Voici un article paru dans le supplément francilien du journal "Le Monde" du mercredi 19 avril : (english version)

 ROBERT SMITH CURE TOUJOURS

20 ans après, l’adolescent à la voix trainante et aux rouge à lèvre qui déborde continue d’hystériser les foules. Son " dream tour " ? Un bon remède contre l’endormissement.

iiiiiiiiiiiii… Le gros car rose immatriculé en grande Bretagne tente de se frayer un chemin dans les rues de Grenoble. Derrière lui, une armada de voitures grillent les feux, crissent des pneus... Une course poursuite au parfum d'hystérie : pour sa nouvelle tournée, le groupe a pu constater que sa popularité avait retrouvé les proportions de ses années de gloires. "On n'avait pas vu ça depuis 1987", confirme, essoufflé, Roger O'Donnell, le clavier, une fois enfin à l'abris dans le hall de l'hotel. A l'époque - sommet de la curemania - on ne comptait pas un lycée qui ne charriât sa dizaine de clones de Robert Smith, cheveux en pétard, maquillage outrancier et vêtements noirs de rigueur. Porte parole privilégié du mal-être adolescent, c'est chez nous que la new wave de ces anglais a eu le plus de répercussions.

Aujourd'hui, du haut de ses vingt ans d'activité et de make up, Robert Smith peut contempler avec satisfaction plusieurs générations de fans. " La majorité du public a le même age, entre 15 et 25 ans, qu'il y a dix ans. C'est formidable : nous vieillissons, pas eux. constate R.S.. Et puis il y a les vieux fidèles qui réagissent sur les vieilles chansons." Face à lui, un garçon, l'air égaré le regarde, béat et incrédule.

  "Laissez-moi le regarder, juste le regarder" susurre-t-il aux agents de sécurité.

Pour bâtir le répertoire de cette nouvelle tournée, Smith n'a pas joué la carte de la facilité. Aux tubes radio - qui ont assuré le succès commercial du groupe, il a préféré les chansons plus conformes à son identité. "On a délibérément choisi de jouer des morceaux atmosphériques et très peu de singles. Cela n'empêche pas les gens de nous demander très régulièrement Lullaby".

Devenu à son tour une institution du rock, Cure a refusé de céder à la tentation du concert en forme de best-of. Seule alternative valable : proposer du neuf. En l'occurence, les dernières chansons du groupe, qui figurent parmis les meilleurs qu'ils aient jamais écrites.

Au moment d'aborder l'enregistrement de Bloodflowers, R.S. a décidé de donner une suite à la trilogie d'albums entamée avec Pornography en 1982 puis poursuivie sur Disintegration en 1989.

  Constitué de longues pièces brumeuses aux accents parfois psychédéliques, le répertoire reprend toute la singularité du son Cure. Voix traînante, lignes de basse métaliques, enchevêtrements de guitares... autant d'éléments plagiés à outrance mais que personne n'a pu s'approporier tout à fait.

Parmis les nombreux prétendants à la succession (Placebo, Smashing Pumpkins), Cure ne se reconnait qu'un seul dauphin : le groupe bruitiste écossais Mogwai. Et même s'il déclare vouvoir mettre la clef sous la porte, personne ne prend jamais l'avertissment au sérieux. Peut-être parce que, loin d'avoir les allures d'enterrement de première classe d'un adieu, le dream tour montre un groupe au sommet de ses capacités.

Et parce que Robert Smith, plus touchant que jamais, est toujours ravi d'embarquer un public pas encore né aux débuts du groupe dans des concerts fleuves de plus de trois heures.

Olivier Nuc

The Cure au Zénith les 25 et 26 Avril 2000