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La montre
Deux fois je regarde ma montre,
Et deux fois à mes yeux distraits
L'aiguille au même endroit se montre ;
Il est une heure... une heure après.
La figure de la pendule
En rit dans le salon voisin,
Et le timbre d'argent module
Deux coups vibrant comme un tocsin.
Le cadran solaire me raille
En m'indiquant, de son long doigt,
Le chemin que sur la muraille
A fait son ombre qui s'accroît.
Le clocher avec ironie
Dit le vrai chiffre et le beffroi,
Reprenant la note finie,
A l'air de se moquer de moi.
Tiens ! la petite bête est morte.
Je n'ai pas mis hier encor,
Tant ma rêverie était forte,
Au trou de rubis la clef d'or !
Et je ne vois plus, dans sa boîte,
Le fin ressort du balancier
Aller, venir, à gauche, à droite,
Ainsi qu'un papillon d'acier.
C'est bien de moi ! Quand je chevauche
L'Hippogriffe, au pays du Bleu,
Mon corps sans âme se débauche,
Et s'en va comme il plaît à Dieu !
L'éternité poursuit son cercle
Autour de ce cadran muet,
Et le temps, l'oreille au couvercle,
Cherche ce coeur qui remuait ;
Ce coeur que l'enfant croit en vie,
Et dont chaque pulsation
Dans notre poitrine est suivie
D'une égale vibration,
Il ne bat plus, mais son grand frère
Toujours palpite à mon côté.
- Celui que rien ne peut distraire,
Quand je dormais, l'a remonté !
A deux beaux yeux
Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la
reflète,
Votre prunelle, où brille une humide
paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile
inquiète,
Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de
flamme,
Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre
âme,
Comme une fleur céleste au calice
idéal
Que l'on apercevrait à travers un
cristal.
...........
Adieux
à la poésie
Allons, ange déchu, ferme ton aile rose ;
Ôte ta robe blanche et tes beaux rayons d'or
;
Il faut, du haut des cieux où tendait ton
essor,
Filer comme une étoile, et tomber dans la prose.
Il faut que sur le sol ton pied d'oiseau se pose.
Marche au lieu de voler : il n'est pas temps encor
;
Renferme dans ton cur l'harmonieux trésor
;
Que ta harpe un moment se détende et repose.
Ô pauvre enfant du ciel, tu chanterais en
vain
Ils ne comprendraient pas ton langage divin ;
À tes plus doux accords leur oreille est
fermée !
Mais, avant de partir, mon bel ange à l'il
bleu,
Va trouver de ma part ma pâle
bien-aimée,
Et pose sur son front un long baiser d'adieu
!
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Albertus,
II
Confort et farniente ! - toute une poésie
De calme et de bien-être, à donner
fantaisie
De s'en aller là-bas être Flamand ;
d'avoir
La pipe culottée et la cruche à fleurs
peintes,
Le vidrecome large à tenir quatre pintes,
Comme en ont les buveurs de Brawer, et le soir
Près du poêle qui siffle et qui détonne,
au centre
D'un brouillard de tabac, les deux mains sur le
ventre,
Suivre une idée en l'air, dormir ou
digérer,
Chanter un vieux refrain, porter quelque rasade,
Au fond d'un de ces chauds intérieurs,
qu'Ostade
D'un jour si doux sait éclairer !
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Au bord de la
mer
La lune de ses mains distraites
A laissé choir, du haut de l'air,
Son grand éventail à paillettes
Sur le bleu tapis de la mer.
Pour le ravoir elle se penche
Et tend son beau bras argenté ;
Mais l'éventail fuit sa main blanche,
Par le flot qui passe emporté.
Au gouffre amer pour te le rendre,
Lune, j'irais bien me jeter,
Si tu voulais du ciel descendre,
Au ciel si je pouvais monter !
............
Dernier
vu
Voilà longtemps que je vous aime :
- L'aveu remonte à dix-huit ans ! -
Vous êtes rose, je suis blême ;
J'ai les hivers, vous les printemps.
Des lilas blancs de cimetière
Prés de mes tempes ont fleuri ;
J'aurai bientôt la touffe entière
Pour ombrager mon front flétri.
Mon soleil pâli qui décline
Va disparaître à l'horizon,
Et sur la funèbre colline
Je vois ma dernière maison.
Oh ! que de votre lèvre il tombe
Sur ma lèvre un tardif baiser,
Pour que je puisse dans ma tombe,
Le cur tranquille, reposer !
...........
La lune
Le soleil dit à la lune :
" Que fais-tu sur l'horizon ?
Il est bien tard, à la brune,
Pour sortir de sa maison.
L'honnête femme, à cette heure,
Défile son chapelet,
Couche son enfant qui pleure,
Et met la barre au volet.
Le follet court sur la dune ;
Gitanas, chauves-souris,
Rôdent en cherchant fortune ;
Noirs ou blancs, tous chats sont gris.
Des planètes équivoques
Et des astres libertins,
Croyant que tu les provoques,
Suivront tes pas clandestins.
La nuit, dehors on s'enrhume.
Vas-tu prendre encor ce soir
Le brouillard pour lit de plume
Et l'eau du lac pour miroir ?
Réponds-moi. - J'ai cent retraites
Sur la terre et dans les cieux,
Monsieur mon frère ; et vous êtes
Un astre bien curieux !
...........
La spirale
sans fin dans le vide s'enfonce
La spirale sans fin dans le vide s'enfonce ;
Tout autour, n'attendant qu'une fausse réponse
Pour vous pomper le sang,
Sur leurs grands piédestaux semés
d'hiéroglyphes,
Des sphinx aux seins pointus, aux doigts armés de
griffes,
Roulent leur oeil luisant.
En passant devant eux, à chaque pas l'on cogne
Des os demi-rongés, des restes de charogne,
Des crânes sonnant creux.
On voit de chaque trou sortir des jambes raides ;
Des apparitions monstrueusement laides
Fendent l'air ténébreux.
C'est ici que l'énigme est encor sans Oedipe,
Et qu'on attend toujours le rayon qui dissipe
L'antique obscurité.
C'est ici que la mort propose son problème,
Et que le voyageur, devant sa face blême,
Recule épouvanté.
Ah ! Que de nobles curs et que d'âmes
choisies,
Vainement, à travers toutes les poésies,
Toutes les passions,
Ont poursuivi le mot de la page fatale,
Dont les os gisent là sans pierre
sépulcrale
Et sans inscriptions !
Combien, dons juans obscurs, ont leurs listes remplies
Et qui cherchent encor ! Que de lèvres
pâlies
Sous les plus doux baisers,
Et qui n'ont jamais pu se joindre à leur
chimère !
Que de désirs au ciel sont remontés de
terre
Toujours inapaisés !
Il est des écoliers qui voudraient tout
connaître,
Et qui ne trouvent pas pour valet et pour maître
De Méphistophélès.
Dans les greniers, il est des Faust sans Marguerite,
Dont l'enfer ne veut pas et que Dieu déshérite
;
Tous ceux-là, plaignez-les !
Car ils souffrent un mal, hélas !
Inguérissable ;
Ils mêlent une larme à chaque grain de
sable
Que le temps laisse choir.
Leur cur, comme une orfraie au fond d'une ruine,
Râle piteusement dans leur maigre poitrine
L'hymne du désespoir.
Leur vie est comme un bois à la fin de l'automne,
Chaque souffle qui passe arrache à leur couronne
Quelque reste de vert,
Et leurs rêves en pleurs s'en vont fendant les
nues,
Silencieux, pareils à des files de grues
Quand approche l'hiver.
Leurs tourments ne sont point redits par le poète
Martyrs de la pensée, ils n'ont pas sur leur
tête
L'auréole qui luit ;
Par les chemins du monde ils marchent sans
cortège,
Et sur le sol glacé tombent comme la neige
Qui descend dans la nuit.
...........
En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour
voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l'horizon de flamme,
Tel qu'un oiseau géant qui va prendre l'essor,
D'un bout du ciel à l'autre ouvrait ses ailes
d'or,
- Et c'était des clartés à baisser la
paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s'élèvent pareils aux sapins des
forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps roides et longs, aux figures étranges,
D'un fond clair ressortaient en noir ;
l'Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant
couché,
Se dessinait au pied de l'église, dont l'ombre
S'allongeait à l'entour mystérieuse et
sombre.
- Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D'une maison du quai ; - l'air était doux ; les
eaux
Se plaignaient contre l'arche à doux bruit, et la
vague
De la vieille cité berçait l'image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands
pas.
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