Chez les Zoaques



Cette comédie en trois actes, reçue par Gémier sans l'avoir lue, remporta au théâtre Antoine un véritable succès. Elle formait avec Biribi le spectacle inaugural de sa direction.
La critique avait été excellente - et tout allait bien lorsque à la quatre-vingtième représentation, l'acteur qui jouait le rôle principal de ma pièce crut devoir s'en aller du jour au lendemain. Il en avait le droit - il eut à mes yeux le grand tort d'en user, car il savait qu'il n'était pas doublé. Pour sauver la situation, j'ai dû reprendre son rôle à pied levé, sans l'avoir même répété - et c'est à ce geste inamical et prémédité que je dois d'avoir joué pour la première fois une pièce dont j'étais l'auteur.
J'eus, ce soir-là, la sensation très nette qu'à l'avenir j'allais pouvoir très bien jouer mes pièces. Je ne dis pas "les jouer très bien" : je dis : très bien les jouer.

A quelque temps de là, un imprésario emmena tel quel le spectacle en tournée, mais le directeur du théâtre de Chartres, à qui l'on avait envoyé la maquette de l'affiche, pensa qu'une erreur avait été commise. Le mot "Zoaque" ne figurant pas dans le dictionnaire, il répara ce qu'il croyait être une erreur et, réunissant nos deux titres en un seul, il composa son affiche ainsi :

BIRIBI
CHEZ LES ZOUAVES

Sacha Guitry, Si j'ai bonne mémoire, Plon, 1934.


Sacha Guitry possédait une propriété à Jumièges qui s'appelait "Chez les Zoaques", voilà le règlement pour ses invités :

CHEZ LES ZOAQUES
Règlement à l'usage des invités.

Article premier.
Nous voulons consacrer ce premier article à vous souhaiter la bienvenue, et nous vous disons :
- Vous êtes ici chez vous.
Mais rendez-vous compte que c'est une façon de parler.

Article II.
Faudrait-il vous répéter que, votre chambre ayant été choisie avec discernement, il est inutile de vous entêter à vouloir en changer ?

Article III.
Vous trouverez sans peine à la tête du lit une petite poire avec un fil : c'est la sonnette.
A ce sujet nous croyons devoir vous rappeler le vieux dicton français : "On n'est jamais si bien servi que par soi-même."

Article IV.
Si vous avez l'habitude de vous coucher de bonne heure, ne changez rien à vos habitudes. Mais les chambres donnant sur le hall, appliquez-vous à ne pas troubler par votre sommeil les conversations de ceux qui ne dorment pas.

Article V.
En aucun cas messieurs les invités ne pourront se servir des baignoires pour y laver leurs bicyclettes.

Article VI.
La clef de la cave est à disposition de messieurs les invités. Nous voulons parler de la cave à charbon.

Article VII.
A table, quelque appétit que vous ayez, songez que vous n'êtes jamais le dernier à vous servir.

Article VIII.
Au salon, si messieurs les invités croyaient se trouver dès le premier jour en mesure de pouvoir prendre part à la conversation, ils le feraient bien entendu avec la plus grande circonspection et sous leur entière responsabilité.

Article IX.
Les personnes qui viennent du samedi au lundi sont priées de ne pas prolonger leur séjour au-delà du mercredi.

Article X.
Hélas ! Toutes les joies sont limitées ! Quand l'heure affreuse du départ aura sonné pour vous, que votre décision soit brusque. Ne demandez pas à consulter l'indicateur, ne cherchez pas à nous faire comprendre que vous allez partir, ne traînez pas, dites seulement : « Je pars ! », et vous verrez que nous serons aussi courageux que vous. Nous vous indiquerons brièvement les heures des trains et, sitôt que votre choix sera fait, nous n'en parlerons plus.
Nous ne voulons pas que votre départ soit un souvenir pour nous.
Le souvenir, c'est que vous serez venu.

LES ZOAQUES.