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FLAMANDS – WALLONS:

UNE DIFFERENCE CULTURELLE ESSENTIELLE:

LA LANGUE!

Une des raisons principales qui poussent les Flamands vers le séparatisme, c'est qu'en fait, rien ne nous rassemble! Culturellement, cette différence entre nos deux communautés s'exprime clairement par l'emploi de langues différentes. Mais, au fait, pourquoi parle-t-on le néerlandais au Nord du pays et pas le français comme en Wallonie? Pourquoi un tel clivage dans un pays que nos historiens unitaristes nous présentaient jusqu'à il y peu comme ayant toujours virtuellement existé? Comment est-il possible que cette unité, soi-disant séculaire, ne s'est même pas exprimée dans le choix d'une seule et même langue officielle?

Connaître et comprendre cette différence culturelle essentielle entre le Nord et le Sud du pays, c'est faire un grand pas vers une meilleure compréhension de la situation actuelle de la Belgique et du pourquoi de l'inclinaison nationaliste flamande à s'autodéterminer.

 La période romaine

Quand Jules César, cinquante ans avant le début de l'ère chrétienne, conquiert le nord de la Gaule, il affronte un ensemble de tribus désignées sous le nom de Belgae. Celles-ci occupent un territoire enclavé entre le Rhin, la Seine et la mer du Nord. La Belgique actuelle n'en est qu'une toute petite partie. Ces Belgae sont des celtes arrivés sur place au VI siècle avant JC. Ils sont divisés en tribus autonomes et rivales, unies seulement par la langue celte et la religion druidique.

Lorsque Jules César envahit le nord de la Gaule, il y rencontre une résistance acharnée. La guerre durera six ans et la région correspondant au nord de la Belgique sera vidée en grande partie de ses habitants. Les Eburons et les Aduatiques seront soit massacrés, soit déportés comme esclaves.

La pacification romaine durera près de cinq cents ans au cours desquels la vie matérielle s'améliore et les villes se développent. Dans le territoire qui coïncide avec la Belgique actuelle, la colonisation romaine ne fut pas homogène. Au sud, les terres sont riches et l'espace disponible favorise la création de vastes exploitations agricoles. Au nord, en revanche, les terres pauvres et sablonneuses étaient peu propices à la création de grands domaines. De plus, dans ces régions dévastées lors de la guerre de conquête, il était difficile de réunir la main d'œuvre nécessaire. La romanisation y fut donc plus superficielle. Au sud, dans les villes, les Romains créent des écoles où l'enseignement se faisait en latin. Cette langue s'imposera dans les cités tandis que les dialectes celtes subsisteront dans les campagnes.

Les Francs

Les régions belges se situant à l'extrême limite de l'Empire romain, ce sont elles qui, les premières, reçurent le choc des invasions germaniques. Des infiltrations plus ou moins tolérées de Francs se multiplient. Beaucoup d'entre eux s'installent dans les régions du nord faiblement peuplées, où la présence romaine n'a jamais été très importante. Lorsque l'Empire romain s'effondre, les Francs envahissent toute la Gaule. Les régions du sud, plus profondément romanisées, offrent une meilleure résistance à l'assimilation par les peuples germains qui se fondirent dans les populations gallo-romaines.

La première évangélisation eu lieu au IVe siècle. Elle toucha peu les campagnes et pas du tout le nord déjà occupé par les Francs. Après la période des invasions, les rois francs se font les héritiers du monde latin. La noblesse franque adopta les coutumes religieuses et la langue gallo-romaine des vaincus. L'ensemble de la Gaule subit ainsi une sorte de nouvelle romanisation, tandis que le nord de l'actuelle Belgique, complètement germanisé depuis la première invasion du IIIe siècle, ne reçut les premiers missionnaires catholiques qu'un siècle plus tard.

Les premières traces écrites de deux zones linguistiques distinctes datent du VIIIe siècle. A cette époque, la frontière suivait une ligne partant de vingt kilomètres au sud de Boulogne sur l'Atlantique, passait par Lille et Roubaix, puis se dirigeait horizontalement jusqu'à la frontière allemande actuelle, ensuite elle redescendait verticalement. Cette frontière correspondait donc déjà, plus ou moins, à l'actuelle ligne de séparation entre le monde latin et le monde germain.

Dans le nord de la France, la prédominance des langues flamande et germanique fut lentement grignotée. Au XIIe siècle on parlait flamand à Boulogne et au début du XIXe, ce n'était plus que dans les campagnes entourant Dunkerque que les patois flamands étaient encore pratiqués. Le Pas-de-Calais n'est pas la seule région où la frontière linguistique se déplaça au gré des mouvements de populations, des émigrations, des coups de force politique, et surtout de la terrible attraction qu'exerce la langue de ceux qui détiennent le pouvoir politique et économique.

Le français remplace le latin

C'est au XVIe siècle que le latin est progressivement abandonné en tant que langue de culture. Ce latin qui permettait aux étudiants venus du Danemark, d'Irlande, de Pologne, d'Allemagne ou des Pays-Bas, de comprendre leurs professeurs à Padoue, Ulm, Paris ou Louvain. A cette époque, les langues vulgaires n'étaient pas encore un des éléments prépondérants et discriminants de la définition culturelle. Tant que le latin fut la langue de communication culturelle, aucun clivage politique n'apparut entre les populations de langue différente.

Au cours du XVIIe siècle, et surtout du XVIIIe, le français eut tendance à remplacer en Europe continentale le latin comme langue de culture. La force du français fut d'être soutenu par un Etat centralisé et puissant, mais aussi d'avoir été codifié et fixé dans sa forme académique relativement tôt par rapport aux autres langues européennes. Le français devint donc la langue de référence.

Ce qui n'était pas grave à Saint-Pétersbourg eut des conséquences historiques fondamentales dans nos régions. Car le français, ou tout du moins certaines de ses variantes patoisantes, était la langue d'une large minorité des populations des régions méridionales. En choisissant comme langue de communication la forme académique de celle de la partie sud du pays, les élites du Nord allaient se trouver coupées de la population avec laquelle elles coexistaient, installant une forme de rapport culturel de type colonial. Les langues flamandes, sans finalité unificatrice, sans activité culturelle, dégénérèrent, donnant naissance à une multitude de dialectes. Dans les Pays-Bas du Nord, au contraire, une identité de type national se définissait: une religion commune, le protestantisme; une langue commune, le néerlandais, qui s'éloignait, en se rigidifiant progressivement, des patois flamands. Les anciens frères de culture et de langue devinrent étrangers et les habitants du nord de nos contrées étaient obligés de coexister avec des élites qui pratiquaient une langue étrangère. Les peuples flamands se retrouvaient orphelins dans leur propre pays, tandis que les peuples latinisés adoptèrent consciemment la langue de leurs proches voisins: le français.

La Belgique actuelle

En 1830, sur quelques quatre millions et demi d'habitants, seuls 48.000 notables avaient le droit de s'exprimer par vote. Qu'ils vivent en Flandre ou dans le Sud francophone, ils s'exprimaient en français. La Constitution n'avait pas été traduite en flamand et bien que la liberté des langues soit inscrite dans celle-ci, le français était, de fait, la seule langue utilisée en matière politique. En 1863, quand un député d'origine flamande fit sa prestation de serment en néerlandais, la digne assemblée éclata d'un rire général devant une initiative si saugrenue.

Une des raisons de la non-utilisation du flamand était qu'on ne savait pas quel flamand choisir tant les patois thiois variaient d'une région à l'autre. L’absence d’un parler commun, compris par les masses et en usage dans les écoles, l’administration et la magistrature engendra très vite de profonds remous et de très vives protestations. Refusant d’employer la langue des Hollandais, les cinq gouverneurs concernés traduisaient les lois et arrêtés en cinq patois différents. Le gouvernement lui-même faisait rédiger la traduction des lois dans un flamand bourré de fautes et de contresens. Il fallut tout l'acharnement de Léopold Ier pour imposer une uniformisation, pour codifier suffisamment cette langue pour en permettre l'usage officiel et ce, à l'encontre même de la volonté des flamands eux-mêmes. Ce n'est qu'en 1864 seulement que l'on vit disparaître les différences entre le flamand et le hollandais.

A l’inverse, la France avait mis en place, très tôt, un système d'éducation laïque généralisé qui permit, entre autres, d'atténuer dans la mémoire des petits Bretons la seule culture ancestrale de leurs parents, et il avait suffi que deux générations de petits élèves passent par le moule de l'école pour presque effacer le souvenir de la langue bretonne.

Cette situation aurait pu se reproduire chez nous. Mais, en Belgique, le rapport de force défavorable aux laïcs donna la possibilité au bas clergé flamand qui avait la haute main sur les écoles primaires paroissiales de maintenir vivants les dialectes locaux, et de résister à la francisation du peuple flamand. L'ignorance de la langue française constituait le meilleur obstacle à la déchristianisation, à la propagation d’idéaux révolutionnaires et aux changements sociaux. Parce que l'apprentissage de la langue française était un outil de promotion sociale, les conservateurs flamands s'opposèrent également à sa promotion dans les classes défavorisées, empêchant ainsi l'accès à la culture des élites. Car la langue française, tout comme le latin, le grec ou la philosophie, devait être réservée à une élite seule capable d'en maîtriser le sens et d'en faire un sage usage.

Au XIXe siècle, la Belgique était dirigée par une bourgeoisie d'origine ethnique flamande ou wallonne, qui s'exprimait en français pour communiquer entre gens de connaissance, mais qui parlait flamand ou wallon avec les domestiques.

En 1893, le suffrage universel plural fut acquis, et les premières élections de ce type furent organisées. Les résultats marquèrent la fin d'une époque. Pour la première fois, il ne s'agissait pas d'un jeu subtil où candidats et électeurs étaient du même et unique milieu social, où chacun s'exprimait dans une langue commune. Pour la première fois, les candidats avaient dû tenir compte, s'ils voulaient être élus, de l'ensemble de la population. Il fallait, pour se faire entendre, que les candidats parlent la langue de leur électorat populaire. En Flandre, ils eurent intérêt à parler, non plus le français, mais le flamand. Le suffrage universel, même sous sa forme plurale, avait changé fondamentalement le rapport de force politique et culturel.

1893 reste la grande victoire de l'émancipation flamande. L'effort de séduction envers l'électorat populaire des Flandres, commencé pendant la campagne électorale, se poursuit au Parlement. Les députés flamands obtiennent l'introduction de lois linguistiques qui flamandisent l'administration.

Aux élections de 1912, bien que majoritaires dans les régions francophones, les progressistes se trouvent mis en minorité au niveau national. Face à une telle situation, perçue comme injuste et inéluctable, une frange de l'opinion francophone en Wallonie crée un mouvement wallon, qui propose comme solution à cette suprématie électorale de la Flandre: la séparation administrative.

L'opposition néerlandophone – francophone se dessine sur plusieurs fronts – philosophique: catholique / agnostique; idéologique: réactionnaire / progressiste; de sensibilité: romantique / rationaliste; social: corporatiste / syndicaliste; doctrinal: intégriste / laïque. Mais tout se résume dans la caractéristique linguistique: néerlandophone / francophone.

Deux langues pour un seul peuple?

La cristallisation des multiples oppositions idéologiques va se concentrer sur une seule donnée culturelle: la langue et toute l'histoire future de la Belgique va se polariser autour de ce problème. Dès 1893, l'histoire s'accélère brutalement. Le mouvement flamand est actif et revendicatif alors que le mouvement wallon, né des suites données aux revendications du Nord du pays, n'est que réactif.

Durant plus ou moins 1700 ans, la frontière linguistique fut transparente. Jamais elle ne correspondit à une frontière politique. Le partage des terres et la délimitation des comtés et évêchés ne tenaient pas compte des différences linguistiques. Les maîtres et seigneurs parlaient le latin et laissaient les peuples se débrouiller en leurs multiples patois. Après l'indépendance du pays, l'Etat organisa régulièrement des recensements. Depuis 1932, ces formulaires comportaient un volet linguistique et, en fonction des résultats obtenus, faisaient évoluer la carte des langues en usage. Or, le recensement de 1947 avait montré une augmentation importante du nombre de francophones résidant en terres flamandes. Le danger d'une francisation progressive de la Flandre était réel. Bruxelles en était une claire démonstration: en 1850, 70% des habitants parlaient un dialecte d'origine flamande; en 1900, ils n'étaient plus que 50%; aujourd'hui, ils ne sont plus que 15%.

Ainsi, lentement, de nouvelles majorités francophones grignotaient des morceaux de territoire historiquement flamands. A la fin des années cinquante – mille neuf cent cinquante -, plusieurs centaines de bourgmestres flamands, dont ceux des grandes villes, se mirent hors-la-loi et refusèrent de procéder au recensement linguistique rendant impossible toute comptabilité selon le critère des langues. Fin 1961, le recensement décennal voyait son volet linguistique supprimé. Cette crispation linguistique devait tout naturellement trouver son prolongement dans la fixation définitive de la frontière linguistique. Faute de recensement, il n'était plus utile ni nécessaire d'apporter des corrections au tracé qui devenait définitif. Le 8 novembre 1962, la frontière culturelle, imprécise, qui séparait les populations de langue latine et celles au parler germanique fut fixée de façon légale et intangible. La loi fut approuvée par une majorité de 130 voix sur 212 parlementaires votants, avec l'appui de seulement 33 francophones. Cette fixation de la frontière linguistique entérinait la reconnaissance de deux entités culturelles différentes entre lesquelles aucun flux ne pouvait plus passer. Ce chacun maître chez soi portait en lui le germe de la séparation de la Belgique en deux Etats distincts. Désormais, cette logique allait déterminer toutes les revendications des nationalistes flamands.

Aujourd'hui encore, le mouvement flamand a une stratégie claire, même si, tactiquement, elle ne s'affiche que de manière ponctuelle: l'indépendance de la Flandre, avec Bruxelles comme capitale. Parler d'indépendance de la Flandre paraît excessif à certains. C'est cependant la conclusion logique et inéluctable d'un mouvement qui s'est mis en marche dès la création de l'Etat belge. Le mouvement national flamand n'a jamais failli dans sa cohérence durant toutes ces années. Il est à la fois politique, social et culturel. Les Flamands éprouvent un réel sentiment d'appartenance à une communauté, une nation ayant développé une identité culturelle propre, opposée en même temps à la culture française et à la culture néerlandaise des Pays-Bas. Tout cela alors que déjà en 1859, Léopold Ier constatait que " La Belgique n'a pas de nationalité, et vu le caractère de ses habitants, ne pourra jamais en avoir."

Tous ces éléments, et surtout l'absence de projets alternatifs, amènent à penser que la Flandre sera indépendante un jour.

Si un jour la Wallonie…

         " Si un jour, une autorité représentative de la Wallonie s'adressait officiellement                                          à la France, ce jour-là, de grand cœur, nous répondrions favorablement à une demande qui aurait toutes les apparences de la légitimité."

Ces propos, Charles de Gaulle les a tenus au doyen des facultés de l'université de Louvain, et ils ont été authentifiés par Alain Peyrefitte en 1986. Le général avait aussi précisé:

         " C'est votre drame d'appartenir à un Etat qui assistera, impassible, à votre déclin. C'est une manière de faire place à d'autres. C'est une tradition historique germanique d'occuper les terrains en friche. Que peut la France? Toute intervention de sa part serait considérée comme une volonté hégémonique […] La politique traditionnelle de la France a toujours tenu à rassembler dans son sein les Français de l'extérieur. La Wallonie a été exclue de ce rassemblement par un accident de l'histoire. Elle a pourtant toujours vécu en symbiose avec nous, et ce depuis Alésia jusqu'au 18 juin 1940 en se rangeant rapidement dans notre camp.

         C'est un drame pour le peuple wallon, dont le passé est si remarquable, de dépendre aujourd'hui d'un autre peuple qui ne fera rien d'autre que l'étouffer en attendant de l'absorber un jour…"

Cette citation est reprise à l'envi par ceux qui souhaitent ce rattachement des francophones de Belgique à la France. Si ce courant d'opinion est, encore, minoritaire, qu'en serait-il si la Flandre décidait unilatéralement de poursuivre dans la voie du séparatisme?

 Langues différentes, cultures différentes

Aux alentours de 1830, aussi longtemps que le statut international de la Belgique ne fut pas fixé, l'humeur n'était pas aux querelles intestines. Si bien que le clivage entre Flamands et Wallons n'apparut guère sur le terrain politique. Il ne se manifesta qu'occasionnellement lors de conflits pour le siège d'une institution, par exemple.

Ce fut le cas en 1835, lors des discussions serrées sur l'emplacement des Universités d'Etat. Le Sénat académique de l'Université de Louvain réclama une seule université dans cette ville: " Le seul moyen de faire disparaître la fatale distinction qui existe entre les provinces wallonnes et les provinces flamandes, c'est de créer une véritable nationalité qui fasse des Belges un tout homogène, qui confonde Flamands et Wallons, qui rende la civilisation égale pour toutes les provinces, qui assure à nos lois, à nos institutions, à notre jeune royauté, les gages de durée et d'avenir que les divisions intérieures rendent toujours fort incertains. En demandant deux universités, ne travaille-t-on pas à perpétuer les anciennes dénominations de provinces wallonnes et flamandes, à diviser les Belges en deux nations hostiles, enfin à rendre impossible cette nationalité qui est pourtant l'unique garant de notre existence politique? "

La riposte du Journal de Liège, le 8 avril 1835, à cette argumentation était prophétique:

         " Dans un pareil état de choses, disons-le hardiment, une seule université réunissant tous les élèves de provinces si différentes entre-elles sous tous les rapports ne les rapprocherait pas; elle les mettrait en présence avec leurs préjugés, leurs mœurs, leurs croyances, et les renverrait un peu plus étrangers les uns aux autres qu'ils ne l'étaient auparavant. A la différence se joindraient les sentiments de haine qui résultent d'une fréquentation hostile, parce qu'elle répugne et qu'elle donne lieu aux sarcasmes que les jeunes gens ne s'épargnent pas entre-eux. Ce serait déjà beaucoup de former d'abord un lien commun entre toutes les subdivisions de la partie flamande d'une part, et de l'autre entre toutes les nuances diverses de la partie wallonne et c'est ce qu'on opérera graduellement au moyen de ces deux universités, l'une à Gand, l'autre à Liège. "

Ce petit retour en arrière, aux premiers pas de la Belgique de 1830, est exemplatif à souhait des problèmes qui allaient se créer de par la différence culturelle essentielle qui sépare les Flamands et les Wallons: la langue…

                            Eric SMETS

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