«Distance ; je t'invite donc à
la distance. Préserve, préserve l'être
inconnu que tu es toi-même. Méfie-toi des
armatures idéologiques qui font de nous des absents
alors que tu t'imagines en pleine action, des
synthèses globalisantes, des ambiances. Ce qui est
chauffé, donné trop vite, reçu de
même est insignifiant. Ne pas trop savoir ce que l'on
donne, ce que l'on reçoit. S'exprimer n'est pas
vouloir communiquer. En politique, on communique afin
d'obtenir des voix ; en affaires, des commandes.
Porte en toi un désert pour une vraie rencontre. Ce
que dit l'un n'existe que s'il est recréé dans
l'autre. Rien de pire que les contagions émotives,
révélations, goinfreries spirituelles. On ne
rencontre jamais un groupe. Le groupe est nécessaire
mais il convient d'en sortir.
Entre toi et l'autre, laisse le vent jouer. Que tes
enlacements soient brefs. Mais les regards disent
l'amitié, le goût de ce qui est.
Certes, les chrétiens savent que l'Evangile a des
exigences, mais seul un petit nombre les éprouve du
dedans. Les autres s'efforcent à la logique, ont des
aspirations ou des scrupules. C'est qu'ils n'adhèrent
qu'à des pensées qui permettent d'exprimer la
foi dans un contexte culturel défini et de la
concilier avec les impératifs de notre
société.
Cette foi, liée à des idéologies ou des
sentiments, portée par un projet initial qu'on nomme
fidélité, qui convient pragmatiquement, cette
foi, en même temps sincère et menteuse qui
donne lieu à des débats sur des
problèmes de société et, par là
finalement rassure, peut coïncider sans conflits majeur
avec les sociétés riches.
Un abîme sépare l'Evangile de l'amalgame et du
bric à brac qui encombre la mentalité
habituelle des croyants. Ce bric à brac fut
véhiculé au hasard d'un enseignement
stéréotypé légaliste.
Les créations furent éliminées ou
récupérées.
On évitait le risque, mais on arrêtait la vie.
»
Ces
quelques lignes de Jean Sulivan guideront mon esprit et ma
plume tout au long de ce Journal de vie.