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Implications médiatiques au coeur du Mondial

Un film de Louis Zollet

26 minutes - Digital Vidéo CAM - PAL

 

 

Voix hors champ :

" Ce soir là, à travers le monde, nous étions près de 3 milliards à assister à la retransmission de la finale France-Brésil.

Pendant 33 jours, 5.800 heures de programmes furent consacrées au football ; chacune des 64 rencontres étant suivie en moyenne par 600 millions d'hommes et de femmes sur la planète. Plus de 10.000 journalistes couvrirent l'événement, mais qu'avons-nous perçu pendant cette période ?

Retour dans les coulisses d'une implication médiatique... "

 

 

Henri Sannier (rédacteur en chef au service des sports de France 3, présentateur d'émissions sur le Mondial) :

Comme toutes les chaînes de télévision, on montre les matchs, mais on fait aussi ce qu'on appelle un habillage des matchs. C'est à dire qu'on vit ça en compagnie de téléspectateurs, en compagnie de spectateurs sur le plateau et puis on accrédite le côté festif. C'est à dire qu'on applaudit, qu'on fait des petits sondages, on fait des olas, et puis on montre que derrière le foot, il y a une joie intérieure. Et on essaie de faire exprimer cette joie intérieure. Et c'est vrai que ça donne un peu plus de peps aux émissions. Enfin je le pense sincèrement.

A partir du moment où un événement nous appartient, on met en valeur cet événement. Et pour valoriser un événement... Qu'est-ce qu'il faut faire pour valoriser un événement ? Eh bien, il faut donner une certaine couleur à l'émission. Il faut rajouter des petites choses. C'est la cerise sur le gâteau. Donc c'est ce qu'on essaie de faire, nous. On ne prend pas un événement comme ça, et puis on dit tenez voilà, on vous l'offre. C'est à dire qu'on lui ajoute un petit peu de paillettes quoi !

 

Chauffeur de salle :

Gardez le sourire parce que vous êtes contents d'être ici. Donc même s'il manque des dents, ça ne fait rien : vous faites quand même un large sourire. Donc on y va pour un essai d'applaudissements...

 

[applaudissements]

Voix hors champ :

" Les télévisions ayant acquis les droits de retransmission s'investissent corps et âme dans le Mondial. " On dirait qu'il y a deux France écrit Jean d'Ormesson dans Le Figaro. Une France de la pauvreté, du chômage et de l'insécurité, qui souffre et qui se plaint. Et une France de la fête qui trépigne de bonheur à travers les médias ". Et l'académicien de s'en prendre non au sport, mais à la place et au traitement que lui accordent les médias dans l'actualité. Pour Jean d'Ormesson, l'implication des médias dans le Mondial transforme l'événement en opium du peuple. "

 

Henri Sannier :

On vend du rêve et de l'aventure. Moi j'en ai marre de voir des gens qui nous donnent des leçons de journalisme tous les jours, quels qu'ils soient. Moi j'aime beaucoup Jean d'Ormesson, alors ça m'ennuie que ce soit lui qui ait dit ça, mais moi je regrette, je n'ai aucun scrupule à vendre du rêve et de l'aventure tel que je le vends en ce moment. Ecoutez, on n'arrête pas de nous assener des infos - moi je sais, j'ai fait des journaux télévisés. On n'ouvre que sur des catastrophes, les trains qui arrivent à l'heure n'intéressent personne.

Bernard Pivot (journaliste littéraire à France 2, chroniqueur dans l'émission Le Club du Mondial) :

Il faut dire que l'expression " opium du peuple " dans la bouche d'un grand bourgeois comme d'Ormesson, c'est assez drôle. Mais d'une certaine manière, il n'a pas tort. C'est vrai que le football est devenu une sorte de religion universelle qui engendre des excès, notamment des excès de violence. Mais il y a aussi ceux qui n'en goûtent pas le style, le sel, comme Jean d'Ormesson et donc qui évidemment trouvent cette couverture médiatique absolument trop débordante et disproportionnée avec l'intérêt de la compétition.

 

Henri Sannier :

On sent que nos téléspectateurs en veulent et qu'ils en redemandent. Quels que soient les matchs ils sont là. Donc ça veut dire qu'en ce moment il y a un vrai besoin et que ces gens là, ils vivent intensément l'événement. Donc il n'y a aucune raison que si à l'extérieur on vit intensément l'événement, que nous, nous ne le vivions pas de l'intérieur.

 

Louis Zollet (hors champ) à Alain Legouguec :

Albert Londres disait que la mission des journalistes n'est pas de précéder les cortèges en lançant des pétales de roses mais de porter la plume dans la plaie. Est-ce que vous avez l'impression que les journalistes sportifs - je pense en particulier à ceux des grands médias - conservent une autonomie critique par rapport aux événements qu'ils commentent, sachant que les droits de ces événements ont été achetés par leurs chaînes.

 

Alain Legouguec (journaliste à France Inter et France Info, spécialiste de l'étude des médias) :

Ah, ça c'est une bonne question. C'est une bonne question, mais je risque de me faire des ennemis ou de passer pour un mauvais camarade si je vous livre véritablement le fond de ma pensée. Je pense qu'il faudrait engager une vraie réflexion en profondeur là dessus. Actuellement, le journaliste sportif est trop souvent, faut-il dire acoquiné ? Je n'en sais rien. Mais les relations entre le sport, l'argent, et le journalisme sportif - plus singulièrement le journalisme de télévision - peuvent prêter à caution.

Gérard Holtz (grand reporter à France 2, présentateur de l'émission Le Club du Mondial) :

Moi je me considère comme libre. Je me considère comme totalement libre. La limite c'est la conscience de mon métier, la conscience de la déontologie. Ce n'est pas un problème parce que nous avons acheté un droit, nous avons acheté un événement, de changer d'attitude ou de ne pas changer d'attitude vis à vis d'un événement.

 

Henri Sannier :

La marge critique on l'a toujours. Nous : nous sommes journalistes. On est observateur. Si l'événement est beau, on a le droit de s'extasier et de le dire, et de l'expliquer. Et s'il y a des manquements au niveau de l'événement, on le dit. Quels que soient ces manquements d'ailleurs. Ce n'est pas parce qu'on a acheté un événement qu'on est obligé de dire : cet événement est extraordinaire ! Non, c'est pas vrai.

 

Voix hors champ :

Pourtant des télévisions annoncent que les stades sont pleins à craquer alors qu' en moyenne, pendant la première semaine d'épreuves, 1.500 places demeurent inoccupées à chaque rencontre. Le quotidien français " Le Monde " notera même qu'après 20 rencontres, à deux exceptions près, aucun stade n'a fait le plein de spectateurs.

 

Louis Zollet (hors champ) à Gérard Holtz :

Vous ne pensez pas qu'il y a tout de même toujours une petite tendance à survendre un petit peu l'événement ? Je pense par exemple au Mondial de football où on entend systématiquement avant chaque match que le stade est plein à craquer or systématiquement on remarque des petits îlots de places vides...

 

Gérard Holtz :

Non ! Non ! les stades sont pleins. Les stades sont pleins. Il n'y a pas à survendre. On assiste à une très belle coupe du monde. Pourquoi est-ce qu'on va critiquer cette coupe du monde qui est belle, qui marche bien, qui fonctionne bien ?

 

Henri Sannier :

Soyons honnêtes : on survend l'événement. Mais, parce que c'est la fête, et parce qu'on est fier d'être français et qu'on a envie de dire que ça marche. De temps en temps, effectivement, il y a des petits espaces vides. Mais vous savez pourquoi ? C'est vendu. Toutes les places sont vendues. Ce sont des sponsors qui s'achètent des places et qui offrent ça à des gens qui ne sont pas forcément motivés par le football.

Alors c'est vrai que ça on devrait le dire en télévision. Alors on l'a dit, deux ou trois fois, mais on ne va quand même pas scier la branche sur laquelle on est, parce que ces mêmes sponsors qui offrent ces places sont aussi des gens qui... (L.Z. : des annonceurs de la chaîne ?) qui n'ont pas des actions, mais des gens qui payent cher des pubs.

 

Voix hors champ :

La masse d'argent qu'investissent ces sociétés internationales est susceptible d'infléchir le traitement de l'information sportive. Mais lorsque cette logique s'applique à l'information économique et sociale, c'est l'ensemble de la perception du monde dans lequel nous vivons qui s'en trouve affecté.

 

Louis Zollet (hors champ) à Henri Sannier :

Et derrière un sponsor comme par exemple Manpower, qui est le premier employeur privé aux États Unis, le premier employeur privé de France, avec plus de 400.000 employés, devant la Poste...

Henri Sannier :

Vous m'apprenez quelque chose...

Louis Zollet (hors champ) :

Très peu de gens le savent...

Et toute l'idéologie qu'il y a derrière Manpower qui représente quand même une certaine précarité pour les gens qui y travaillent... Est-ce que vous trouvez ça neutre leur présence dans le stade ?

Henri Sannier :

C'est pas neutre du tout. Eux ils font du business, mais ils font aussi travailler des gens. Effectivement qu'elles se font du pognon, si non, elles ne marcheraient pas ces boîtes là. C'est vrai qu'elles exploitent aussi un certain nombre de personnes. Mais c'est vrai aussi qu'elles donnent du boulot !

Bon, écoutez, je crois qu'ils ne faut pas tirer à boulets rouges. Il ne faut pas tirer à boulets rouges sur ces boîtes là. D'abord, elles font tourner la coupe du monde : elles font partie des sponsors... Bon, elles n'en font pas trop. Moi je vais vous dire, je fais partie des gens qui... Vous m'avez donné des noms tout à l'heure, si vous ne me les aviez pas donnés je ne savais même pas qui faisait partie des sponsors. Il ne faut pas exagérer le poids de ces gens là par rapport à l'influence qu'ils peuvent avoir réellement.

 

Voix hors champ :

Selon l'institut de mesure d'audience Médiamétrie, en un mois, les marques sponsors de l'événement ont bénéficié de 11 heures et 7 minutes de temps d'antenne cumulé.

Dans une société de l'information où le véritable pouvoir consiste à contrôler ce qu'il y a dans la tête des gens : 98% de la population âgée de 4 ans et plus connaît le sympathique monde enchanté du travail temporaire, mais combien sommes-nous à avoir vu un reportage expliquant pourquoi parmi les français vivant en dessous du seuil de pauvreté, plus de la moitié sont des salariés ?

 

Louis Zollet (hors champ) à Gérard Holtz :

Vendredi, pour deux quarts de finale, France Télévision consacre près de 10 heures d'antenne à cet événement. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est un petit peu excessif par rapport à d'autres informations qui mériteraient elles aussi un petit peu plus de temps d'antenne ?

 

Gérard Holtz :

Quoi par exemple ?

Louis Zollet (hors champ) :

Ignacio Ramonet parle dans le Monde Diplomatique d'une crise de l'intelligibilité en France à propos des phénomènes sociaux. Ca mériterait peut-être plus d'enquêtes. Pour le Mondial, il y a énormément de moyens humains, technologiques et financiers qui sont développés. Ils ne sont pas développés pour d'autres thèmes d'actualité. Vous ne pensez pas quand même qu'il y a une disproportion ?

Gérard Holtz :

Il y a une disproportion terrible, parce que ça correspond à des goûts. A quoi joue le gamin de Chine, le gamin de Jamaïque, le gamin américain, la gamin de Cuba - on avait des invités de Cuba ce soir - à quoi jouent-ils à la récréation ? Ils jouent au football.

 

Bernard Pivot :

Si on n'aime pas le football, bien entendu, c'est complètement disproportionné. C'est même aberrant.

 

Alain Legouguec :

Ça parait indécent, forcément. Il se passe des choses actuellement en Afrique. Il y a des famines, il y a des choses comme ça. Pour l'instant ça fait - lorsque ça fait encore une information dans les journaux - ça fait une brève. Lorsqu'on voit l'importance du Mondial, on se dit que c'est épouvantable.

 

Bernard Pivot :

C'est même absurde. Et en même temps, si vous aimez le football et que vous êtes français, vous considérez que c'est un événement qui ne se renouvellera pas avant peut-être 50 ans, 60 ans. Et peut-être même la France n'aura-t-elle plus d'autre Mondial. Donc c'est un événement exceptionnel qui justifie, d'une certaine manière, les excès. Mais encore une fois, il ne faut pas être dupe de ces excès.

 

Alain Legouguec :

Si on a une réflexion intellectuelle, évidemment on se dit qu'il y a un décalage total. Ce décalage est obscène. Est-ce que ça peut induire une hiérarchie, une hiérarchisation de l'information qui privilégie les événements plus chauds, avec de plus grands équilibres géopolitiques sur le football ?

 

Henri Sannier :

Je crois qu'il faut arrêter de dire qu'il y a une hiérarchie dans l'information. Moi en ce moment, la hiérarchie... eh bien, au top de la hiérarchie dans l'info en ce moment c'est le football et la Coupe du Monde de football. Parce que le monde entier, la planète entière a les yeux tournés vers la France. Parce que la France accueille la coupe du monde de football. Bon ben ça, il ne faut pas le nier. Et je crois que moi, je n'ai aucun scrupule à privilégier ce genre d'information. Et le jour où malheureusement, il y a un événement heureux ou malheureux en France, mais d'une toute autre nature, je focaliserai exactement de la même façon sur cet événement.

 

Bernard Pivot :

On peut très bien dans un journal, parler ou titrer sur la guerre au Kosovo ou d'autres drames qui se passent dans le monde, et puis titrer aussi sur le football. C'est une question de nuances. Evidemment, si dans votre journal, vous accordez toutes les pages au football, c'est idiot, c'est bête.

 

Gérard Holtz :

Mais il faut dire une chose à laquelle je tiens vraiment, c'est : arrêter d'opposer les choses. Ce n'est pas parce que l'on donne beaucoup d'argent, beaucoup de technologies et beaucoup de temps au football, qu'il ne faut pas en donner à autre chose aussi. Ça c'est un de mes credos. Là, le problème que vous posez, c'est exactement ça. Il n'y a pas de raison de se priver de cette passion universelle qu'est le football, mais aussi donnons d'autres moyens pour d'autres grandes causes, qu'elles soient intellectuelles, économiques, culturelles. Oui, pourquoi pas.

 

Alain Legouguec :

On ne peut pas tourner le dos à des événements éminemment populaires. On peut tenter de savoir ce qui se passe derrière. On peut tenter de savoir ce que cela induit, notamment sur le plan financier et politique. On peut le dénoncer. Heureusement, dans les rédactions, il y a des journalistes sportifs ; il y a d'autres journalistes. Tempérer les ardeurs des journalistes sportifs, on ne l'espère pas toujours. On ne tente pas toujours de le faire parce qu'on sait aussi que c'est porteur d'audience, c'est porteur de lectorat, etc.

 

Voix hors champ :

Les pouvoirs savent bien comment exploiter la focalisation des médias sur un événement planétaire comme le Mondial. Ainsi le gouvernement mexicain profite de l'ouverture de la Coupe du monde pour mener une opération armée contre sa population indienne du Chiapas qui réclame terre, éducation, santé, démocratie. Malgré le caractère prévisible de ce genre d'exaction un jour d'ouverture du Mondial, l'information passe totalement inaperçue dans les rédactions.

 

Alain Legouguec :

Les pages des journaux, l'antenne des radios, des télévisions, tout ça est pris, est occupé, est largement occupé par le Mondial. C'est écrasant d'ailleurs. Mais ceux qui habituellement s'intéressent au Chiapas, qui sont allés y travailler, qui ont vu comment ça se passait, qui ont enquêté sur les conditions d'existence des indiens de cette région du Mexique ; qui savent ce qui se passe au niveau le plus haut du pouvoir mexicain. Ces gens là sont attentifs toujours à ce qui se passe là-bas...

 

Henri Sannier :

Bon, le problème c'est qu'effectivement on n'a pas d'équipe là bas pour aller tourner. Eh bien, vous savez, cela arrive malheureusement tous les jours ce genre de chose. La plupart des gouvernements ou certains gouvernements - qui ne sont pas les plus démocratiques - profitent toujours effectivement de ce genre d'événement pour faire diversion. Mais ça c'est pas neuf ! C'est pas neuf !

 

Antonio Esteves Martins : (journaliste à la télévision publique portugaise, envoyé spécial en France pendant le mondial)

C'est dégueulasse. Mais ça a toujours été comme ça. Le Portugal a vécu 48 ans de fascisme : dictature d'extrême droite très dure. On a mené une guerre stupide inutile et barbare contre des peuples africains qui méritaient l'indépendance parce que c'était normal qu'ils l'aient. Et le Portugal a utilisé le Mondial de 1966 où l'équipe nationale, avec des joueurs africains, a fait une troisième place. Aujourd'hui, c'est certain que le Mexique fait ça. Ca permet de cacher en Corée certaines insuffisances... Et malheureusement le sport passe devant.

 

Gérard Holtz :

On sait que pendant des années le football a fait la Une de tous les grands quotidiens d'Espagne au temps du Caudillo ; On sait que le football a fait la Une de tous les grands quotidiens d'Argentine au moment de la dictature de Videla. Que c'est vrai pour beaucoup de sports, mais en particulier pour le football, pour cacher un certain nombre de réalités. Ça c'est absolument vrai. Mais aujourd'hui en France : la France continue de produire, la France continue de travailler, les trains marchent. Je ne peux pas imaginer aujourd'hui, que le Mondial passe avant la politique ou avant l'économie. C'est pas vrai !

 

Philippe Séguin (à l'époque Président du RPR, parti du Chef de l'État français : (journal télévisé de France 3 du 10/7/98)

Lorsqu'on voit tous ces français, si différents - apparemment - et finalement si semblables, communier dans le même enthousiasme. Lorsqu'on voit, comme nous les avons vus dans les quartiers les plus difficiles, les jeunes des DSU, des ZEP, des je ne sais quoi, brandir fièrement des drapeaux tricolores : on se dit que nous avons bien raison de penser qu'il n'est quasiment qu'un principe, qu'une solution à tous nos problèmes : et que c'est l'amour de la France.

 

[Séquence supporter passant devant un SDF]

Voix hors champ :

L'opposition trouve un programme grâce au Mondial...

De l'affaire des sans papiers à la baisse du taux du livret A en plein Mondial, la majorité, elle, dissout les problèmes dans le football.

 

[Séquence Jean-Pierre Chevènement au stade de France]

Henri Sannier :

Mais moi je n'ai pas l'impression d'occulter quoi que ce soit en ce moment. Vous savez, la vie s'est un peu arrêtée.

 

[Séquence sang contaminé : 300 morts et pas de coupables]

Alain Legouguec :

On peut supposer par exemple que si l'équipe de France gagne la coupe du monde, Lionel Jospin et Jacques Chirac gagneront peut-être quelques points dans les sondages. Ils ne seront absolument pour rien là dedans, évidemment. Mais tout ça entrera dans un lot commun. Alors on peut se dire, c'est débile, évidemment. Ça n'a rien à voir avec la croissance. Ce n'est sans doute pas le Mondial qui aura réduit le chômage : il y a un effet général...

 

Voix hors champ :

Le Mondial sert les pouvoirs politiques et économiques dominants. En revanche, la Fédération internationale de football restreint les droits civiques des spectateurs dans les enceintes sportives. Un panneau à l'entrée des stades prévient les supporters qu'il leur est interdit d'exprimer une pensée politique, idéologique ou même philosophique. La transgression de cet interdit, cautionnée par le pays d'accueil, est réprimée d'une peine pouvant aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 100.000 F d'amende.

En Corée du nord, en Irak, ou en Chine, les médias auraient focalisé sur ces panneaux mais en France, bien abrités dans les centres de presse, les journalistes n'ont pas semblé les remarquer.

 

Henri Sannier :

Je ne savais pas que ça existait ça à l'entrée des stades...

 

Gérard Holtz :

Ce qui m'étonne beaucoup c'est ce que vous m'avez dit à propos de l'expression d'idées pendant les matchs, tout ça... J'ai pas vu le panneau. J'essaierai de vérifier demain.

 

Bernard Pivot :

Oui... C'est idiot ! Je ne comprends pas très bien... Je n'ai pas vu ce panneau. Mais enfin c'est évident que c'est ...

Gérard Holtz :

Je vais vérifier. Je vais vérifier cette loi. Cette loi : enfin ce n'est pas une loi.

Louis Zollet : (hors champ)

Si, si, c'est une loi.

Gérard Holtz :

Non, non, ça m'étonnerait...

Louis Zollet : (hors champ)

C'est une loi !

Gérard Holtz :

Vous ne pouvez pas me dire qu'il y a une loi en France qui empêche quelqu'un d'exprimer une opinion dans un endroit public comme ça, y compris un stade. Je vérifierai. Je suis journaliste, je vérifierai.

Louis Zollet : (hors champ)

Très bien... Et si c'était le cas ?

Gérard Holtz :

On en parlerait.

 

Henri Sannier :

Oh là là, moi j'apprends plein de choses. Heureusement que vous êtes là. Non, moi je pense qu'on ne vient pas sur un stade pour exprimer une opinion. Moi je viens sur un stade - et je pense que la plupart des spectateurs et des supporters viennent sur des stades - pour supporter une équipe, se défouler un petit peu et puis pour voir du beau spectacle. Mais le fait qu'on ne puisse pas exprimer une opinion, quelle qu'elle soit, je trouve ça ridicule. Parce que bon, effectivement, si un type arrive avec une banderole et qu'il exprime son opinion, eh bien, laissons le faire. De toute façon, il sera noyé dans la masse. Mais laissons le faire, parce que c'est le pays de la liberté, la France. Et mettre le genre de petit panneau à l'entrée du stade, je trouve ça personnellement ridicule.

 

Journal télévisé de France 3 :

- Les opposants iraniens ont réussi, malgré les services de sécurité à se faire entendre en déployant des banderoles. Quatre d'entre eux sont d'ailleurs toujours en garde à vue ce matin. Mais ce qu'il faut retenir de cette rencontre c'est la réconciliation.

Mourad Aït-Abouch

- Mais il était dit que le stade Gerland hier soir, serait aussi une tribune politique. L'opposition au régime des Mollahs a violé l'interdit de la fédération internationale de football. Des banderoles, des T-shirts à la gloire de Rajavi leur chef ont fleuri partout.

A plusieurs reprises, les forces de l'ordre vont intervenir contre ce prosélytisme politique. Les banderoles sont arrachées. Quelques iraniens arrêtés.

 

Alain Legouguec :

Entre un type qui agite une banderole pour tenter de dire que chez lui on crève : donc qui profite du stade... Le mot tribune est intéressant pour ça, parce qu'il a un double sens. Ca peut être les tribunes d'un stade, et ça peut être aussi un espace d'expression. Le type qui fait ça, finalement, n'est pas plus coupable de le faire que celui qui s'affiche le long du terrain, qui affiche sa publicité, qui affiche sa marque. Parce que derrière il y a en effet des intérêts financiers, parfois des intérêts politiques. Donc on peut considérer effectivement que lorsque Coca Cola s'affiche, Coca Cola fait de la politique, Coca Cola fait de la philosophie, ni plus ni moins que le spectateur qui est en train de se faire entendre parce qu'il sait que les caméras du monde sont braquées sur lui. Lui interdire de s'exprimer est une vue de l'esprit.

 

Voix hors champ :

C'est sans compter sur le pouvoir de censure des télévisions. Ces images, diffusées dans le journal télévisé, les téléspectateurs ayant assisté à la retransmission du match Etats-Unis / Iran, ne les ont pas vues. Les 17 caméras disposées autour du stade auront soigneusement évité la tribune où se déroulaient les incidents.

La débauche de moyens techniques, justifiée pour mieux servir l'événement, sert ici à s'en affranchir. Quoi qu'il se passe dans les tribunes, les moyens techniques de réalisation permettront de livrer un spectacle conforme au cahier des charges acheté par les télévisions. L'ambiance apparaîtra extraordinaire, même si ce n'est pas la réalité. En se comportant en gendarme de la pensée, les médias valident la restriction des droits civiques imposés aux spectateurs et s'octroient un rôle dont les limites menacent directement notre liberté d'expression à tous.

 

Louis Zollet (hors champ) à Alain Legouguec :

Dans l'esprit du public, des téléspectateurs, la différence entre un journaliste et un animateur est assez floue. Selon vous, qu'est-ce qui différencie aujourd'hui, le journaliste sportif, de l'agent d'ambiance - on va dire - d'une foire commerciale à objet sportif ?

 

Alain Legouguec :

On peut considérer qu'un journaliste sportif - notamment un journaliste de télévision - devient autre chose qu'un journaliste, parce que tout à coup, il est sur une sorte d'estrade. Son rôle ressemble plus à celui d'un saltimbanque : il doit faire vivre le match. Je pense qu'il faut penser à l'amont et à l'aval. En amont on a un journaliste. En aval, on a un saltimbanque. Est-ce que les deux sont incompatibles ? Pas forcément. Si déontologiquement, le journaliste est bien calé, le reste c'est une question d'éthique. Et l'éthique, c'est l'exercice personnel de la morale professionnelle.

 

Gérard Holtz :

Juste avant le Mondial, j'ai eu trois propositions pour faire de la publicité, et parce que je suis journaliste, je n'ai pas fait de publicité. Donc c'est vraiment simple ça. C'est le truc de base : ne pas pouvoir dire qu'un produit est le meilleur ou que c'est le bon.

 

[Plans de coupe sur Thierry Roland et Jean-Michel Larqué dans le catalogue publicitaire de Carrefour]

 

Alain Legouguec :

Si les journalistes sportifs apportent leur caution - innocente parfois, parfois non - à cette grande salade financière, évidemment, on a le devoir, quand vu de l'extérieur, lorsqu'on est aussi observateur de leurs façons de travailler, de temps en temps d'attirer leur attention sur ce type de pratique et sur le fait qu'on peut se brûler les ailes quand on touche au sport.

Est-ce que c'est une question d'heure, une question de temps donné au sport, est-ce qu'il faut beaucoup s'interroger, réfléchir là dessus et puis condamner le temps que l'on donne au sport, je ne sais pas. A partir du moment où le sport est bien encadré, où on s'intéresse à la périphérie du sport, où on continue de s'intéresser aux autres sujets et qu'on entend leur donner parfois l'écho qu'ils méritent - c'est surtout là le problème, la vraie question - pour moi le sport n'est pas un problème. Là où il peut y avoir problème, c'est que dans les rédactions - qu'il s'agisse de la télévision ou des autres - souvent, le sport est une citadelle. C'est à dire que c'est un service très souvent qui fonctionne en autarcie. Et je serais tenté de dire que très souvent il y a une dictature du sport qui est assez mal maniée par les responsables, par les hiérarchies, les responsables des rédactions, parce qu'ils savent qu'ils ont à faire à quelque chose de très populaire. Ils ne veulent pas se priver d'une audience, même si ça ne les intéresse pas eux personnellement. Ils se disent : est-ce qu'on peut véritablement s'opposer à ça ? Le fait est là, les gens font du sport, aiment le sport. C'est un jeu. C'est un sport pour ceux qui le pratiquent, un jeu souvent pour ceux qui ne le pratiquent pas et qui le regardent. Donc on a tendance... Et puis on se dit après tout, " ça ne mange pas de pain ". Qu'est-ce que c'est ? C'est un peu de légèreté, un peu de bulles dans une vie qui est parfois un peu triste. Donc on laisse faire le sport. En laissant faire le sport, on laisse faire les journalistes sportifs. On leur laisse la bride sur le cou. A mon avis, quelquefois, il faudrait peut-être tenir un peu la bride.

 

[Fondu au noir]

 

FIN

 


 

GÉNÉRIQUE :

 

Images : Louis Zollet, avec Marilaure Mahé et Cyril Jean

Son : Louis Zollet

Montage et mixage : Laurent Logelin

Voix hors champ : Louis Zollet

 

Avec la participation de

Gérard Holtz (France 2)

Alain Legouguec (France Inter - France Info)

Antonio Esteves Martins (Télévision publique portugaise)

Bernard Pivot (France 2)

Henri Sannier (France 3)

Remerciements spéciaux à

Xavier Gurrera

Jean Réveillon

Nicole Giraud

 

Merci à

Alain Guyot

Catherine Bazin

Christian Izarié

 

Et aussi à

Gilles, Anne, Rachid, Aurélia, Benoît, Florence, et PICH.

 

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