La loi de la tartine beurrée, la loi de Murphy, et les constantes fondamentales

European Journal of Physics 16 172-176 1995


Il existe une croyance répandue selon laquelle une tartine (toast) tombant d'une assiette ou une table a une tendance naturelle à tomber face beurrée contre terre, donnant ainsi une preuve prima facie de la loi de Murphy "Si quelque chose peut rater, ça ratera". La plupart des scientifiques, en revanche, réfutent cette croyance, qu'ils jugent être ridicule. De fait, une enquête faite en 1993 par l'émission scientifique Q.E.D., de la BBC, affirma avoir prouvé définitivement que cette croyance n'était qu'un mythe. Cependant, comme je le montre dans mon article, les expérimentations présentées dans cette émission sont inappropriées (en effet, elles consistaient à lancer des tartines beurrées en l'air, attitude rarement pratiquée autour de la table du petit-déjeuner). Si l'on se penche plus sérieusement sur le problème d'une tartine tomban d'une assiette ou d'une table - la tartine (toast) étant modélisée comme un feuillet épais, rigide et rugueux - il en résulte que la croyance populaire est globalement correcte. La tartine a en effet une tendance à atterrir du côté beurré, essentiellement à cause du fait que le couple gravitationnel induit par le basculement de la tartine depuis l'assiette / la table n'accomplit pas une rotation suffisante pour ramener la face beurrée vers le haut avant que la tartine touche le sol. Notez que cela n'a rien à voir avec un quelconque effet aérodynamique qui serait causé par le fait qu'un côté est beurré - il s'agit uniquement de gravité, et d'un peu de frottement. Néanmoins, je continue en montrant que la loi de la tartine beurrée a des origines beaucoup plus profondes qu'on ne pourrait l'imaginer. Si les tables étaient beaucoup plus hautes - disons 3 mètres de hauteur - le problème de la tartine tombant du côté beurré n'existerait plus, étant donné que la tartine aurait le temps d'accomplir une rotation complète. Aussi, pourquoi les tables ne font-elles pas 3 mètres de haut ? La réponse est simple : pour être confortables aux humains. Aussi, pourquoi les êtres humains ont-ils la taille qu'ils ont ? En utilisant un simple modèle de liaison chimique de la structure d'un être humain, je montre qu'il y a une limite de sécurité à la taille maximum des êtres humains, considérés ici comme des bipèdes essentiellement cylindriques. Cette limite de sécurité est à 3 mètres de haut : au-delà de cette taille, une simple chûte induit une accélération gravitique du crâne avec une telle énergie cinétique que les liaisons chimiques du cerveau sont brisées, causant ainsi de graves fractures. Cette limite de taille, à son tour, influe sur la taille maximum des tables : celles-ci, pour être utilisées par des créatures humaines articulées, ne peuvent excéder 1,5 mètre de haut - ce qui n'est pas une hauteur suffisante pour empêcher la tartine de tomber du côté beurré. Il semble donc que les organismes humanoïdes sont condamnés à subir cette manifestation de la loi de Murphy.

Mais voici le véritable coup de théâtre de ce récit. La formule qui fixe la taille maximum des humains contient en fait trois "constantes fondamentales de l'univers". La première - la constante électromagnétique (electromagnetic fine-structure constant) - détermine la solidité des liaisons chimiques dans le cerveau ; la seconde - la constante gravitationnelle (gravitational fine-structure constant) - détermine la force de la gravité ; enfin, ce qu'on appelle le rayon de Bohr (Bohr radius) fixe la taille des atomes composant le corps. La valeur précise de ces trois constantes fondamentales a été fixée dès la conception de l'univers, quelques moments après le Big Bang. En d'autres termes, la tartine qui tombe de la table du petit-déjeuner tombe du côté beurré parce que l'univers est bâti comme ça.

Ayant fait cette découverte déprimante sur la nature de notre univers, je me suis senti obligé de proposer quelques solutions pour contourner le phénomène. Après tout, nous ne devrions pas être fatalistes sur ce genre de sujets. Il y a beaucoup de solutions peu intelligentes (manger à des tables de 3 mètres de haut, manger des petits bouts de tartine, beurrer le dessous des tartines, attacher la tartine à un chat, qui, lui, sait mettre le bon côté en haut pendant une chute, etc. etc). L'approche du physicien consiste à minimiser le temps où la tartine est exposée à l'effet rotationnel de la gravité. Cela implique de faire l'inverse de ce à quoi vous pensez. Si votre tartine tombe de la table, il faut lui donner un coup latéral de la main, piur augmenter sa vitesse horizontale. Si vous êtes chanceux, la tartine restera éventuellement côté beurré en l'air. Si la tartine tombe d'une assiette, vous devez bouger rapidement l'assiette vers le bas et en arrière, la dissociant de la tartine, qui descendra ainsi avec le côté beurré en l'air.

J'ai developpé depuis mes recherches sur la loi de Murphy pour traiter la question "pourquoi a-t-on tant de chaussettes dépareillées dans nos tiroirs ?".

1996 Robert A.J. Matthews, Tous droits réservés. Traduction en français, Christophe Thibierge.

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