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1794 – 1814, changement de régime

De 1794 à 1814, la Belgique est française. Cette période offre des contrastes extraordinaires ; aussi certains historiens, selon leurs opinions, leur religion ou leurs préjugés, en ont-ils laissé dans l'ombre maints aspects, quitte à s'attarder longuement et parfois sans complaisance aux épisodes ou aux personnages qui leur plaisaient.

Il apparaît, en effet, évident et irréfutable que les premières années de la réunion de la future Belgique à la France sont très dures, parfois cruelles pour nos aïeux. Flamands comme Wallons, certains s’opposent non point à la France comme telle, mais aux exactions d’administrateurs sans scrupules qui ne respectent pas toujours les traditions de nos régions.

Le mérite de Bonaparte sera de réparer de son mieux les torts causés aux Belges par les hommes de la Convention et du Directoire. Grâce à sa remarquable politique, il connaîtra dans notre pays une chaleureuse popularité. Premier Consul puis empereur, il fera de la Belgique le laboratoire de son grand dessein européen et il lui imprimera un essor étonnant jusqu'en 1811. Les dernières années de l'Empire forment la troisième période de la présence française dans notre pays; années de plus en plus sombres et qui s'achèveront dans la tragique mêlée de Waterloo.

Chronologie de la période française

Difficile de parler de cette période sans parler d'abord de la Révolution liégeoise de 1789 qui, à l'inverse de la contre-révolution brabançonne, est dirigée contre le pouvoir absolutiste local. En août 1789, le peuple qui, comme en France, réclame plus de liberté et d'égalité, s'insurge et met le prince-évêque en fuite. Malheureusement, en janvier 1791, celui-ci revient avec l'armée autrichienne, et une dure répression s'abat sur les Liégeois. Beaucoup de patriotes se réfugient en France, où ils formeront un groupe très actif qui exercera une influence certaine sur la politique de la Convention, inspirant le changement d'orientation de la Révolution.

Aussi, lorsque Dumouriez, victorieux à Jemappes, entre à Liège en novembre 1792, à la tête de l'armée française dans laquelle figuraient deux légions belges (dont une liégeoise), il est accueilli en libérateur. En 1793, les Liégeois choisissent, à une large majorité des votants, de réunir leur pays à la République française.

Mais les forces autrichiennes reviennent une dernière fois, avec le prince-évêque dans leur bagage. Cette restauration de l'ancien régime sera de courte durée car l’empereur François II se désintéresse de la Belgique qu'il voudrait troquer contre la Bavière.

Enfin, le 26 juin 1794, la victoire de Fleurus ouvre les possessions autrichiens et la principauté de Liège aux armées de la République.

Les débuts de la période française ne sont pas toujours bien accueillis dans nos régions fortement mises à contribution pour rembourser les frais des campagnes militaires. La situation ne s'améliorera qu’après l'année 1795 lorsque les provinces belges deviennent officiellement des départements français. A partir du 1er octobre, toutes les lois françaises sont désormais applicables dans nos régions. Nos populations bénéficient des mêmes droits, mais également des mêmes devoirs que les citoyens français, ce qui ne sera pas accepté par tous (par exemple : les réfractaires à la conscription ou le clergé qui avait vu tous ses biens saisis par la République).

Le coup d'Etat de Bonaparte en 1799 est accueilli en Belgique avec une certaine indifférence ; pourtant le Consulat s'attachera à rétablir l'ordre et à réorganiser l'administration. En outre, par le Concordat (1801), il apaise les tensions religieuses. A partir de 1804, la Belgique est enfin traitée sur un pied de parfaite égalité avec la France. Dans l'esprit de Napoléon, la Belgique doit être complètement assimilée, incorporée à la patrie française. Le pays partagera le destin de la France jusqu'à l’invasion de 1814. L'occupation de la Belgique par les troupes alliées entraînera de graves inconvénients: contributions forcées, réquisitions, pillages, crise alimentaire. Enfin, la bataille de Waterloo détermine le futur de la Belgique donnée au prince d'Orange. Il faut signaler que l'engagement des Belges dans cette célèbre bataille est pour le moins disparate puisque l'on ne compte que 170 officiers belges dans les troupes dites libératrices, pour 250 dans les armées napoléoniennes. En majorité les partisans de l'Empereur sont des Wallons, tandis que, parmi les coalisés, la plupart sont des Flamands.

Epilogue. En mars 1814, les Grandes Puissances qui ont vaincu Napoléon décident d'offrir au prince d'Orange, les Pays-Bas avec un accroissement de territoires. Cet euphémisme désigne 3 millions d'hommes dont on fixe le sort politique sans même leur demander leur avis. Eprouvant sans doute la nécessité de se justifier, le 21 juin 1814, les Cours alliées ajoutèrent un protocole à leur convention de Chaumont: "Nous réglons l'attribution du territoire belge parce qu'il nous appartient par droit de conquête".

Les vrais changements de la Révolution française

De la victoire de Fleurus à la perte des 9 départements belges en 1814, moins de 20 ans se sont écoulés. Pourtant, cette courte période a suffi pour bouleverser fondamentalement les structures sur lesquelles reposait, pendant l'Ancien Régime, la vie politique, économique, sociale, judiciaire et religieuse de ces régions.

Avant 1794, les institutions qui organisaient l'existence des Belges procédaient d'un passé multiséculaire. Mais c’est sous le régime français que la bourgeoisie va s'emparer du pouvoir, profitant de la diminution de l'influence du clergé et de la noblesse. En même temps qu'elle affirme sa puissance économique, la bourgeoisie s'introduit dans les rouages de la vie publique, préparant ainsi la phase ultérieure de son ascension, la conquête du pouvoir politique. Quant au peuple, il est tenu à l'écart de la vie publique: droits de vote et grève lui sont refusés et il doit se plier aux dures exigences de la conscription.

L'impulsion donnée par la Révolution française à la progression de la bourgeoisie et au développement de la société industrielle aura des résultats tangibles dans les départements belges. Rappelons-en les facteurs favorables: la suppression des barrières douanières intérieures; la création d'un vaste marché européen au fur et à mesure de l'extension des conquêtes françaises; l'anéantissement de la concurrence anglaise; la libre circulation des hommes et des capitaux; la prise en main par l'Etat du réseau routier et fluvial; les efforts publics et privés d'encouragement à l'industrie nationale.

A côté de cela, on assiste à un nouveau découpage en départements et arrondissements fondé non plus sur la tradition mais sur des critères d'efficacité. Dans le même sens, la réforme municipale met en place un schéma commun pour l'ensemble du pays. De même, les tribunaux sont articulés en une pyramide plus rationnelle. Ils sont chargés d'appliquer des lois générales émanant de l'autorité centrale. Celles-ci sont plus conformes au besoin de la société nouvelle que tout condamne à tendre vers l'unité et la simplicité. Le Code civil, mis en vigueur par Napoléon, et qui reste encore la référence essentielle de notre droit actuel, fixe les nouvelles règles de la vie en commun. La laïcisation du droit, l'égalité devant la loi, la légitimité du droit à la propriété en sont les principales conquêtes. L'unification des mesures de longueur, de surface, de capacité et celle des monnaies, décrétée pendant le régime français, s'inscrit dans la même perspective.

Tout avantageux que seront ces changements à long terme, les Belges n'en comprennent pas toujours la portée et n'y voient parfois que la manifestation contestable du pouvoir central. Quoi qu'on en dise, tout n'est pas désastreux sous le règne de la France. Pour s'en convaincre, il suffit d'évoquer le passé. L'amélioration générale des conditions d'existence devait nécessairement influer sur les réactions psychologiques de ceux qui en profitaient. A partir de 1800, les signes d'adhésion se multiplient. Dans l'ensemble, le régime français se voit reconnaître le mérite de ses méthodes administratives. Le temps, la contrainte, la nécessité et certains progrès incontestables se chargent, par diverses voies, d'imprégner les populations des modes de comportement français.

Par la langue d'abord. Une moitié de la Belgique utilise le français et, dans la partie flamande, la noblesse et la bourgeoisie parlent également cette langue, celle de la culture universelle. Seul le français est alors admis comme langue officielle.

Par l'enseignement ensuite. Le pouvoir remplace les écoles religieuses par un enseignement laïque.

Par l'armée aussi. La conscription imposée, en rupture avec les traditions qui existaient jusqu'alors, draine dans ses rangs des hommes parfois hostiles mais qui en viennent à s'identifier à l'épopée napoléonienne. En tout, 175.000 Belges – dont 50.000 mourront -serviront dans les armées françaises alors que la population est d’environ 3 millions d'habitants.

Par les arts et la mode. L'appartenance à la France ne fait qu'intensifier l'influence de Paris, déjà fort vive sous le règne autrichien.

Toute une génération se trouve ainsi marquée par l'idéologie et la culture de la France.

A partir de 1811, la situation évolue. Napoléon s'essouffle à courir après la victoire. La crise plonge l'économie dans le marasme. L'empereur multiplie les levées de troupes et, en Belgique, les vieux ressentiments refont surface, l'emportant sur les raisons d'adhérer totalement à la cause française. En 1814, les ennemis de la France sont reçus avec résignation, voire avec satisfaction, mais les excès que leurs troupes alliées – surtout prussiennes -commettent un peu partout, font qu'une nouvelle fois on s'interroge.

Ainsi s'achève une période marquée de multiples contradictions. Elle fut sans doute pénible pour beaucoup car l'occupation, puis la réunion, donnèrent lieu à des abus et firent peser sur les populations toutes sortes de charges nouvelles. Mais le recul du temps nous permet cependant de tirer des conclusions moins négatives. Les réformes, qui furent imposées et parfois mal acceptées, disloquèrent les structures d'un passé révolu et accélérèrent la mise en place des bases essentielles sur lesquelles s'élabora la Belgique moderne. Presque plus personne ne songea à en revenir à l'ancien ordre des choses. C'est que le régime des privilèges, des monopoles et de la monarchie de droit divin avait fait son temps. Ce qui sera la Belgique sortit de cette épreuve complètement renouvelée par l'application du principe d'égalité des citoyens devant la loi et par la propagande en faveur des libertés modernes.

En définitive, il faut reconnaître le rôle positif de la France dans l'évolution économique, sociale, politique et scientifique des départements belges. Si ces derniers bénéficièrent largement de l'apport français, en revanche la France sut utiliser avec discernement la collaboration de l'élite. Aux quatre coins de l'Empire, artistes, généraux (ils furent 22) ou fonctionnaires d'origine belge ou liégeoise servirent avec éclat leur nouvelle patrie. A Paris, plusieurs d’entre eux occupèrent des postes importants. Pour tous ces serviteurs de la France, la séparation fut une épreuve pénible. Certains voulurent rester français, d'autres, plus nombreux, ne résistèrent pas à la nostalgie du pays natal et, avec la bourgeoisie libérale, préparèrent l'indépendance et formèrent, en 1830, les cadres du nouvel Etat.

Eric SMETS

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