LES JUIFS

LA BERLINA

LES JEUX

LA MESSE DU PRECIEUX SANG AUX FRARI

LES CAVALERIES

LES PERRUQUES

LE TABAC

LES CHEVALIERS SERVANTS

LES EVENTAILS

LES BOUTIQUES DE CAFE

 

XCI

LES JUIFS

Nous les trouvons à Venise depuis 1152 ; il semble qu'au début, ils résident à la Giudecca. Ensuite, pratiquant vis à vis des chrétiens une usure trop forte, ils furent bannis et se concentrèrent sur des terres voisines de Mestre, assujettie alors à Trévise. Ils y restèrent jusqu'à la fin du XIVème siècle. Ils obtinrent ensuite le droit de revenir mais pour un nombre limité d'années qui pouvait être renouvelé, moyennant le versement au gouvernement d'une certaine somme. Ils tenaient leurs comptoirs de prêts sur gage à Venise. Ils furent soumis à une très sévère réglementation. Ils devaient porter sur la poitrine une marque jaune en forme de lettre, changée ensuite en un béret jaune, puis un chapeau avec une doublure rouge ou une toile cirée. Quand on découvrait un juif accomplissant un acte charnel avec une chrétienne, il devait payer 500 lires et restait en prison pour six mois, si la dame était une prostituée ; sinon la peine de prison pouvait aller jusqu'à un mois, toujours assortie de l'amende. Les juifs ne pouvaient exercer aucun autre métier en dehors de la médecine et il leur était interdit de posséder des biens immobiliers. Enfin , ils devaient habiter un quartier retiré de la cité, appelé ghetto d'où ils ne pouvaient sortir du coucher au lever du soleil, ni les jours appelés Saints par l'église. Des gardiens étaient aux deux portes et des barques armées dans les canaux proches pour empêcher toute contravention. Toutes ces restrictions disparurent à l'époque démocratique.

XCII

LA BERLINA

(Le pilori)

Depuis longtemps à Venise, on clouait aux piloris ceux qui étaient coupable de délits, c'est à dire qu'on les exposait pour quelque temps à la risée et aux maltraitances du public, attachés à une planche avec une mitre ou une couronne de papier sur la tête sut laquelle on pouvait lire la sentence. les nobles et les personnes respectables n'en étaient pas protégés. Pour eux, la sentence était publiée sur la Pierre del Banco, sur la piazzetta et sur le pilier du Gobbo du Rialto. S'il s'agissait de questions religieuses, on posait sur la tête de celui qu'on clouait au pilori, une mitre sur laquelle était peinte un diable, comme cela est arrivé au maître Galeoto Marzio da Narni pour avoir composé un livret contre la foi catholique.

La berlina, avec quelques modifications au cours des temps, continua à être en vigueur au siècle dernier. Les journaux manuscrits de Benigna nous apprennent que le 30 avril 1720, fut cloué au pilori, pour escroqueries, Diamante Vicentina et que les femmes jetaient sur lui des ordures; que le 27 avril 1721 un certain forgeron Daniel fut condamné pour avoir fabriqué de fausses clés, à une heure de pilori, à être marqué au front et à dix ans de galère ; que le 9 mars 1760, on fit monter au pilori trois ministres des douanes de la mer pour infidélité dans l'expédition des marchandises.

Dans des temps plus proches, la berlina se dressait habituellement pour les femmes sur le campo de S. Maria Formosa, et pour les hommes sur la Riva degli Schiavoni, face au sottoportico di S. Zaccaria. On se souvient avoir assisté à de tel spectacle dans notre jeunesse. Peu après, cependant, la peine de la berlina cessa ; voilà en quelle occasion. Un prêtre nommé De Grandis avait abusé charnellement de quelques enfants qui lui avaient été confié, en 1845.

Il fut condamné à perpétuité, après être cloué au pilori. Le bon patriarche Jacopo Monico supplia l'empereur François Ier que le prêtre soit exempté de cette peine infamante. L'empereur accepta , commandant en même temps que la peine de la berlina soit abolie à partir de ce moment.

XCIII

LES JEUX

On trouve une preuve de l'ancienneté des jeux à Venise dans la concession obtenue en 1172 par Nicolo Baratelli qui pouvait organiser des jeux de hasard entre les deux colonnes de la Piazzetta, qu'il avait redressées. On dit que ce privilège fut retiré par le doge Andrea Gritti mais il est certain qu'en 1601, selon le témoignage de Schott dans Itinerarium, on pouvait jouer ici. On trouve une loi de 1283 qui interdit de jouer aux dés sous la Loggia du Rialto, condamnant à une amende de 10 L. les joueurs et à 40 sous ceux qui prêtaient les tables de jeux. Une autre loi de 1294 interdit les jeux sous le portique de l'église de Saint-Marc. Le jeu des échecs était aussi très ancien chez nous. On dit que Marin Sanuto possédait un grand et très bel échiquier d'or et d'argent décoré de pierres précieuses avec des pièces de cristal fin qu'une famille patricienne avait voulu offrir à la vente au sultan d'Egypte pour 5000 ducats.

On avait moindre estime pour les cartes à jouer, dont on dit qu'elles apparurent à Venise pour la première fois.. Il est certain qu'on en trouve trace depuis 1391 puisqu'on trouve dans les registres des Seigneurs de la Nuit l'expression "cartes à jouer". Certaines étaient dessinées par des artistes célèbres, qui démontraient leur habileté dans celles qui devaient servir aux jeux du tresette ou autre, en vigueur à Venise depuis le XVIème siècle. Dans les derniers temps , on se défoulait en jouant à la Bassetta, au Pharaon …dans les "casinos" et le "ridotto" public, dont nous parlerons plus loin.

XCIV

LA MESSE DU PRECIEUX SANG AUX FRARI

Melchiorre Trevisan ayant transporté de Constantinople à Venise en 1479 et déposé dans l'église de S. Maria Gloria dei Frari une relique qu'il disait contenir une goutte de sang du Rédempteur, fixa que, chaque année, le jour, dit dimanche de Lazzaro, où la relique fut donnée à l'église des Frari soit dite une messe solennelle.

En cette circonstance s'établit une curieuse coutume, à savoir que certains hommes désignés pour cela, touchaient le cristal renfermant la relique sacrée avec des baguettes rouges, qui avaient en leurs extrémités une sorte de bouton qu'ensuite les dévots pouvaient embrasser.

Une motion du procurateur de la Supra, Marco Foscarini de S. Eustachio, vint interdire cette pratique en 1743.

Une autre coutume, en ce jour, était celle de conduire à l'église de S. Maria Gloriosa les envoûtés pour les exorciser. Cela se pratiquait aussi le Jeudi Saint. Avec le temps, cette pratique disparut. Il y a environ cinquante ans, un autre possédé du démon ne se rappelait pas bien si c'est le jeudi saint ou le dimanche de Lazzaro qu'en l'église des Frari, il fut libéré du démon qui, avec craquements et crevasse dans une plaque, voulut donner lui même le signe de son départ.

XCV

LES CAVALERIES

La principale, dite des Nobles, fut fondée à la fin du XVIIème siècle à SS. Giovani et Paolo, derrière l'église des Mendicanti. Elle était capable d'accueillir plus de soixante chevaux. Elle était tenue par une société de patriciens, qui payait un maître cavalier avec l'obligation de maintenir quatre chevaux de manège, trois pour l'instruction, un pour la course.

Ici, se donnaient des tournois et des fêtes masquées à cheval. La cavalerie dei Mendicanti fut fermée en 1735 et transformée en savonnerie ; mais réouverte en 1750, elle dura jusqu'à la fin de la République.

Elle fut ensuite abattue et, de nos jours, sur son emplacement on a construit une grande bâtisse annexée à l'hôpital.

Une autre cavalerie s'installa à la Giudecca en 1758. Pietro Gradenigo en parle dans ses Notes, conservées au Museo Civico :"A la Giudecca, près de l'église de la Croce, on a introduit des exercices à chevaux pour les marchands de Venise et les étrangers qui veulent se divertir et apprendre à monter avec bonne méthode. la direction en est confiée à Ferdinando, fils tout autant capable que son père qui servit de bonne manière la cavalerie des Nobles à SS. Giovanni et Paolo."

Elle cessa ses activités en 1767.

 

XCVI

LES PERRUQUES

 

L'usage des perruques est arrivé à Venise an 1665, venant de France. Ce fut l'œuvre du gentilhomme Vinciguerra Collalto. Le gouvernement, hostile à toute nouveauté, en interdit l'usage par décret du 19 mai 1668. Et les vieux, comme c'est bien naturel montrèrent leur grande opposition. Pour preuve, racontons l'anecdote suivante:

Nicolo Erizzo était fou de perruques, parce elles lui cachaient une cicatrice qu'il avait sur le front, suite à une blessure attrapée dans une galante aventure. en plus de la perruque, il portait des chaussettes rouges et des chaussures blanches. on père en était très en colère et il lui ordonna de retirer ces nouveaux ornements. Ne se faisant pas obéir, il ajouta qu'il le déshériterait au profit de l'hôpital de la Pieta. ces faits donnèrent lieu à une querelle en 1679 qui se termina par un don de 6000 ducats de la part d'Erizzo à l'hôpital.

Le premier doge à porter la perruque fut Giovanni Corner en 1709.

Le temps passant les perruques se firent communes à Venise. On en voyait avec des boucles pendants, dites "a gruppi", d'autres divisées en leur milieu, dites "à la courtisane" et aussi des hautes terminées par une queue enfermée dans un petit sac de soie noire , dites "alla Delfina".

Finalement elles se généralisèrent tellement que Benigna raconte que : Antonio Corner qui mourut le 7 janvier 1757 fut le dernier patricien à ne pas porter perruque

On se couvrait de poudre de Chypre, qui, à l'imitation de français, avait été introduite au début du siècle dernier.

 

XCVII

LE TABAC

Ce fut au XVIème siècle que la plante du tabac (ainsi dénommé parce que trouvée pour la première fois dans l’île de Tabago en Amérique) fut cultivée en Europe, mais c’est seulement au siècle suivant que son usage se répandit à Venise, où, elle se vendait, au début, dans les pharmacies.

L’autorité ecclésiastique s’opposa à cette coutume et la célèbre bulle du pape Urbain du 30 janvier 1692 menaçait d’excommunication et de pendaison tous les fumeurs de tabac.

En cela, l’autorité civile apportait son aide à l’église. On peut lire dans un avis daté du 21 mars 1656 : " par ordre des Inquisiteurs, mercredi, tout le tabac fut retiré des boutiques où il se vendait , et furent visitées toutes les boutiques susceptibles d’en vendre."

Très vite, les choses changèrent et Gradenigo rappelle dans ses Notes que, après 1670, le tabc se vendait sous les portiques des prisons avec l’accord du doge, même si beaucoup en réprouvait l’usage, le considérant comme un vice.

Entre temps, le nouvel usage s’étant répandu de plus en plus à Venise, le gouvernement pensa en tirer profit en donnant le tabac en concession. On a mémoire que le premier concessionnaire fut un juif, appelé Daniele David da Pisa . Il tint boutique d’abord dans la calle Gregolina à Madonna dell’Orto, puis sur la Fondamenta delle Penitenti à Cannaregio. Finalement à S. Andrea s’installa un autre concessionnaire le comte Girolamo Manfrin

Lequel s’enrichit notablement avec cette industrie, acheta un palais à Venise avec de vastes domaines sur la terre ferme

Priser le tabac était devenu, à la chute de la République, un véritable besoin, à tel point qu’il existait un art du savoir vivre traitant de la façon de tenir en main la tabatière, de l’ouvrir, de la présenter à la compagnie, d’aspirer le tabac par les deux narines à la fois sans pour autant faire mauvaise figure, de fermer la tabatière, d’éternuer, de cracher et de souffler par le nez.

Dans le premier numéro de la Gazette de venise, sorti le 6 février 1760, Gaspari Gozzi écrivait : "Une certaine bonne humeur… ". a décrit l’art militaire du tabac ; et on trouvait dans un libre intitulé " L’art de désoppiler la rate " :

1.Prendre la tabatière dans la main droite

2. La passer dans la gauche

3. Taper sur la tabatière

4. Ouvrir la tabatière

5. Présenter la tabatière à la Compagnie

6. Tirer vers toi le tabac

7. Rassembler le tabac et refermer le couvercle de la tabatière

8. Prendre une pincée de tabac avec la main droite

9. La tenir entre les doigts avant de la présenter au nez

10. Présenter le tabac au nez

11. Renifler avec les deux narines

12; Ne pas faire vilaine figure

13. Serrer la tabatière. Eternuer, cracher, souffler avec le nez.

XCVIII

LES CHEVALIERS SERVANTS

C’était l’habitude, dans les siècles passés, que les femmes mariées aient leur chevalier servant, même si l’on dit que cela venait quelque peu, remettre en question le contrat nuptial.

Le matin, le chevalier allait réveiller la dame, lui donner le bon jour, lui servant de serviteur, allant même jusqu’à lacer son corset. Il la guidait ensuite dans sa promenade et le soir, l’accompagnait à quelque réception ou au théâtre. Là, il lui tenait compagnie dans sa loge et lorsque la représentation se terminait, il l’accompagnait encore à la rive pour réveiller le gondolier assoupi , lui donnait le bras pour monter dans la gondole et la reconduisait à la maison d’où il ne partait qu’après l’avoir vue étendue sur sa couche.

Invoquons un poète satirique de l’époque : 

Permettre qu’il lui prenne le buste

Sans plus incommoder la femme de chambre

Le voir dans sa chambre encore le soir

Jusqu’à ce que sur le lit elle s’étende

A mon avis, c’est une chose malhonnête…

Avec tout çà, les dames juraient et parjuraient , qu’en dehors de quelques baisers ou d’autres petites libertés, elles ne concédaient rien à leurs chevaliers

Ceux ci se rendirent tellement nécessaires dans les familles que, parfois, par amour de la paix domestique, le bon mari devait aller prier le cavalier de venir faire la paix avec lui même.

Curieuses sont les paroles que Goldoni met dans la bouche de Pantalone dans sa comédie " Les femmes pointilleuses " :

La conversation d’une dame et de son chevalier servant est à mourir de rire. Elle est là, dure comme un roc à se laisser adorer. Celui-ci soupire pour elle, se met à ses genoux, lui tend les plats, lui donne son mouchoir, lui baise la main, lui donne le bras, lui sert de secrétaire, de femme de chambre, la parfume, l’asperge, la cajole, l’assiste….Elle, elle le tient à ses pieds, le réduit en esclave; idolâtre de sa beauté. Son sexe triomphe

XCIX

LES EVENTAILS

Il faut distinguer ceux que l'on peut dire rigides, parce que tout d'une pièce, attachés à un manche et ceux à baleines qui s'ouvrent et se ferment à plaisir. Les premiers sont le plus anciens ; on peut en voir dans la salle des Quatre Portes au Palais Ducal sur un tableau peint au XVIème siècle par Andrea Vicentino, représentant l'arrivée solennelle au Lido du roi de France Henri II. Une dame s'y protège du soleil en faisant écran avec un éventail de la première catégorie. Dans une autre sculpture plus ancienne de notre basilique, sous une voûte de la porte principale, où sont représentés les douze mois de l'année, le mois d'août est figuré par un garçon dormant sur un divan ; il tient à la main un éventail rigide.

Ces éventails étaient fabriqués à l'origine avec des plumes et Cecchetti trouve dans les vêtements vénitiens du XVème siècle des éventails avec des plumes de paon.

Quant aux éventails à baleines, ils furent introduits au siècle dernier par un gentilhomme nommé David Trevisan et devinrent rapidement objets de luxe pour nos dames qui les voulaient ornés de perles et de pierres précieuses, avec des manches d'ivoire, de tortue et des ornements très fins.

C

LES BOUTIQUES DE CAFE

Elles apparurent à Venise au XVIIème siècle et leur nombre augmenta au XVIIIème.

Au début elles étaient basses, sans ornements ; on peut en trouver un exemple dans cet espace de vin, qui devint un café célèbre au pont de l'Angelo. En dépit de cela, ils étaient très fréquentés surtout en période de carnaval, par les gens et les masques. Parmi les principaux, on pouvait compter : le Florian, l'Aurora, celui delle Rive, celui du ponte della Guerra Il y en avait de nombreux qui, comme les "malvasie" et les "magazzini" avaient de petites chambres, interdites à plusieurs reprises par le gouvernement, comme nous le verrons, où se tenaient des jeux de hasard et théâtre de toutes les obscénités Plusieurs mesures furent prises contre les licences accordé aux cafés. On essaya même d'en interdire l'accès aux femmes. Voilà pourquoi Baffo déborde en ces lamentations :

"C'était grande belle chose

de voir dans ces boutiques

un défilé de toutes ces dames richement vêtues

Oh dieu! quel changement triste et ennuyeux"

et plus loin :

"mais combien de temps ça va tenir

que les dames n'aillent plus au café!

je ne m'y ferai jamais, je vous l'assure"

De plus, on ordonna aux cafés d'enlever les chaises sous les procuraties à minuit et de fermer les boutiques à deux heures.

Baffo revient à la charge de cette manière :

"on ne peut même plus rester dehors

parce qu'on y interdit les sièges…"

Un autre satirique note la sottise et l'inutilité de telles mesures à une époque où l'immoralité avait envahi toutes les classes sociales. C'était comme vouloir fermer l'étable alors que les bœufs s'étaient déjà échappés.