La bastide royale de Rabastens-de-Bigorre



Bibliographie * Documents (textes) * Documents (graphiques)
Cette monographie de la petite ville de Rabastens-de-Bigorre a été publiée en 1999. elle devrait faire l'objet d'une réédition complétée en 2002 ou 2003. En voici les premières pages, sans les illustrations.
La bastide royale de

RABASTENS DE BIGORRE

Des origines au XVIIIe siècle
 
 
 
 

Stéphane ABADIE 

(c) 1999
 
 
 
 
 

INTRODUCTION
 
 

Une bastide méconnue




La bastide de Rabastens est une cité-frontière de la Bigorre, une “porte”. Vite traversée, apparemment pauvre en vestiges archéologiques et en archives, elle n’a retenu ni l’attention des chercheurs, ni celle des curieux. Pourtant, l'unique bastide royale de Bigorre, qui est également la plus anciennement fondée, mérite mieux que l’indifférence. Une cité qui faillit devenir capitale de la Bigorre, qui excita la haine de ses voisins au point de tuer, qui fut réduite en cendres par Blaise de Montluc en personne… vaut qu’on s’y attarde un moment. 

Nous avons choisi de réaliser ce travail selon deux axes principaux: tout d’abord nous avons tenté de comprendre les ressorts qui expliquent l’origine et l’aménagement de cette bastide. Nous avons ensuite essayé de comprendre ses transformations, les dynamiques de son évolution architecturale, sociale, économique pendant cinq siècles, jusqu’à la Révolution Française.

Le lecteur s’étonnera peut-être de l’absence de certains thèmes d’étude. Pour pouvoir s’appuyer en permanence sur une documentation vérifiable, il a fallu se cantonner aux données que livrait une documentation, hélas, souvent limitée.

La modestie de la documentation et de certains résultats pourra surprendre. C'est pourtant l'apparente banalité même de cette petite ville qui en fait tout l'intérêt. Ici, a priori peu de glorieux fait d'armes ou de grands personnages qui occultent la vie quotidienne. Ce qui apparaît avant tout, ce sont les activités des habitants, les traces fugaces de leur labeur... Rabastens est en fait le parfait exemple d'une petite bourgade commerçante, comme il en existe tant d'autres ailleurs, que l'Histoire rejoint parfois, presque par hasard.

Je tiens à remercier tous ceux qui m'ont apporté une aide dans la réalisation de cet ouvrage, en particulier les membres de la municipalité de Rabastens, mais aussi Jean-Pierre Carrère, Guy Cassagnet et Lucienne Michou, qui ont eu la patience et la gentillesse de relire le manuscrit et d'y apporter d'utiles corrections.
 
 

Historiographie sommaire du sujet




Si l’on excepte les premiers travaux des grands historiens locaux des XVIIe et XVIIIe siècle (Mauran, Colomez…), le premier chercheur à avoir travaillé sur la ville fut Alcide Curie-Seimbres. Originaire de Trie, cet “antiquaire”, comme on appelait alors les historiens-archéologues, s’intéressa très tôt aux bastides. Il publia en 1863 un article complet de 23 pages sur l’histoire médiévale de Rabastens, dans une revue agenaise (la Revue d’Aquitaine) tirée à part, qui a été récemment rééditée chez David Lacour. Curie-Seimbres consacra également quelques lignes à la ville dans son ouvrage de 1880 ayant pour thème les bastides du Sud-Ouest. La même année 1863 Jules Bascle de Lagrèze, dans son Histoire religieuse de la Bigorre, consacrait un trop court chapitre aux archives du couvent des carmes, et Cénac-Moncaut, dans son Voyage archéologique et historique dans l’ancien comté de Bigorre livrait une analyse très personnelle de l’église Saint-Louis.

Au début de notre siècle, un percepteur, Didier France, qui vivait et exerçait à Rabastens, réalisa une monographie de sa cité. Son travail est signalé par Louis Roques, mais aujourd’hui introuvable.

Un archiviste-paléographe parisien, Odon de Saint Blanquat, publia en 1942 une remarquable synthèse sur les bastides, à partir du travail de Curie-Seimbres. Il répertoria en particulier des sources que l’érudit oubliait trop souvent de mentionner, et notamment celles de Rabastens. Saint-Blanquat devint par la suite archiviste honoraire à Toulouse.

L’instituteur Louis Roques, en 1973, écrivit une importante monographie de sa petite cité, mine d’archives et d’anecdotes pour l’époque moderne et contemporaine.

En 1980 le monumental ouvrage collectif Bigorre et Quatre Vallées, publié sous la direction de Jean-François Le Nail, archiviste départemental, et Jean-François Soulet, universitaire tarbais enseignant à Toulouse, offrait quelques données inédites et un plan interprétatif.

Plus récemment, en 1989, l’archéologue Frédéric Vidaillet a consacré quelques trop courtes pages à la bastide, dans une étude archéologique sur le canton conservée sous la forme d’une maîtrise à l’université de Toulouse-Le Mirail.

En 1997, un jeune chercheur bordelais, Cédric Lavigne, a publié une première analyse, fort originale, du parcellaire médiéval de la commune. A la fin de 1997, nous avons écrit une très modeste monographie de l’église Saint-Louis.

En 1998, enfin, les géologues Jean Bonnefous et Raoul Deloffre ont publié une étude sur la géologie des bâtiments de la région, dont l'église de Rabastens (Eglises, châteaux et fortifications de la Bigorre, Pau, JD 1998).
 
 

Les sources


Les sources de l’histoire de Rabastens sont assez pauvres, mais variées. Pour le moyen âge nous ne disposons que de rares chartes d’accès difficile (fondation, coutumes, paréage du Castera…), et de mentions éparses très limitées. De l’activité consulaire nous ne connaissons que la lettre aux consuls de Clarenx, et un testament d’un habitant de Villecomtal, seul original conservé dans le fonds de Tarbes. L’unique document “complet” est le censier de 1429 (31 folios consacrés à la bastide), mais il manque lui aussi de précision -les comptages sont faits par quartier- et oblige à formuler plus d’hypothèses que de certitudes. On peut compléter partiellement ce document par les comptes de la sénéchaussée de Bigorre pour 1361-1362, et le compte-rendu de la visite du comté par Adam de Houghton pour le roi Edouard III d'Angleterre, en 1362. Ces deux documents conservés à Londres n'ont pas été publiés, mais il en existe une excellente synthèse réalisée par Pierre Capra et Françoise Bériac en 1992 (voir en bibliographie). L’ensemble documentaire est donctrès modeste, et certains aspects (vie rurale, liens avec certains villages voisins…) nous échappent complètement.

Le XVIe siècle serait d’une totale indigence s’il n’existait quelques actes rescapés du couvent des Carmes, et surtout les textes de Montluc et de Cornac pour l’année 1570. Ces derniers permettent au moins de saisir sommairement l’aspect de la bastide médiévale et du château avant leur destruction.

Le XVIIe est un peu mieux loti: les premières traces des comptes consulaires apparaissent, le fonds des Carmes est bien fourni, la documentation archéologique permet de faire quelques remarques à l’échelle de la maison, et on possède le premier texte d' historien local (celui de Mauran).

Le XVIIIe siècle autorise les premières statistiques fiables: on dispose des premiers plans de la bastide (1749), de comptages de feux nominatifs, de quelques inventaires dans divers fonds. C’est le seul moment où on voit les hommes s’animer un peu dans leurs activités quotidiennes, le tout avant la Révolution de 1789.

Les fonds d’archives révolutionnaires ne sont pas d'une très grande richesse. Ils permettent cependant de connaître le devenir des biens nationaux vendus dans la commune, et quelques-uns des incidents qui émaillèrent cette péride troublée.
 
 

Liste des abréviations utilisées:


ADF: Archives Départementales de l’Ariège (Foix)

ADG: Archives Départementales du Gers (Auch)

ADHP: Archives Départementales de Hautes Pyrénées (Tarbes)

ADPA: Archives Départementales des Pyrénées Atlantiques (Pau)

AGM: Association Guillaume Mauran

AN: Archives Nationales

BMT: Bibliothèque Municipale de Tarbes

BQV: Bigorre et Quatre Vallées

BSAG: Bulletin de la Société Académique du Gers

BSAHP: Bulletin de la Société Académique des Hautes-Pyrénées 

CDDP: Centre Départemental de Documentation Pédagogique

GAPO: Groupe Archéologique des Pyrénées Occidentales; revue du même nom

PRO: Public Record Office (Londres)

RG: Revue de Gascogne

RHP: Revue des Hautes-Pyrénées

SAHP: Société Académique des Hautes-Pyrénées 
 
 

Pour éviter le renvoi systématique à des notes, nous avons choisi d’intégrer les références documentaires entre parenthèses dans le corps du texte, de façon abrégée. Par exemple les Glanages de Jean-Baptiste Larcher sont référencés comme suit: le chiffre romain donne le numéro du volume (de I à XXV), le chiffre suivant indique le numéro de la page. Les ouvrages cités sont référencés dans la bibliographie. 
 
 

Un peu de géographie…


La bastide de Rabastens est située en marge de la vallée de l’Adour, au nord des Hautes-Pyrénées, à l’angle nord-est de l’ancien comté de Bigorre. Sa position est très favorable: 

    au cœur de riches terres creusées par l’Adour, terres argilo-siliceuses, pierreuses mais fertiles une fois drainées. L’irrigation est aisée grâce à de nombreux ruisseaux naturels ou artificiels, la nappe phréatique est peu profonde, le blé et les autres céréales (les bleds) y poussaient bien, comme le maïs aujourd’hui.
    au pied des coteaux qui marquent la limite est de cette vallée, coteaux formés en majorité de grès et de molasses, peu fertiles, mais favorables à la constitution de pâturages et à la vigne. On trouve aussi ponctuellement des fosses d’argile à tuiles, et des carrières pour extraire de la pierre à chaux, seul usage possible pour cette pierre de qualité médiocre.

    sur un passage privilégié vers l’est, un endroit unique où le coteau s’abaisse brusquement pour permettre un accès facile vers le comté de Pardiac (vers le village de Villecomtal puis la bastide de Miélan).

L’implantation de Rabastens doit peu au hasard: elle se trouve au cœur d’un terroir au potentiel varié et favorable à la polyculture, et à l’entrée d’une passe stratégique pour le commerce entre deux comtés.

 
 

I- Avant la bastide



 

    Un substrat prémédiéval mal connu
On sait fort peu de chose sur l’occupation pré- et protohistorique dans la région de Rabastens. Un agriculteur de Sénac, A. Cazanave, effectua des recherches à partir des années 1930 et fit une série de découvertes. Son importante collection est conservée au Musée Pyrénéen de Lourdes, et a été étudiée par Jacques Omnès (Préhistoire et protohistoire des Hautes Pyrénées, AGM 1987). 

C’est ainsi qu’il a retrouvé une hache polie en grès, datée du néolithique, au lieu dit “champ de Baru” à Rabastens. A Lescurry et Castéra-Lou, plusieurs outils en pierre taillée ont été retrouvés (non publiés). A Sénac, ce sont de nombreux bifaces et pointes moustériennes qui ont été découverts, ainsi qu’un important matériel néolithique (plus de 37 haches polies, des polissoirs, des broyons…). Des recherches récemment entreprises par un chercheur toulousain ont d’ailleurs montré la richesse exceptionnelle du matériel archéologique préhistorique dans cette commune de Sénac.

Enfin on peut signaler la découverte récente (en 1980) d’un nucleus de silex par Jean Barragué à Mingot, et une hache en bronze à bords martelés, d’un poids de 435 grammes et datée du bronze moyen, trouvée à Bazillac en 1955 (collection Corbères, cités par J. Omnès).
 
 

L’occupation antique proprement dite se réduit à fort peu de choses répertoriées: A Sénac un aureus de l’empereur Majorien (monnaie d’or datée de 457-461) fut retrouvé par un berger à la fin du siècle dernier; il n’a pas été localisé ni conservé, et correspondait peut-être à un habitat antique (cité dans la Carte Archéologique).

Roland Coquerel a signalé en 1977 un petit habitat antique à Liac (non localisé), alors que Frédéric Vidaillet, dans sa maîtrise de 1989, a découvert un indice d’occupation antique au pied de la colline du turon à Lacassagne, un tesson d’amphore et des laitiers de forge. La découverte la plus importante reste cependant une villa antique à Bazillac, ainsi que d’autres habitats de taille plus réduite sur le même territoire, par Roland Coquerel.
 
 

Sylvain Doussau, dans sa carte du cadastre antique de la plaine de l’Adour, publiée en 1996 (GAPO), intègre Rabastens dans son carroyage de centuriations – un “parcellaire antique”. Si ces centuriations existent probablement dans la région de Vic-Bigorre (nous en avions nous même signalé la trace possible dans notre maîtrise en 1995), leur existence est plus hypothétique sur Rabastens, où aucun indice archéologique ne permet d'avoir actuellement de certitude à ce sujet.

Il n’en reste pas moins que l’occupation fut dense ici comme dans le reste de la plaine, les noms de villages dérivés de noms de propriétaires gallo-latins le prouvent: Bazillac, Liac, Sarriac, sans doute pont de Barrac sur l’Aule, peut-être la terre de Batac, avec un suffixe de propriété en –ac(um). Nous mettons le manque de données sur le compte de l’absence de prospection archéologique plus que sur l’absence de vestiges réels, bien que la nature marécageuse de beaucoup de terres ait pu empêcher l’installation de grosses unités agricoles antiques faciles à identifier.
 
 

Quand à l’occupation du haut moyen âge, elle n’est connue que très sporadiquement: une tombe du VIe ou VIIe siècle à Bazillac, des fonds de cabane (?) et des sarcophages à Sarriac, quartier de Gleize-Vieille (cités par Frédéric Vidaillet). On peut également signaler un probable castera au lieu-dit Tuc de la hountagnère , sur le territoire de Mingot. Dans le Gers, ces fortifications de terre sont réputées être des vestiges d'enceintes de protection mérovingiennes ou carolingiennes. 

Sans doute le manque de vestiges est-il lié là aussi au manque de prospections, et à la rareté des fragiles vestiges matériels de cette période mal connue.
 
 
 
 

    Une occupation médiévale importante (XIe-XIIIe s.)
La bastide de Rabastens n’est pas née ex nihilo sur un territoire complètement vierge, même si la charte de fondation indique que ces terres “étaient réputées appartenir au roi”, c’est à dire sans seigneur direct. Une série de villages étaient implantés antérieurement autour de ce territoire, dont la plupart existent encore. Nul doute, comme le souligne Curie-Seimbres, que les villageois exploitaient des terres sur ce territoire avant la fondation de Rabastens. Un rapide tour d’horizon de ces habitats médiévaux s’impose donc pour comprendre l’occupation du sol de cette marge du comté de Bigorre à la fin du XIIIe siècle. Nous avons réalisé ici quelques courtes notices des principaux villages contigus à la bastide, à partir des travaux archéologiques déjà réalisés, de nos propres observations et des sources médiévales “classiques” de la Bigorre (censiers de 1285 à 1429, et pouillés de 1342 et 1379).
Bazillac est la plus importante seigneurie de cette partie de la Bigorre. Les sires de Bazillac sont connus dans l’entourage comtal dès le XIe siècle (“donation” de la Bigorre à Notre Dame du Puy, charte probablement apocryphe), et ont le rang de baron au XIIIe siècle. Ils contrôlaient plusieurs autres seigneuries, dont Barbachen, Ugnouas, Ansost, Chis, Pouyastruc, et au XVe siècle Camalès, Marsac…

Le territoire de Bazillac recèle plusieurs sites médiévaux: La motte du Pleix, récemment sondée dans sa basse-cour, fut occupée au XIIIe siècle au moins, et abandonnée au siècle suivant. Le village actuel comprenait également une “barbacane” avec murs et fossés (place de la Mairie), complètement arasée. Enfin le château moderne de Florence, du XIXe siècle, recèle dans son parc une motte qui est le seul témoin en élévation de cette seigneurie et village castral disparu vers le XVe siècle, implanté près d'un site antique.

Escondaux ou Escondeaux (cacographie moderne) pose un problème plus complexe. Ces “terres comtales” (c'est le sens exact d'eths condaus) ne sont signalées que dans le censier de Rabastens en 1429, où ces terres sont exploitées par des Rabastenais. Il est dès lors difficile de savoir s’il existait un noyau d’habitat préexistant à la bastide, surtout s’il n’existait pas de véritable village paroissial. Le territoire d’Escondaux ne fut séparé de Rabastens et érigé en commune qu’en 1845.

L’église d’Escondaux, dédiée à Saint-Jean-Baptiste, succursale de celle de Rabastens, est mentionnée à la fin du XVIIIe siècle (Pouillé des paroisses de Larcher, v.1750, in Souvenir de la Bigorre, 1883, T.III, et Enquête de 1783). Cette première église, d’après F. Vidaillet, se trouvait au quartier des Guillamots, et fut déplacée au début du XIXe siècle vers le principal noyau d’habitat. L'église actuelle conserve sur le portail et sur une pierre de dédicace la date de construction: 1834. Il faut noter qu'une chapelle collatérale de cette petite église est dotée d'un autel et d'un tabernacle dorés de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, complétés de trois angelots ayant appartenu à un rétable démonté. Cet ensemble sculpté provient probablement de l'ancienne église des Guillamots.

Haget, sur un coteau au nord de la bastide, porte un nom roman (celui du hêtre). Il se trouve dans le comté de Pardiac. Le village est cité comme paroisse au XVe siècle. La localisation de l’habitat médiéval n’y est pas connue (on peut citer le quartier de Clarac, où des vestiges de l’ancienne église sont signalés, et celui de la gelle, déformation de la vi[e]lle), mais le quartier de Teulé, immédiatement au nord de la bastide, correspond à une partie du village bigourdan disparu du même nom, rattachée tardivement au territoire de Haget.

Le nom de Lacassagne est typiquement roman: il désigne une chênaie. Ce village est cité dans la montre de 1285: castra et villaappellata Lacassagne. En 1300 le comte de Bigorre y perçoit quelques cens, et en 1313 le seigneur est le damoiseau Arnaud de Lacassagne. En 1491 encore le seigneur est un de Lacassagne. L’église de ce village est paroissiale dans le pouillé de 1342, enregistrant une réalité plus ancienne, et le village compte 41 feux en 1429.

On peut tirer de ces quelques renseignements que ce village est structuré dès le XIIIe siècle au moins, avec une église et un seigneur d’origine locale, dont la famille subsiste après la fin du moyen âge. Les 41 feux de 1429 indiquent que l’habitat est resté relativement important malgré les crises et la présence de la bastide voisine. L’occupation du sol reste délicate à analyser. La colline dite du “turon” a livré d’après Louis Roques du matériel archéologique, non daté et dispersé: “lors de défoncements de terrain [on a découvert] de nombreux vestiges de ce temps là: briques et poteries, objets de cuivre ou de bronze de l’époque, outils rouillés”. L'époque en question n'est pas précisée. Frédéric Vidaillet a trouvé à proximité un tesson d’amphore et des laitiers de forge qui attestent une occupation antique. Il a également signalé en contrebas un lieu-dit Saint-Upery (Saint Exupère) qui pourrait être l’emplacement d’un lieu de culte disparu. La colline du castetbieilh présente, elle, des traces de fortifications. Elle pourrait avoir abrité l’habitat médiéval, sans autre preuve cependant que des talus de terre et ce nom. Une troisième colline dite “du château” porte l’actuel château, propriété de M. de Castelbajac en 1793, acheté en 1801 par le préfet Lannes, restauré par le capitaine Girardin en 1880 (Louis Roques, Monographie de Lacassagne ADHP F150), château actuellement ruiné. Le parcellaire montre que dans le parc de ce château une structure fossoyée subsiste, trace probable d’une fortification antérieure, peut-être un château de la fin du moyen âge. Enfin l’église se trouve trois cent mètres en contrebas, le long de l’unique rue nord-sud qui dessert la plupart des habitations du village-rue moderne. Cette église date du XVIIIe siècle, avec de splendides retables classiques, mais le cimetière est curieusement surélevé sur trois faces, et la porte conserve en remploi un chrisme roman, peut-être du XIIe siècle.

La complexité de cet habitat ne permet pas actuellement de comprendre facilement la structure originelle de ce village. Il est cependant évident que l’occupation est fort ancienne, et s’est concentrée sur les points les plus élevés, qui ont donné lieu à divers aménagements défensifs.

Lescurry est signalée dans la montre de 1285 : villa … de Lascurri. Son église Saint-Jean est paroissiale dans le pouillé de 1342. L'église actuelle est en grande partie datable du XVIIIe siècle, mais son chevet polygonal avec fenêtres à réseau est de style gothique (XVe ou XVIe siècle). La communauté comprend 17 feux en 1429, et appartient alors au sire de Villapinta. L’emplacement et la structure de ce petit village médiéval ne sont pas connus par ailleurs, son nom est peut-être dérivé de curtes (les cours seigneuriales?). On ne peut que remarquer la proximité de l’église et du château moderne, dont le parc conserve un plan elliptique curieux qui pourrait correspondre à une structure plus ancienne (emplacement du village médiéval?).

Mingot est un village très mal connu. Son nom médiéval était Casted gelos, “Casteljaloux”. Il est cité en 1285 dans la montre de Bigorre comme confront du Pardiac: Castra de… Casted Geloos in confinio et confrontinio dictae terrae de Pardiaci et Bigorre. Certains auteurs affirment que ce village faisait partie des biens de la commanderie de Bordères, mais sans citer leurs sources. On sait seulement que ce village appartenait à Jean de Gardères, seigneur de Laguian, en 1467, qui le vendit à Jean de Lacassagne, devant le notaire de Rabastens Pierre de Sallefranque (Larcher, Glanages, X, 273). En 1531 noble Amanieu d’Astorg, et Gabriel de Bonnet, époux de Catherine d’Astorg, sont coseigneurs d’Estampes et de Castetgelos prope Rapistanum (Casteljaloux près de Rabastens), et patrons de la cure de Castetgelos (Glanages, X, 369). En 1564, Jean de Lacassagne est le seigneur, qui fait régler aux habitants du village un achat à un marchand de Vic (cité par Louis Roques, p.27).

Le nom de Mingot n’apparaît que tardivement; le Pouillé de Larcher, vers 1750, indique par exemple l’église “Saint Jean Baptiste de Castetgelous ou Mingot”. D’après F.M. Berganton ce nom de Mingot serait la déformation (un diminutif) de Dominicus/Dominique, nom qui correspond bien à l’époque tardive de son apparition. Nul besoin donc de faire appel à une hypothétique et folklorique anglaise qui aurait trouvé le lieu charmant, d'après la légende locale rapportée par Louis Roques, et qui est manifestement née dans l’esprit débridé de l’auteur de l’enquête archéologique de 1858 (BSAHP 1858). Oh My God!

La seule structure médiévale visible sur le terrain est l’église et une grande ferme qui la surplombe, étudiés sommairement par l'enquête archéologique de 1858 qui signale que “dans une propriété attenante à l’église, on a trouvé des sabres rouillés et des ossements qui font présumer qu’une bataille a dû s’y tenir. On y voit encore un ancien château. Sur la porte de l’église: pierre avec inscription”.

L’église Saint Jean-Baptiste actuelle pourrait être d’origine romane, si on en juge par l’épaisseur de ses murs et la forme semi-circulaire de l’abside; la dédicace plaide dans ce sens, même si le crépi empêche toute confirmation de visu. L’élément le plus précoce est une fenêtre à angles biseautés datable du XVIIe siècle. Le mobilier liturgique est du XVIIIe siècle. Au-dessus de la porte on peut voir un chrisme de facture moderne, qui est peut-être la réinterprétation maladroite d’un authentique chrisme médiéval disparu.

La ferme située immédiatement au nord peut dater du XVIIIe siècle. Sa forme curieuse, les nombreux remplois de pierres dans les murs et la clôture indiquent que cette bâtisse est la reconstruction d’un bâtiment antérieur, qui doit correspondre au “château” de 1858. Ferme et église sont enserrés sur un sommet de coteau par des fossés et talus qui ne subsistent en bon état qu’au niveau du cimetière. Ce couple église-château fortifiés peut correspondre à un petit castelnau médiéval, qui aurait regroupé l’habitat, comme le prouvent quelques rares tessons du bas moyen âge retrouvés près de l’église.

A noter également, la présence au tuc de la hountagnère, près de Sénac, de hauts talus qui enserrent anormalement un sommet de coteau, et qui pourraient correspondre à un castera (du haut moyen âge?).

La seigneurie de Sarriac (Serignac dans les textes médiévaux) est connue à partir de 1313, mais son nom indique une occupation antique. Elle est alors partagée entre les damoiseaux Bernard de Sanguinède et Garsie-Arnaud de Cucuron. 

Sarriac est une paroisse en 1342, déserte en 1379 suite à la grande peste, mais compte de nouveaux 37 feux en 1429. Le village actuel présente un habitat informel, avec à l’ouest un château qui appartenait aux sires de Saint Pastou et une église moderne (remontant peut-être au XVIe siècle).

Par contre, Frédéric Vidaillet l’a bien montré dans sa maîtrise, le village médiéval se trouvait beaucoup plus à l’ouest, dans le quartier de Gleize-vieille (la vieille église). Son emplacement était marqué en 1750 par une croix (mentionnée sur le plan de la route Vic-Rabastens, ADG série I). L’Enquête des paroisses de 1783 signale par exemple que “il y a à la distance d’un quart de lieue de la paroisse [une chapelle] dédiée à l’Assomption de la Vierge communément appelée Gleize Vieille, où l’on dit qu’étoit située anciennement l’église de la paroisse. Les messes y sont taxées 15 sols et par un usage immémorial nous allons en procession quatre fois chaque année à ladite chapelle, savoir la fête de Pentecôte pour y recevoir la procession de Bazillac qui y vient en dévotion, le jour de la Trinité, le jour de l'Assomption…”. L’instituteur du village, en 1887, est encore plus précis: “Gleize Bielle où se rendent par tradition religieuse les processions de Bazillac et de Liac. Il y a près de là une fontaine miraculeuse à laquelle on attribue la vertu de guérir les douleurs […] Ces faits sont exacts, il y a dix ans je voyais encore ces processions qui se faisaient le matin de la Saint Jean avant le lever du soleil. Les visiteurs déposaient religieusement l’argent sur la pelouse et le propriétaire des lieux le recueillait pour le remettre finalement à M. le curé qui en disait des messes. Cet usage a presque totalement disparu mais la fontaine existe encore. […] Là s’élèvent encore des ruines; ce sont celles de l’église dont les murailles assez bien conservées gardent encore des traces de peintures. […] La tradition m’apprit que le village était anciennement construit aux environs de ce lieu. Les masures que l’on a trouvées en fouillant ce sol confirment le fait. On a trouvé également près de la fontaine et de l’église, il y a environ 150 ans, des ossements humains et des cercueils de pierre qui font penser qu’un cimetière avait existé en ces lieux. Il existe encore chez deux propriétaires de Sarriac deux de ces pierres creuses qu’on se plaît à regarder à cause des souvenirs qu’elles rappellent”. La présence de ces sarcophages ( du haut moyen âge ?) laisse supposer qu’un habitat haut-médiéval se trouvait également dans ce quartier, s’il ne s’agit pas de remplois.

Ségalas porte un nom typiquement roman, celui du seigle. Le lieu (segalanum) est cité comme confront en 1300, mais pas en 1342 parmi les paroisses. F. Vidaillet a remarqué un toponyme Lagarde près du noyau principal de ce village aux fermes dispersées, qui pourrait correspondre à une fortification disparue. Un Lagarde est cité comme seigneurie indépendante au XVIIe siècle dans cette zone, et correspond probablement à la même localisation (Roole de 1635). Le territoire de Ségalas fut regroupé avec deux petites seigneuries voisines à la fin du XVIIIe siècle pour former la commune actuelle (en fait trois, si on compte Lagarde; BQV, p.810). Bourg est le second noyau villageois de Ségalas. L’église paroissiale actuelle y est installée, à une croisée de chemins et dans un quartier nommé gleisasse, qui indique qu’une église plus ancienne existait auparavant. Ce village se partageait en deux quartiers, Bourg-darré et Bourg-davant, séparés par un ruisseau. Un toponyme casteret pourrait indiquer là aussi la trace d’une fortification disparue.

Teulé, Teuler ou Theulé selon les orthographes, est le troisième noyau villageois associé aux deux premiers. Son histoire est plus complexe et mieux connue. Teuler (de teulerius, le tuilier) désigne des tuileries; c’est un nom typiquement roman (donc probablement médiéval, postérieur au Xe siècle). Des sires de Theuler sont connus depuis la fin du XIIIe siècle: Guilhaume Arnaud de Theuler en 1290, Arnaud Guilhem de Theuler en 1300, Manaud de Theuler en 1313 (qui possède aussi une partie de Liac). En 1429 le seigneur est le sire de Saint Lary, qui loue des terres aux habitants de Rabastens, ce qui indique que la seigneurie est tombée en quenouille ou a été rachetée. Cette famille de Saint Lary possède encore le village en 1635 (Roole de 1635). Ce village comptait 8 feux en 1313.

La toponymie atteste qu’une partie du territoire de cette seigneurie de Teulé se trouve partagée entre les territoires communaux de Haget, de Rabastens et de Ségalas. F. Vidaillet a découvert sur le territoire de Ségalas l’emplacement probable d’une motte castrale arasée d’une vingtaine de mètres de diamètre, probable emplacement de la forteresse des sires de Teulé, qui a livré de la céramique du bas moyen âge. Larcher, vers 1750, signale l’existence des ruines de l’église: «Les masures de l’église sont dans un pré de M. de Monlezun ». Cette église disparue n’a pas encore été localisée.

Villecomtal est un village de frontière, dans le comté de Pardiac, installé près d’un gué sur la rivière Arros. Comme son nom l’indique, il fut créé par le comte de Pardiac, qui dota le village d’une charte de coutumes en 1337. Du village médiéval il ne subsiste cependant qu’une tour-porte très restaurée et deux fragments de murailles attenants, car la structure du village médiéval a presque complètement disparu avec les remaniements modernes. Un chemin, avant celui de 1750, reliait ce castrum à la bastide de Rabastens. Les archives consulaires de Rabastens conservent un testament de 1425 concernant un héritier de Villecomtal, certainement parce que nombre de terres mentionnées étaient frontalières de celles de la bastide.

Mentionnons également un lieu dit Batac, « voisin de Rabastens » mais non localisé, probablement à l'est du territoire communal, puisque le lieu relevait du comte de Pardiac en 1429. Batac était un territoire agricole, peut-être une ancienne seigneurie, mentionnée dans le censier de 1429 pour un habitant de Rabastens (Guilhem deu cluset [...]au comte de Perdiac per tres arpentz que ten en Vatac, IIIte sos tholsas) , et dans des dénombrements du prieuré de Saint Lézer. En 1402 ce prieuré possède à Batac la moitié des dîmes de tous les bleds et des raisins (Item in territorio vocato de Battato prope locum de Rabastenxis Bigorrae medietatem omnium bladorum et uvarum)et en 1679 encore le transcripteur mentionne en bas d'une liste qu' «on a omis [...] la dixme de Batac» (Larcher, Glanages, IV, 113 sq, et XXI, 155).

Le censier de 1429 signale également un Castelnau côté Pardiac (peut-être Montégut-sur-Arros); et pour le comté de Bigorre les villages de Bours, Montfaucon, Lafitole, Liac, Frulin (disparu, près de Montfaucon), Ansost et Bordun (disparu également, au nord de Lafitole).

Les quelques exemples détaillés ci-dessus montrent que le nord-est du comté de Bigorre était mis en valeur par de nombreux villages, castraux pour la plupart, formant un maillage serré à la fin du XIIIe siècle. Une vision précise n’en sera possible que quand une prospection fine sera effectuée dans ce canton, sur la base de celle réalisée en 1989 par Frédéric Vidaillet.
 
 

La bastide royale ne fut donc pas implantée sur un territoire réellement “vierge”, mais bien dans un “interstice” laissé libre par les villages voisins, peut-être à cause d’une qualité moindre des terres (barthes très humides…). Nous écartons actuellement l'idée d'un habitat préexistant à Rabastens sur le même emplacement, comme l'a supposé F. Vidaillet (dans le quartier de Saint-Michel au sud de la bastide), car aucun document ni vestige archéologique ne l'atteste, et ce toponyme est identifié à un quartier et une porte urbaine Saint-Michel bâtie au XIVe siècle. La documentation indique seulement en 1305 la présence d'un bois comtal dans cette zone.

Curie-Seimbres signale cependant qu’un censier des années 1310 (celui de 1313?) porte que des habitants de Lescurry et Sarriac payaient des oblies pour cultiver des terres sur le territoire de la bastide, preuve selon lui que ces cultivateurs exploitaient là des terres avant 1306.

II- Le XIVe siècle

    La création
La fondation de la bastide est bien connue grâce aux archives du Parlement de Paris analysées par Odon de Saint Blanquat, et par les troubles que causèrent cette fondation en Bigorre même, étudiés par Alcide Curie-Seimbres en 1863.
    Le contexte
Le début du XIVe siècle est une période de troubles politiques en Bigorre. La mort du dernier comte, Esquivat de Chabanes, en 1292, a ouvert une véritable guerre de succession entre les prétendants de toutes les grandes familles du Sud-Ouest. Les cinq mariages successifs de la comtesse Pétronille, un demi-siècle plus tôt, et le non-respect de son testament ont en effet rendu le jeu des héritages totalement opaque en Bigorre. Fort logiquement, le comté devient aussi une proie tentante pour les souverains. 
Le roi d’Angleterre pose le premier le séquestre sur la Bigorre, et fait réaliser dès 1285 une “montre”, inventaire rapide des richesses du territoire. Il ne peut cependant maintenir longtemps ses prétentions sur une terre qui n'a jamais relevé de sa couronne.

Le roi de France réagit assez vite: il fait valoir les droits de son épouse, Jeanne de navarre, à la possession du comté. Il pose à son tour le séquestre sur le comté, y installe un sénéchal et une petite administration. Il décide également de fonder une première ville fortifiée qui sera son cheval de Troie sur ces terres hostiles et mal connues, et qui fera contrepoids face aux indépendants tarbais. Cette ville neuve, nova bastida, ce sera Rabastens. 

Sur celle querelle de succession se greffe donc la lutte séculaire entre les deux souverains capétien et plantagenêt pour le contrôle de la Gascogne : depuis la première moitié du XIIIe siècle, Anglais et Français posent des jalons territoriaux sous la forme de petits centres urbains, les bastides, souvent fortifiées ici, qui servent à asseoir le pouvoir de l’un ou de l’autre. La fondation de Rabastens, comme celle de Beaumarchès, Plaisance ou Marciac un peu plus au nord, a donc un intérêt stratégique régional.

    Les acteurs
Les « acteurs » sont au nombre de trois dans cette affaire.
Le plus important est le représentant du roi, le sénéchal. Il est l’exécutant principal. C’est lui qui se charge de l’intendance, de la charte de fondation, des premiers travaux. En 1306, le sénéchal se nomme Guillaume de Rabastens. Originaire de la seigneurie de Rabastens, dans l’actuel département du Tarn, on le rencontre en Bigorre peu avant la fondation de la bastide. Il fut auparavant témoin en 1292 de la restitution de dot du comte de Foix Roger-Bernard à sa fille Marguerite. On retrouve ce sénéchal en 1305, signant des lettres de sauvegarde de l’abbaye de Saint-Savin. En mars 1306, un mois après avoir fondé Rabastens, il arbitre un conflit entre les vallées de Lavedan et de Barèges (arch. de Luz FF2), arbitrage qu’il doit renouveler en avril 1307. Il quitte ses fonctions à ce moment, pour se consacrer à ses terres. Les archives du Gers conservent un acte de 1334 au nom de ce Guillaume pour des terres des seigneuries de Montmiral et Puyselchy (ADG I2947).

Il a parfois été confondu avec son frère Pierre-Raymond de Rabastens, qui le remplaça au printemps ou à l’été 1307. On retrouve celui-ci signant divers actes : il crée deux lieutenants de sénéchaux en septembre 1307, arbitre un conflit entre l’archidiacre du Montanérès et Raymond d’Ossun en 1310, assure de nouveau la paix aux Barégeois en 1316… Il perd sa fonction avant juin 1321 (Glanages, XIII,1,et XIII,319; I,194; XXV,417). Les archives d’Auch conservent deux testaments au nom de Pierre-Raymond de Rabastens, l’un antérieur à 1378, et l’autre de 1398, ce dernier devant correspondre au fils du même nom (ADG I2947). Notons que la famille garda des liens avec la Bigorre, puisque dans ce dernier acte est témoin un Huguo de Guariguo, habitator de Banheriis (Hugues de Guarigue, habitant de Bagnères; ADG I2947).

Le deuxième acteur est formé par les villes et villages de Bigorre, Tarbes et Vic en tête. Celles-ci se montrèrent hostiles à l’implantation d’une cité concurrente richement dotée dès sa fondation, au point de prendre les armes contre elle. L’intégration de la ville neuve au comté fut de fait assez difficile. 

Le troisième acteur est la population de la bastide. Des habitants vinrent rapidement s’installer, parfois de fort loin. Les quelques noms conservés dans les chartes et les censiers nous montrent que ce sont souvent des non-Bigourdans qui vivent dans la bastide au XIVe siècle- ils proviennent des comtés voisins, et ceux-ci sont encore nombreux au début du XVe siècle. La documentation du XVe siècle seule nous montre des échanges réguliers avec les villages bigourdans voisins, signe d’une intégration réussie.

    Les troubles de la fondation
La charte de fondation fut retenue le premier février 1306, scellée par le sénéchal Guillaume de Rabastens, et confirmée à Paris le 26 février suivant (Recueil des ordonnances…, t.XII, p.504, et Trésor des chartes reg.65 fol.90). Ce document marque la naissance officielle de la bastide, contrairement à la charte de coutumes (réglant la vie quotidienne des habitants, les poblans) qui fut accordée postérieurement, copiant celle de Marciac.
Aussitôt, les consuls de Tarbes déposèrent une plainte auprès du parlement de Paris pour empêcher la fondation: ils prétendirent que la ville était fondée sur un bois, et que les Tarbais y avaient des droits d’usage (cité par Odon de Saint Blanquat, p.30, d’après Beugnot, Olim, t.III p.188). Mauran rapporte que ce bois s’appelait La louve, alias Cabane feuilleuse, et qu’il avait appartenu aux comtes de Bigorre (livre II, chap. 10).

En effet en droit, la bastide ne pouvait être fondée sans paréage que sur une terre royale ou comtale, et le sénéchal avait fait jouer que ces terres n’avaient pas de seigneur connu autre que le roi, et que par conséquent elles étaient réputées lui appartenir (asseruntur pertinere…). Nulle terre sans seigneur. Fort logiquement, le parlement de Paris repoussa la demande tarbaise et autorisa la poursuite de la construction (idem, Olim, t.IV, fol.78 v., et Boutaric, Les Actes du parlement de Paris, t.II No 3365, date 1306).

La suite de l’affaire est connue par Larcher: le sénéchal voulut obliger les Tarbais à venir plaider en justice dans la nouvelle bastide, où fut installé un juge royal (Glanages, IX, 310 et XIII, 370). Les Tarbais refusèrent obstinément, car ils savaient que le roi voulait ainsi les affaiblir, et créer un “Tarbes bis” en Bigorre, capable de menacer leur petite capitale. Cet épisode est confirmé par une copie (un vidimus) de l’officialité de Tarbes en 1310, qui transcrit un acte de Philippe le Bel adressé à son sénéchal en Bigorre le 13 novembre 1306 (voir en annexe), demandant que les Tarbais ne soient pas obligés d’aller plaider dans la bastide neuve de Rabastens (in nova bastida Rabastannis), ni dans une autre bastide royale à cause de leurs coutumes qui l’interdisaient (ADG I3388).
 
 

Les sénéchaux qui succédèrent à Pierre-Raymond de Rabastens ne ménagèrent ni leurs efforts ni leurs menaces pour imposer leur pouvoir dans le comté: par exemple en 1327 les délégués des villes de Bigorre furent réunis dans l’église Saint-Louis de la bastide par le sénéchal Guillaume de Carsan, pour être condamnés à une amende de 5000 livres tournois pour avoir employé des monnaies autres que la monnaie royale. De même en 1342, à hauteur de 4000 livres cette fois (in Charles Samaran, La Gascogne dans le Trésor des Chartes). La monnaie, droit régalien, était particulièrement surveillée par les officiers royaux. Mais cela n’avait pas de sens pour la Bigorre, qui employait majoritairement la monnaie béarnaise frappée à Morlaas et celle d’Aragon, la lointaine monnaie française n’ayant guère cours dans le comté. La menace d’amende semble toutefois avoir été récurrente… et source de bénéfices importants pour le roi: on en trouve trace encore au XVe siècle dans les archives de Vic.

Le danger pour les bigourdans ne fut pas seulement d’ordre économique: les Vicquois furent fort inquiets de la création de cette place de marché concurrente à leur porte, qui risquait de capter tout le commerce local. En 1341, faisant jouer leur origine comtale et leur protection royale fraîchement acquise, ils se firent accorder par la sénéchaussée le droit d’avoir deux foires, l’une à la Saint Vincent et la seconde à la Saint Martin. C’est certainement dans cette période qu’au pied du “château” de Vic-en-Bigorre fut créée l’actuelle place de la République, avec de grandes maisons à arcades destinées au commerce, et une vaste halle en bois entourée d’autres commerces (cadastre napoléonien, et Inventaire de Plantis en 1551).

La grogne des Vicquois ne s’arrêta pas là: en 1349 ils furent condamnés à payer cent livres d’amende pour avoir, lors d’une expédition en armes, frappé plusieurs Rabastenais et blessé un sergent royal de la bastide. De longues tractations furent nécessaires pour empêcher la levée de ces cent livres, mais la sentence du sénéchal fut finalement cassée (Glanages, XVI, 239). L’origine du conflit n’est pas connue, mais est peut-être à lier au contexte de peur de la Grande Peste en 1348-1352.

En 1360, la Bigorre passa dans le camp anglais par le traité de Brétigny, suite à la défaite du roi de France Jean II le Bon à Poitiers. Le 28 janvier 1361 un recenseur du roi d'Angleterre, Adam de Houghton, parti quelques semaines plus tôt de la région bordelaise, arriva à Rabastens après avoir visité le comté et nota la présence de la forteresse, ainsi que les revenus provenant de la mise aux enchères de la ferme des moulins et de la bailie. Il se dirigea ensuite vers Mirande, probablement par le chemin qui menait d'abord à Villecomtal. Une garnison anglo-gasconne fut à la suite installée dans le château et la ville -comme ailleurs en Bigorre.

Rapidement cependant, les villes de Bigorre furent reprises par les « Français ». Les archives anglaises montrent que le comte de Pardiac Arnaud de Monlézun harcelait la garnison et les habitants de Rabastens depuis 1362, sans doute autant par intérêt personnel que pour servir le roi de France. En septembre 1369, ce même comte de Pardiac dégagea la ville de Montfaucon de ses obligations envers Rabastens car cette dernière était encore aux mains des anglais: les Rabastenais furent alors qualifiés de rebelles et inobéissants au roi (rebelli et inobedienti domino regi); la ville capitula l’année suivante (voir aussi la capitulation de Tarbes et des villes de Bigorre, acte du duc d’Anjou ADG I3388, et Glanages, II, 289). Il ne reste guère de traces de cet épisode de la vie de la bastide, sauf peut-être un toponyme douteux et indatable au nord du territoire communal, le quartier deus anclès (des Anglais, ou des «angles» de champs?). Le comte d’Armagnac, qui signa l’acte de reddition pour le roi de France, fit remise à la ville des arriérés de paiement et accorda une somme pour la réparation des murs de la ville et autres fortifications (Curie-Seimbres p.15).

    Le pouvoir royal
En fin de compte c’est le pouvoir royal qui eut le dernier mot dans toute cette agitation; en réalité dès le début du siècle les jeux étaient faits, et la bastide assurée de son succès.
En 1313, dans le censier dit Debita Regi Navarre, inventaire des droits comtaux en Bigorre réalisé pour Louis X le Hutin, la bastide de Rabastens est mentionnée au dernier folio: de Rabastenchis Bigorre. Elle a déjà pris le nom de son fondateur, sous sa forme actuelle (la forme Rabastannis n’est attestée que dans un acte royal de 1306). 

Notons que dans cette même période le trésorier royal de Bigorre fit réaliser une copie du cartulaire de Bigorre, un important recueil de chartes concernant en particulier les droits des comtes de Bigorre, peut-être en préambule à la réalisation de ce nouveau censier. Il employa à cette tâche un notaire royal déjà installé à Rabastens, Arnaud de Claraguet, mentionné au dernier folio dans un curieux mélange de gascon et de latin: “aquest liber es treslat deu censuau de Lorde. Loquau Arnaldus de Claraguete notarius domini nostri regis Navarre, creatus in nova bastida Rabastenchis et totius senescallus Bigorre scripsit de mandato domini Alfonsi de Malobodio thesaurarii Bigorrae” (ce livre est transcrit du censuel de Lourdes. Lequel Arnaud de Claraguet, notaire de notre seigneur le Roi de Navarre, créé dans la bastide neuve de Rabastens et toute la sénéchaussée de Bigorre, a écrit par demande de maître Alphonse de Malobodio trésorier de Bigorre).

En février 1319 le sénéchal de Rabastens signa le paréage de la ville de Saint-Pé-de-Bigorre avec l’abbé de cette cité dans l’église Saint-Louis de Rabastens, en présence de plusieurs évêques, signe évident de la mainmise royale sur la petite cité et de son importance stratégique (acte transcrit par Gaston Balencie, Annuaire du petit séminaire de Saint Pé, 1886).

En 1341, c’est à Rabastens que fut accordé à Gaston Fébus le consulat de Foix par l’évêque Jean de Beauvais et le comte de Valentinois: Rabastens se trouvait alors sur un territoire “neutre” entre les possessions royales et le Béarn (Curie-Seimbres p.13).

En 1342 la paroisse de Rabastens fut intégrée par l’évêque Pierre-Raymond de Montbrun dans l’archiprêtré de Montfaucon –c’est la première mention officielle de la jeune paroisse.

Les événements eurent finalement raison de la résistance des Bigourdans: la peste de 1348-1352 fit des ravages dans la région; le village de Sarriac, par exemple, fut complètement déserté, d’après le pouillé de 1379. Luz-Saint-Sauveur perdit, d’après un acte de 1417, les trois quarts de sa population (RHP 1919, p.41). La guerre entre Anglais et Français, où la Bigorre servit de terrain de lutte, s’acheva par une victoire française; l’administration royale imposa sa domination sur tout le comté.
 
 

Au siècle suivant, le mélange des populations aidant, on trouve dans le censier de 1429 bon nombre d’anthroponymes d’origine locale dans la bastide, et en 1494 un même religieux est commandeur de l’hôpital Saint-Antoine de Rabastens, sacristain de l’église Saint-Martin deVic et prieur de Saint-Lézer (Larcher, Glanages, IX, 324, mais il s’agit peut-être de postes successifs).

    La charte de coutumes
A la suite de la charte de fondation de 1306 une charte de coutumes fut accordée à la bastide, signe de son succès (AN JJ 65B No 281). C’était une copie de celle accordée en 1300 à la bastide voisine de Marciac en Pardiac. Cette charte fixa les droits et les devoirs des habitants de la bastide. Elle servit notamment de modèle pour la bastide de Saint-Martin fondée en 1327. Ces chartes de coutumes sont toutes transcrites sur le même modèle, qui doit se retrouver dans celle de Rabastens: fixation des libertés, de la justice, du consulat, des emplacements à bâtir, des taxes et impôts divers (fornatge, pêche dans les fossés) etc, soit 58 articles dans les coutumes de Marciac conservées par Larcher.
Il n’existe malheureusement pas de transcription de cette charte, connue seulement par celle de Marciac, antérieure, et celles de Trie ou Saint-Martin, postérieures. Curie-Seimbres rapporte que la comparaison des chartes de Marciac et de Saint-Martin montre que celle de Rabastens était la copie conforme de celle de Marciac, sauf le jour du marché et les foires annuelles. La copie des coutumes de Marciac dans le volume VI des Glanages de Larcher est en effet annotée en marge des rares modifications effectuées pour Rabastens, ce qui laisse penser que Larcher pourrait avoir eu sous la main l’original ayant servi à transcrire les coutumes de la bastide bigourdane, ou bien qu’il avait les deux copies sous les yeux. Nous en avons repris le texte en annexe.

Détaillons un peu ces coutumes, qui fixaient jusqu’au moindre détail la vie quotidienne des habitants. Les 58 articles sont alignés sans aucun classement thématique, ce qui laisse supposer une élaboration par “strates” successives, bastide après bastide. Cela est d’autant plus probable que certains articles sont pratiquement des doublons, peu compatibles avec une écriture en un seul jet. Le volume V des Archives Historiques de la Gascogne, Chartes de coutumes inédites de la Gascogne toulousaine, édité par Edmond Cabié en 1884, permet facilement de le vérifier: La charte de coutumes de la bastide de Larrazet ne compte que 27 articles en 1265, celle de Gilhac en compte 33 neuf ans plus tard, celle d'Angeville en 1270 compte 48 articles... Celle de Trie-sur-Baïse, en 1323, en compte trente de plus.

Après un appareil introductif détaillant les conditions d’octroi de la charte, les premiers articles donnent la liste des avantages juridiques accordés aux nouveaux arrivants: pas de taille (impôt roturier), de droit d’albergue (droit d'hébergement du seigneur transformé en taxe), de queste (impôt servile) sans accord des habitants, liberté de posséder des biens, de vendre et acheter, de se marier… On peut également tester et faire des actes notariés avec témoins. Le roi se réserve cependant le droit d’ost et de cavalcade, c’est à dire le droit d’utiliser les bourgeois comme troupes d’appoint en cas de conflit armé.

La propriété privée est sévèrement réglementée: il est interdit de s’introduire chez autrui de nuit ou de jour sous peine d’une amende maximale de 12 deniers. De même si un animal divague, l’amende varie entre une obole à deux deniers. Des garde-champêtres sont créés pour la surveillance des biens et des bêtes.

Toutes les denrées sont contrôlées. La place de marché est équipée (sous la halle en général) de mesures qui permettent de vérifier l’honnêteté de celles du vendeur. Les produits de mauvaise qualité, en particulier la viande de boucherie, sont distribués aux pauvres, et le vendeur mis à l’amende. Le marché hebdomadaire est fixé au lundi, et les foires à la Saint Louis et à la Saint Vincent. Ces deux saints sont caractéristiques: le premier est patron de la paroisse, le second, patron des vignerons, est très populaire en Bigorre.

Le marché est l’objet de nombreux articles, car c’est la principale source de revenus escomptés: on fixe les dates, on taxe tout marchand forain et tout animal entrant et sortant, on loue les emplacements de vente (les « tables » ou « tabliers », d’où le droit de tablage ou taulage) et les emplacements mobiles, on impose le prix des produits de première nécessité (pain, sel…) et on empêche leur exportation pendant la soudure.

La sécurité des habitants est la seconde grande préoccupation, car on ne peut commercer sans sécurité assurée: on punit sévèrement les actes sanglants et les meurtriers, des articles abordent le problème des dettes, des dots, des insultes, des relations contentieuses avec les étrangers, du paiement des jours de prison par les prisonniers innocents et coupables… Un article (XXX) prévoit même le cas d’adultère, et la composition à régler dans ce cas.

D’autres articles détaillent les conditions de vie des poblans: arrivée des nouveaux habitants après la fondation, taille des places à bâtir, droit de faire fonctionner un four personnel...

Quelques articles enfin sont plus techniques: création, renouvellement et pouvoir des consuls, serments prêtés, fonctionnement des institutions locales.

En somme, la charte de coutumes est une base juridique permettant de vivre en communauté les premières années, tout en assurant au fondateur une rente confortable. La lettre aux consuls de Clarenx de 1338 montre qu’à Rabastens, comme ailleurs, cette législation était complétée au coup par coup par les consuls et le juge royal, les jugements conservés faisant jurisprudence au niveau local.

Tous droits réservés par l'auteur

Pour me contacter: stephane.abadie@ac-toulouse.fr


Dernière modification : 18/11/01,08:20:50