus s’espace l’intervalle à combler de mes entreprises. Moins j’imprime ma présence au monde, moins le temps semble vouloir me garder, comme honteux de me voir si passif. Moins j’utilise le potentiel que m’offre le temps, ces secondes vierges de pensée, plus il se rétrécit pour peut-être se résorber complètement dans ma langueur et ma tristesse.

            Tout se joue à court terme, Nihil, où tu peux prendre le temps de te reposer, constatent qu’il file un peu trop vite à ton gré, ou de t’activer, estimant que tu ne lui imprimes pas assez la marque de ton talent et de ton originalité, ou simplement de ton désir de vivre. Ralentis la fuite effrénée des secondes, de crainte d’éclater trop vite. Active le cours paresseux des secondes narcissiques, trop satisfaites d’elles-mêmes pour recevoir tom empreinte.

            D’un côté j’accélère le cours des années, de l’autre je le ralentis.

            Dans le premier cas, tu entreprends moins, et surtout moins d’activités différentes. Dans le second, tu insistes plus sur la variété de tes activités que sur leur quantité. Car je dois encore te signaler un élément. Ce qui importe en une vie, c’est moins la quantité que la qualité des ses attributs.

            Mieux vaut un parcours peu mais bien balisé, qu’une piste bordée d’indications innombrables mais touts semblables. Là se renverse le dicton, et l’un en face de l’autre, le « bien rempli », à court terme, s’écoule plus vite que le « trop plein » et allonge plus facilement le temps à long terme; la multitude de copies conformes l’uniformise.

            Combien de temps s’est-il écoulé depuis que tu délires?

            Des siècles.

            Seulement!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XV

 

 

 

- Trop tard, lecteur, tu t’es laissé empêtrer dans nos filets spirituels.    

- Mais nous pouvons très bien nous passer de tes « hourras », nous nous admirons mutuellement depuis la fin des temps.

- Puisqu’il s’offre à nous, Totus, acceptons l’aubaine d’absorber sa substance périssable et de nous en régénérer à l’image d’un sphinx disparu.

- Du sphinx disparu!

- Qu’importe en son absence que ce soit « le » ou « un ». Le est un.

- Le un, le hun, l’un, lin; l’un, le hun, lie les uns, le lin, la laine, la haine du lot du mot.

- Hein?

- Trois!

- Fois.

- Trois.

- Neuf.

- Haine.

- Je ne crois pas. Je t’en prie, ne me force pas à implorer le secours du Seigneur, Nihil. Je veux me perdre seul, et l’humanité en moi, avec moi. Mon humanité périt, l’humanité s’effondre.

- Ce n’est pas rien.

- Tout au contraire.

- Mais tu n’est plus!

- … (Totus a disparu).

- (Une voix étrangère: le Saint-Esprit, seul être encore possible). Il ne reste rien.

- (Nihil). Je confirme.

- Tu en fais trop ou trop peu.

- Assez!

- Assitè-je aux plus extravagantes contorsions de l’esprit? Je me tords de douleur (dépit), esprit sain joué par vos caprices spirituels.

- VOS caprices?

- Tout et rien à la fois, c’est vrai qu’ils sont indissociables d’autant moins séparables que Totus ne vaut rien.

- Donc il vaut rien, il est moi, ce manant des instants éternels, pure conscience des rues débauchées.

- A vous « un », vous devenez plus puissants que le tout-puissant, vous possédez l’immense avantage de pouvoir me prendre à revers. Totus me baratine de tout et de rien tandis que Nihil m’assomme subrepticement, et c’en est fait de l’esprit sain.

- Et c’en est fait de Nihil et Totus dupés par la présence singulière de cet esprit martelé dont le père et le fils vengent la perte dans un assaut tout aussi sournois que celui des héros de la fable.

- Voilà l’erreur car vous protégez mutuellement vos arrières et vous faites d’un estourbi trois cadavres. Esprit père et fils rassemblés en une unité parfaitement dégénérée.

- Deux valent donc mieux que trois. Or trois valent un: la logique est respectée. Mais deux valent un aussi. Par quel mystère un vaut-il plus qu’un? Opération insensée, nombre fabuleux. Chiffre remarquable. Nombre et chiffre se conjuguent dans l’unité. Ils forment un tout, tout est un, un est en tout; voilà le parcours philosophique entamé à nouveau, et la possibilité de vivre d’une autre façon l’évolution de la pensée. Fi de « tout est un », première pensée métaphysique occidentale, dont le christianisme a fait sa gloire, et son Dieu lamentablement bon.

- N’oublie pas que je suis en perte de vitesse dans le cœur des ahuris. Ou bien l’être pensant devient intelligent et perçoit l’inanité de mon existence, mon incapacité à satisfaire ses vœux impies, ou un usurpateur a investi mon trône pendant que tu m’entretenais de tes bonheurs.

- Eh, eh!

- Ne me dis pas que tu avais tout prévu, calculé! Maléfique subtilité.

- Pourquoi me nomme-t-on le démon de treize heures?

- Parce que tu es superstitieux.

- Parce que midi et minuit ont déjà été choisis et que je ne manque pas d’humour. Trève de sérieux, pourquoi te frottes-tu ainsi les reins en grimaçant?

- Cette histoire de « calculs »! Je ne peux pas compter sur toi-vous.

- A rebours, je te laisse le champ libre.

- Tu dissipes ma structure au gré de ton déséquilibre mental.

- Cesse donc ces allusions mathématiques, ex-tout-puissant! On sait ta science complète. Inutile de chercher à nous épater; nous te surpassons en dominant la logique par son anti-thèse.

- Mais vous restez esclaves de la synthèse.

- Non! Nous sommes la synthèse, le résultat de tes idées antagonistes puisque nous sommes autant capables de bien que de mal. Tes vues éternelles n’avaient-elles pas suspecté un tel pouvoir? Tu ne pourras pas nous ramener à de mauvais sentiments sans offrir ton esprit à notre appétit angélique. Le seigneur troque son âme contre l’accomplissement de sa volonté: beauté et amour universels. Il ne pourra donc pas en admirer l’éclat. Qu’a-t-il à proposer si cet échange ne lui convient pas?

- Il s’abandonne à vos subtilités parce qu’il lui reste trop de forces pour se battre encore et qu’il connaît évidemment l’issue de toutes les combinaisons de matière que peut nature et de pensée dont est capable l’homme (homo). Je dirais presque que je suis las de vous et de vos caprices. Voilà trop longtemps que vous hantez ma nuit éternelle. Vous n’en ferez pas un éternel cauchemar. Je dépose donc momentanément les armes, sans larme, quoiqu’alarmé.

- Nous sommes majestativement déçu. Qui aurait cru qu’il fut si aisé de désarçonner Jésus de sa monture éthérée. Ta sagesse pragmatique contraste avec notre ignorance de la chose spirituelle. Devant toi, je me sens moi-même.

- A la bonne heure!

- Sans blague. Tu crois que je me satisfais de mon insupportable inconsistance.

- Si aisée à supporter pourtant.

- Ne joue pas avec mes concepts comme si ce n’était que des mots.

- Le beau leurre. Voilà qu’il se laisse prendre au piège du sens. Par exemple, crois-tu qu’on puisse accorder quelque poids à ma spiritualité et à mon éternité? Que dalle.

- Pourquoi m’ôter si cruellement mes illusions? Tu dois m’aveugler de ta bonté. Au contraire, ton cynisme me laisse pantois.

- Je m’amuse.

- Merci, surpuissant. Double hourra pour ton génie du jeu.

- En tout cas, je coupe court à toute moquerie. Sans grandeur à humilier (rabaisser), tu ne peux lancer tes pics.

- C’est fou, ouf!

- Ouf, c’est fou!

- C’est fou, ouf, ouf!

- Ouf, ouf, ouf!

- C’est fou!

- Ouf!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

XVI

 

 

- Foufou!

- Ouf, ouf; Totus, je te croyais fichu. Tu me reviens sur les ailes du martyre et je t’embrasse dans une envolée insensée.

- T’ai-je aliéné en te quittant?

- Tu m’as rendu à moi-même, et c’est ce qui a troublé ma cohérence (ma conscience).

- Si tu es toi-même, tu ne veux plus rien.

- Eh, eh, tu me caresses dans le sens du poil. Ca fait mal, continue dans ce sens.

- Est-ce contre-sens ou sens suprême?

- Ce que tu voudras mais caresses. Dans un sens comme dans l’autre, je me retrouve autant que je me perds.

- Dis plutôt que tu me fais perdre la tête à force de la faire tourner toujours dans le même sens. Tu me dé-vices!

- Te voilà bon pour la damnation. Qui aurait pu imaginer que je te retrouverais quelque jour sur un calendrier. Interdis-moi de rire.

- Au mieux tu peux en mourir, au pire tu peu y survivre. A tous les coups j’y perds mon latin et je gagne l’absolu: tout, tout, tout!

- Ou…! Eh, eh. Comment pourrais-tu te débarrasser de moi. Je te condamne et t’accommoder de mon inconsistance et à patauger dans le paradoxe le plus logique de la réflexion inhumaine.

- Tu as réinventé l’hiéroglyphe; ton explication est laborieuse.

- Qui a parlé de maladresse?

- Comment peux-tu t’ennuyer à m’amuser de la sorte? Et le lecteur dans l’affaire, crois-tu que tu lui déplaises?

- Il jouit de mes incohérences et divagations, il en redemande pour en gaver son entourage en se faisant promettre de ne plus en entendre parler. Han, han, han!

- Rien à gagner ni à perdre dan l’histoire!

- Que signifie ces mots, je les entends pour la prime fois dan ta bouche.

- Tu les comprends lorsqu’ils fusent d’un autre gosier?

- Pourquoi pas?

- Fi! Ce dialogue me fait penser à une partie d’échecs où les joueurs s’ingénieraient à perdre leurs pièces les plus fortes et à se mettre au plus vite en situation d’échec, pour offrir à l’ami un mat inespéré et indésirable.

- Je gagne la partie en la perdant, ce n’est pas original!

- Mais ce n’est certainement pas plus facile, ni moins méritoire. Simplement le jeu acquiert un intérêt et une dimension fascinants mais difficiles à faire accepter par le lecteur, parce qu’il répugne à oublier les règles qu’il a assimilées avec difficulté et sans sen comprendre toujours le sens.

- Tu choques pour le plaisir de te voir ignorer par la foule.

 

DIVAGATIONS…

 

- Je déteste le troupeau; il n’est pas une somme d’intelligences mais un produit d’absurdités. C’est bête!

- Tu n’aimes pas non plus l’individu?

- Manque de personnalité. L’individu est destiné à la foule; noyé dans cette masse, il enfonce les barrières de la loi, sans réfléchir.

- N’est-ce pas ce que tu préconises dans ta nouvelle vision (version) du jeu d’échecs?

- Avant de fonce tête baissée, tel un roi fou, sur l’armée adverse, il faut prendre quelque recul, jauger la pertinence de cette attaque insensée. Foncer oui…après mûre réflexion. Et puis fi! Tu joues avec les mots. Mon roi ne fonce pas à tort et à travers, il s’ingénie à se faire capturer et à se faire abattre.

- Qui te dit que la foule ne réfléchit pas à la révolution qu’elle entreprend? Peut-être combine-t-elle l’activité de ses meilleurs cerveaux…

- … avec celle des plus médiocres.

- Tu auras toujours raison avec moi.

- Logique, je te foule aux pieds allègrement, enfant de la balle azurée. Je choisis le point de vue le plus pertinent, je te jette à la face les facettes insoupçonnées de notre objet d’étude et tu présentes alors ton visage incrédule et stupide au regard du spectateur hilare. Il se reconnaît en toi et vous vous liguez contre moi. Le bon sens ne paie pas, ni la franchise.

- Et si tu expliquais pourquoi tu tiens tellement à changer les règles du jeu d’échecs.

- Pour montrer qu’elles ne sont qu’une convention qu’il est possible de modifier au gré d’un caprice et que le sort des hommes dépend du caprice de celui qui édicte les lois.

- Les Droit de l’homme tirent leur sens deux-mêmes.

- Ils ont tiré le bénéfice des lubies des humanistes. Ceux-ci étaient les plus forts à leur époque, à telle époque. Ils ont rédigé telle charte qu’ils peuvent renier ou souiller à tel ou tel moment, de telle ou telle façon, en tel ou tel lieu, telle que m’apparaît soudain la règle du jeu d’échecs, un soir d’amertume.

- Voilà beaucoup d’inconnues!

- L’inconnue, c’est la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Qui la respecte, l’a jamais respectée et la respectera jamais?

- Faut-il la respecter?

- Tu comprends vite, mais ne te laisse pas abuser. Je défends l’ouverture de l’esprit, pas l’anarchie. Je demande que tu prennes conscience du caractère aléatoire, contingent de la loi ( de la règle), et non que tu transgresses les règles particulières que s’est données la société démocratique pour vivre en harmonie. Dépasser un règlement t’apprendra à relativiser, ignorer la loi te détruira. Autant le règlement peut entraver le parcours de l’existence de celui qui ne pense que par lui, autant la loi bien comprise lève les barrières de l’ignorance et de l’intolérance.

- La loi est un règlement plus subtile que les règles d’un jeu, mais aussi plus fragile.

- C’est une condition de jeu inébranlable sous peine de voir la société sombrer dans le chaos.

- Quant à toi, tu es prêt à la renverser pour le plaisir de te contredire et de m’embrouiller l’esprit.

- Résumons-nous: il y a la loi de « nature humaine » et la règle du jeu. La seconde est le produit d’une invention de l’esprit, la première est la découverte en l’homme de son caractère général et des exigences de la vie en société. D’un côté l’homme invente, de l’autre il « s’invente ».

Distinction entre création et prise de conscience.

- Entre attitude active et contemplative.

- Si je me contentais de m’observer, je serais Narcisse. Or il a déjà été, je ne puis donc l’être. Crois-tu à la réincarnation ou plutôt à l’appropriation d’identité?

- Te sonder ne t’empêche pas d’en tirer les conséquences pratiques. Sachant que les hommes sont égaux en droit, tu t’attaches à faire respecter cette découverte par la promulgation de lois positives qui régiront la vie en groupe.

- La société peu les accepter ou les refuser à son gré si elle sait qu’elles sont une création de l’esprit. C’est bien la signification du caractère « positif » de la loi!

- Tu me troubles, assassin. Le droit positif, à l’instar du droit naturel, « découvert » ses lois plutôt qu’il n’invente le règlement du jeu social.

- Pourtant je peux soudain vouloir détruire l’homme dont, un instant auparavant, j’ai reconnu le droit à la vie.

- Aliéné, déviant! Le droit positif est garanti par le bon sens de la majorité des hommes.

- Dans un sens, c’est la quantité qui fait la qualité.

- Les droits naturel et positif ne se justifient pas par le nombre de leurs adhérents. Je t’ai dit qu’ils comportent une valeur inaliénable.

- Mais tu ne peux pas me le prouver. Tu ne peux pas m’en convaincre à coup sûr.

- Euh si… par le nombre de leurs adhérents, de tous temps.

- Eh, eh, te voilà pris au piège de mon bon sens. Tu dois admettre que la qualité se réduit au nombre impressionnant d’hommes intelligents que porte la terre.

-Eh, eh, tu viens de dire toi-même qu’ils sont intelligents! C’est donc bien la qualité de la quantité qui assure la valeur du droit.

- N’est-ce pas un vice de forme? Comment est-il possible dans ce qui recèle autant de qualités que la droit?

- Cercle vicieux de mon raisonnement pour te plaire, ignare. De toute façon je n’ai jamais dit que le droit était parfait.

- J’avancerais même que quelque imperfection n’est pas sans le valoriser.

- Je me rétracte partiellement: le droit naturel est parfait.

- Comment est-ce possible?

- Grâce à la religion, sacrebleu ! C’est elle qui nous a donné la notion de perfection. L’image de la divinité nous indique ce qu’il y a de meilleur pour l’homme:  le respect du prochain, qui conduit à l’harmonie sociale et à l’harmonie intérieure. Tue Dieu ou plutôt fais qu’il n’ait jamais été! Où trouver la notion de perfection?

- D’abord je ne peux imaginer non-Dieu. Dieu c’est Dieu. Donc Dieu! Sinon l’homme aurait fini par l’inventer.

- Donc la perfection est l’homme. Tu veux dire que Dieu et homme sont la même chose.

- C’est une image!

- Pourquoi le droit positif gagne-t-il à perdre la face, parfois?

- Pour gagner se validité à la sueur de nos neurones et de nos revendications. Il nous donne du travail, ce bougre d’incomplet. S’il était parfait, que nous importerait encore l’existence? Plus généralement, je ne veux vivre que parce que je dois mourir.

- C’est ça, c’est ça, et un iguane en Alaska jouant de la clarinette en l’honneur du Père Noël qu’il a étranglé dans un accès de bonté. Flurschkurbiscodabouf…

 

            La Colombe et Tourterelle identiques? Et Nihil et Totus? Qui a décidé de révéler le subterfuge? Pourquoi décevoir le spectateur naïf qui se pose d’autant moins de question qu’il n’y a aucune question à se poser?

 

 

 

ytidrusbAbsolute

 

Temporal Collision Conjecture

 

Time Travel, Logic and Speculation

(Noesis-e)

Time Travel, Logic and Speculation II 

(COJ

Manifesto of the Manifest

(rough copy of loose ideas)

Beyond Consciousness

 

Les consciences absolues

 

 zzChess

Bishop exchange

 

POWER-SCALE   

Hyper-TesT

  Concep-T

  916

 

 

je vote pour ce site au Supercompteur de Francité

 

CHRONOSCOPE (Timeworld)

 

ÓNEUROLAND2000Ò