COMBIEN ?

J’ai envie de te casser un bras sans que tu te défendes. Combien veux-tu ? Un euro ? Pas assez ? Dix ? Cent ? Un million d’euros ? Deux millions ? Tu sais, je ferai ça proprement, une fracture bien franche, non ouverte, ça se répare bien. Quelques semaines de plâtre et c’est guéri. Alors combien ? On va bien trouver un terrain d’entente. Imagine ce que tu pourras faire avec cet argent, le bonheur que tu pourras répandre autour de toi !

Alors ?

Je sens que tu hésites.

L’argent comme prix de la souffrance, c’est très habituel, tu sais. Les juristes appellent ça le pretium doloris. Et un bon arrangement vaut mieux qu’un mauvais procès, tout le monde est au courant.

Alors ?

Ah, tu es douillet…

Note que je te paie ta douleur, c’est ce qui me fait envie. Mais j’aurais aussi bien pu te proposer de l’argent pour coucher avec toi, ou avec ton conjoint, ou pour te faire faire quelque chose d’illégal, ou même pour te faire travailler dans une usine d’armement. De toutes façons, si tu n’acceptes pas, un autre prendra l’argent. La chose se fera mais toi tu n’auras rien.

Alors ? Combien ?

Tu sais, l’argent peut être le prix de la douleur, mais aussi du chagrin, de l’honneur, du travail (étymologiquement : torture), de la liberté (combien par mois de prison ?), même de la vie (le tabac à tué votre mari, Philip Morris vous le rembourse), et bien sur de n’importe quel bien matériel. Et quand on se met d’accord, on évite les disputes…

Oh oui, toi, tu penses qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu, et qu’il faut chasser les marchands du temple, et qu’un riche ne passera pas par le trou d’un chameau… Honnêtement, tu y crois vraiment, à toutes ces conneries de paradis avec des vierges en veux-tu en voilà ? Sérieux ? Ouais, tu me rassures : les sous, ça, on sait que ça existe.

Sans compter que pour la même somme, je paierai aussi bien deux sbires pour te tenir pendant qu’un troisième te le pètera, ton bras ! Et même un quatrième pour te faire taire ensuite…

Alors ?

Ah, tu vois, je savais bien qu’on se mettrait d’accord !

Pierre G.

10/2004