Rumuz-e-Bikhudi

Les Mystères du Non-Moi

Mohamed Iqbal

Extraits de Les Mystères du Non-Moi, traduit du persan par Djamchid Mortazavi et Eva de Vitray-Meyerovitch. Mohamed Iqbal, Les Secrets du Soi, Paris, Albin Michel, 1989.


L'organisation de la Communauté est seulement possible grace à la Loi et la Loi de la Communauté musulmane est le Qor'an.

Quand une Communauté abandonne sa Loi,

Ses parties sont séparées, comme la poussière dispersée.

L'être du musulman se fonde sur la Loi seule

Qui est le sens intérieur de la Religion du Prophète.

Une rose est née, quand ses pétales sont conjoints par la Loi,

Et les roses, étant reliées par la Loi, forment un bouquet.

De même que le son contrôlé crée une mélodie

La dissonance résulte de l'absence de contrôle.

Le souffle que nous exhalons de notre gorge n'est qu'une vague d'air;

Emprisonnée dans le ney, elle devient harmonie.

Sais­tu quelle est ta Loi,

Où, sous les sphères célestes, réside le secret de ton pouvoir ?

C'est le Livre vivant, le sage Qor'an,

Dont la sagesse est éternelle, incréée.

Les secrets de la conduite de la vie y sont inscrits;

L'instabilité tire sa stabilité de sa force,

Dans ses paroles, n'existent ni doute ni changement,

Ses versets n'ont pas besoin d'interprétation.

Par sa vigueur, le désir acquiert la maturité.

La coupe ne craint pas d'être fracassée contre le roc.

Il rejette les chaînes et guide en avant l'homme libre,

Mais il réduit à la supplication le chasseur audacieux.

Le message final à toute l'humanité

Fut apporté par celui qui est une miséricorde pour les mondes.

Par là, celui qui n'a pas de valeur parvient à la valeur;

L'esclave prosterné relève la tête.

Les brigands, sachant par coeur ce message, se transformèrent en guides,

Et par cette Ecriture devinrent les Gens du Livre.

Des habitants du désert, par la lumière d'une seule lampe,

Acquirent en chaque science cent révélations,

De sorte que celui dont le fardeau ne put être porté par les montagnes

A détruit par sa force la puissance des sphères.

Vois comment le capital de tous nos espoirs

Peut loger dans les poitrines de nos enfants !

Le voyageur assoiffé dans le désert,

Les yeux brûlés par le chaud soleil,

Son chameau plus agile que le daim,

Son souffle comme le feu,

Étendant sa couche à l'ombre d'un palmier,

Au lever de l'aurore, réveillé par le bruit de la caravane,

Voyageant à travers les plaines, étranger au toit et à la porte,

Ignorant les demeures fixes,

Quand son coeur palpita à la chaleur du Qor'an,

Ses vagues sans repos s'enfoncèrent dans le calme, comme la perle.

Lisant la leçon de ses versets clairs,

Lui qui était venu comme un esclave, la vérité en fit un maître.

Maintenant, sur son instrument furent jouées de nouvelles mélodies.

Il a foulé aux pieds le trône de Djamshid;

Des cités surgirent de la poussière de ses pas;

Une centaine de jardins se sont épanouis d'une seule de ses fleurs.

Ô toi dont la foi est rendue esclave de l'habitude,

Emprisonnée par les charmes de l'incroyance,

Toi qui as mis ton héritage en lambeaux

Parcourant la route vers un but détestable,

Si tu veux revivre la vie du musulman,

Tu ne le pourras que grâce au Qor'an.

Vois le Soufi dans son vêtement de laine, enivré,

Ravi par le chant du ménestrel,

Le coeur embrasé par la ferveur des vers d'Iraqi !

Ses extases ne s'accordent guère avec le Qor'an;

Le bonnet du derviche et la natte de roseaux remplacent la couronne et le trône.

La pauvreté dont il se vante s'enrichit par les richesses du Khanegah ;

Le prédicateur, avec son abondance d'anecdotes et de légendes,

Malgré sa grandiloquence, n'a rien à dire.

Khatib et Dailami sont sur ses lèvres.

Il se délecte de chaque Tradition, faible et douteuse.

Tu es endetté envers le Livre, récite­le

Afin d'obtenir par lui ce que ton coeur désire.

Au temps de la décadence, le conformisme (taqlid) vaut mieux que l'interprétation libre (ijtihad).

L'époque actuelle recèle des désastres,

Sa nature impatiente est remplie de désordres.

Les anciennes nations sont en pleine confusion;

La branche de la vie est dépourvue de sève.

L'attrait des temps modernes nous a rendus étrangers à nous­mêmes

Et nous a dérobé l'instrument de notre mélodie.

Il a supprimé de notre coeur son feu d'autrefois,

Et y a éteint la flamme et le rayonnement de La ilah ila Allah.

Chaque fois que le déclin détruit l'équilibre de la vie,

Alors, la Communauté peut tenter de trouver sa stabilité dans le conformisme (taqlid).

Suis le chemin de tes pères, c'est là que se trouve l'union:

La conformité indique la cohérence de la Communauté.

Au temps de l'Automne, toi qui n'as ni feuille ni fruit,

Ne te sépare jamais de l'arbre, dans l'espoir du Printemps.

Tu as perdu la mer: sois prudent, de peur d'une plus grande perte;

Préserve d'autant plus ton petit ruisseau,

Car il se peut qu'un torrent de montagne le remplisse

Et qu'à nouveau tu sois jeté au sein de la tempête salvatrice.

S'il se trouve en ton être une âme voyante,

Tire un enseignement du cas des Israélites.

Considère leur destin, tantôt heureux, tantôt malheureux,

Vois l'endurance de leur vie misérable.

Leur sang coule paisiblement dans leurs veines,

Bien que leurs visages se soient heurtés à cent obstacles,

Bien que la poigne du destin ait pressé leur raisin,

Pourtant, le souvenir de Moïse et de Aaron vit encore,

Et même si leur chant ardent a perdu sa flamme,

Le souffle palpite encore dans leurs poitrines.

Car lorsque se déchira la texture de leur nationalité,

Ils persévérèrent cependant dans la voie de leurs ancêtres.

Ô toi dont l'ancienne assemblée est dispersée,

Dans le coeur de qui s'est éteinte la flamme de la vie,

Garde en ton sein la vérité de l'Unicité divine,

Et grâce au conformisme, tente de résoudre tes problèmes.

Au temps de la décadence, chercher à exercer son jugement (ijtihad)

Finalement conduit au malheur de la Communauté.

Le salut, c'est moins de suivre ce que dit le soi­disant savant

Que d'imiter les sages du passé.

Le caprice n'a pas corrompu les esprits de tes pères,

Le labeur des gens pieux n'était pas souillé par l'intérêt;

Le fil de la pensée que tissait leur méditation était plus fin,

Leur piété était plus proche de la Voie du Prophète.

La vision ravie de Jafar et la recherche de Razi n'existent plus;

La gloire qui ornait la nation des Arabes a disparu.

Le chemin de la religion est devenu étroit pour nous;

Chaque imposteur se vante de comprendre ses mystères.

Toi qui es étranger aux vérités secrètes de la Foi,

Si tu es sage, accorde­toi à une Loi unique;

Car j'ai entendu dire, par ceux qui prennent le pouls de la vie,

Que l'opposition entre vous coupe les veines de la vie.

Le musulman vit en suivant une seule Loi;

Le corps de notre Communauté vit par le Qor'an.

Nous sommes la terre entière, c'est là notre coeur conscient.

Tiens­toi fermement à sa protection, c'est la Corde de Dieu ; Sur son fil sacré, sois attaché comme une perle; Sinon, sois dispersé comme la poussière dans le vent.

La maturité de la vie en commun provient de l'obéissance à la Loi divine

Ne cherche pas d'autre signification dans la Loi,

Et ne cherche dans le joyau que la seule lumière.

Dieu est le joaillier qui a faconné cette gemme,

Aussi précieuse intérieurement qu'extérieurement.

La Loi est la seule connaissance de la Vérité,

L'Amour est l'essence de la Sunna (coutume) du Prophète.

Grâce à la Loi, l'individu atteint une foi plus mûre.

Les étapes de la certitude sont plus parfaites à cause d'elle,

La nation s'ordonne par la Loi divine.

Chaque chose régie par une règle ferme perdure;

Le pouvoir se manifeste dans sa connaissance,

C'est là le signe du bâton de Moïse et de la main blanche.

Aussi, je déclare que le secret de l'Islam est la Loi

En laquelle toutes choses commencent et finissent.

Puisque tu es appelé à être un gardien de la Sagesse de la Foi,

Je te dirai une vérité subtile de la Loi évidente :

Si quelqu'un empêche sans raison

Un musulman d'accomplir un acte méritoire,

Il est obligé d'effectuer lui­même cette action.

Le pouvoir est considéré comme la source de la vie.

Le jour de la bataille, si l'armée ennemie,

Supposant qu'une trêve est imminente,

Néglige le combat et devient insouciante,

Détruisant le mur et la citadelle de sa défense,

Jusqu'à ce qu'elle ait repris les choses en main,

Il est défendu d'attaquer son pays désarmé.

Connais­tu alors le secret de ce commandement divin ?

Vivre n'est pas vivre, si l'on vit sans danger.

La loi exige que, lorsque tu vas combattre,

Tu deviennes une flamme et fendes le rocher.

La loi éprouve la force de ton bras ;

Te confrontant à la montagne de Alvand,

Elle t'ordonne de la réduire en poudre,

Et, par la chaleur ardente de ton poignard, de la faire fondre.

Un mouton faible et maigre

N`est pas digne d'être la proie du lion féroce.

Si le faucon se lie d'amitié avec les moineaux,

Il devient bientôt aussi faible d'esprit que ses victimes.

Le Législateur, qui connaissait tout le bien et le mal,

T'a prescrit cette ordonnance de pouvoir.

Par le labeur, tes nerfs sont fortifiés

Et tu es élevé à un haut rang dans le monde.

Si tu es blessé, ceci te rendra fort

Et aussi ferme qu'une chaîne de montagnes.

La religion d'une vie pleine est la Foi de Mohammad,

Sa Loi est le commentaire des règles de la vie.

Si tu es aussi bas que la terre, elle t'élèvera aussi haut que le ciel,

Et te mettra en harmonie avec les ordres de Dieu.

La pierre, par cette foi, est polie comme un miroir,

La rouille est enlevée de l'acier du coeur.

Maintenant qu'est oubliée la Parole de Mustapha,

Son peuple ne possède plus le secret de sa continuité.

Ce jeune arbre, altier et fermement enraciné,

Ce musulman des déserts, monté sur un chameau

Qui, dans la vallée de Batha, fit ses premiers pas

Et qui fut éduqué dans la chaleur des sables,

A présent, diminué par le vent de Ajam,

Est devenu mince comme un roseau.

Celui qui tuait les lions comme des moutons,

A présent s'effraye d'une fourmi.

Celui qui, par le cri de Allahu Akbar transformait le roc en eau,

Tremble en entendant le chant du rossignol ;

Celui dont la volonté considérait le mont infime comme une paille

Se soumet entièrement à la résignation ;

Celui dont le coup, jadis, brisait la nuque de l'ennemi,

A le coeur blessé par son propre battement.

Celui qui franchissait audacieusement cent tumultes

Se retire maintenant dans la solitude.

Celui à l'ordre de qui nul n'osait désobéir,

Au seuil de qui se tinrent en mendiants Alexandre et Darius,

Son ardeur se contente d'une faible satisfaction;

Il est fier de tendre l'écuelle des derviches.

Sheikh Ahmad (Rifaï), Sayyed sublime comme les sphères,

A l'esprit duquel le soleil emprunte sa lumière

(Les roses ornant sa tombe sainte

Jaillissaient de sa poussière en disant La ilaha),

Parla ainsi à un disciple: " Ô toi, mon ami,

Il convient que nous prenions garde aux imaginations de l'Iran ;

Bien que leurs pensées aient surpassé les cieux,

Ils transgressent les limites de la Foi du Prophète. "

Et reçois attentivement l'avertissement d'un sage de notre Communauté;

Sers­toi de ces paroles véridiques pour fortifier ton coeur,

Conforme­toi aux usages des Arabes, pour être un vrai musulman.