Dennis Bernstein: Vous êtes à l'écoute de Flashpoints,
sur KPFA. Je suis Dennis Bernstein.
George W. Bush a déclaré un
état d'urgence extraordinaire hier qui lui confère les pouvoirs d'ordonner
des tribunaux militaires pour les personnes soupçonnées de terrorisme
international, ainsi que leurs complices. Il court-circuite ainsi le système
judiciaire états-unien, ses règles pour présenter des preuves et ses
garanties constitutionnelles. La directive du Président, signé par Bush en
tant que commandant en chef des forces armées, s'applique aux non-citoyens
des Etats-Unis arrêtés aux Etats-Unis ou à l'étranger.
Avec nous ce soir pour
commenter ces mesures extraordinaires est le professeur Francis Boyle. M.
Boyle est professeur de Droit International à l'Université de Droit de
l'Illinois, à Champaign. Merci d'être venu.
Francis Boyle : Merci, Dennis. je suis
toujours heureux de participer à votre émission (...).
Bernstein : Des tribunaux à huis
clos, des tribunaux militaires... Pouvez-vous nous donner votre sentiment à
ce sujet ?
Boyle : Tout d'abord, l'ordre du
Président doit être analysé dans le contexte d'une attaque en règle contre la
Constitution des Etats-Unis à laquelle nous assistons de la part de
l'Administration Bush et ses avocats du Federalist Society, comme Ashcroft
(ministre de la Justice des Etats-Unis - note de CSP), Gonzales et leur
équipe.
Depuis le 11 Septembre,
nous assistons à une série d'atteintes à la Constitution, l'une après
l'autre. Récemment, nous avons entendu Ashcroft dire qu'il avait,
unilatéralement, institué la surveillance des communications entre un avocat
et son client, sans même en avoir informé quelqu'un. Il l'a fait comme ça,
malgré le Quatrième Amendement qui interdit les recherches injustifiées et
les saisies sans mandat, et le Sixième Amendement qui reconnaît le droit
d'être représenté et défendu.
Je ne vais pas énumérer
toutes les mesures prises récemment, mais il y en a une qui est
particulièrement scandaleuse et dangereuse. Comme vous l'avez fait remarquer,
elle s'applique aux présumes terroristes ici aux Etats-Unis, qui ne sont pas
des citoyens états-uniens, et aussi à l'étranger. Il faut analyser deux
choses distinctes. En ce qui concerne les Etats-Unis, à l'évidence les
étrangers devraient bénéficier des protections du Cinquième Amendement de la
Constitution des Etats-Unis, ainsi que de l'Article III (Section 2, article
3) des droits fondamentaux constitutionnels dans les affaires criminelles, y
compris la mise en accusation, un procès devant un Juge Fédéral ou un jury,
les droits relatifs au lieu du procès et ce genre de choses. Je pourrais
écrire des volumes entiers sur les problèmes posés par cette mesure
présidentielle.
De plus, il y a une
Convention Internationale sur les Droits Civils et Politiques, que les
Etats-Unis ont signé. Il s'agit d'un traité qui, lui aussi, garantit les
droits fondamentaux des habitants de ce pays, quelle que soit leur
nationalité.
Quant à l'application de
ces mesures à l'encontre des présumés membres d'Al Qaeda, ou même des
ex-membres d'Al Qaeda, en Afghanistan, le problème posé est encore plus
grave. Les troisième et quatrième Conventions de Genève, de 1949,
s'appliquent à l'évidence dans ce conflit en Afghanistan. Ces membres
présumes d'Al Qaeda seraient protégés soit par la Troisième Convention de
Genève (s'il s'agit de combattants incorporés dans une armée en Afghanistan),
soit par la Quatrième Convention de Genève (s'il s'agit de civils). Les deux
Conventions définissent très précisément les procédures à respecter avant un
procès. Ce qui ne signifie pas que les procès ne peuvent avoir lieu. Les
procès peuvent avoir lieu, mais il y a des règles précises et des protections
à respecter. Les procédures définies par ces traités doivent être respectées.
Ne pas le faire constituerait un crime de guerre.
Ensuite il y a la question
des représailles. Cet ordre du Président est très dangereux, parce que ce
qu'il dit au fond au gouvernement Taliban et à Al Qaeda est ceci "nous
n'allons pas vous faire bénéficier des protections ou des garanties de la
Troisième ou de la Quatrième Convention de Genève". Ce qui signifie
qu'ils pourraient se livrer à des représailles contre les membres capturés
des Forces Armées des Etats-Unis. Comme vous le savez, nous avons des soldats
là bas en ce moment même - des Forces Spéciales - et nous avons aussi des
pilotes qui survolent l'Afghanistan. N'importe lequel d'entre eux pourrait
être capturé par le Gouvernement Taliban ou par Al Qaeda.
Si un militaire états-unien
devait être capturé, il aurait à l'évidence droit à la protection de la
Troisième Convention de Genève en tant que prisonnier de guerre. Mais le
problème à présent est que le Président Bush a dit en substance, ouvertement,
publiquement et officiellement que les membres d'Al Qaeda, les ex-membres
d'Al Qaeda, ceux qui les ont hébergés ou aidés, ne pourront pas bénéficier
des garanties de la Troisième Convention - en tant que prisonniers de guerre
- ni de la Quatrième, qui protége les civils. C'est la porte ouverte au
représailles. Nos propres soldats risquent de ne pas être reconnus comme prisonniers
de guerre. Ce que nous sommes en train de faire est de les exposer à un
traitement similaire, ce qui se traduirait par un procès sommaire, à huis
clos, et une éventuelle condamnation à mort.
Bernstein : permettez-moi
d'intervenir, Professeur Boyle.
Selon la directive du
Président, le Président lui-même décidera qui serait jugé par les tribunaux
militaires et le Secrétaire à la Défense Donal Rumsfeld nommera les juges et
décidera des règles et des procédures, y compris le degré de preuves requis pour
une condamnation. Ca ressemble à un coup d'état silencieux.
Boyle : C'est clair. Ce à quoi
nous assistons depuis le 11 Septembre, si on prend en compte tout ce que
Ashcroft, Bush et Gonzales et leur équipe des avocats de la Federalist
Society ont fait, c'est un coup d'état contre la Constitution des Etats-Unis.
Ca ne fait aucun doute.
Lorsqu'on prend en compte
la loi d'Aschroft (police state bill) qui fut votée au Congrès - et dont
plusieurs membres ont avoué qu'ils ne l'avaient même pas lu avant de voter -
c'est bien à cela que nous assistons, un coup d'état constitutionnel. Il n'y
a pas d'autre mot.
Bernstein : quelles seront les
implications lorsque le président et le secrétaire de la défense décideront
qui seront les défenseurs et quel sera le degré des preuves requis ? Il est
difficile d'imaginer comment ça pourrait fonctionner.
Boyle : C'est vraiment comme au
temps de l'Empire Britannique ( Star Chamber proceedings) lorsque quelqu'un
était accusé de trahison et comparaissait discrétement, en secret. On avait
droit à un jugement expéditif et la personne était condamné à mort. Et
c'était tout.
Le point important à noter
est que le président et le secrétaire de la défense sont liés par la
troisième et quatrième convention de Genève, que ce soit en Afghanistan ou au
Pakistan. Ils n'ont aucun droit particulier dans ces cas.
Pour ce qui concerne les
Etats-Unis, ils sont liés par la Constitution et de la Déclaration des Droits
de l'Homme, et ils sont liés par des traités internationaux. Il n'y a aucune
exception à laquelle le président peut faire appel unilatéralement sans autre
forme de procès. Mais c'est exactement ce que son ordre - vous pouvez le lire
dans le New York Times d'aujourd'hui - tente de faire.
Bernstein : A l'évidence, c'est une
question très préoccupante pour les arabo-américains, ceux qui sont ici avec
des visas ou des cartes de séjour. Il y a à présent mille personnes en état
d'arrestation. Ashcroft parle de cinq mille de plus qui seront arrêtées.
Toutes ces personnes pourront être jugées en secret et condamnées sans la
présentation de la moindre preuve.
Boyle : C'est exact. Nous sommes
en train de devenir une République bananière, ici même aux Etats-Unis, avec
des personnes "disparues", phénomène à laquelle nous avons assisté
sous les dictatures latino-américains dans les années 70 et 80, avec,
soit-dit en passant, le soutien du Gouvernement des Etats-Unis. Le dernier
chiffre que j'ai lu parle de plus de 1.100 étrangers, Arabes, Musulmans, qui
ont tout simplement disparu. Nous ne savons pas où ils sont ni dans quelles
conditions ils sont détenus. Nous ne savons pas s'ils ont droit à des
avocats. Nous savons que l'un d'eux est mort, dans des circonstances très
troublantes, en état d'arrestation. Il y a des rapports qui disent qu'il a
été torturé à mort.
Je dois souligner que le
phénomène de disparitions est considéré comme un crime contre l'humanité par
la Cour de Justice Internationale. C'est très dangereux.
La question est la suivante
: quand est-ce que le FBI, la CIA et la NSA commenceront-ils à employer ces
mesures, que leur a accordées Ashcroft, contre les citoyens des Etats-Unis ?
A l'évidence, il s'agit de la prochaine étape.
Bernstein : C'était un entretien avec
le Professeur Francis Boyle. Merci.
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